Il y avait tant de vins pour le dîner de vignerons au restaurant Laurent que j’avais réservé au même endroit une table pour le lendemain, pour « finir les restes ». Peu de mes enfants étant disponibles et ma dernière fille allaitant encore, il fut décidé que le dîner « du lendemain » se ferait chez elle. Philippe Bourguignon m’avait prévenu que les vignerons ont une solide descente, mais je croyais bien pouvoir profiter encore des trésors de ce magnifique dîner. Daniel, le sommelier, a rangé les bouteilles très soigneusement.
Il ne reste en fait que des fonds de magnums, toutes les bouteilles, partagées en treize buveurs, étant vides. Mon gendre aime cuisiner et s’est préoccupé de trouver de beaux produits. Il s’est lié d’amitié avec le légumier qui livre les plus grands restaurants de la capitale. En croquant les champignons de Paris, on a en bouche le goût de ceux de l’Astrance, si délicieux. Et si l’on tartine un peu de foie gras sur les champignons, on se trouve en rêve à l’Astrance. Nous croquons ces champignons sur le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill en magnum 1990 qui a gardé beaucoup de fraîcheur, a perdu sa bulle du fait des transports et se révèle toujours aussi agréable. Mais l’absence de complexité et de folie apparaît un peu plus.
Lorsque nous passons au Champagne Salon en magnum 1985, le champagne n’a pas perdu une once de sa vigueur et de son expressivité. Il est assez extraordinaire. Et je l’adore encore plus. Avec champignon et foie gras, mais aussi avec des bulots cuits à la perfection, le champagne se régale.
Le Champagne Krug Collection en magnum 1976 est lui aussi encore plus brillant que la veille, car la bulle s’étant sensiblement atténuée, le caractère vineux du champagne est plus resplendissant. Ayant la chance de goûter ces deux champagnes l’un après l’autre alors qu’ils étaient séparés hier, je constate la sérénité du Krug et sa solidité à côté de la fougue du Salon. Mon cœur penche aujourd’hui pour le Krug.
Après ces fonds de bouteilles il reste encore une petite soif qu’un Champagne Krug 1996 va étancher. Ce champagne est à un des multiples sommets qu’il connaîtra dans sa vie. D’une précision de structure extrême, riche, ce champagne est d’un plaisir total.
Mon gendre ayant trouvé un poissonnier de compétition, les petites langoustines sont de vraies merveilles. Pures, quasiment non assaisonnées, elles font vibrer le divin Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1982 qui développe une complexité sur fond de légèreté qui est admirable. Les coquilles Saint-Jacques juste poêlées sont délicieuses, mais le Corton-Charlemagne est plus vibrant sur la douceur des langoustines.
(à peine ai-je eu le temps de prendre mon appareil, une coquille s’était déjà envolée !)
Le poissonnier a préparé des filets de rougets sans aucune arête. Il fallait un pomerol. Guillaume ouvre un Château Gazin 1979 qui est fortement bouchonné, aussi est-ce un Château Trotanoy 1999 qui accompagne le poisson. L’accord est divin. Le pomerol a une belle astringence combinée, oh paradoxe, à un velouté rare, qui met en valeur le rouget qui lui rend la pareille.
(merveilleuse cuisson des filets de rougets)
Les champignons de Paris sont maintenant poêlés pour accompagner le petit reste du Richebourg Domaine de la Romanée Conti magnum 1946. Il s’agit du fond de la bouteille qui a été aéré un jour de plus. Nous captons donc une richesse qui ne correspond plus au millésime discret. Ce vin riche enchante nos palais, même si le vin a perdu un peu de ses caractéristiques du domaine de la Romanée Conti.
Mon gendre a adopté une cuisine fondée sur des produits d’une pureté extrême, avec une simplicité de présentation pleine de talent. Va-t-il se mettre à concurrencer Jean-Philippe Durand, l’ami médecin qui cuisine comme un Dieu ? Je me prépare à compter les coups.