Chaque année, au siège de la société Grains Nobles, Aubert de Villaine, gérant de la Romanée-Conti, présente les vins du domaine qui sont mis sur le marché. Cette année, ce sera le millésime 2014. La petite salle en sous-sol, voûtée et antique, est pleine. Beaucoup sont des habitués qui ne rateraient en aucun cas ce rendez-vous. A côté d’Aubert de Villaine il y a Bernard Burtschy et il devait y avoir comme chaque année Michel Bettane, mais il ne sera pas là. Pascal Marquet, le dirigeant de Grains Nobles annonce le début de la séance.
Aubert de Villaine raconte les conditions climatiques du millésime. L’année 2014 est un beau millésime abondant marqué par trois actes successifs. L’hiver fut doux et sans pluie. Le printemps fut beau et sec. Ce fut un des plus beaux printemps que l’on ait connu en Bourgogne. La croissance de la plante fut idéale, mais avec une floraison lente. Puis, les 27 et 28 juin, il y a eu de très gros orages. Heureusement les parcelles du domaine ne furent pas touchées par la grêle. Dès juillet, le temps fut pluvieux et froid. Il y eut des attaques de mildiou et même de botrytis dès le début août ce qui est très tôt et rare. Après des années de petites récoltes, la vigne voulait produire. La canicule qui a suivi a entraîné que des baies se mirent à brûler. Les peaux épaisses ont permis de lutter contre le botrytis. L’herbe présente a permis de conserver l’humidité.
Après cette présentation Aubert de Villaine répondant à des questions indique que le domaine ne travaille quasiment exclusivement que des grands crus, ce qui fait que la façon de travailler est la même aussi bien pour les Echézeaux que pour la Romanée Conti.
Pour aviner nos verres et notre palais on nous sert un Givry Louis Jadot 2014 dont la couleur est d’un joli rouge clair et le nez d’un vin de chaleur. La bouche est ronde, épanouie. C’est un vin solaire, un peu amer et très court. Il n’est pas désagréable, un peu acide mais un peu trop court.
La maison Riedel ayant fourni des verres c’est la première fois que tous les vins auront leur verre ce qui permet de garder chaque vin pour qu’il s’épanouisse
Corton Grand Cru Prince Florent de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2014. La robe est assez foncée. Le nez est invraisemblable de personnalité. C’est assez fou. Je sens de la framboise écrasée comme on en trouve dans des vins anciens. La bouche est d’un charme fou. Ce vin est suave. Il est étonnamment charmeur. C’est de la soie. C’est fou. Le fruit est incroyable. Il est très probable que cela ne restera pas ainsi et d’ailleurs le vin s’est calmé après quelques dizaines de minutes dans le verre. Ce vin est fait avec 50% de fûts neufs. Aubert de Villaine parle du côté sombre du Corton que je ne trouve pas. Je trouve ce vin aérien, vin de légèreté et de charme. Je suis étonné par sa douceur qui ne cadre pas pour moi ni avec un corton ni avec le travail habituel de la Romanée Conti. Mais cela va vite changer.
Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2014. Aubert de Villaine rappelle que le mot « Echézeaux » veut dire un lieu où il y a des habitations. Le vin est d’une rouge violine. Le nez est ingrat, strict. La bouche est fraîche à l’attaque. Le vin est extrêmement racé. C’est un vin superbe, sans concession, vibrant et racé. J’adore, alors que le nez ne correspond pas à la bouche. Il y a une petite amertume qui fait sa personnalité. Bernard Burtschy dit que le vin a une masse tannique importante. On sent que le vin sera de longue garde. Il y a 60 à 70% de vendange entière. L’âge moyen des vignes est de 50 ans pour l’Echézeaux et de 40 ans pour le Grands Echézeaux. Tous les vins de la Romanée Conti, sauf le Corton, ont 100% de fûts neufs.
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2014. Le rouge est généreux. Le nez est fermé. La bouche est riche. Le vin est plus profond que le précédent mais moins enthousiasmant pour moi alors qu’Aubert de Villaine vante l’écart qualitatif en faveur de ce dernier. Le finale du vin est plus riche mais il est plus fermé que l’Echézeaux. Il sera très grand avec une générosité plus grande. Il est dans une phase ingrate. C’est sur le finale que la différence se fait.
Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2014. Les vignes ont une moyenne d’âge entre 45 et 50 ans. Le rouge est plus sombre. Le nez est un peu plus charmeur. La bouche est gracieuse, pleine de charme. Il y a beaucoup plus de velours que pour les deux précédents. Mais il y a aussi plus de puissance. C’est un vin qu’il faudra attendre car il a l’amertume de la jeunesse. Sa base florale est très raffinée. Il a le velours et l’élégance et Bernard Burtschy dit qu’il a une base tannique plus forte que la Romanée Conti.
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2014. La couleur est plutôt claire par rapport à ce que j’attendais. Le nez est fermé. La bouche est riche et guerrière. On sent la gourmandise de ce vin. Mais il est encore fermé. La matière est riche et superbe. Il est prometteur et laisse une trace profonde en bouche. Il est lourd de promesses et j’aime beaucoup sa grande richesse. Il va être grand avec de la noblesse. A l’aération il gagne de la longueur et ceci vaut aussi pour tous les vins précédents. Le nez devient splendide et le vin devient généreux, plus charmeur que guerrier.
La Tâche Monopole Domaine de la Romanée Conti 2014. La couleur est plutôt claire. Le nez est très raffiné. La bouche est très séductrice, toute en charme. C’est la danse des sept voiles. Quel équilibre ! C’est un vin riche, complet mais qui a un charme unique. J’adore. Sa puissance est peu commune. Il est plus fin que le Richebourg tout en ayant une grande énergie. Pour mon goût, la belle surprise, c’est le Richebourg, même si La Tâche est plus grande.
Romanée Conti Monopole Domaine de la Romanée Conti 2014. La couleur est claire. Le nez est très beau. Si tel ou tel vin précédent pouvait avoir le moindre défaut (en ont-ils ?), ici, dès la première seconde on sait que l’on est au paradis. Le nez est suave et la bouche est suave, fluide. C’est un vin de haute précision. Il a une petite râpe que j’aime. Il a tout pour lui et bien évidemment je me demande si je ne fais pas d’auto persuasion, car je sais que c’est la Romanée Conti. Mais son équilibre, sa complexité et sa richesse n’ont pas d’équivalent. La longueur est extrême. Si le vin est complexe, ce qui me frappe c’est l’équilibre serein. C’est un vin grandiose. La Tâche est très expressive et plus affirmée que la Romanée Conti, le Richebourg est généreux mais moins noble et moins complexe. Le velours de cette Romanée Conti est extrême.
S’il faut classer les six rouges, ce sera exactement le même classement que l’ordre de service, sans discussion. Aubert de Villaine fait compliment à Bernard Burtschy de la façon dont il décrit la Romanée Conti qui est exactement comme sa propre perception. Entendre Bernard Burtschy est un ravissement tant il sait de quoi il parle, incollable sur tous les sujets.
Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2014. Le vin est d’un or clair. Il n’est pas translucide. Le nez est très expressif et opulent. La bouche est superbe, déjà d’un équilibre total. Tout est équilibré. Le vin est frais, acide, fluide, au finale opulent, avec un léger miel. Le vin est vif et frais et montre de la salinité. C’est un grand vin que l’on sent gastronomique. Il n’a pas de gras comme certains montrachets. Il a très peu de botrytis, de l’ordre de 5%. Il est très noble et élégant. Il deviendra raffiné avec l’âge.
Tout le monde a remarqué que les vins s’épanouissent dans les verres et la tentation serait grande que les vins soient servis dix minutes avant que nous ne commencions la dégustation. Aubert de Villaine nous indique que c’est ce qui se pratique aux USA.
Après la dégustation un dîner rassemble, autour de Pascal Marquet, Aubert de Villaine, Bernard Burtschy et quelques amis. Cette fois-ci ce sera dans la salle de dégustation ce qui fait que les assiettes descendent par le passe-plat. Hélas, les coquilles Saint-Jacques à l’agréable parfum de fruit de la passion arrivent trop froides.
Je n’ai pris de notes et ce compte-rendu n’étant pas fait à chaud, mes impressions seront fugaces. Le Corton-Charlemagne Domaine Georges Roumier 1996 est un vin de belle droiture, peut-être un peu timide. Le Bâtard-Montrachet Domaine Marc Colin et ses fils 1999 a plus de puissance. Il est vif et n’a pas la rondeur de ses petits camarades du Domaine Leflaive.
J’ai apporté un Hermitage Chave blanc 1986 de beau niveau mais qui ne brille pas. Le bouchon est en effet brulé sur la moitié du bouchon. Je pense que l’oxygénation lente lui aurait redonné une certaine ampleur mais tel qu’il est servi, il est plutôt coincé même si on devine ce qu’il pourrait offrir.
Le Clos Saint-Patrice Monopole Châteauneuf-du-Pape 2015 est un agréable Châteauneuf, pas vraiment adapté au délicieux pot-au-feu, mais qui se boit bien dans sa jeunesse. Dès qu’arrive la Côte-Rôtie La Landonne Guigal 1988, on change de dimension ; ce vin est très gourmand et de belle amplitude.
Pascal Marquet en veine de générosité nous a offert un Château d’Yquem 1986 que je m’en veux de ne pas avoir reconnu. Il est bien épanoui mais je n’avais plus le palais réceptif.
Ce repas d’après dégustation est un enchantement pour moi, aussi bien lorsqu’il y a Michel Bettane et Bernard Burtschy que lorsque Bernard est seul, car ces deux experts ont un savoir invraisemblable qu’ils exposent avec simplicité. Les écouter est un bonheur rare. Et les écouter dialoguer avec Aubert de Villaine est un privilège. La découverte de 2014 superbes et prometteurs et ce petit souper sont un cadeau de Noël.