L’académie des vins anciens tient sa quatrième session au Pavillon Elysée. La grande salle du premier étage, que je pratiquais dans un passé professionnel lointain, quand ce lieu faisait partie des grandes tables parisiennes, est exactement adaptée à notre groupe de 48 membres répartis en six tables de huit. L’efficacité de l’équipe présente est à signaler. Je commence la cérémonie d’ouverture d’une cinquantaine de vins sous l’œil d’une caméra maniée avec l’intention de faire connaître au monde américain les petites astuces et les principes que j’ai adoptés après avoir ouvert des milliers de bouteilles en observant les effets des initiatives que je prends. Un petit groupe d’amis grossit autour de moi car certains veulent m’aider et d’autres veulent apprendre. Certains vins ont des odeurs merveilleuses, comme l’Yquem 1950 et le Volnay 1949. D’autres vins sont franchement au-delà de tout espoir de survie. Certaines odeurs sont épouvantables. Il manque à l’académie un comité d’admission des bouteilles. La diversité des apports n’a jamais été aussi marquée que ce soir. Il faudra travailler ce sujet. J’ai eu l’occasion de le rappeler dans mon discours introductif : « c’est la qualité des apports qui fait la qualité de nos réunions. Chacun est solidairement responsable. N’attaquez pas telle ou telle bouteille, puisque son propriétaire est sans doute à votre table ». Fort heureusement de merveilleuses bouteilles ont permis à chacun de trouver des sujets de grand bonheur.
Un académicien fort généreux ayant apporté pour les travailleurs du tirebouchon un champagne Duval-Leroy vers 1969, nous avons pu goûter un délicieux champagne à la bulle devenue discrète dont l’expression typée est joyeuse.
Comme à chaque réunion, nous trinquons sur des demi-bouteilles de champagne Léon Camuzet d’une quinzaine d’années, dont l’évolution sympathique est une mise en bouche pour s’acclimater au monde des vins anciens. Didier Depond fit la moue sur ce champagne que d’autres amis ont adoré. Il était visiblement fort marri que ses champagnes Delamotte et Salon expédiés depuis plusieurs jours aient manqué à notre soirée. On les retrouvera un jour, mais comme Grouchy.
Le menu a été composé avant qu’on ne connaisse les vins. Il n’avait donc aucune vocation à être strictement adapté aux vins. Il fut fort honorable mais sans corrélation possible avec ce que nous avons bu : Tempura de gambas avocat pomme / Déclinaison de saumon cuit fumé et mariné, chips de pomme de terre et asperge fine / Foie gras de canard aux épices en déclinaison glacé / Suprême de Pintade rôtie aux asperges vertes et mitonnée de morilles / Fromages de Bernard Antony / Macaronade nuts caramel d’agrumes et pain d’épices.
Les académiciens sont répartis en trois groupes, et voici leurs vins, dans l’ordre de service :
Groupe 1 : Pol Roger rosé 1979 – Probable Chassagne blanc vers année 30, capsule porte : JJ & B – Domaine de Chevalier 1952 – Château Talbot 1955 – Château les grands Rosiers Pauillac 1926 – Château Rausan Ségla 1924 – Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1962 – Chateauneuf du Pape Sélection de la réserve des Chartes 1947 – Hermitage Paul Etienne 1959 – Vega Sicilia Unico 1941 – Bouzy Barancourt 1974 – Château Chalon Jean Bourdy 1953 – Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1969 – Domaine du Pin, Beguey, 1ères Côtes de Bordeaux 1937 – Château d’Yquem 1950 – Cognac de Tiffont, cuvée du centenaire vers 1880.
Groupe 2 : champagne "Femme" Duval Leroy 1996 – Graves blanc LE CARDINAL 195? – G de Château Gilette 1958 – Chassagne-Montrachet – Namont de Marcy 1962 – Clos de l’Oratoire 1961 – Château Le Bon Pasteur 1955 – Château Larcis Ducasse 1945 – Château Carbonnieux 1928 – Clos Saint Jean – Bouchard aîné & fils 1962 – Bonnes Mares Lionel Bluck 1966 – Volnay Clos des chênes 1949 – Côteaux du Layon Cousin-Leduc 1961 – Lacrimae Santa Odiliae Pierre Weissenburger à Obernai 1928 – Château Rayne Vigneau 1975 – Château Coutet 1947 – Cognac de Tiffont, cuvée du centenaire vers 1880.
Groupe 3 : Pol Roger rosé 1979 – champagne Dom Pérignon Oenothèque 1976 – PULIGNY-MONTRACHET Gauthier frères 1953 – Bâtard Chevalier blanc Pessac Léognan 1988 – Château Talbot 1978 – Château Le Prieuré Saint-émilion 1971 – Château Haut-Brion 1970 – Château La Cabanne Pomerol 1953 – Bouchard Ainé Fils, Grand Manoir, Côtes de Nuits 1929 – Moulin à Vent Bichot 1947 – Chateauneuf du Pape Domaine de Nalys 1985 – Anjou Rosé Moelleux domaine de Bablut 1959 – LOUPIAC château Dauphiné-Rondillon 1952 – Château Camperos Haut-Barsac 1941 – Château Chalon Jean Bourdy 1969 – Cognac de Tiffont, cuvée du centenaire vers 1880 (commun à toutes les tables).
Les académiciens étant de plus en plus disciplinés, les échanges de vins entre groupes furent discrets. Aussi n’ai-je pu profiter de quelques vins des autres tables qui m’excitaient au moment où je les ai ouverts avec la fine équipe de « tirebouchonniers ». Le Coutet 1947 a été grandiose selon les échos que j’en ai eu, comme le Volnay 1949, le Dom Pérignon 1976 et le Larcis Ducasse 1945. Le Haut-Brion 1970 que j’avais affecté à cette expérience avant de savoir ce qu’il donnerait chez Robuchon fut applaudi. C’est heureux qu’il ait choisi ce soir là pour être bon.
Voici quelques commentaires succincts des vins de mon groupe. Soucieux de l’organisation, je n’avais pas l’attention qu’il faudrait pour saisir toutes les subtilités. Le champagne Pol Roger rosé 1979 est joyeusement fruité. Il est précis. Son attaque est belle, mais il est très court en bouche. Un champagne très agréable, plus plaisant que le récent Pol Roger rosé 1999 que j’ai goûté lors d’un dîner littéraire.
Le probable Chassagne blanc des années 30, JJ&B est une énigme pour tous, mais il est extrêmement plaisant. Certains se demandent si c’est bourguignon. On me parle de chenin. On évoque le chardonnay. Je le crois volontiers. C’est un vin charmant, qui ne renie pas son âge avancé, qui ne ressemble à rien d’actuel, mais qui imprime en bouche une trace forte et plaisante. Son association avec l’agrume du plat le rend absolument excitant.
Les trois vignerons qui sont à ma table sont surpris que le Domaine de Chevalier rouge 1952 puisse avoir cette jeunesse. Ce vin est extrêmement bon. Sa robe et son nez sont jeunes. Il est précis en bouche. Un grand vin. Il ouvre des horizons nouveaux sur la pertinence des périodes de maturité annoncées par les gourous du vin. Ce bordeaux a 54 ans. Il est ingambe et séduisant.
Cette leçon va être confirmée par le Château Talbot 1955 qui est brillant, comme tous les vins de 1955 en ce moment. La structure est un peu plus précise et l’année un peu plus chaleureuse que celle du Domaine de Chavalier.
Le Château les grands Rosiers Pauillac 1926 est une inconnue pour tous. Est-ce Haut Bages comme il est inscrit sur l’étiquette récente. La capsule est assez neuve, le bouchon me semble avoir largement plus de quarante ans. Lorsque je dis que j’aime ce vin, Aubert de Villaine, attentif à nos approches de ces vins anciens, se refuse à suivre mon optimisme. Il n’aime pas ce vin du fait de défauts évidents. Il est possible que l’insistance aromatique du saumon fumé, très éloigné des désirs des vins rouges, ait conduit à cet écart d’analyses. Ce vin est plaisant, vivant, très certainement de 1926. Je l’ai aimé.
En revanche, contrairement au blanc des années 30 et au 1952 de ma cave, le Château Rausan Ségla 1924 que j’avais ajouté malgré un niveau bas montre dès l’abord une odeur animale décourageante. Mais ce vin allait apporter à mes théories une indéniable confirmation. Je demande toujours que l’on ne juge pas trop vite. Nous avons constaté avec mon célèbre voisin une transformation olfactive spectaculaire du Rausan-Ségla. Nous aurions attendu quelques heures de plus, il n’est pas interdit de penser que la majeure partie des imperfections eussent été gommées. Au moment de son passage en scène il ne savait pas son texte. Paix à son âme.
Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1962 est le petit fils d’un de mes plus grands bourgognes, le Grands Epenots Michel Gaunoux 1926. On sent au nez tout le charme bourguignon. Hélas en bouche, ce n’est pas très bien assemblé. Du charme certes, mais de l’imprécision. Le Chateauneuf du Pape Sélection de la réserve des Chartes 1947 dont j’avais fait aussi la pioche dans ma cave me plait énormément. C’est indéniablement un vin simple, sans aucune complication, mais c’est un vin de plaisir qui chante comme sa région.
L’Hermitage Paul Etienne 1959 a une magnifique étiquette, comme celle de très vieux cognacs. Me déplaçant, car j’étais appelé par d’autres tables, je n’ai pas gardé le souvenir de ce beau vin.
Le Vega Sicilia Unico 1941 m’avait fait très peur à l’ouverture. Sous la capsule, le haut du bouchon, descendu de huit millimètres, laissait suinter du liquide sur un disque moisi. Il n’y avait heureusement aucune contagion. Ce témoignage antique du plus grand vin espagnol me plait énormément, fort, alcoolique, presque caramélisé.
Après ce monstre sacré, le joli Bouzy Barancourt 1974 a moins de structure. On l’aime surtout car c’est un témoignage de valeur de sa région. Le Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1969, cadeau spectaculaire pour l’académie, est un vin qui se boit religieusement. Il est bien sûr de grande race, mais je ne lui ai pas trouvé le caractère flamboyant qu’il a dans ses versions plus récentes. Il est à noter que même plus discret, ce vin reste spectaculaire. Mon attirance pour le Château Chalon Jean Bourdy 1953 est connue. Je l’avais goûté récemment. Celui-ci est vif, limpide, conforme à l’empreinte qu’il doit avoir. J’ai un faible pour le Domaine du Pin, Beguey, 1ères Côtes de Bordeaux 1937 que j’ai déjà fait figurer dans plusieurs de mes dîners. Il ne faut pas lui demander une puissance qu’il serait incapable d’avoir. C’est sur la séduction tranquille avec des notes d’agrumes qu’il faut le déguster. Le Château d’Yquem 1950, cadeau de Pierre Lurton, qui ne pouvait être des nôtres, est généreux, sûr de son charme. Il est très Yquem, sans chercher à dérouter. Très classique, il joue sa partition sans la moindre fausse note. Cette bouteille reconditionnée en 1992 est de l’or le plus pur. Le Cognac de Tiffont, cuvée du centenaire vers 1880 est objectivement un grand cognac. Je l’ai trouvé un peu aqueux et manquant de pep. Là aussi, un certain manque de sex-appeal. Par comparaison, le Bourbon 1900 que je fis goûter à certains est un diablotin remuant.
Notre groupe de vins était particulièrement brillant. Les rires fusaient aux autres tables montrant que les académiciens ne se chagrinaient pas trop des quelques bouteilles réellement mortes. Je serais bien en peine de faire un classement des vins que j’ai bus. Je mettrais en tête Yquem 1950, car il est toujours au rendez-vous, avec une pureté de ton remarquable. C’est le Montrachet DRC 1969 qui doit venir en second pour sa noblesse. Mais je le ferais volontiers précéder par le Domaine de Chevalier 1952 qui sera second ou troisième selon que l’on privilégie tel ou tel critère de jugement. Le Chateauneuf du Pape 1947 vient ensuite et le Vega Sicilia Unico 1941.
L’académie des vins anciens est sans doute le seul cercle qui permet à des amateurs d’avoir accès à des vins impossibles à rassembler : Dom Pérignon Oenothèque 1976, Montrachet DRC 1969, Yquem 1950, Coutet 1947, Vega Sicilia Unico 1941, Larcis Ducasse 1945, Carbonnieux 1928, et d’autres, où peut-on les rassembler ? Seulement à l’académie bien sûr, pour des budgets aussi mesurés.
Belle salle, bon service, repas structuré, intelligents fromages, grands vins. L’académie s’installe sur un bon rythme. Et le groupe de fidèles est très sympathique. Vivement la prochaine séance.