Le lendemain, la foule qui attend d’entrer au Louvre est encore plus immense. Je crois n’avoir jamais vu de queue aussi longue. Des chants s’organisent tant les gens sont persuadés de devoir attendre longtemps. S’agit-il des séquelles de la récente grèves des gardiens de musées ? Au Grand Tasting, la deuxième journée commence par son point culminant, la Master Class « le génie du vin ».
Hervé Deschamps présente le champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1985. La cuvée Belle Epoque a été lancée en 1964. L’assemblage comprend 50% de chardonnay, 45% de pinot noir et 5% de pinot meunier. Le vin servi en magnum a un nez superbe de raffinement. La couleur est jaune citron. Le vin est plein, complet et remplit la bouche. Il y a de la crème et du beurré, alors que le final est frais et citronné. La persistance aromatique est extrême.
Alexandre Thienpont dirige les 14 hectares de Vieux Château Certan organisés en 23 parcelles différentes sur trois types de sol. Le Vieux Château Certan 1998 contient 85% de merlot, 5% de cabernet franc et 10% de cabernet sauvignon et Michel Bettane fait remarquer combien les choix de vignerons peuvent différer pour des propriétés que seule une route sépare. Alexandre, qui n’était pas content de son cabernet franc, peu présent dans le vin dit que son 1998 est plus pomerol que Vieux Château Certan car la signature historique de ce vin est d’avoir une présence forte de cabernet franc. Le vin est d’une couleur très noire, et le nez très pomerol est intense. Je trouve une belle plénitude en bouche et un final élégant. La persistance aromatique est belle, le vin jouant plus sur la finesse que sur la puissance.
Jean-Guillaume Prats dirige le Cos d’Estournel et présente le Cos d’Estournel 1982. Le nez est assez discret, la couleur foncée est moins rouge que celle du vin précédent. La bouche est immédiatement confortable. Râpe et astringence sont belles. Là aussi il ya beaucoup d’équilibre et de plénitude. Je trouve que ce 1982 n’est pas complètement fini, alors que Jean-Guillaume le considère à maturité, sans grande chance d’aller plus loin. Deux avis opposés. Michel Bettane rappelle que le vin a été fait avec des raisins très mûrs et Jean-Guillaume fait remarquer que ce vin est l’antithèse de ce qui se fait aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, bardé d’épices et de poivre, ce vin est très plaisant.
Jacques Lardière est un poète. L’écouter rend intelligent. Il présente le Clos Vougeot Grand Cru Louis Jadot 1978. La couleur est un peu orangée. Le nez est bourguignon avec le joli côté salin et minéral. En bouche, il est d’une belle râpe et d’un beau fruit. Très élégant il est aussi brutal du fait de son amertume, mais un vin enthousiaste comme Jacques. Ce vin subtil a un final très frais. Sans concession, il finit sur la fraîcheur ce qui me convainc le plus. Nul ne pourrait dire qu’il s’agit d’un vin ancien.
La Côte-Rôtie La Mordorée Chapoutier 1990 est présentée par Pierre-Henri Morel. La couleur sombre est très jeune. Le nez n’est pas stabilisé mais la bouche a une belle présence et ce qui frappe, c’est le spectaculaire final d’une richesse combinée à l’élégance. Le nez s’organise et évoque la truffe. La belle astringence est combinée à la richesse du fruit.
Olivier Humbrecht nous fait goûter le Gewurztraminer Rangen de Than Sélection de Grains Nobles domaine Zind-Humbrecht 1989. Si l’on aime lire des superlatifs, j’en ai plein mon tablier. Car la couleur est extraordinaire, d’un or profond, le nez est extraordinaire car il a tout : les agrumes, le litchi, les fruits confits. Le goût est parfait. Tout dans ce vin est parfait. La fraîcheur est extrême. Ce vin est fait pour la gastronomie la plus riche et la plus inventive. Il y a du génie dans ce vin-là.
En le buvant, je me demandais s’il n’allait pas faire de l’ombre au vin suivant. Mais heureusement Pierre Lurton avait pris avec lui, dans sa folle générosité, la munition du plus fort calibre car ce n’est rien moins que Château d’Yquem 1949 qu’environ deux cents personnes vont se partager. La couleur est d’un très bel or, précis. Le nez est exceptionnel, d’une subtilité extrême d’où émerge l’écorce d’orange confite. En bouche le vin est impérial. Il y a le sucre élégant, les fruits confits, mais surtout ce qui en impose, c’est la richesse de la structure infiniment tramée de ce vin. J’y trouve des mirabelles cuites quand d’autres verront des abricots. Pierre explique qu’il y a dans le vin des grains passerillés, en plus des botrytisés, ce qui donne un magnifique équilibre entre sucrosité et acidité. Je garde en mémoire son final exceptionnel et sa très grande fraîcheur.
Le Quinta do Noval Nacional 1994 est présenté par Christian Seely, directeur de tous les vignobles du groupe AXA. Avec un délicieux accent britannique, et un humour qui l’est autant, il nous dit que ce Porto, le plus légendaire de tous n’est fait que sur deux hectares de vignes non greffées et produit 190 caisses par an. La couleur est noire, mais avec un disque rouge foncé. Ce vin fortifié qui titre 19 à 20° a un nez charnu, charmeur et doucereux. En bouche il est charmeur, et ce qui frappe c’est sa fraîcheur mentholée. Les fruits sont délicats et ce vin plein, fort mais aussi délicat et frais est un appel à la gastronomie la plus audacieuse. De cette éblouissante dégustation de huit vins splendides, deux émergent pour mon goût, le Gewurztraminer et l’Yquem qui ont atteint chacun dans son registre un état de grâce absolu.
La Master Class suivante est menée à trois, Pierre-Emmanuel Taittinger qui va présenter de façon brillante ses champagnes, Denis Hervier, auteur et gastronome et moi. Ce sera l’occasion de grands rires et de dialogue avec l’assistance nombreuse. Pierre-Emmanuel est à la tête de 280 hectares de vignes. Il parle de sa vision artistique de son métier. Il nous présente ses champagnes dans l’ordre inverse des présentations habituelles, en commençant par le plus ancien, et nous mesurerons à quel point c’est pertinent. Il précise que les Comtes de Champagne sont de pur chardonnay, champagnes féminins, vins de force et de délicatesse. Ceux que nous allons boire ont été dégorgés récemment.
Le champagne Comtes de Champagne Taittinger 1989 a une belle couleur. Le nez est subtil, et perceptible malgré la présence d’une assiette de fromages que j’ai apportée car je n’ai pas déjeuné. Il est charmant de délicatesse, et Pierre-Emmanuel évoquera ses vertus aphrodisiaques.
Le champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 a un nez plus fort. Il est dynamique, avec de l’acidité de citron et d’agrume. Pierre-Emmanuel évoque le côté salin et polisson. C’est un champagne fort et très grand.
Le champagne Comtes de Champagne Taittinger 1998 est plus riche et plus complet. Il est très intéressant, plus fruité et énormément puissant. Le champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est très élégant. Son point marquant, c’est la fraîcheur. Cette présentation fut l’une des plus chaleureuses et convaincantes. La discussion avec l’assistance fut amicale et passionnée.
Entre deux Master Class, je vais à un atelier du goût où l’on présente la combinaison très classique du caviar et du champagne. C’est Alain Dutournier qui a permis le mariage entre le Champagne Legras cuvée Présidence 2002 et le caviar Ebène, caviar d’Aquitaine très peu salé et à l’équilibre intéressant. Un dialogue s’est instauré avec les présentateurs qui a rendu la dégustation encore plus intéressante.
La Master Class suivante est celle des crus classés de Graves, pour le millésime 2002. Jean-Philippe Delmas, président de l’association des crus classés de Pessac-Léognan est en charge de la présentation des vins, et Véronique Sanders, vice-présidente a l’envie de se reposer sur son président. Olivier Bernard qui rejoindra le groupe est quasiment enjoint de ne point parler, ce qui le fit rire.
Le millésime 2002 est un millésime sec, à l’été très frais suivi d’une superbe arrière-saison, ce qui a donné une maturité optimale à des vins tardifs, de rendements faibles, avec plus de merlot que d’habitude.
Le Château Smith Haut-Lafitte 2002 a un nez puissant, très boisé mais aussi assez floral. La couleur est foncée. L’attaque en bouche est un peu amère. Il y a matière, bois, peu de fruit et peu de longueur. Mais le vin est frais, délicat, souple, ce qui le rend agréable. Le Château Haut-Bailly 2002 est beaucoup plus élégant, charmeur, fluide et équilibré. Son fruité est plus classique. C’est un très beau vin d’une année de transition. Le Château Malartic-Lagravière 2002 a un nez très élégant. Le vin est joyeux, riche, mais pas trop. J’aime son bel équilibre. Le vin est boisé et le final est dynamique. Lui aussi a une belle fraîcheur. Le Château Pape-Clément 2002 a un nez riche et doucereux. Il est assez astringent, plus fumé, plus épicé, fort, mais sans largeur. Michel Bettane parle de tanins voluptueux et de belle fraîcheur, mais j’aime un peu moins ce vin.
Le château Haut-Brion 2002, a une couleur plus rouge que les autres. Le nez est très accompli, riche et rond. Le vin est beaucoup plus rond, fruité élégant et riche. C’est le raffinement et la pureté qui font la différence, même si je trouve que l’écart qualitatif avec les autres vins présentés n’est pas en rapport avec l’écart tarifaire qui intègre la renommée. Le vin est très élégant, riche et puissant. Jean-Philippe signale son côté fumé qui rappelle celui du 1848 qui est le plus vieux qu’il ait bu, grâce à la générosité de la famille Rothschild.
La dégustation finit par un blanc, le Domaine de Chevalier blanc 2002. Le nez est de feuille de cassis, très parfumé et élégant. Le vin est magique de complexité et de richesse aromatique. Doté d’un peu de gras, ce vin est magnifique.
Si Michel Bettane voulait démontrer que 2002 n’est pas une petite année, il a réussi.