Ma femme est allée faire des courses. Elle revient et me dit : je vais avoir besoin de toi et ça commence par un « H ». Depuis que je me suis trouvé un talent d’écailler, je sais que H veut dire huître. Je vais voir de quoi il s’agit et mon intuition est bonne. Il y a une trentaine d’huîtres car le marchand a arrondi les douzaines. Je cherche le couteau qui m’a fait découvrir que je savais ouvrir les huîtres et je commence. A la deuxième huître, la pointe d’acier se casse et je n’ai plus qu’un couteau qui ne peut pas pointer. Il y a dans le tiroir un autre couteau à huître avec lequel je n’ai jamais eu de bons résultats. La suite des évènements est un chemin de croix. Toutes des demi-minutes, je maudis ce sort contraire qui me pousse à ouvrir des huîtres avec un mauvais outil. Je ne cesse de répéter qu’un bon ouvrier ne peut agir s’il n’a pas les bons outils. Je peste, et quand je peste, ça s’entend. Ma femme m’encourage tout en disant que je radote et rongeant mon frein, j’arrive au bout de l’ouverture non sans avoir laissé en route –et pas sur les huîtres – quelques gouttes de sang.
Le plateau est prêt et l’énergie que j’ai déployée mérite, à mes yeux, d’être récompensée. J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1990. Le bouchon est coiffé par un muselet de couleur vert olive inhabituel. Le bouchon vient sans histoire avec un beau pschitt. La couleur du champagne est claire, à peine ambrée. Dès le premier contact, je suis face à une immanence. Ce champagne est parfait. Et face à la perfection, point n’est besoin d’analyser. Ce Dom Pérignon est là, parfait, et l’important est d’en jouir. Avec l’iode de l’huître, il y a une multiplication d’énergie et d’intensité. Le champagne est électrique tant il est vif. Il y a en lui des accents floraux et romantiques mais il est aussi vineux. Ce qui me fascine c’est l’équilibre et la sérénité et la profondeur du message. J’avais aimé récemment le Dom Pérignon 2009 qui me semble avoir l’âme de Dom Pérignon, mais là, avec ce 1990, je bois la gloire de Dom Pérignon. Quelle grandeur, quelle grâce. C’est la perfection du champagne de charme et de persuasion. Avec les huîtres il n’y a aucun accompagnement, seulement du pain et du beurre. Et il faut absolument boire le champagne juste après les huîtres pour que l’iode se multiplie dans le champagne. La force vineuse est là, mais c’est le charme qui triomphe.
Je me sens prêt à ouvrir d’autres huîtres, s’il y a de telles récompenses !
qu’est ce muselet Eparnix ?