Le deuxième jour, le Grand Tasting offre une dégustation en Master Class qui est le clou de ce grand salon.
La Master Class « le Génie du Vin » permet de goûter des vins sélectionnés par Michel Bettane et Thierry Desseauve qu’ils considèrent comme faisant partie de l’élite du vin français. D’habitude, il y a toujours un ou deux vins étrangers ajoutés, mais aujourd’hui, pour le 10ème anniversaire, la dégustation sera franco-française. Il s’agira de vins de 2005 sauf pour le premier et le dernier vin.
Le Champagne Dom Pérignon P2 rosé magnum 1995 est présenté par Richard Geoffroy. Il nous dit que 1995 est une grande année, moins médiatisée que 1990 et 1996. C’est une année de grands défis. Il ajoute que le grand problème de 1995, c’est 1996 qui est une année exceptionnelle qui lui fait de l’ombre. 1995 est plus cohérent, plus champagne. Il a fallu être très strict pour réussir cette année. La robe du vin est saumon clair. Le nez est minéral, un peu salin. Ce nez est noble et subtil. Le vin est extrêmement fin. Il pianote ses subtilités. Richard dit que le pinot noir est de très belle qualité. Il parle du jeu en tension de l’équilibre du noir et du blanc. Il y a 20% de pinot noir dans ce vin. Epices, poivre, sel, tout est en subtilité. Un peu comme avec les vins de la Romanée Conti, on est face à un vin de recueillement, qui délivre ses messages en autant d’énigmes. C’est un vin un peu ésotérique au profil réducteur. Je trouve le vin trop discret, assez austère.
Une anecdote me fait plaisir. Après cette discussion, les vignerons se sont regroupés dans une salle dite « des blogueurs » pour boire un champagne d’après-match, le Champagne Dom Pérignon P2 magnum 1995 que j’avais déjà bu et qui m’avait enthousiasmé. Celui-ci est du même moule. Je dis alors à Richard Geoffroy : « ton rosé, je dois t’avouer que je ne l’ai pas compris. Sa retenue est anormale ». Richard me répond : « j’ai eu la même impression. Je n’ai pas compris ce vin. Je crois avoir une piste que je vérifierai à mon retour ». Ça me fait plaisir à deux titres, que Richard ne cherche pas à défendre coûte que coûte un vin et aussi que nous ayons eu la même perception alors qu’à la table des orateurs, aucune remarque n’a été faite.
Le Riesling Clos Sainte Hune Domaine Trimbach 2005 est présenté par Jean Trimbach qui est de la 12ème génération de la famille et qui est fier que la 14ème génération se prépare à assurer la continuité historique. Cela a permis à Michel Bettane de faire l’inventaire des lignées familiales, Jean-Louis Chave ayant quelques générations de plus, Jean-Valmy Nicolas et Jean-Louis Trapet se situant plutôt dans les cinquièmes ou sixièmes générations. Le Clos Sainte-Hune a des sols de calcaires coquillés. La décennie 2005-2015 est bénie des dieux puisqu’il n’y a que deux années difficiles, 2006 et 2011 sur les onze, alors que sur la période 1972-1982 il n’y eut qu’un seul grand millésime, 1976.
Le nez est d’une pureté exceptionnelle. L’attaque est soyeuse, fluide et gourmande. Il a une belle acidité qui est la même que celle du 2015. Le finale n’est pas très long mais frais. Ce vin est fait de vieilles vignes, les plus anciennes étant de 1953, mais il y a encore plus vieux, avec des ceps d’âge inconnu. Le vin de 2005 est aérien, équilibré, précis, élégant. Un vin d’école parfait qui joue plus sur la finesse que sur la tension. Il a du poivre gris.
Le Montrachet Bouchard Père & Fils 2005 est présenté par Michel Bettane en l’absence de Frédéric Wéber. Le nez est glorieux et explosif. Il a une énorme minéralité. Les raisins ont été cueillis à la maturité optimale, c’est-à-dire selon Michel, à 85% de la maturité des grains. Le nez est parfait et l’attaque est éblouissante. On est face à la pureté cristalline absolue. Ce vin de finesse et de subtilité est extraordinaire. Il donne l’idée de ce que peut être l’élégance du montrachet. Michel fait remarquer le lien que l’on peut faire entre le champagne, le riesling et ce vin qui ont tous les trois la finesse, l’élégance et la capacité à rester jeune en vieillissant. Le nez du montrachet est plus explosif que la bouche. Ce vin est hors norme.
Le Château La Conseillante Pomerol 2005 est présenté par Jean-Valmy Nicolas. L’année 2005 est iconique pour ce château, pas seulement parce que c’est l’année de naissance du fils de Jean-Valmy, qui est venu écouter son père. Jean-Valmy, comme Jean Trimbach évoque la succession de grands millésimes : 2000, 2001 qui est en fait plus grand que 2000 surmédiatisé, 2005, 2009 et 2010. Le vin a une très belle robe un peu foncée. Le nez est d’une grande pureté. Je n’attendais pas le nez à ce niveau. Il y a classiquement dans le parfum de la violette puis de la truffe qui signent La Conseillante. Le 2005 a 100% de fûts neufs, mais aujourd’hui on ne ferait plus ça. La bouche est très confortable. Il y a de la salinité et un côté vineux. C’est un beau vin avec une belle amertume qui ne demande qu’à vieillir. Le finale a une belle amertume. C’est un vin qui manque peut-être un peu de joie de vivre mais il est très noble et va gagner beaucoup en vieillissant. Son nez de truffe est glorieux.
Le Château Mouton-Rothschild Pauillac 2005 est présenté par Philippe Dhalluin qui est entré au château en 2004 et a fait ce vin d’un grand millésime. Il y a eu cette année-là une différence climatique sensible entre la rive gauche et la rive droite. En Pauillac l’année fut très sèche avec moitié moins de précipitations qu’en moyenne. Le nez est incroyablement puissant et riche et annonce un grain lourd. Quelques hectares sur les 80 du domaine ont des vignes de plus de cent ans qui ont suscité des vendanges précoces, ce qui a donné de la fraîcheur et une richesse des grains. Il y a un peu d’acidité, l’attaque est plus riche que le milieu de bouche, plus en retrait. Mouton est très souvent toasté et dans le passé on accentuait ce caractère ce que Philippe a essayé de modifier. Le nez est magique. L’attaque offre un beau cassis. Il y a une belle complexité mais c’est un vin à attendre car il est encore un peu fermé. Dans vingt ans, il sera magique.
Le Chambertin Domaine Trapet Père & Fils 2005 est présenté par Jean Louis Trapet dont la gentillesse et l’humilité sont légendaires. Il commence son intervention par cette phrase : « la Bourgogne est une terre de silence où l’homme tient parole ». Il dit qu’il n’y a pas de grand vin sans grands raisins. En 2005 il y en a eu. Le nez est d’une rare subtilité. Le charme du parfum est extrême. Tout en bouche respire la grâce. Le vin est délicat, raffiné, suggestif. Comme celui qui l’a fait, le vin ne veut rien affirmer. Le finale se développe après quelques minutes et le fond réglissé, selon Michel, est caractéristique du chambertin. Je sens un peu de salinité. Ce vin a une personnalité qui est celle de Jean-Louis. Michel Bettane dit que l’on sent la peau du raisin et le goût du marc. La couleur rose est à peine brunie et ne changera pas dans le temps. Par curiosité je retourne vers le Mouton et ce passage se fait bien. Mouton s’est arrondi et exsude la truffe. Le vin de Pauillac est fort comme un noble guerrier. En revenant au chambertin on sait que l’on est face à la grâce absolue.
L’Hermitage domaine Jean-Louis Chave rouge 2005 est présenté par Jean Louis Chave. Il dit que l’année 2003 a été exceptionnelle pour les Hermitage de Chave, mais a été traumatisante pour la vigne, ce qui se ressent en 2005. Le nez est de grands fruits généreux et mûrs. En bouche, c’est la générosité absolue. Les raisins sont très mûrs, le vin est presque fumé, torréfié, café, mais sans perdre de cohérence. Jean-Louis dit que le 2005 n’est pas encore épuré. Il faudra du temps pour être dans l’âme du granite. Il deviendra plus épuré et précis avec le temps. C’est un vin qu’il faut attendre mais il est déjà très grand, riche, avec des raisins très mûrs. Dans dix ans le caractère floral ressortira alors que l’on est aujourd’hui sur un vin sauvage et authentique. Michel dit que les tannins des Chave sont très bourguignons.
Je reviens sur le chambertin qui est éblouissant.
Le Château d’Yquem Sauternes 1955 est présenté par Pierre Lurton toujours lyrique et plaisantin. La couleur du vin est de miel foncé. Le nez est sucré, de miel et de zeste confit. En bouche, c’est du miel. Il est magique. Il est beau, jeune, le sucre est superbement intégré. Les fruits jaunes sont gourmands. C’est un grand Yquem. Peut-être pas dans les millésimes mythiques, mais il a tous les attributs d’un vin exceptionnel dont surtout son immense fraîcheur. Le finale est tonitruant et d’une fraîcheur inimaginable. Sa sucrosité est intégrée. C’est un vin léger, voluptueux, fastueux, d’une séduction quasi érotique majeure.
Cela n’a pas de sens de classer ces huit vins mythiques car chacun exprime l’excellence absolue du vin français. On invite les vignerons à se retrouver dans le salon des blogueurs pour partager un Champagne Dom Pérignon P2 1995 brillantissime. Nous bavardons quelques minutes et comme Richard Geoffroy a son train à 15h30, nous décidons d’aller déjeuner tous les deux au bar de l’hôtel Meurice. Le restaurant gastronomique est fermé le samedi, la brasserie Dali a toutes ses tables occupées. Comme Richard préfère être dans cette belle salle plutôt que d’aller au bar, nous restons dans la salle, mais à une table jouxtant le bar, qui sera dressée sans nappe, comme au bar. Richard décide que nous déjeunerons à l’eau ce qui est une sage résolution qui tombe bien car les prix de la carte des vins sont dans la zone du camp numéro quatre de l’ascension de l’Everest.
Nous choisissons une poitrine de veau fondante, chou et panais au gingembre. Le plat est délicieux, bien conçu, aux saveurs coordonnées. Avec le gras du veau j’imagine qu’un champagne serait le plus adapté, à cause de la bulle et je ne sais pas pourquoi, l’idée qui traverse ma tête est un champagne de 1934, comme Pol Roger ou Dom Pérignon. Nous avons le temps de bavarder sur des sujets variés concernant le monde du vin. Richard prend le métro pour la Gare de l’Est et je retourne au Grand Tasting.
Au Grand Tasting il y a environ 350 vignerons qui sont présents. Je suis allé à de nombreux stands saluer des vignerons que je connais et goûter de-ci-delà quelques vins, toujours plaisants et généreusement offerts. Ce salon est incontournable. Il est à remarquer que sur trois Master Class nous aurons eu accès à un Champagne Veuve Clicquot Carte Jaune magnum base 1953, un Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils magnum 1955 et un Château d’Yquem Sauternes 1955. Ce n’est pas anodin de constater que ceux qui veulent faire plaisir au public du Grand Tasting apportent des vins de soixante ans. La reconnaissance du pouvoir de l’âge est une bonne chose. J’en suis ravi.
La participation du public a été incroyable, avec des queues interminables à toutes les heures d’ouverture. Vive le Grand Tasting.
Jean Louis Chave, Philippe Dhalluin, Richard Geoffroy, Michel Bettane, Pierre Lurton, Jean Trimbach, Jean-Valmy Nicolas. Jean-Louis Trapet ne figure pas sur la photo.