Le second réveillon de Noël sera le soir du 24 décembre. Nous serons huit, ma femme, mes deux filles, leurs quatre enfants et moi. Il n’y aura que quatre buveurs. Nous attendons nos invités vers 18h00. C’est donc dès 14 heures que je commence les ouvertures des vins. Je commence par les champagnes.
Le bouchon du Moët & Chandon Brut Impérial 1980 a failli me sauter des mains tant la pression du gaz a créé un pschitt étonnamment puissant. Le bouchon est beau et de belle qualité. Le parfum est idéal, généreux, large et conquérant.
Le bouchon du Dom Pérignon 1980 se brise à la torsion et la lunule restée dans le goulot est retirée au tirebouchon. On voit que la qualité du liège est moins belle que celle du Moët. Le parfum est plus discret, subtil, prometteur lui aussi mais sur un registre plus calme.
Le Mouton-Rothschild 1967 a un niveau entre mi-épaule et basse épaule et la capsule a été abîmée ce qui peut expliquer la perte de volume. Le bouchon est un peu gras et noir sur une bonne partie de son cylindre. En sentant le vin j’éprouve un sentiment très positif. Le vin paraît au nez précis, noble et élégant. Nous devrions boire un grand vin.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un niveau très acceptable pour les vins de la Romanée Conti de cette époque à environ huit à dix centimètres sous le bouchon. Lorsque j’enlève la capsule, je vois un tas de poussière noire sur le haut du bouchon, ce qui m’étonne toujours. Comment le bouchon a-t-il pu exsuder toute cette poussière qui sent la terre et une poussière peu amène ? Un tel phénomène se voit très souvent sur les vins du Domaine de plus de cinquante ans. Le bouchon n’est noir que sur un quart de sa longueur, bouchon de belle qualité. Le parfum de ce vin est un miracle. Je suis tellement heureux de trouver tout ce que j’aime dans les vins de la Romanée-Conti, la rose et le sel mais poussés ici à un paroxysme de perfection. Quel bonheur. J’ai toutes les raisons d’être heureux.
Tout le monde est présent à 18 heures. Les nombreux cadeaux sont dispersés sous le sapin. Nous commençons l’apéritif devant la cheminée qui crépite avec le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1980. Sa couleur est particulièrement claire pour un champagne de 42 ans. Son parfum est généreux, large et gourmand et en bouche c’est un rayon de soleil. Voilà un champagne si agréable à boire que tous les amateurs de vins en feraient leur ordinaire, tant il est bon. La tarte à l’oignon est idéale car l’oignon est presque sucré ce qui excite la douceur du champagne. L’accord est un régal.
L’apéritif fait un intermède pour la distribution des cadeaux. Je suis toujours étonné de voir à quel point mes petits-enfants sont au courant de ce qui fait la mode. Le pull, la chaussure, le parfum qu’il faut avoir leur est offert par un membre de la famille. Et ce ne sont que des « oh » et des « ah » pour consacrer la justesse des choix des cadeaux. Tout le monde est heureux.
L’apéritif reprend sur des chips à la truffe et une autre tarte à l’oignon, avec le Champagne Dom Pérignon 1980. Ils sont totalement différents. Le nez du second est beaucoup plus discret et le vin est plus subtil, plus raffiné, plus complexe. Mais s’il est grand, il n’entraîne pas dans une farandole de plaisir.
Le Dom Pérignon va accompagner une pomme de terre à la crème et à la truffe et créer un accord magnifique. On avait annoncé que la truffe noire 2022 ne serait pas exceptionnelle, du moins c’est ce que j’avais cru entendre, mais cette truffe offerte par mon fils non présent est une merveille et le Dom Pérignon devient divin.
Nous allons nous partager en deux camps, ceux qui préfèrent le Moët et ceux qui adoptent le Dom Pérignon. Je suis dans le camp des partisans du Brut Impérial. Je voulais mettre ensemble ces deux 1980 pour voir s’ils sont proches ou lointains. Je n’imaginais pas qu’ils puissent être aussi différents.
Ma femme qui cuisinait depuis deux jours et avait fait cuire à feu doux un gigot d’agneau dans un bouillon de légumes le sert maintenant. La chair est fondante. Mes filles s’émerveillent devant le Château Mouton-Rothschild 1967 qui a un parfum précis et noble et une bouche d’une grande distinction. C’est un grand vin qui justifie le classement de premier grand cru classé qu’il n’obtiendra que six ans après ce millésime. Le vin est grand, raffiné, noble, riche et profond. Mes filles l’adorent.
J’ai tout fait pour retarder le plus possible le moment de servir le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 car il aurait fait de l’ombre au Bordeaux. Lorsque je le sers, c’est une explosion de bonheur. Mes filles sont conquises. Ce vin est magique. Le nez est intense, de sel et de rose clairement signifiés. En bouche c’est un festival de complexités. Ce vin a un charme inouï, imprégnant tant il est fort. Je me régale et mes filles aussi. Et l’on voit que l’on peut adorer un grand Bordeaux comme ce Mouton d’une année assez calme mais qui a trouvé un très bel équilibre, et passer ensuite à un vin qui emmène sur une stratosphère gustative.
Mes deux filles ont préféré ce 1963 au 1969 que nous avons goûté il y a cinq jours avec mon fils. Je n’ai pas le même avis, car même si le charme de ce 1963 est irréel (qui l’aurait cru de cette année), le 1969 a une charpente et une solidité qui en font un vin d’une performance un peu plus aboutie.
Les deux rouges ont pu briller selon les fromages qui ont été présents, brie à la truffe, saint-nectaire, camembert et autres.
Le dessert est de poires crues coupées en deux et recouvertes de chocolat. J’ai servi le reste du Porto Ferreira 1815 que j’avais ouvert il y a quelque temps. Ce porto m’est apparu plus ancien que ce que j’avais ressenti la première fois, mais on est loin des 207 ans annoncés sur l’étiquette. Le Porto est bon mais assez conventionnel, sans grande émotion.
Mon classement des vins de ce soir est : 1 – Richebourg 1963, 2 – Moët 1980, 3 – Mouton 1967, 4 – Dom Pérignon 1980. Tous ont été d’un charme passionnant.
Ce deuxième réveillon de Noël, comme le premier avec mon fils, a été un grand moment de joie familiale.