C’est l’anniversaire de ma fille cadette à la maison. J’ouvre un Champagne Krug 1982. Le bouchon chevillé offre peu de résistance. Le nez est un peu amer. Les premières gorgées sont amères mais le vin s’assemble pour prendre plus de cohésion. Ma femme a préparé une terrine de foie gras dont la gelée est au thé. Nous ne nous étions pas concertés, mais c’est la gelée qui crée avec le champagne un accord de grande sensibilité. Le champagne est subtil, mais je trouve qu’il manque de corps et d’ampleur. Il est néanmoins de grande délicatesse.
Pour des bulots, nous buvons le Château Laville Haut-Brion 1982 au jaune d’un or très jeune, presque vert. Le vin est racé, complexe, avec de jolies notes citronnées d’un grand équilibre. Mais mon gendre qui l’a apporté est plus sévère que moi. Il lui trouve un manque d’ampleur que je décelais chez le Krug.
De fines tranches de coquilles Saint-Jacques crues arrondissent le vin de leur douceur. Nous allons passer maintenant à des rougets juste poêlés. Il y a dans deux carafes des Château Ausone 1964 que j’ai trouvés en cave avec le bouchon flottant. Alors que le nez n’est pas affecté, la cause est perdue, les vins sont morts. Je descends vite en cave et j’ouvre Château Mouton-Rothschild 1989. Le vin juste ouvert, encore frais de la cave est une merveille absolue. Le nez est racé, élégant, raffiné. En bouche, c’est de la soie, du cachemire et du velours. L’expérience est alors du plus grand intérêt. Le Laville Haut-Brion cohabite avec le rouget, mais poliment. Alors que le Mouton crée un accord avec le rouget qui est d’une émotion de première grandeur. Ce vin est d’une immense beauté, d’une élégance infinie. Je suis totalement sous le charme et j’ai plus d’émotion qu’avec le Mouton 1982 qui jouit d’une plus grande renommée. Le 1982 plus puissant n’est pas encore accompli. Le 1989 est actuellement à un stade d’excellence totale, dans l’élégance et le raffinement. Ce vin pianote de la luxure distinguée et l’accord avec rouget juste poêlé est parfait. Quel velours !
Ma femme apporte le lourd plat d’un agneau cuit au curry et aux épices orientales. Hier, goûtant la sauce hors contexte, j’avais dit que l’accord avec les Ausone 1964 pourrait se trouver. En sentant les premiers effluves du plat posé sur table, j’annonce que le Mouton 1989 n’ira jamais avec lui. Nous essayons et la preuve est faite. Quel vin conviendrait ? Ce n’est pas le Laville. Alors ce sera le Chateau Rieussec 1947 qui devait apparaître au dessert. Par un caprice du sort, ma femme avait organisé le dessert pour un Rieussec 1919 tenu au frais. Or mon gendre est arrivé avec ce Rieussec 1947 qui a perdu du volume et qui suinte. Il est beaucoup plus ambré que le 1919. Et là où le sort nous est favorable, c’est que le Rieussec 1947 crée avec le plat d’agneau à la mexicaine un accord d’anthologie que le 1919 n’aurait sans doute jamais procuré. Car le 1947 au parfum envoûtant a des accents de caramel qui conviennent merveilleusement aux épices racées. Nous sommes tous conquis par cet accord fusionnel qui crée une continuité invraisemblable entre le vin et l’agneau.
L’accord du sauternes était prévu au dessert, avec des tranches de mangue à peine teintées de fruit de la passion. C’est avec le 1919 qui eût été plus pertinent. Nous l’ouvrirons un autre jour.
Les deux vins qui émergent de ce repas sont le Mouton 1989 et le Rieussec 1947. Les deux accords les plus enthousiasmants sont ceux créés par ces deux vins avec les rougets et avec l’agneau. Celui du Krug avec la gelée du foie gras au thé est aussi à signaler.
Triste surprise avec ces Ausone 1964