C’est toujours intéressant de revisiter de grands vins après un grand repas. Nous avions ouvert tellement de vins lors du dîner au restaurant Laurent avec Richard Geoffroy que le terrain d’expérience me paraît particulièrement fertile pour une « campagne » d’investigation. J’invite mon gendre et ses deux enfants deux jours plus tard. C’est lui qui fait le menu : huîtres, coquilles Saint-Jacques crues auxquelles ma femme adjoint un risotto à l’oignon rouge, bar cru, corail des coquilles Saint-Jacques, brie fourré à la truffe rescapé de notre réveillon, galette des rois.
Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1990 est un très beau champagne, très fleur blanche, très adapté aux petites huîtres que j’adore, car au-delà de leur goût de noix, on peut prendre leur pied délicat, phrase à laquelle il ne faut pas donner plus de sens que ce qu’elle veut avoir. Mais comme au dîner avec Richard Geoffroy, je trouve que c’est un champagne qui se cherche un peu, n’ayant pas encore trouvé sa voie entre jeunesse et maturité.
Il est tout simplement « fusillé » par le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1962 qui explose de complexité. Ce champagne est une merveille insaisissable, car il se place chaque fois sur une palette d’arômes qui n’est pas celle que l’on attendait. Avec le risotto, il est diabolique. Et la fusion coquille et risotto est étonnante de pertinence. Ce vin est riche, percutant, avec une bulle encore très vivace. Il y a des fruits roses légers, et surtout une complexité troublante.
Il reste un fond du Champagne Dom Pérignon 1929 et à ma grande surprise, le liquide est brun foncé. Lorsque le vin avait été servi, il était d’une magnifique couleur claire. Comment a-t-il pu se foncer ainsi, je ne sais pas. J’attends le pire, mais en fait, le vin est superbe. On est capable de sentir toute la noblesse qu’il avait, avec une note nouvelle de café. Contrairement à ce que la couleur laisse entendre le vin est très expressif et proche de ce que nous avions goûté, et il ne laisse aucun dépôt dans le verre lorsqu’on a fini de le boire. C’est très émouvant de constater qu’il a gardé son message originel.
Comme dans les dessins animés où un piranha mange un piranha qui se fait lui-même dévorer par un autre piranha, lequel, etc., le 1962 se fait littéralement « exploser » par le Champagne Pommery & Gréno 1949 qui est une merveille incommensurable. Et ce qui est didactique, c’est que ce champagne confirme mon amour pour les champagnes à dégorgement d’origine. Car il y a une richesse généreuse dans ce champagne, une mâche ample, qui forcent l’admiration. C’est un grand champagne de joie, de bonheur, avec un structure charpentée, des fruits comme la clémentine qui sont solides, et la trace en bouche est impérissable. On pourrait opposer à ce champagne le vin que l’on veut, on sent qu’il serait vainqueur. Lorsque l’on passe du 1949 au 1962, cela montre que le 1962 a des signes de jeunesse mais n’a pas la générosité du 1949. C’est un bon plaidoyer pour les vins d’origine.
Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1959 n’a pas profité des deux jours écoulés. Il s’est évanoui. Et à l’inverse, le Château d’Arche Lafaurie 1901 a retrouvé du pep, et se montre sous un jour nettement meilleur que lors du dîner, plus fruits confits, mais expressif.
Au-delà du plaisir évident d’avoir partagé ces vins avec mon gendre, il y a une leçon sur le comportement des vins, qui échappent le plus souvent aux prédictions. Tant mieux, tant que les vins nous surprendront, le plaisir sera au rendez-vous.
La couleur incroyable du Dom Pérignon 1929