L’extraordinaire grandeur des Bordeaux rouges 2016 et leurs différences avec 2005, 2009, 2010 et 2015 .
(12 mars 2017)
Ce millésime tient du génie, de l’inhabituel et de l’inexplicable. Une fabuleuse et très rare combinaison à l’équilibre parfait entre une fantastique qualité des tanins, des degrés d’alcool modérés et des acidités soutenues mais imperceptibles.
– Quand on habite Bordeaux et que l’on observe depuis des années chaque jour la météo de l’été et que l’on trouve celle de 2016 sans cesse favorable de juillet à octobre et très sèche.
– Quand on se déplace d’une propriété à l’autre pendant les vendanges, que l’on goûte le raisin depuis des années, et que l’on observe qu’en 2016 chacun ramasse tranquillement selon la maturité de chaque parcelle, au point d’avoir les dates de vendange les plus étalées de l’histoire. Alors, on est fondé à croire que pendant les vinifications il devrait se passer quelque chose de différent et même d’inconcevable, à priori, dans le goût de ces vins.
– Quand on pénètre les chais librement et que l’on goûte depuis des années pendant les fermentations alcooliques jusqu’aux malolactiques et encore après, sans cesse en 2016, parce que le résultat vous éblouit et que vous vous pincez pour savoir si vous ne rêvez pas .
– Quand du coup, on file d’une rive à l’autre, sur tous les terroirs, sur tous les cépages pour vérifier.
Alors oui, je peux vous dire qu’après trois mois à ce rythme et plus de 300 échantillons dégustés, Bordeaux tient actuellement dans ses chais le plus grand millésime jamais fait depuis 1982 (j’y étais).
Ce millésime tient du génie, de l’inhabituel, du fantastique et de l’inexplicable.
Les vins rouges sont denses, très parfumés, riches, pleins, avec un toucher de bouche moelleux, velouté et une grande profondeur de saveurs. Le tout si savoureux, si éclatant de fruit, si raffiné dans le grain du tannin, avec une note plaisir si forte que 2016 va faire passer les 2010 que j’adore pour des vins rustiques !
Difficile à croire n’est-ce pas ? Et pourtant !
1/ Des couleurs parfaites .
Les couleurs sont superbes très sombres, (signe de la densité des vins) pourpres, profondes et vives.
2/ Une qualité du fruité parfaite .
La qualité du fruit est excellente, au nez comme en bouche, bien mûre, pas surmûre, avec beaucoup d’éclat et aucune note végétale, à l’exception des vignes qui ont souffert de la sècheresse. Mais en général ces lots ont été éliminés de l’assemblage du grand vin.
3/ Des structures de bouche fabuleuses.
Et voici pourquoi.
– Des degrés d’alcool plus bas !
Le génie commence ici. Comment murir des tanins sans monter le degré d’alcool et donc alourdir les vins ? Et même si Bordeaux par sa position géographique est favorisé dans ce processus, cet équilibre n’a jamais été aussi parfait qu’en 2016. Les degrés d’alcool sont bons mais moindres qu’en 2009, 2010 et 2015. Et sur les deux rives ! En conséquence, on ne ressent aucun effet de chaleur en fin de bouche. Au contraire, il apparait une sensation de précision qui laisse la bouche fraîche et pousse à l’envie d’avaler.
– Une fantastique qualité des tannins
Ils sont si parfaitement mûrs qu’ils ne se montrent jamais comme âpres ou tanniques. Au contraire, ils induisent une sensation de velouté, de soyeux, particulièrement forte. Pourtant les 2016 offrent un corps dense, puissant, mais le tout se révèle particulièrement fondant. Cette association entre la puissance et le raffinement est extrêmement rare dans des vins si jeunes sauf en 1982. C’est la grande différence avec 2005 et 2010 !
– Mais il y a mieux encore ! Plus inédit, plus magique, plus inexplicable : des pH bas.
Les pH des Bordeaux 2016 sont bas et largement en dessous de la moyenne. Un pH bas signifie une sensation acide élevée. Et une acidité élevée devrait renforcer l’âpreté des tannins. Or, nul ne saurait dire pourquoi, il n’en est rien. C’est la grande différence avec 2005. L’avantage de cette acidité présente, mais qui ne se sent pas, qui ne durcit pas le tannin, est de provoquer une immense sapidité, fraîcheur, buvabilité et des structures riches, mais sans lourdeur, non solaires où le fruité s’en trouve éclatant et même jaillissant. Du coup la note plaisir de ces vins est très forte alors qu’ils sont très puissants, mais cette puissance est particulièrement harmonieuse. Cette matière charnue, mais fraîche est la grande différence avec 2009 et 2015 !
Cette qualité n’est pas réservée qu’à l’élite de la production
Plus fort et plus inédit ! C’est l’ensemble de la production qui profite de la grandeur du millésime.
Cette sensation de pulpe joyeuse se retrouve sur toutes les catégories de sol (moins sur les sols sableux avec les jeunes vignes). Et c’est encore ça l’extraordinaire. Habituellement les sols les moins qualitatifs sont ceux qui possèdent une importante réserve en eau. Or, avec la sècheresse de l’été 2016, ces sols ont protégé la vigne des blocages de maturité. De fait, il existe de grandes réussites sur les terroirs réputés moyens, y compris au sein d’une même propriété où la hiérarchie entre les terroirs s’inverse.
De façon tout à fait incompréhensible, le résultat est aussi très bon sur les grands terroirs traditionnels plutôt chauds, surtout ceux dotés d’un sous-sol argileux ou calcaire. Ainsi, c’est l’ensemble de la production qui profite de la grandeur du millésime. Vu le niveau de satisfaction de tous, c’est toute une région qui va pousser pour valoriser le rendu de ces vins.
Les seuls points de faiblesse et d’hétérogénéité concernent les jeunes vignes en particulier sur les sols sableux, les propriétés très touchées par le mildiou (bien que celui-ci ait joué un rôle dans l’abaissement du rendement) et l’excès de production. En effet, 2016 est le millésime le plus productif depuis 2004. Après le petit volume de 2013, il ne fait aucun doute que certains producteurs voudront se rattraper en volume avec le 2016, privilégiant la quantité à la qualité dans leur premier vin.
Dans quelques jours à l’ouverture officielle des dégustations, je pense qu’une onde de choc va parcourir le vignoble, les palais, les chais et les marchands. A juste titre, tous les esprits vont s’enflammer et tous les excès sont à craindre. Alors, réservez, réservez, réservez ! Jamais je n’ai goûté d’aussi grands vins, riches, nobles, profonds, complexes, juteux et néanmoins incrachables à Bordeaux sauf en 1982. Une pluie de notes extraordinaires va s’abattre sur Bordeaux.
Compte tenu de cette situation, un message d’alerte sera spécialement envoyé dès que la note atteindra 100 (déjà 4 crus bénéficient de cette mention) ou que le cru se présentera comme le plus grand jamais fait.
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Bien cordialement.
Jean-Marc Quarin
Critique indépendant des vins de Bordeaux
www.quarin.com