C’est Noël. Mon fils et sa famille le fêteront à Miami et ma fille aînée qui vient de passer quelques jours chez lui avec les siens revient juste pour notre réveillon, les yeux marqués par le décalage horaire. Pour elle j’ai ouvert dès potron-minet un vin de Ginette plus et l’un de ses cousins.
Ma fille cadette avec mari et enfants est présente dès midi pour un déjeuner léger. Une sieste est bienvenue pour se préparer au Marathon du soir. Vers 17 heures les cadeaux s’échangent à une vitesse éclair, tant le cadeau qui compte est celui qui n’est pas encore ouvert. Les quatre petits enfants trinquent avec un jus pétillant de pomme et de citron dont la couleur répond à s’y méprendre à celle de notre Champagne Dom Ruinart 1990. La bouteille est jolie, distinguée dans ses tons d’or et de noir. Le pschitt est très marqué même si le bouchon est chevillé. Le parfum est intense et le goût du champagne est profond, racé, noble. Il emplit bien la bouche de sérénité. Les tranches de lomo, saucisson d’échine de porc, et la terrine de foie gras vont surtout accompagner le second champagne d’apéritif, le Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1969. C’est un petit clin d’œil à la date de naissance de mon fils qui fêtera Noël six heures plus tard à six mille kilomètres de nous.
L’étiquette de la bouteille est d’une beauté particulièrement raffinée. Le pschitt est faible, ce qui n’empêche pas le pétillant. Le parfum est marqué de fruits confits. En bouche, ce champagne a l’élégance des champagnes anciens où l’on ressent des fruits subtils, confits délicatement. Il est aimable, d’une complexité raffinée et tout le monde l’adore, mais je dois dire que je ressentirai plus que d’autres des signes de fatigue qui standardisent un peu son goût de champagne ancien. Malgré cela, nous n’avons pas boudé notre plaisir.
Nous passons à table et les merveilleuses huîtres Gillardeau se goûtent avec un Champagne Salon 1999 car je voulais qu’un champagne jeune et tendu accompagne ces coquillages. L’accord est d’un naturel confondant, le champagne tendant l’iode des huîtres comme un arc qui va diriger au but sa flèche gustative.
Sur des coquilles Saint-Jacques saupoudrées de grains de caviar d’Aquitaine Tradition Prunier, formant un ensemble sucre et sel au goût impérissable, le Montrachet Grand Cru Louis Jadot 1995, qui m’avait fait peur à l’ouverture par son absence d’odorat, crée un accord d’anthologie. Car le vin équilibre à merveille la combinaison du sucre de du sel, aussi bien que celle du gras et du sec. Le vin est profond, trouve un longueur exemplaire qui prolonge celle du caviar. Tout semble dosé avec une exactitude extrême. Nous sommes ravis.
Ayant compulsé plusieurs recettes de sandwiches à la truffe, ma femme a préparé des sandwiches. J’ai eu l’outrecuidance de lui demander d’épaissir les couches de truffe et je pense ne pas avoir eu tort. Sur ce plat, on peut essayer le Montrachet, mais l’accord se trouve idéalement avec la Côte Rôtie La Landonne Jean-Michel Gérin 1998. Ce vin répond exactement au tactile du sandwich et à la profondeur de la truffe, mieux que la Côte Rôtie La Landonne E. Guigal 1996.
On ne peut imaginer deux Landonne plus dissemblables que ces deux là. Les nez à l’ouverture étaient tout deux charmants, le Guigal ayant infiniment plus de fruit. Maintenant, le Gérin est plus marqué par l’alcool, fait plus vieux alors qu’il est un peu plus jeune, et fait plus bourguignon dans la râpe. Alors que le Guigal est plus velouté, plus riche en fruit, tout luxuriant. Et l’on n’a pas besoin de désigner un vainqueur tant ils sont différents.
Sur le filet de biche à la crème de patate douce, c’est le Guigal qui est de loin le plus adapté. La chair est puissante, au goût imprégnant et le fruit du Guigal lui convient bien.
A la Maison de la Truffe, j’avais acheté des parts d’un brie fourré à la crème et aux truffes. Il est à se damner de gourmandise coupable. Il est onctueux et la crème rafraîchit l’empreinte indélébile de la truffe. C’est fou. Et c’est la Landonne Gérin qui sort son épingle du jeu sur ce fromage.
La tarte aux pommes accompagne un Château Caillou Haut-Barsac 1921 à la couleur d’un thé noir et au parfum d’une élégance rare. En bouche tout n’est que raffinement, d’une noblesse qui n’appartient qu’à ces liquoreux qui ont dépassé les quatre-vingt automnes. On ne peut pas imaginer, tant qu’on n’a pas bu des vins de ces années 20, toute la grâce, l’élégance et la subtilité de ces sauternes nobles, chatoyants, impériaux.
Ce serait difficile de classer ces vins, mais je risquerai un choix : 1 – Château Caillou Haut-Barsac 1921, 2 – Montrachet Grand Cru Louis Jadot 1995, 3 – Côte Rôtie La Landonne Jean-Michel Gérin 1998, 4 – Côte Rôtie La Landonne E. Guigal 1996, 5 – Champagne Salon 1999, 6 – Champagne Dom Ruinart 1990, 7 – Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1969.
J’ai placé le Gérin avant le Guigal alors que j’aurais pu faire l’inverse, pour saluer la performance de cette Côte-Rôtie en pleine possession de sa maturité et qui a le plus souvent, sauf sur la biche, été le générateur d’accords plus justes.
Le lendemain midi, qui est en fait le vrai jour de Noël, nous avons déjeuné des restes et suppléments. Souvent les saveurs sont plus affirmées, aussi bien pour les chairs que pour les vins. Le Salon 1999 sur les huîtres est pertinent avec une facilité déconcertante alors que le Montrachet 1995 n’en veut pas mais s’accorde avec des petites gambas fraîches. Les coraux des coquilles Saint-Jacques forment avec la Côte Rôtie de Gérin un accord saisissant et gourmand. Le Guigal est magnifiquement à son aise avec la biche enrichie d’une sauce à la truffe plus riche que la veille. Le fromage de Brie est toujours un péché de gourmandise. Ces deux repas de Noël furent de grands moments de gastronomie, dans la joie de l’amour familial.
le lendemain