Avec ma fille et mon gendre, nous avions fêté la joie de partager l’été en allant au Petit Nice à Marseille. Le lendemain est le dernier jour, un dimanche. Qui dit dimanche dit agneau et sur le barbecue deux épaules d’agneau sont en train de rôtir. Le déjeuner se fait « forcément » à l’eau, car la veille fut redoutable. Quand on ne boit pas, l’appétit ne suit pas, aussi l’une des épaules n’est pas entamée. Le soir, c’est le dernier jour, il faut bien fêter ça. J’avais apporté dans le sud des magnums de Dom Pérignon et jusqu’ici, je n’en avais ouvert aucun. S’il fallait en ouvrir un, c’est avec mon gendre.
S’il est un vin qui est le symbole du luxe le plus pur, c’est un Dom Pérignon. Mais pas un Dom Pérignon, un magnum de Dom Pérignon. Celui que j’ouvre est un Champagne Dom Pérignon magnum 1998. Mon gendre a l’idée de faire des tempuras de lavande. Il est certain qu’un écho se fera avec le champagne. Mais la lavande est trop forte et rien ne peut l’adoucir. L’amertume finale est trop prégnante. Seule la mémoire de la lavande arrive à exciter le Dom Pérignon succulent. Ce champagne est dans la ligne des Dom Pérignon historiques. Mais à ce stade de sa vie, il joue mezzo voce. Il va se réveiller quelques fois au cours de la soirée et va confirmer son excellence, mais il est dans une phase prudente.
Ma femme fait des tempuras de rondelles d’oignon, qui conviennent parfaitement au champagne. Nous poursuivons sur de la boutargue qui excite délicieusement le Dom Pérignon qui développe ses notes florales. Ce moment est romantique, entrecoupé par la nécessité de coucher les chères têtes blondes de nos petits-enfants.
Si je suis heureux d’ouvrir un Dom Pérignon en magnum, parfait symbole du bling-bling que nous assumons sans la moindre difficulté car le champagne qui en est la cause est un grand champagne, j’ai beaucoup plus d’émotion à ouvrir une bouteille que je ne pourrai jamais plus acheter sans doute, qui est un Rimauresq, Côtes de Provence 1983, d’une année probablement définitivement introuvable.
Mon gendre a pris en main l’épaule qui sortait de ce midi du barbecue et décide de la cuire à la vapeur, sur une botte de branches de romarin. Connaissant le vin, j’ai suggéré que l’on rajoute des olives noires dans la cuisson. La chair qui apparaît dans nos assiettes est d’une tendreté sans commune mesure avec celle de l’agneau de ce midi. Elle est fondante, typée, parfumée au romarin.
Ce Rimauresq est un vin exceptionnel. Il est grand, intelligent, accompli, et montre à quel point l’âge apporte des qualités incroyables aux Côtes de Provence. Je n’ai pas peur de dire qu’ayant en tête les vins que nous avons bus au Petit Nice, ce Rimauresq passe devant le Rayas de la veille. Car il y a une finesse, et une justesse de dosage qui sont exceptionnelles dans ce vin. Et les olives noires ajoutent un supplément d’âme. Le mot qui me vient en goûtant ce vin est celui d’intelligence. Il est remarquablement fait et joue sur les notes du Côtes de Provence sans la moindre faute. C’est un plaisir de boire ce vin équilibré, jouant juste, charmeur et dosé qui résonne sur les olives de façon diabolique.
Si on me demandait de quel vin suis-je le plus fier ce soir, je dirais sans hésiter que ce n’est pas le magnum de Dom Pérignon, mais ce Rimauresq 1983 à la bouteille bourguignonne et au goût qui impose le respect.
(on voit bien la forme bourguignonne de la bouteille, changée depuis)