Noël donne lieu à des dîners familiaux qui démarrent avant l’heure. Ma fille cadette vient dîner à la maison avec son futur époux. Pour une fois, c’est à moi d’adapter mes vins au programme de ma femme. Sur des toasts au foie gras, nous dégustons Haut-Brion blanc 1979. La couleur a commencé à s’ambrer légèrement. Le nez est distingué. En bouche l’acidité est forte. C’est surtout les agrumes, dont le citron, qui apparaissent. Le vin est évidemment plaisant, mais je reste un peu sur ma faim. Alors que son bouchon est impeccable et son niveau parfait, ce vin me donne l’impression d’avoir vieilli trop vite. Ses agrumes rappellent un peu ceux de l’Yquem 2002. Nous passons à table et le Haut-Brion se met à exister. Sur la coquille Saint-jacques juste poêlée, sur les poireaux saisis à la crème, et sur les racines de cerfeuil. Le vin vibre, trouve une longueur qu’il n’avait pas. C’est un Haut-Brion blanc plutôt sec et discret qui ne marquera pas ma mémoire même s’il fut bon.
Tout cela n’est pas grave, car le vin qui arrive a de la générosité pour deux. Sur des pâtes al dente et un foie gras juste saisi, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986 est un vin impérial. C’est « le » vin parfait. Il a tout. Sa couleur est intense et dense, son nez est chaleureux et tend les bras. Et en bouche, le velouté est exquis, rehaussé par l’apaisante saveur du foie gras traité en douceur. Ce vin est tellement simple que c’en est presque insolent. Un vin que l’on n’arrêterait pas de boire tant il est extraordinaire. C’est incroyable qu’avec ce vin on ne se pose aucune question. Il est là, il est beau, il affiche une longueur rare, et tout y est intégré, ordonnancé pour donner le plus grand des plaisirs. Quel vin ! Sur le papier, un tel accord ne paraîtrait pas évident. Il le fut car le doucereux et le velouté se combinaient sensuellement.
Pressentant sans doute qu’un liquoreux conclurait le repas, un fromage à pâte bleue bien crémeux arrive sur la table. Le Château d’Yquem 1954 est d’une couleur particulièrement foncée, évoquant un thé fort ou du sucre fondu. Le premier parfum qui s’exprime est celui de l’ananas, suivi d’agrumes et de thé. En bouche, le vin est fort, caramélisé, et les agrumes s’ouvrent quand le vin s’aère. Je sens ce vin un peu fermé, un peu poussiéreux, de faible longueur, mais Yquem étant Yquem, très expressif. Et le coup de baguette magique vient des tranches d’ananas juste poêlées sur une trace de beurre et de vinaigre balsamique, nappées d’un fin coulis de mandarine. Comme si l’on avait réveillé les instincts les plus profonds de l’Yquem il s’est mis à chanter sur l’ananas, et a trouvé une longueur qu’il n’avait pas. Magnifique Yquem qui me semble faire partie des Yquem chauffés de soleil, cueillis tard, aux accents de 1921. L’avant Noël démarre bien.