Après une série de vins prélevés en cave avec des niveaux très bas, car il faut au plus vite les boire, j’ai envie d’ouvrir une bouteille qui a toutes chances de briller. Dans le relevé d’inventaire, j’ai parfois indiqué « superbe » si la bouteille me paraissait d’un état prometteur. Parmi toutes les « superbes », j’ai envie de sortir des sentiers battus et je choisis un Moulin à Vent Lagrive 1961.
L’étiquette est belle et la capsule portant la Marianne indique « Julien Damoy Paris ». Le verre de la bouteille est bleu comme celui des bouteilles de la guerre, au début des années 40. Cela semble indiquer que l’on a embouteillé dans une bouteille de la guerre, réutilisée. Plus tard, en examinant attentivement la bouteille, j’ai émis l’hypothèse que la bouteille de réemploi eût son étiquette des années 40 et n’ait pas été étiquetée à nouveau. Seule la petite étiquette d’année, marquée 1961, aurait été mise à l’embouteillage du vin. Un des indices qui me fait penser à une étiquette des années 40, au-delà de la fatigue du papier, est que l’on a écrit « LAGRIVE E.J.D. 2, rue Berger, Paris » sans indiquer d’arrondissement. Il me semble qu’en 1961 on aurait ajouté un arrondissement. Un autre indice est d’indiquer « Grand Vin de Bourgogne » pour un Beaujolais.
A 16 heures j’ouvre la bouteille et le liège très peu dense du bouchon fait qu’il se segmente en brisures successives, mais avec la longue mèche, toutes les strates sortent ensemble. Le nez du vin n’est pas encore assemblé. Quatre heures lui feront du bien. Je n’ai pas d’inquiétude.
Ma femme a prévu des coquelets et un gratin de pommes de terre et aubergines. Le parfum du vin est superbe, cohérent et inspiré, annonçant un vin joyeux et large. L’attaque est belle. Le vin promet. Ce qui entraîne mon enthousiasme, c’est le finale très long et précis, tranchant comme une épée.
Par certains aspects le Moulin à Vent Lagrive 1961 se montre bourguignon mais il lui manque peut-être un peu de largeur pour l’être vraiment. Son amertume discrète, sa râpe sont d’un beaujolais. Ce qui me plait beaucoup est qu’il est confortable, avec les caractéristiques de l’année exceptionnelle qu’est 1961, puissante mais accueillante. J’aime sa personnalité et sa vivacité.
Comme pour les deux Palmer 1900, le saint-nectaire donne encore plus de présence et d’ampleur à ce Moulin à Vent qui, s’il n’est pas d’une complexité extrême, se montre un très grand vin.
La lie est relativement peu abondante. Elle délivre un message plus riche de grande sensibilité. Il y a 14 ans un Moulin à Vent 1947 avait brillé dans un dîner à l’hôtel Meurice préparé par Yannick Alléno et je l’avais classé premier dans mon vote. Les Moulin à Vent vieillissent remarquablement.
la couleur bleue des bouteilles de la guerre
phases d’ouverture de la bouteille