Le déjeuner de lundi de Pentecôte pourrait être l’un des plus beaux de ma vie. Nous sommes trois, mon fils, ma femme et moi, dont deux qui boivent. Le point de départ est une bouteille qui fait partie des bouteilles illisibles entassées dans des cases de ma cave. J’avais repéré une bouteille qui me semble la plus vieille de ce groupe. Elle est de forme bourguignonne et contient un vin blanc dont la couleur me fascine, avec des notes orangées tendant vers le rose. C’est inhabituel pour un bourgogne blanc ancien mais je suis quasi sûr que ce vin sera grandiose et je mets à imaginer qu’il a le plus beau goût possible de tous les vins de ma cave. Alors, j’ai mis dans sa case un papier sous elle avec le nom de mon fils. J’ajoute deux autres vins qui me tentent en les voyant en cave.
Par une chance inouïe ma femme a prévu pour ce déjeuner du Wagyu et des pigeons. Une bonne étoile doit veiller sur ce déjeuner.
A 9h j’ouvre la bouteille inconnue dont le bouchon vient entier, d’une qualité de liège qu’on ne trouve que dans les vins très anciens du 19ème siècle, peut-être avant 1860. Le parfum est incroyable et évoque un vin doux. Ce parfum entêtant est incroyable. L’idée qui me vient immédiatement est celle d’un Vouvray ou d’un Coteaux du Layon. Et pour l’âge, la bouteille et le bouchon m’indiquent que c’est probablement de la décennie 1870, voire avant.
J’ouvre ensuite La Tâche 1957 au niveau assez bas mais convenable et de belle couleur. Le bouchon se casse en de multiples morceaux, la partie basse collée au verre résistant fortement. Le nez du vin est exactement ce que je souhaitais pour cette année que j’apprécie.
Ce n’est que vers 10h30 que j’ouvre le Mumm Cordon Rouge 1937 dont le bouchon sale se brise à la torsion. Le parfum est très engageant.
Vers 13 heures je sers le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937. Il n’a pas de bulles mais le pétillant est préservé. La couleur est d’un bel orange. Le champagne est précis, charmant, très long et raffiné et mon fils est de mon avis, ce champagne est plus grand que le Krug Private Cuvée années 50 et que le Mercier 1949 d’hier. Il est rond, joyeux, raffiné. C’est un très grand champagne, bien sûr ancien, mais qui a gardé une énergie intacte.
Le Wagyu est fondant. Le vin blanc, appelons-le Vouvray 1877 pour avoir une année qui finit en « 7 » comme les deux autres, dont le millésime est connu, a un parfum extraordinaire d’une richesse aromatique infinie. Je ne crois pas avoir connu de vin liquoreux aussi délicat et complexe. C’est du velours. Il serait inopportun de faire des comparaisons mais je pense que ce vin moelleux atteint des sommets absolus d’excellence. L’accord avec le Wagyu est divin. Mon fils me dit qu’il n’a jamais bu de liquoreux de ce niveau.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 a une couleur très claire, très représentative de son domaine. Le parfum est de sel, entraînant. En bouche c’est un vin d’une élégance extrême. Il est d’un millésime calme ce qui lui permet d’exprimer toutes ses subtilités. Avec les pigeons à la goutte de sang, l’accord est absolument divin. Le vin rouge s’adapte aussi élégamment au Wagyu.
J’ai l’impression qu’à chaque gorgée et qu’à chaque bouchée, on touche la perfection absolue. C’est une sensation très rare que de recevoir des saveurs parfaites et éblouissantes. C’est pour cela que je considère ce repas comme l’un des plus grands de ma vie. Un vin blanc moelleux unique de complexités et de douceur, des viandes parfaites et des accords naturellement idéaux. Ce n’est que du bonheur.
Le dessert, de poires Belle-Hélène a réussi à trouver sa voie avec le Mumm 1937. La vie est belle.