Le jury qui analyse les plus grands champagnes pour l’étude annuelle que publie « Le Spectacle du Monde » m’a gentiment invité à me joindre à nouveau à ses travaux (les bulletins 120 et 121 parlent des sélections de 2004). Il a procédé aux premières éliminations sans moi, car j’étais retenu ailleurs. Je les rejoins au restaurant le Cinq pour un dîner consacré aux champagnes de Billecart-Salmon.
Le menu est extrêmement élaboré : langoustines bretonnes au cédrat et au caviar Osciètre, turbot rôti au caramel d’algue, homard mi-fumé aux châtaignes, canard croisé aux épices, macaron glacé au fromage blanc et citron vert, framboise à l’hibiscus, autour du chocolat. Une dextérité exceptionnelle, surtout pour le canard à la chair lourde et intense. La châtaigne du homard est un petit prodige de dosage et de goût.
Le Billecart Salmon 1989 est extrêmement imprégnant, lourd, puissant, mais il est relativement court en bouche. Le 1986 est provocant, ce que j’adore. Très aromatisé et complexe, puissant et long. Les champagnes qui suivent vont faire apparaître d’extrêmes variations entre la première gorgée peu amicale et la dernière toute en charme, quand le vin s’est épanoui dans le verre. Le 1982 est un peu amer au premier contact, puis devient très floral, fraise des bois, fruits blancs. Il est d’une subtilité rare et l’iode du turbot ne l’avantage pas.
Le 1966 est passionnant, sauvage, viril, s’imposant en force. A coté, le 1961 qu’Eric Beaumard annonce voilé démarre par un goût un peu déstructuré, imparfait. Puis tout s’assemble, et si l’on a la patience de bien lire son message, c’est le plus grand de tous, fait d’une noblesse de corps invraisemblable. Richard Juhlin sera de mon avis ou plutôt je serai du sien. Le champagne rosé Billecart-Salmon 1988 ne parle pas beaucoup à mon palais. Les délicats desserts l’excitent, mais la magie du 1961 reste en ma mémoire.
Le plus bel accord, celui qui émerveille, est celui du homard au goût délicieux avec le Billecart Salmon 1966. Le plus beau plat intrinsèquement, du fait de son originalité, est le canard.
A notre table le plus grand expert en champagnes, Richard Juhlin, et son compatriote de Stockholm Andreas Larsson, meilleur sommelier d’Europe 2004, Denis Garret, organisateur des événements et des travaux du jury, deux dirigeants de la maison Billecart Salmon. Une belle tablée où les souvenirs de grandes bouteilles fusent avec passion. Une grande soirée.
A la fin du repas, visite de la cave du Cinq, presque en même temps sans doute qu’on la voit sur Envoyé Spécial de France 2 consacré à Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004, membre de la prestigieuse équipe du Cinq. En prenant l’ascenseur, j’ai la surprise de voir que les parois sont ornées de photos de bouteilles de ma collection. Ce clin d’œil me fait évidemment plaisir.