Ma fille et sa fille sont depuis plusieurs jours dans notre maison du sud. Mon gendre arrive à l’avion du soir pour le dîner. Il faut fêter son arrivée, et j’ouvre un Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1998. Nous commençons par un tempura de fleurs de courgettes qui fait s’ébrouer le vin un peu froid. Le risotto à la truffe blanche réveille le vin qui montre de rares qualités. Le nez est fin et précieux, et le goût est envahi de fleurs blanches, comme on en trouve dans de grands champagnes. Tout ce que récite ce vin est extrêmement subtil. Pour finir le vin nous éclatons des copeaux de mimolette qui accompagnent sans le marquer ce bourgogne grand cru délicieux. Face à la mer il n’est pas utile de détailler mais ce que ce vin a de remarquable, c’est une simplicité généreuse et une franchise de ton porteuse de plaisir. Chaque gorgée rassure et fait sourire. C’est un grand vin. Le dessert est une simple salade de pêche, mais existe-t-il vraiment un goût plus voluptueux qu’une salade de pêche en plein été ? L’éternelle querelle entre les cigarettes russes et les gavottes ressurgit comme il se doit. Je me souviens d’une âpre discussion avec François Simon sur ces deux compagnons de la salade de fruit. Comme mon épouse, François Simon considère la Gavotte comme un sommet de raffinement, alors que je trouve dans la cigarette russe un plaisir sensuel qui n’a pas d’équivalent. Et c’est lié à la texture. Il y a pour le vin une expression que j’ai du mal à accepter qui est le « toucher de bouche ». Ce concept me rebute. Mais s’il doit avoir une signification, c’est pour la cigarette russe qui a un toucher de bouche à cent coudées au dessus de la gavotte, qui se brise dans et hors de la bouche, oblige à ramasser des miettes éparses. Notre ancien président Jacques Chirac a développé un amour des arts premiers. Je prétends que cigarette russe et salade de pêche constitue l’épistémè du goût parfait. Rien ne peut être plus complet que cela. Le Chevalier Montrachet est oublié à cette heure. Mais la supernova de ce dîner, c’est ce goût qu’aucun Dieu de l’Olympe ne pourrait renier.