Une discussion avait été lancée sur Instagram sur l’attitude à avoir face à des vins dont les bouteilles ont subi des baisses de niveau. Certains amateurs ont des anxiétés qui me paraissent excessives. J’ai suggéré que l’on ait vis-à-vis de ces vins une attitude positive, sans stress. Plus on aura un accueil ouvert, plus on aura une chance d’aimer le vin et surtout j’ai insisté sur la nécessité d’utiliser la méthode dite d’Audouzer le vin, c’est-à-dire de l’ouvrir quatre à cinq heures à l’avance, pour que toutes les petites imperfections se corrigent grâce à l’oxygénation lente.
Pour vérifier mes dires, j’ai pris en cave deux bouteilles que la quasi-totalité des amateurs jetteraient. L’une est un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 qui a perdu environ 75% de son volume et qui a une couleur très foncée. L’autre est un Nahe Winzerstolz Schloss Böckelheimer, Bad Kreuznach Rheinland 1959, dans une bouteille fine et haute au fond plat, qui a perdu environ 80% de son volume.
Inutile de dire que la probabilité de trouver deux vins morts est extrêmement élevée. Le bouchon du champagne est recouvert de saletés noires, dures comme du goudron. Le bouchon est noir, mais le goulot n’est pas sale. L’odeur à l’ouverture à 9h du matin, soit quatre heures avant le déjeuner, est très acceptable, ne révélant aucun défaut majeur.
Le bouchon du riesling allemand tourne en même temps que mon tirebouchon, ce qui rend difficile de l’enfoncer. Je suis obligé d’arrêter cette rotation en plantant une autre mèche dans le liège. Je peux alors enfoncer la mèche principale et je lève entier le bouchon très imbibé. Le goulot est sale et gras, d’une graisse noire, que je nettoie avec mes doigts qui se noircissent. Je sens et, oh surprise, un délicieux parfum de fruits rouges se montre souriant. Je fais sentir à ma femme qui trouve ce parfum superbe.
Au déjeuner j’annonce à ma fille que nous allons faire l’expérience de ces deux vins. La couleur du Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 est beaucoup plus claire dans le verre que dans la bouteille. Il y a quelques poussières en suspension qui ne me gênent pas. Le goût est celui d’un champagne ancien plaisant. Ma fille est un peu rebutée par les suspensions, mais je boirai tout le champagne qui n’a aucune lie. Il a accompagné de belle façon une tarte à l’oignon au goût légèrement sucré et nous l’avons trouvé confortable et agréable, doté d’une belle complexité. Je n’aurais pas parié qu’il se comporte aussi bien.
Le Winzerstolz Schloss Böckelheimer, Bad Kreuznach Rheinland 1959 au moment du service offre un nez qui a perdu tout son charme car il sent le bouchon. Il y a une salade de champignons qui va effacer cette trace de bouchon. Le vin met du temps à s’assembler, mais il est d’une belle douceur, et d’une grande cohérence. Il n’a pas de défaut, juste une petite fatigue.
Pour le cas où les vins auraient été défaillants, j’ai ouvert un Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2004. Le bouchon très serré sort difficilement. Une belle explosion de gaz salue son ouverture. La couleur est très claire. Quel contraste avec les deux autres. Le champagne est agréable et bien construit, mais nous faisons ma fille et moi le même constat : les deux vins anciens sont infiniment plus complexes et donnent beaucoup plus de plaisir que ce jeune champagne.
Le 2004 trouvera un bel accord avec une tarte aux fraises et à la rhubarbe, grâce à son acidité trouvant un miroir dans les fruits. J’ai fait part sur Instagram des résultats de cet essai. Il faut toujours faire confiance au vin et lui donner sa chance, sans le condamner a priori. Nous aurions pu avoir un échec car il y a des vins irrécupérables, mais nous n’en avons pas eu. Et l’âge leur donne des complexités que ne peuvent donner les vins plus jeunes. Ces conclusions n’ont pas valeur de vérité définitive, mais ils encouragent à laisser leur chance aux vins.