Ayant quitté Chateauneuf-du-Pape en faisant l’impasse sur le deuxième service du lièvre à la Royale, j’arrive à Vosne-Romanée à la salle des fêtes de Vosne Romanée. Depuis ce matin se tiennent les « Rencontres Henri Jayer » qui ont été fondées en 1993 par Henri Jayer et Jacky Rigaux, universitaire et écrivain du vin, ami d’Henri. Ces Rencontres ont continué après la mort d’Henri, dirigées et animées par Jacky Rigaux, et le thème cette année est « millésimes et extrêmes ». Pendant toute la journée, des vignerons ont présenté leurs vins, dans deux millésimes radicalement opposés en termes de conditions climatiques et de données œnologiques. Aubert de Villaine qui ne pouvait participer aux travaux a déjeuné avec ses amis et a apporté le Batard-Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 2005. J’aurais aimé avoir le don d’ubiquité pour être dans le Vaucluse et dans la Côte d’Or en même temps.
Au moment où j’arrive, les vignerons participants sont dans l’après-match, et bavardent des vins qu’ils ont bus ou de tous autres sujets. Christian, un grand collectionneur, qui a apporté un Echézeaux Henri Jayer 1995, me donne la moitié de son verre, cadeau que j’apprécie. Encore dans l’ambiance de mon voyage, je ne goûte pas comme il convient toutes les subtilités de ce vin bien fait.
Une salle à manger voûtée est en sous-sol et nous nous répartissons en plusieurs tables. Et, tout comme à la Paulée de Meursault, grand rendez-vous de tous les vignerons de Bourgogne, commence le ballet des les vignerons qui viennent auprès de chacun pour faire goûter leurs vins. Avec seulement deux verres, on jongle, et on est obligé d’en jeter pour accueillir le vin suivant.
N’ayant pas pris de notes et venant de passer deux jours à faire le même exercice, je ne vais faire que citer les vins. Le Kastelberg Grand Cru Marc Kreydenweiss 2008 est un vin jeune mais plaisant et bien fait. Le Champagne Minéral Extra Brut Blanc de Blancs Agrapart 2005 me plait d’autant plus que je suis assis à côté du vigneron. Le Puligny-Montrachet les Folatières Domaine Leflaive 2005 est superbe et gourmand sur une terrine très légère et goûteuse, malheureusement desservie par une salade au vinaigre balsamique qui est un « killer » pour les vins.
Le Mambourg Grand Cru Marcel Deiss 2000 est un très grand vin, aussi original que Jean-Michel Deiss, un grand personnage du monde du vin qui marie pragmatisme, réalisme et vision à long terme. Le Burlenberg « La colline brûlée » Marcel Deiss 2004 est plus énigmatique pour moi.
Chacun reçoit une cassolette de joue de bœuf à la truffe qui est un régal absolu. Le Vosne-Romanée Les Reignots domaine Liger-Belair 2006 est merveilleux. Son fruit est gourmand au possible. Le Beaune Grèves domaine Lafarge 1996 est assez strict mais très bien fait, le Gevrey-Chambertin Racines du Temps en vieilles vignes René Bouvier 2001 est présenté par son vigneron dynamique et enthousiaste et l’Echézeaux Grand Cru Jacques Prieur 2001 est superbe de sérénité. Mais je n’ai pas l’esprit à prendre des notes, aussi ma mémoire n’est-elle que pointillée.
Le Volnay-Caillerets marquis d’Angerville 2007 est un vin de distinction. Le Chambolle-Musigny Les Feusselottes domaine Cécile Tremblay 2008 m’est servi par Cécile elle-même, et c’est le dernier vin que je bois, car un bon sommeil s’impose.
Le lendemain matin, il fait moins sept degrés au thermomètre, et nous nous gelons devant la porte de la salle des fêtes que doit ouvrir Marc Plantagenêt, qui dirige l’entreprise Seguin-Moreau, sponsor des Entrevues Henri Jayer. Marc a fait un détour pour chercher un rétroprojecteur pour la conférence que je vais tenir sur le sujet des vins anciens. Nous sommes trente-cinq dans la salle et les questions montrent l’intérêt suscité par le sujet des vins anciens. J’ai apporté dans ma musette un vin qui fait partie de mes trésors gustatifs. C’est un Muscat Mas d’Eu mis en bouteille en 1889. On peut donc supposer qu’il date des années 1850 / 1860, voire bien avant, car il semble avoir eu un temps de fût considérable. Ce vin servi à tous est un bonheur. Il apporte la preuve de mes propos sur le fait que certains goûts merveilleux ne peuvent exister que par l’âge extrême d’un vin. Il a des agrumes, des écorces d’orange mais aussi du café, du poivre, et des épices innombrables. Ce qui frappe, c’est son extrême longueur. Tout le monde est conquis par ce vin et je pense avoir suscité de l’intérêt pour une autre façon d’envisager les vins anciens.
Nous avons ensuite poursuivi les travaux commencés la veille avec Elizabeth présentant les vins de Toscane Montenidoli avec un Vernaccia di Carato 2002 et 2007, le domaine Cornulus du Valais avec le Clos de Corbassières Païen « Cœur du Clos » 2005 que j’ai trouvé merveilleux de fraîcheur et de gourmandise. Jean-Michel Deiss a présenté un Riesling 2003 et 2008 puis un Burg premier cru 2003 et 2008. Jean-Michel est orateur brillant et captivant. Le jeune vigneron du domaine Marc Kreydenweiss a présenté avec sa passion le Kastelberg Grand Cru 2008 et 2009, le Domaine Amiot Servelle a présenté son Chambolle-Musigny premier cru « derrière la Grange » 2002 et 2003. Le domaine du Marquis d’Angerville a ouvert son Volnay Champans des millésime 2008 et 2009 et le Château Rouget à Pomerol nous a fait goûter son 2003 et son superbe 2006.
Jacky Rigaux a remercié les vignerons de leur générosité et de leurs interventions brillantes, et c’est vrai, car ici, on ne fait pas du commercial, on discute entre vignerons des tendances, des interrogations et des choix. Et c’est passionnant.
Nous descendons à table dans la salle voûtée pour un buffet de bonne qualité. La ronde des vins reprend. La star du déjeuner est pour moi le Schoenenbourg Grand Cru Marcel Deiss magnum 1989 qui est une merveille de complexité ensoleillée. Le Clos du Moulin à Vent Monopole 2009, dont le propriétaire l’est aussi du château Rouget, est une preuve évidente que ça bouge dans le bon sens dans le beaujolais, car le vin est grand. J’ai bu beaucoup d’autres vins, mais la mémoire n’en a pas été enregistrée.
A Chateauneuf-du-Pape, c’était une bande de copains vignerons, chasseurs et ripailleurs. A Vosne-Romanée, du fait de ces « Entrevues Henri Jayer », la forme est plus structurée. Mais les vignerons sont généreux, et parlent d’or. Jacky Rigaux a bien fait de perpétuer ce qui était voulu par Henri Jayer, pour que l’on parle d’excellence. Ce fut un grand moment.
photos – la table du dîner
les vins bus à table ou au cours des rencontres Henri Jayer
le repas du soir