Une journaliste japonaise visite une nouvelle fois ma cave. Nous regardons ensemble des bouteilles dans les cases et mon regard est attiré par une bouteille dont le niveau a fortement baissé. Je la retire, constate le dégât et la mets bien en évidence pour la boire au plus vite. Le lendemain de bon matin je propose à ma femme que nous dînions ensemble au restaurant. Ce sera au restaurant Laurent qu’elle adore. Dans la journée, pensant à un écrivain que nous avions rencontré à « Livres en Vigne » au Château de Clos Vougeot, et sachant que ma femme apprécierait sa compagnie, je l’appelle. Sur un fond de bruits de métro, j’apprends qu’il est déjà pris pour ce soir. Nous serons donc deux. Une heure plus tard le téléphone sonne, son dîner est annulé. Nous redevenons trois selon mon décompte, mais toujours deux pour ma femme.
Je prends la bouteille au niveau plus que bas, et le casting de la pièce de ce soir est au complet. Arrivé en avance, j’ai le temps de faire refroidir mon vin et de commander les vins du dîner. Ma femme arrive, on nous dirige vers notre table. Tiens, voici trois couverts. « Qui as-tu invité ? ». « Tu ne trouveras pas ».
Je me fais servir un verre du Champagne Krug 1988. Ce champagne à la couleur déjà légèrement ambrée est opulent. Mais, est-ce moi, est-ce lui, il n’y a pas l’émotion que j’aime en lui. L’ami arrive, ma femme avoue que jamais elle n’aurait imaginé que ce soit cet écrivain qui complète la table. Elle est ravie. Sur de petits gressins enrobés de saumon, l’accord du Krug est admirable. Sur des pastillas croquantes aux herbes, le champagne trouve une autre allure. C’est sur l’araignée de mer en gelée, véritable institution de l’endroit, que le Krug 1988 prend son envol. Mais je dois dire que je le trouve trop policé. Il se peut que je sois moins réceptif.
Sur les pieds de porc qui sont un autre pilier de cette institution qu’est le restaurant Laurent le Clos de Tart 2005 est une bombe et un péché défendu. Le nez est de fruit de cassis encore sur sa tige. Et, sous-jacent, il y a l’odeur poivrée de la feuille de cassis, l’une des odeurs les plus pénétrantes avec celle de la feuille de tomate. En bouche, le vin est feuille de cassis et poivre noir. Ce vin est une bombe aromatique. On regrette évidemment d’avoir commis l’infanticide de le boire maintenant, mais il est sacrément bon. Sur le petit cerfeuil à peine confit que l’on croque doucement, le Clos de Tart devient cerfeuil. C’est l’herbe folle qui envoûte le vin au point de lui dicter son goût. Un saint-nectaire permet d’avoir une autre facette du vin de Bourgogne.
Le Château des Tuileries, Graves Supérieures 1941 a une couleur de thé noyé. Le nez est assez agréable, mais indique vivement que le vin a un problème. En bouche, le vin affiche qu’il a chassé son sucre et, ce qui m’indispose, c’est qu’il a un relent métallique venant de la capsule. Nous délaissons ce vin objectivement mort, qui nous a laissé de temps à autre, de fugaces évocations du temps où il fut beau.
Le service au restaurant Laurent est toujours exemplaire, la cuisine est une solide base de la cuisine française. Le plaisir de nous retrouver en cet endroit apprécié fut un régal.