Nous commençons à organiser les sorties de la deuxième et dernière semaine à Miami. Il y aura un peu de tout, dont des endroits à la mode où « il faut » être vu. Ma belle-fille réserve. Pour ce soir c’est steak chez mon fils. Je lui demande s’il a prévu un vin rouge et il me montre trois hypothèses. Mon humeur est d’un calibre plus élevé aussi allons-nous chez le caviste le plus proche, dont je sais qu’il a de belles pioches. Dans l’armoire des pépites, il y a de quoi satisfaire toutes mes envies. Je choisis trois vins, tout en lorgnant un vin très cher qui serait de mes folies à un prix plus modeste.
Arrivé à la caisse, je présente mes bouteilles et la caissière n’arrive pas à saisir le code et le prix de l’une des trois. Elle appelle au téléphone le patron pour faire débloquer l’article à sa caisse et j’en profite pour faire passer le message : « à un prix nettement moins cher, je suis preneur de ce vin », le vin que j’ai lorgné. Le silence au bout du fil dure suffisamment longtemps pour que je propose au client qui nous suit de passer devant nous, et, après une proposition assez osée de réduction, le verdict tombe : « d’accord ». Je paie les quatre bouteilles et nous retournons chez mon fils. Deux d’entre elles, dont la fameuse, feront notre dîner.
Le Champagne Dom Pérignon 2002 est comme le péage sur autoroute, un point de passage obligé. Il est nettement meilleur que le précédent bu ici, mais il n’a pas la totalité de la vibration que j’escompte. Ce n’est qu’en fin de repas, après le petit monstre qui va apparaître, que j’ai retrouvé les fleurs blanches qui signent si bien ce grand champagne.
Ma belle-fille a cuit d’excellentes pièces de bœuf qui sont idéales pour le vin qui va suivre. Le Penfolds Grange Bin 95 Hermitage 1989 est une légende. Le nez à l’ouverture combine une richesse de plomb avec une gracilité champêtre. En bouche, c’est la folie la plus pure. Car ce vin qui titre 13,5° ce qui n’est pas excessif aujourd’hui, a une ampleur et une pondération en bouche qui sont phénoménales. Les mots sont difficiles à choisir pour dire qu’un vin puisse être lourd et aérien. Et le plus envoûtant vient de la fin de bouche, totalement végétale, avec des feuilles de cassis, d’anis et de menthe. La longueur est immense, et le final est aérien, la menthe donnant une fraîcheur inouïe. J’avais bu ce vin il y a cinq ans, et dans ma quête de l’époque, ce vin ne m’était pas facilement accessible, même si je reconnaissais sa grandeur.
Aujourd’hui, je jouis d’un vin qui est dans un état de plénitude absolue. Il a la puissance mais il est aérien. Il a un fruit énorme, mais son final est végétal. Il est dominant, mais sa fraîcheur est irréelle. Il y a cinq ans, je l’avais goûté avec un Vega Sicilia Unico du même millésime, et le vin espagnol était beaucoup plus dans ma culture que le vin australien. Aujourd’hui, j’aimerais refaire la même comparaison, car je crois que mon cœur vibrerait plus avec l’australien que je comprends beaucoup mieux.
On est, de toute façon, dans l’excellence la plus absolue du vin, dans une acception particulière, où l’on n’a pas peur de la puissance, combinée à un final mentholé. Chaque gorgée est un bonheur absolu. Quel grand vin !