Dîner du 24 décembre en famille lundi, 25 décembre 2017

Selon une procédure qui n’est pas habituelle, les cadeaux sont donnés avant le dîner du 24 décembre. Les petits-enfants grandissent et la fébrilité est plus contrôlée. Pour l’apéritif nous aurons des petits fours salés ainsi que des feuilletés au fromage et au jambon passés eux aussi au four. Le début de l’apéritif nous permet de finir le Mouton-Rothschild 1992 qui a toujours sa structure aussi riche et nous passons ensuite au Chablis Grand Cru Vaudésirs Domaine de la Maladière 1976. La bouteille m’avait attiré en cave par la hauteur du vin sous le goulot, sans la moindre perte de volume en plus de quarante ans, et par la couleur du vin dans la bouteille, d’une fraîcheur incroyable. A l’ouverture quatre heures avant le repas, le parfum se montrait brillant. Au service dans de beaux verres, le parfum est glorieux, généreux et protéiforme. En bouche la minéralité est forte, l’alcool est présent et le fruit est vibrant. C’est un vin très beethovenien. Ce qui me plait par-dessus tout c’est qu’il n’a pas d’âge, vin accompli qui a atteint la sérénité suprême. Il est éternel et on imagine qu’il sera le même dans vingt ou cinquante ans. Sa couleur est celle d’un vin de dix ans d’âge et restera longtemps aussi jeune.

Le chablis avec le feuilleté est superbe, mais il se montre encore plus raffiné sur les coquilles Saint-Jacques juste poêlées accompagnées d’un risotto aux fines brindilles de safran et cuit avec ce même chablis.

Pour le chapon j’ai ouvert il y a plus de cinq heures un Clos de Vougeot Grand Cru Domaine Méo Camuzet 2001. Le nez est un peu serré. Le vin a une acidité prononcée mais sa vinosité est belle. Il est extrêmement délicat. C’est un vin qui ne passe pas en force mais en suggestion. Ma fille aînée a du mal avec ce vin alors que ma fille cadette et moi sommes conquis par son raffinement délicat. Il est vrai que passer après le chablis magnifique est un peu dur pour ce bourgogne. Il est vrai aussi que c’est un vin assez difficile à comprendre du fait de ses complexités exposées du bout des lèvres.

J’avais ouvert un autre vin pour le dîner mais nous sommes tous fatigués par l’opulence des mets que nous avons partagés. Aussi est-ce le moment de passer à la tourte à la marmelade d’orange amère qui dans une acception quantique de la chronologie nous fera tirer les rois alors que Noël n’est même pas encore sonné. Il y a deux fèves. Une de mes petites-filles a une fève tandis que j’en ai une. Nous échangeons des baisers suite à ces adoubements et anoblissements et je propose à ceux et celles qui boivent de goûter les Maury que j’avais ouverts pour Vinapogée, le salon des vins matures. Le Maury 1959 est solide, carré et se boit bien. Le Maury Mas Amiel 1997 est étonnant, car sa fraîcheur donne des accents de menthe. On dirait de l’After Eight.

Astucieusement c’est avec les truffes au chocolat que les Maury prennent leur envol pour des accords d’un classicisme parfait.

Ce Noël riche de cadeaux qui selon le jargon actuel sont équitables, responsables et protecteurs de la planète, nous avons passé un agréable réveillon familial. Joyeux Noël.

Les préparatifs de Noël

l’anachronique galette des rois

Déjeuner du 24 décembre en famille lundi, 25 décembre 2017

Toute la famille – sauf celle de mon fils qui fête Noël à Miami – est rassemblée pour le déjeuner du 24 décembre. Nous allons festoyer au dîner du 24 et au déjeuner du 25 aussi est-ce prudent de déjeuner léger. Il y a des nouilles aux pétales d’oignons et de la salade. Mais mes deux filles réclament du vin. J’essaie de défendre le programme que j’ai prévu, mais rien n’y fait, il faut que j’ouvre un vin.

Ce sera un vin sorti de cave, non aéré et plutôt froid. Je descends en cave et l’idée me vient de prendre un Château Mouton-Rothschild 1992. Le niveau est dans le goulot, parfait. Le bouchon n’est pas très long pour un premier grand cru classé, mais il a joué son rôle. Le nez est envoûtant. Dès le premier contact olfactif, on sait que l’on est en présence d’un vin qui n’a rien à voir avec la faiblesse « supposée » de l’année 1992. La bouche confirme le talent du vin au grain riche fait de truffe et de charbon. Le vin est riche, lourd, construit. C’est un très grand Mouton, dans un état d’accomplissement idéal. Nous le buvons sur des fromages et c’est avec le camembert que je l’apprécie, plus que sur un chèvre. Le plaisir pur, même si c’est péché, est sur d’exquises truffes au chocolat. Nous en buvons plus de la moitié. La suite sera pour l’apéritif du dîner.

les facettes de la gouache de Kirkeby de l’étiquette 1992

les truffes au chocolat, un péché sur le Mouton, mais pardonnable !

Dîner du 23 décembre veille des fêtes de Noël samedi, 23 décembre 2017

Le Champagne Substance de Selosse dégorgé le 20 mars 2007, une nouvelle fois lors d’un équinoxe, a un bouchon qui libère une belle énergie. La couleur du champagne est plutôt foncée, d’un acajou orangé. Le champagne est noble. Il est à la fois généreux et fruité, de beaux fruits juteux. Et ‘en même temps’, comme dirait notre Président, il est cinglant, vif et racé. Sur du saucisson et des tranches de chorizo enroulées sur des gressins, il est actif.

Le repas est léger car les agapes sont à venir. Il y a une soupe de butternut, navets et carottes, suivie d’une quiche lorraine. Ce n’est pas forcément le meilleur pour le Selosse, mais nous savons faire la part des choses. J’ai encore en mémoire le récent Substance dégorgé en juillet 2013 et je préfère celui dégorgé plus récemment, qui est plus vif. Il faut dire que je l’ai bu avec du caviar ce qui compte dans l’appréciation, mais il y a vraiment un écart entre ces deux grands champagnes. Le dégorgement de quatre ans lui convient mieux que le dégorgement de dix ans.

la couleur du champagne

la quiche

Dernier dîner de l’année avec mon fils jeudi, 21 décembre 2017

Mon fils va repartir à Miami fêter Noël en famille. C’est son dernier dîner avec ses parents. Ma femme a prévu le menu suivant : coquilles Saint-Jacques juste saisies avec du riz noir / tagliatelles avec des dés de foie gras à peine poêlés et des brindilles de safran de notre jardin du sud / camembert / tarte au citron.

J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1980 d’une année assez confidentielle. Le bouchon vient sans provoquer le moindre pschitt. Il n’y a aucune bulle. La couleur du champagne est ambrée, d’un joli ambre encore jeune qui va s’assombrir en fin de bouteille.

En bouche, on distingue à peine le pétillant. On est donc en présence d’un champagne beaucoup plus vieux que son âge. Le décor étant planté, que raconte-t-il ? Les saveurs de chacun des plats préparés par ma femme sont d’une précision et d’une définition sans aucune ambiguïté. Tout est clair et net et cela réussit au champagne. C’est surtout avec les dés de foie gras et les tagliatelles que le champagne va affirmer une belle présence, comme celle d’un sauternes aérien, presque sec. Et si on a admis ce contexte, on se régale car le vin est long et convainquant. Avec le camembert d’une maturité parfaite il est idéal car l’amertume du fromage et le doucereux du champagne fusionnent divinement.

Hier, à l’académie des vins anciens, avec 52 vins pour 33 convives, on était loin d’avoir fini toutes les bouteilles. Cela faisait mal à ma collaboratrice qui vidait les bouteilles vides pour les emballer afin qu’elles rejoignent mon petit musée, car il lui fallait mettre à l’évier des vins encore parfaits. J’avais réussi à sauver les deux derniers vins de ma table dont il restait suffisamment pour partager avec mon fils et ma femme qui ne boit que les sauternes.

Nous mangeons donc la tarte au citron avec le Château d’Yquem 1984 et avec le Château d’Arche 1969. Alors qu’hier c’est le plus vieux, au liquide presque noir, qui surpassait l’Yquem, ce soir, c’est l’Yquem qui surpasse son aîné. L’Yquem a pris une dimension qu’il n’avait pas hier, avec le brio d’un grand Yquem, large et opulent tout en étant vif, alors que le Château d’Arche est plus discret, moins riche et moins brillant même s’il a de beaux restes. Ma femme a goûté les deux et a plébiscité l’Yquem. L’année 1984, petite année pour les rouges de Bordeaux, est une belle année de sérénité pour Yquem. C’est un plaisir de finir une semaine de grands vins partagés avec mon fils sur un vin que je chéris entre tous, le Château d’Yquem.

28ème séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéo jeudi, 21 décembre 2017

La 28ème séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo. Elle est d’une nature particulière puisque c’est un académicien fidèle, qui est aussi fidèle de mes dîners, qui m’a demandé de faire cette séance pour lui et ses amis. Ils seront 29. Cet ami a accepté que deux autres personnes assistent aussi, qui ont acquis deux places lors d’une vente caritative qui comprenait deux lots que j’avais offerts de participation à l’académie. Je suis aussi accompagné d’une fidèle amie qui m’aide à organiser ces séances.

Le programme prévu pour trois groupes de onze personnes est :

Groupe 1 : Champagne Pommery années 60 – Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80 – Champagne Verzenay J. Busin Grand 1er Cru Classé 1955 – Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966 – Crozes-Hermitage Domaine de Thalabert Paul Jaboulet Aîné 1953 – Château Saint- Martin Médoc 1964 – Clos Toinet Tauzin Saint-Emilion 1950 – Château Clos Fourtet 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1950 – Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948 – Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955 – Pommard Pierre Hugot négociant 1947 – Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1957 – Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943 – Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Pierre Damoy 1961 – Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947 – Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943 – Château d’Arche GCC Sauternes 1969 – Château d’Yquem Sauternes 1984.

Groupe 2 : Champagne Pommery années 60 – Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80 – Champagne Verzenay J. Busin Grand 1er Cru Classé 1955 – Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966 – Agneau Blanc Sélection Rothschild Graves Supérieures 1943 – Château Saint- Martin Médoc 1964 – Château Trotte Vieille 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1967 – Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955 – Château Clos Fourtet 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1950 – Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948 – Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943 – Grands Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1956 – Côtes du Rhône Parallèle « 45 » Paul Jaboulet Aîné 1959 – Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947 – Château de Malagar 1ères Côtes de Bordeaux 1966 – Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943 – Château d’Yquem Sauternes 1984.

Groupe 3 : Champagne Pommery années 60 – Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80 – Champagne René Renard à Avenay près Ay Brut années 50 – Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966 – Meursault Patriarche Père & Fils 1942 – Château Saint- Martin Médoc 1964 – Château Haut Cadet 1er Cru St Emilion Renversez et Bernard #1960 – Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955 – Château Trotte Vieille 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1967 – Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948 – Chassagne-Montrachet Boudriottes Domaine Marcel Toinet 1972 – Grands Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1956 – Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943 – Le Corton Château De Beaune Bouchard Père & Fils 1966 – Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947 – Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943 – Château d’Yquem Sauternes 1984.

Il y a beaucoup trop de vins puisqu’il y a 52 bouteilles pour 33 personnes. Mais c’est dû au fait que j’ai ajouté quelques bouteilles de bas niveaux puisque le monde des vins anciens, c’est aussi cela. Chaque groupe aura un Yquem, un vin du domaine de la Romanée Conti et des vins de tous niveaux dans les classifications bordelaises. Chacun aura l’un de mes chouchous, le plus grand vin algérien dans l’année 1947. A priori, il y a de quoi faire une belle séance de l’académie.

J’arrive à 16 heures au restaurant Macéo avec les vins et une centaine de verres Riedel que j’ajoute en appoint aux verres du restaurant. Pour ouvrir toutes les bouteilles il ne faut pas chômer. J’utilise le « Durand », un tirebouchon qui combine tirebouchon et bilame. C’est un outil astucieux mais qui blesse les bouchons, pouvant rendre illisibles certaines mentions que l’on pourrait vouloir lire, comme l’année par exemple. J’avais choisi quelques bouteilles de bas niveau et je m’attendais à de mauvaises surprises ici et là. Le bilan à l’ouverture est plutôt au-dessus de ce que j’attendais, surtout pour les bordeaux, et les mauvaises surprises se situent là où je ne les attendais pas. Les trois Royal Kébir 1947 ont des senteurs de vins fatigués, ce qui signifie que j’ai acquis des bouteilles mal conservées et les trois Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943 n’ont pas du tout les parfums que j’espérais. En sens inverse les trois Clos Des Lambrays 1943 se présentent nettement mieux que ce que j’attendais. En ce qui concerne les trois vins du domaine de la Romanée Conti, l’Echézeaux 1957 est plus sympathique que les deux Grands Echézeaux 1956. On verra plus tard que la réalité sera toute autre. Globalement le bilan des ouvertures ne me déplait pas, même si certaine contreperformances inattendues m’énervent. J’ai mis trois heures pour tout ouvrir. Je revêts les habits prévus pour recevoir les participants.

Il y a trois bouteilles du Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80 pour l’apéritif pris debout. La première et la troisième qu’on me fait goûter sont superbes. Ce champagne est confortable, bien construit et franc et ne cherche pas à surjouer. C’est le champagne idéal pour un apéritif et une très agréable surprise. La deuxième bouteille est un peu poussiéreuse.

Le Champagne Pommery années 60 est lui aussi servi pour l’apéritif debout. La première bouteille n’est pas présentable. La seconde est une pure merveille. Plus dosé que le précédent, il joue sur la douceur et la suavité. Je l’adore. Des convives préfèrent la tension du Pâques Gaumont. Je préfère le charme du Pommery.

Nous passons à table. Il y a beaucoup de participants invités pour un dîner de Noël qui n’ont aucune connaissance des vins anciens aussi faut-il que j’insiste sur l’approche humble nécessaire pour boire des vins anciens. Je suis à la table 1 qui comporte beaucoup de vins identiques à ceux des autres tables lorsque j’ai fourni trois bouteilles. Il y a parfois des vins en un seul exemplaire.

Le menu préparé par le chef du restaurant Macéo est : velouté de lentilles du Puy, œuf poché et champignons poêlés / risoni aux saveurs de paëlla, jus safrané / joue de bœuf, légumes de blanquette et jus aux condiments / fromage / banane caramélisée, chantilly citron vert, spéculoos et tuile croustillante au sarrasin.

Le Champagne Verzenay J. Busin Grand 1er Cru Classé 1955 étonne tout le monde avec ses 62 ans. Sa couleur est claire, il n’a pas de bulle mais a gardé un pétillant très vif. Il est d’un rare équilibre et tout le monde apprécie ce champagne dont la belle acidité est synonyme de fraîcheur et d’élégance.

Le Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966 est étonnant car il est d’un or clair qu’aurait un vin de moins de dix ans. Franc, pur, droit, c’est un blanc expressif irréprochable, à la longueur remarquable.

Le Château Saint- Martin Médoc 1964 est en trois exemplaires et je pensais que la table 3 aurait un vin mort. Il n’en est rien, le vin a ressuscité. Celui de notre table est très élégant. Ce n’est pas un grand vin, c’est un vin timide, mais sa douceur le rend extrêmement plaisant.

Le Clos Toinet Tauzin Saint-Emilion 1950 est une belle surprise. Je ne l’attendais pas à ce niveau. Il est fluide et se boit bien. Il a beaucoup de grâce.

Les convives de ma table s’extasient en buvant le Château Clos Fourtet 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1950 qu’ils jugent très nettement au-dessus du Saint-Emilion précédent, avec une typicité forte. Hélas, le vin m’a été servi dans un verre qui sent le verre et je ne peux pas en profiter autant. Quand nous avons voté pour les cinq bordeaux rouges de notre table je suis le seul à avoir mis le Toinet Tauzin devant le Clos Fourtet, mais un quart d’heure plus tard, l’odeur de verre ayant disparu j’ai pu constater la richesse de trame, le goût de truffe de ce puissant Clos Fourtet.

Le Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948 est d’une grande instabilité. Par moment je trouve en lieu la noblesse qu’il peut avoir et à d’autres moments, je vois un vin fatigué, légèrement torréfié par un vieillissement excessif. Il sera diversement apprécié aux trois tables, l’une des tables ayant une bonne bouteille.

Dans nos votes de table sur les cinq bordeaux, le Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955 fera l’unanimité. Tous le noteront premier. C’est en effet un pomerol frais, facile, fluide mais expressif. C’est un vin que l’on boit avec plaisir, sans trace d’âge, fringant comme un vin de quinze ans. Il est adorable en tous points. Le classement en cours de route portant uniquement sur les bordeaux couronne L’Evangile 1955 puis le Clos Fourtet 1950 puis le Saint-Martin 1964 qui pourrait être ex aequo avec le Toinet Tauzin 1950. C’est globalement une très belle série de bordeaux.

Le Pommard Pierre Hugot négociant 1947 est un très joli vin qui profite pleinement d’une année légendaire. Il a toute la force d’expression de 1947. Il a le charme sensuel de la Bourgogne, très féminin. Ce n’est pas un vin puissant mais il est très agréable à boire.

L’Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1957 au moment où je le bois m’offre une esquisse sympathique d’un vin du domaine. Et puis, tout se referme. Le vin devient pataud, lourd. On cherche, mais vainement, à lui trouver des qualités. La plus grande surprise pour moi est qu’à l’ouverture, c’est ce vin qui surclassait les deux autres vins du domaine, et maintenant les deux Grands Echézeaux 1956 brillent aux deux tables voisines. J’ai gouté l’un des deux, qui a toutes les belles caractéristiques des vins du domaine, avec cette élégance subtile qui n’appartient qu’à lui.

Le Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943 est une grande surprise positive. Les trois bouteilles avaient des niveaux assez bas qui n’ont pas d’influence sur le goût. Aux trois tables on a apprécié ce vin solide et carré, de belle présence et force de caractère. C’est un grand vin chaleureux et puissant.

Le Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Pierre Damoy 1961 est une valeur sûre qui ne me trahit jamais. Ce 1961 est indestructible. Il est l’expression d’une force tranquille avec un charme parfaitement dosé. Il est d’une belle longueur.

Le Crozes-Hermitage Domaine de Thalabert Paul Jaboulet Aîné 1953 a une affreuse couleur rose de vin trouble. Je sens à peine, je ne cherche même pas à le goûter. Il est mort et je n’insiste pas.

Le Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947 qui pour ses trois bouteilles m’avait offert des parfums imprécis et peu plaisants est moins triste que ce que je redoutais, mais on est loin du vin glorieux et conquérant dont je suis si fier. Il y a bien les marqueurs que sont le cacao et le café, mais le vin manque de rythme.

Je suis aussi déçu par les trois bouteilles du Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943. Le vin n’est pas mauvais, mais il est légèrement poussiéreux et manque de vivacité.

Trompettes de la Renommée, apparaissez maintenant, car le Château d’Arche GCC Sauternes 1969 est absolument divin. Le vin est quasiment noir, ce qui est un peu en avance pour un vin de cet âge mais il a tout d’un vin éblouissant, gras, intense, à la longueur infinie, avec des myriades de fruits confits délicieux. Il est dans la même veine que le Suduiraut 1926 sublime que j’ai fait goûter récemment à Vinapogée. On est dans l’aristocratie du sauternes. C’est pour moi le plus grand vin de la soirée.

Le Château d’Yquem Sauternes 1984 est très agréable à boire, même après le puissant Château d’Arche, car il est gracieux et porte dignement tous les marqueurs de ce vin emblématique, noblesse, longueur et raffinement. Les trois bouteilles ont été honorées, d’autant que pour beaucoup c’était leur premier Yquem.

Mon classement des vins de ce dîner serait : 1 – Château d’Arche Sauternes 1969, 2 – Château L’Evangile Pomerol 1955, 3 – Champagne Verzenay J. Busin 1955, 4 – Clos Des Lambrays 1943, 5 – Pommard Pierre Hugot 1947, 6 – Champagne Pommery années 60, 7 – Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80, 8 – Château Carbonnieux Blanc 1966, 9 – Château d’Yquem Sauternes 1984, 10 – Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Pierre Damoy 1961, 11 – Clos Toinet Tauzin Saint-Emilion 1950, 12 – Château Saint- Martin Médoc 1964.

La qualité de ces douze vins permet de dire que ce dîner est une réussite, mais je ne peux pas m’empêcher de penser aux vins qui n’étaient pas au rendez-vous, ce qui me fait toujours souffrir, car j’aimerais que mes vins soient parfaits. Il est probable que j’ai voulu trop en faire. J’ai mis 17 ou 18 vins par table en acceptant qu’il y ait des vins qui soient de qualité moindre, pour faire découvrir le monde des vins anciens tel qu’il est. En fait j’aurais dû m’en tenir à treize vins par table en étant plus sélectif sur la qualité. Mais est-ce si sûr car les surprises ont joué dans les deux sens, certains vins que je croyais faibles ont brillé et certains vins en lesquels je plaçais ma confiance n’ont pas été au rendez-vous.

Le menu a été exécuté de belle façon, les plats goûteux trouvant leur place dans le déroulement au rythme soutenu du service des vins

De ce que j’ai ressenti, cette expérience absolument nouvelle pour beaucoup, d’immersion dans le monde des vins anciens, a été bien vécue. Les sourires et les compliments reçus ont de quoi me réconforter. Mais je suis perfectionniste, je ne serai jamais totalement satisfait, ce qui ne m’empêche pas de désirer au plus vite une nouvelle expérience.

 

la préparation des vins dans ma cave

vins du groupe 1 (le vin du domaine de la Romanée Conti n’est pas sur la photo en cave mais sur la photo de groupe au restaurant)

Champagne Pommery années 60

Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80

Champagne Verzenay J. Busin Grand 1er Cru Classé 1955

Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966

Crozes-Hermitage Domaine de Thalabert Paul Jaboulet Aîné 1953

Château Saint- Martin  Médoc 1964

Clos Toinet Tauzin Saint-Emilion 1950

Château Clos Fourtet 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1950

Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948

Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955

Pommard Pierre Hugot négociant 1947

Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1957

Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943

Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Pierre Damoy 1961

Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947

Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943

Château d’Arche GCC Sauternes 1969

Château d’Yquem  Sauternes 1984

 

vins du groupe 2 (le vin du domaine de la Romanée Conti n’est pas sur la photo en cave mais sur la photo de groupe au restaurant)

Champagne Pommery années 60

Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80

Champagne Verzenay J. Busin Grand 1er Cru Classé 1955

Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966

Agneau Blanc Sélection Rothschild Graves Supérieures 1943

Château Saint- Martin  Médoc 1964

Château Trotte Vieille  1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1967

Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955

Château Clos Fourtet 1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1950

Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948

Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943

Grands Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1956

Côtes du Rhône Parallèle « 45 » Paul Jaboulet Aîné 1959

Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947

Château de Malagar 1ères Côtes de Bordeaux 1966

Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943

Château d’Yquem  Sauternes 1984

 

vins du groupe 3 (le vin du domaine de la Romanée Conti n’est pas sur la photo en cave mais sur la photo de groupe au restaurant)

Champagne Pommery années 60

Champagne Pâques Gaumont à Trépail Brut années 80

Champagne René Renard à Avenay près Ay Brut années 50

Château Carbonnieux Blanc Grand Cru Classé Léognan 1966

Meursault Patriarche Père & Fils 1942

Château Saint- Martin  Médoc 1964

Château Haut Cadet 1er Cru St Emilion Renversez et Bernard #1960

Château L’Evangile Pomerol Hanappier 1955

Château Trotte Vieille  1er Grand Cru Classé Saint-Emilion 1967

Château La Mission Haut Brion Grand Premier Cru de Graves 1948

Chassagne-Montrachet Boudriottes Domaine Marcel Toinet 1972

Grands Echézeaux Grand Cru Domaine de la Romanée Conti 1956

Clos Des Lambrays 1er Cru Monopole 1943

Le Corton Château De Beaune Bouchard Père & Fils 1966

Royal Kébir Frédéric Lung rouge 1947

Haut Sauternes J. B . Guillaume 1943

Château d’Yquem  Sauternes 1984

les photos des groupes prises au restaurant

groupe 1

groupe 2

groupe 3

les trois groupes en vue plongeante

les bouchons

le repas

le menu

 

Dîner improvisé avec mon fils mercredi, 20 décembre 2017

Mon fils devait dîner chez un de ses amis d’enfance et je devais faire une pause alimentaire après des repas rapprochés. Mais l’ami de mon fils étant souffrant, j’apprends que mon fils sera présent avec ma femme et moi ce soir. Il arrive avec un bocal de foie gras, du pain et un sachet de gâteaux. La pause sera un autre jour.

Nous allons commencer par du saumon fumé de belle qualité, bien gras, puis le foie gras que mon fils vient d’apporter, puis un camembert Moulin de Carel idéalement fait et après un intermède salade et champignons de Paris, nous finirons avec un peu de mangue et les gâteaux plombés de calories.

Le Champagne Salon 1988 a un beau bouchon qui vient sans trop de difficulté. La bulle est très active, la couleur est à peine dorée. Dès la première gorgée, on sait que l’on est face à un vin d’exception. Ce champagne est une évidence et on serait bien en peine de le décrire. Il est vineux, puissant mais il a aussi un équilibre qui le rend doux. Je perçois des fruits de couleur orange et cet orange est parfait comme les oranges des corps peints par Modigliani. Il est percutant, à la longueur extrême et n’apporte que du bonheur. Avec mon fils, nous jouissons de ce champagne parfait dont toutes les pièces sont assemblées dans une construction idéale. Le mot qui vient à l’esprit avec ce champagne est le mot « évidence ». Ce champagne est une évidence. Il est à un moment de sa vie où tout est assemblé, d’un équilibre parfait. Il est complet.

Et le plaisir est amplifié par le fait que ce dîner n’était pas programmé.

Déjeuner au restaurant La Réserve mardi, 19 décembre 2017

Avec un ami très impliqué dans le domaine du voyage et fidèle de mes dîners nous déjeunons au restaurant La Réserve qui est attaché à l’hôtel du même nom et appartient à Michel Reybier, propriétaire entre autres de Cos d’Estournel. Le lieu est celui de l’ex-Résidence Maxim’s qui appartenait à Pierre Cardin. Tout a été transformé et respire le luxe. La décoration du restaurant gastronomique est très tendance. Les décorateurs et architectes ont dû avoir carte blanche.

Je demande la carte des vins et il me faudrait des sels et une bonbonne d’oxygène pour éviter de m’évanouir tant certains prix sont monstrueusement élevés. Avec le prix d’un Pétrus 2000 on pourrait s’offrir une voiture très convenable. L’absurde est atteint avec les prix de Cos d’Estournel qui est pourtant le vin du propriétaire des lieux. L’erreur est la même que pour le restaurant Clarence qui appartient au propriétaire de Haut-Brion. On ne peut pas commander un Haut-Brion au Clarence. On ne peut pas commander un Cos d’Estournel à La Réserve. Peut-on ne viser que la clientèle pour laquelle le prix n’a aucune importance ? Devrais-je payer pour Cos d’Estournel 1982 plus de dix fois le prix que je pourrais trouver ? Il y a bien sûr ici et là quelques bonnes pioches, mais cette carte des vins est résolument tournée vers les clients qui ne demandent même pas le prix.

Dans les relativement bonnes pioches je choisis le Champagne Pierre Péters Les Chétillons Blanc de Blancs 2008. Ce champagne n’a pas l’ampleur du 2000 que j’ai bu récemment, mais bon sang ne peut mentir, c’est un très grand champagne auquel le temps va apporter beaucoup. Sa pureté et sa fluidité lui donnent un charme gourmand.

Nous prenons le menu du déjeuner à trois plats et non à quatre car il faut ensuite travailler : terrine de gibiers, betteraves au raifort / filet de rouget aux coquillages, chou-fleur en sabayon / pomme reinette cuite en croûte de sucre, yuzu et vanille.

Les trois petits amuse-bouche sont délicieux. Une chips au riz soufflé est très salée. Avant de démarrer le menu, on nous apporte un autre amuse-bouche au champignon et ensuite une préparation à l’artichaut elle-même trop salée.

L’entrée de terrine est joliment accompagnée de betteraves très agréables, mais la croûte de la terrine est un peu lourde, ce qui est souvent le cas. C’est quand est servi le rouget qu’un sourire barre ma face, car il est goûteux et parfaitement cuit. Voilà un joli plat. Le dessert à la pomme est aussi délicieux et original.

Le service est celui d’une grande maison et on sent que la maison est bien tenue, mais il en fait peut-être un peu trop. L’envie d’être grand se sent. Je suis sûr qu’en devenant familier du lieu, j’oublierais tous ces détails auxquels je suis plus sensible puisque c’est la première fois que je viens.

Le cadre est beau et agréable, le service est attentif. Il faut revenir en ce lieu pour une autre expérience. Je croyais être l’invitant et je fus l’invité. Merci ami.

sur les serviettes, l’éléphant emblème du Cos d’Estournel

Repas dominicaux avec mes trois enfants mardi, 19 décembre 2017

Mon fils ne sera pas présent en France le jour de Noël aussi mes deux filles et leurs enfants sont invités le dimanche qui précède Noël. Leurs obligations personnelles empêcheront que nous soyons tous ensemble réunis. Ma fille aînée sera présente au déjeuner et ma fille cadette au dîner.

Pour l’apéritif du déjeuner j’ai prévu un Pavillon Blanc de Château Margaux sans année qui doit avoir une quarantaine d’années si on se fie au bouchon et à la couleur ambrée. Il est d’avant 1978 puisque ce vin n’a été millésimé qu’à partir de 1978, même si des années comme 1928 et 1929 ont été millésimées. Le premier contact avec le vin un peu froid laisse penser que le vin est madérisé, mais dès que le vin s’épanouit dans le verre on voit apparaître du fruit, et une belle ampleur qui le rendent fort agréable. Il n’est pas parfait mais significativement bon et de belle construction avec un fruit appréciable.

Nous mangeons du jambon Pata Negra qu’on enroule sur des gressins et du houmous que ma femme a rafraîchi par des grains de grenade. Il y a aussi des petits dés de mimolette.

Le plat principal est de l’osso bucco servi avec des tagliatelles. J’hésite entre blanc et rouge et je choisis d’essayer les deux. Nous commençons par un Pouilly-Fuissé Debaix Frères 1961. Sa couleur est foncée et le vin montre des signes de fatigue qui font que nous n’allons pas longtemps insister. Il est buvable, mais n’a pas assez de personnalité.

J’ai ouvert il y a deux heures un vin qui fait partie des vins que j’ai achetés il y a environ quarante ans et se révèlent brillants. C’est un Santenay Gravières Jessiaume Père & Fils 1928 au niveau très proche du bouchon, à 3 centimètres ce qui est extraordinaire pour cet âge. Le nez à l’ouverture promettait des merveilles.

Le vin est servi à l’aveugle et mes enfants, devant la puissance exposée, pensent à des vins étrangers ou du sud. Ma fille aînée pense à une Côte Rôtie et suggère 1974. Mon fils, imaginant que c’est très ancien, propose une année bien antérieure à ce qu’il ressent et annonce un vin espagnol de 1955. Or c’est un Santenay de 1928. Ce vin ne semble pas touché par l’âge et ce qui frappe c’est que du début à la fin de la dégustation, il ne va pas changer d’un pouce. Il semble avoir trouvé un équilibre qu’il ne quittera pas. Ce qui me frappe, c’est la tension de ce vin qui est vif, cinglant, avec un beau fruit présent et une acidité dosée qui lui donne de la fraîcheur. Nous nageons dans l’irréel. Et je ne peux pas m’empêcher de penser que je viens d’ouvrir à deux jours d’intervalles un Corton Clos du Roi 1929 et un Santenay Gravières 1928 et que les deux ont atteint une sérénité qui semble éternelle et immuable. Ils ont atteint un équilibre qui se révèle indestructible. Dans mon livre paru en 2004 j’estimais que les années 1928 et 1929 sont deux immenses années aux vins d’une solidité inattaquable. J’en ai une fois de plus la démonstration avec ces deux vins brillantissimes.

Je garde un peu de chaque vin pour ma fille cadette qui viendra dîner. Il faut donc un autre rouge et j’ouvre sur l’instant sortant de la cave froide un Vega Sicilia Unico Reserva Especial fait avec un assemblage des millésimes 2003 – 2004 – 2006. Ce vin a été mis sur le marché en 2017. Le contraste avec le 1928 est évident. Le nez regorge de cassis et de jeunesse. On dirait un 2012. En bouche il n’est pas vraiment Vega Sicilia Unico. Il fait trop jeune, trop jeune fou. Mais il est diablement passionnant, juteux, fruité et élégant. Nous le garderons pour ce soir. Le dessert d’ananas Victoria en dés se mange en buvant de l’eau.

Le dessert est accompagné d’un gâteau diabolique, un Christstollen dont la pâte est fourrée de raisins secs et de pâte d’amande, est arrosée de rhum et saupoudrée d’une fine couche de sucre glace. Il est impossible de ne pas succomber.

Ma fille cadette fait suite à sa sœur comme dans le théâtre de boulevard où les personnages ne se rencontrent jamais. Le repas aura le même profil que celui du déjeuner. Il restait un peu du magnum de Champagne La Grande Dame Veuve Clicquot 1985 ouvert il y a deux jours que ma fille trouve à son goût. Pendant qu’elle en profite j’ouvre pour mon fils et moi un Champagne Krug 1989. Le pschitt me surprend par sa force. La couleur est un peu ambrée mais le champagne n’a pas l’ombre d’une trace d’âge. Quand je pense qu’on estimait que les champagnes devaient se boire dans les dix ans ! Ce champagne de 28 ans a plus d’énergie que des champagnes beaucoup plus jeunes. Il est riche complet et carré. Il est masculin, guerrier. Goûtant le Veuve Clicquot qui semble ne pas être affecté d’être resté deux jours après son ouverture, je lui trouve plus de charme qu’au Krug parce qu’il est plus féminin, mais le Krug est grand aussi.

Nous goûtons ensuite les dernières gouttes du Santenay Gravières Jessiaume Père & Fils 1928 de ce midi. Il a toujours la tension que j’avais alors remarquée mais il y ajoute un velours extrême. Sa douceur est prodigieuse. Ce vin riche est un miracle. La lie m’enchante au plus au point, concentré de velours.

C’est le tour du Vega Sicilia Unico Reserva Especial et je suis subjugué. Ce vin ne ressemble pas du tout à un Vega Sicilia Unico. Il est gracile, frêle, mais il a les frémissements d’une ballerine. Tout est gracieux, suggéré, d’une rare finesse. J’ai l’impression d’entendre le message d’un ange. C’est le bruit d’un bébé qui tète. Comment ce vin puissant d’Espagne peut-il être aussi délicat ? C’est un enchantement.

Le seul changement entre le déjeuner et le dîner est que le dessert au lieu d’être seulement de l’ananas Victoria a été associé à une mangue bien mûre. Et l’association est d’un bel effet. Avoir mes enfants et quatre des six petits-enfants une semaine avant Noël, c’est en avance un très beau cadeau.

le dîner

Dîner de famille dimanche, 17 décembre 2017

Mon fils vient de Miami et son séjour sera le dernier avant Noël et le jour de l’an. Alors que le traditionnel premier repas est fait de jambon Pata Negra, de fromages et de meringues chocolatées ce sera un soir de caviar. Le caviar osciètre Kaviari est très agréable car il allie un beau gras, une salinité contrôlée et une longueur extrême. Nous le mangeons avec une baguette et du beurre Bordier mais je préfère le caviar avec la baguette sans le beurre.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame magnum 1985 a une bulle très active. La couleur est d’un jaune clair. Le champagne est très actif, vif, confortable. Il n’a pas la tension du Substance de Selosse bu il y a deux jours sur le même caviar mais son équilibre serein convient bien au caviar. C’est un très bon champagne qui n’a pas d’âge, tant il a de vitalité.

Un camembert bio fermier « du Champ secret » est bien affiné mais il délivre une assez forte amertume qui limite le plaisir. J’ai gardé le reste de la bouteille bue ce midi de Bâtard-Montrachet Louis Latour 1986 que mon fils adore, fruité, opulent et de belle fluidité. Il a profité de quelques heures d’oxygénation de plus pour son plus grand profit.

Le dessert est une assiette de tranches de mangue idéalement mûre. Ce repas où le caviar fut généreux est une bonne façon de fêter Noël à l’avance puisque nous ne serons pas ensemble le « vrai » jour de Noël.

Déjeuner au restaurant Pages avec le vainqueur de l’énigme Vénus de Milo vendredi, 15 décembre 2017

Le sujet qui va suivre, s’il faut lui donner un titre, sera nommé : « de l’intérêt de gagner mes énigmes ». Le lecteur remarquera évidemment qu’il s’agit de le titiller et de l’inciter à gagner les prochaines énigmes. Rappelons les faits. Je lance une énigme sur la Vénus de Milo et un lecteur hasarde une hypothèse pour aussitôt la balayer comme improbable. C’était la bonne, ce qui a amplifié mon plaisir d’avoir posé une énigme que l’on ne trouve qu’en en écartant l’hypothèse.

Par le plus grand des hasards l’heureux gagnant est un assidu de l’académie des vins anciens et de plus, un des plus généreux. Aussi, alors qu’il a gagné, le voilà qui me propose d’apporter trois vins en complément du vin qui est le prix de sa découverte. Je me permets bien humblement de lui rappeler que le gagnant c’est lui et non pas moi, mais j’ajoute : tu fais ce que tu veux.

Le rendez-vous est pris au restaurant Pages où nous avons déjà déjeuné ensemble, et il est convenu que chacun de nous viendra à l’heure qui lui convient pour ouvrir ses bouteilles. Lorsque j’arrive à 11 heures, Romain a déjà ouvert ses deux vins. Le prix qu’il a gagné est de partager avec moi un Haut-Brion 1970. Mais Romain est si généreux que j’ai envie qu’il découvre un vin exceptionnel. Aussi par une théorie des compensations « à ma façon » (en français dans le texte), je prends une bouteille de Haut-Brion de niveau moyen, du genre mi-épaule, bien que les Haut-Brion n’aient pas d’épaule du fait de la forme particulière de leur bouteille, et je prends un vin que je chéris au plus haut point. Et j’ai dans ma musette deux autres surprises.

J’ouvre mes vins. Le Château Haut-Brion 1970 a un bouchon qui vient entier mais qui est gras. Il faut donc avec mes doigts essuyer l’intérieur du goulot qui est aussi gras. Le nez n’est pas parfait mais il annonce de belles promesses. C’est la truffe qui domine dans son parfum intense.

Le Corton Clos du Roi A. Montoy 1929 au niveau très haut a un bouchon qui vient aussi entier. Son parfum est une promesse divine. Je sens que nous allons être en face d’une merveille.

A 11h15 tout est ouvert et le restaurant ne l’est pas encore. Je demande au chef Teshi des Edamames, car c’est une tradition lorsque j’ai ouvert les vins d’un repas chez Pages d’en grignoter, qu’il va chercher au bistrot d’à-côté. Lorsque nous pouvons montrer que nous sommes là, je demande à Thibault de nous servir le Champagne Krug Private Cuvée Brut Réserve probablement des années 60 que Romain a apporté en m’ayant dit : « il n’y a qu’avec vous que je peux boire un tel champagne qui a perdu près de la moitié de son volume. D’autres ne le comprendraient pas ». Lorsque l’on verse les premières gouttes de ce champagne, l’impression est peu flatteuse, car le vin est gris, foncé, peu engageant. En le goûtant, en faisant abstraction de tout ce qui pourrait gêner, on sent qu’il y a un champagne qui ne demande qu’à s’exprimer, dès qu’il va éliminer cette gangue de vieillesse. Alors soyons patients. L’accord Edamame et Krug ne se fait pas car ce haricot réclame une ‘bonne’ bière plutôt qu’un champagne. Mais nous grignotons quand même. Romain, et je le rejoins, pense qu’il faut garder le Krug pour la fin du repas et il propose que nous prenions un champagne à la carte du restaurant, malgré tout ce qui nous attend. Il commande un Champagne Version Originale (V.O.) Jacques Selosse dégorgé le 22 septembre 2016, jour d’équinoxe. Le champagne est agréable, mais du fait d’un dégorgement trop récent, il manque un peu de vivacité, surtout si je pense au spectaculaire Substance dégorgé en juillet 2013 qui avait été sublime.

L’amuse-bouche est constitué de trois petites portions accompagnées d’une infusion de salsifis. L’infusion n’aura qu’un succès d’estime, car elle ne crée pas de vraie vibration. La première bouchée a tout d’un oignon mais en fait c’est un morceau de betterave, doux et sucré. La deuxième bouchée est un poisson délicieux qui s’accorde avec le V.O. de façon magistrale. La troisième est noire, sans doute un morceau de viande, de mâche curieuse mais bonne qui appellerait un vin. Cet amuse-bouche me plait par l’originalité des goûts.

Le premier plat est le plat classique de deux caviars que l’on roule dans des crêpes avec des petites tiges de ciboulette. Le premier est plutôt gris, au joli grain, provenant d’une région qui doit être, si ma mémoire est bonne entre Chine et Sibérie. Le second, plus noir, de loin mon préféré, est de Sologne. Il est vif et précis. Il n’a pas le gras que j’ai trouvé et aimé dans l’osciètre de Kaviari. Ce plat emblématique est délicieux et le champagne V.O. est compétent mais montre qu’il n’a pas la vibration que l’on pourrait souhaiter.

Nous avons ensuite, présenté sur une omoplate de bœuf, un carpaccio de bœuf Ozaki qui appelle, avec une évidence absolue le second vin de Romain, le Bâtard-Montrachet Louis Latour 1986. Le vin est superbe, joyeux et franc, sans chichi et ce qui me plait le plus c’est qu’il ne cherche pas à surjouer. Il est franc et c’est le principal. J’ai trouvé que le carpaccio travaillé au fumoir perd un peu de la spontanéité d’un carpaccio. Je l’aurais préféré – et le vin aussi – dans la pureté du carpaccio.

Le plat suivant est un risotto avec des coquilles Saint-Jacques crues. Et c’est incroyable de constater ce que le risotto apporte à la coquille qui, seule, n’a pas le même talent. Et il apparaît de façon évidente que ce plat appelle le Krug. Et le miracle, c’est que le Krug devient brillantissime avec ce plat. C’est une résurrection que l’on pourrait raconter cent fois sans convaincre, tant qu’on ne l’a pas vécue. Nous vivons un miracle. Le Krug blessé est éblouissant avec une râpe franche et une vivacité sans pareille.

Il y a ensuite un cromesquis de foie gras qui est plus un exercice de style qu’un plat gourmand. Nous ne voyons aucun vin qui pourrait l’accompagner. Sa sauce appelle le Selosse.

Le plat suivant est une tranche de cabillaud cuite comme je l’ai demandée, dans sa pureté avec une petite sauce viande. Fort curieusement ce plat est servi dans une assiette bleue et noire qui inhibe la vibration du poisson, du moins pour moi. Nous prenons le Bâtard Montrachet mais ça ne colle pas. Une évidence m’apparaît : « bon sang, mais c’est bien sûr » c’est le Haut-Brion qu’il nous faut.

Le Château Haut-Brion 1970 va faire comme le Krug une remontée ascensionnelle extraordinaire. Bu sur les premières gorgées, on sent la truffe, un grain très riche et une présence très belle, mais un voile de poussière qui donne un petit goût de vieux. C’est sur le cabillaud.

Mais lorsqu’arrive le veau aérien, tout défaut disparaît et le vin, le premier Haut-Brion pour Romain, devient parfait avec une truffe précise, un grain de plomb tant le vin est riche et un finale qui ne s’éteint jamais. Ce n’est que du bonheur et l’aération prouve, une fois de plus qu’elle est capable de miracles. Et ce veau qu’on croirait voir voler tant il est aérien en bouche est l’accompagnateur absolu de ce grand vin.

Le grand classique du restaurant c’est le trio des viandes de bœuf, de Normandie, de Galice et d’Ozaki. Le Corton Clos du Roi A. Montoy 1929 quand il est servi a une couleur d’un rouge d’une jeunesse extrême. Le nez est parfait et la bouche est d’une insolente perfection. Il y a dans ce vin du velours, une salinité bien dosée et il y a même un beau fruit rouge. Mais ce qui frappe le plus, c’est que ce vin est éternel. Tout au long de sa dégustation, ce vin n’a pas bougé d’un gramme, parfait de la première à la dernière goutte. Et surtout, on se dit que si l’on ouvrait ce vin dans vingt ans, on aurait le même vin car il a atteint une plénitude absolue.

Alors, ce vin est d’une magnitude incommensurable par rapport au Haut-Brion. On est en face du vin absolu, celui qui est le rêve de tout amateur. C’est avec le bœuf de Normandie que l’accord a été le plus pertinent, car le gras de l’Ozaki n’est pas adapté à ce vin. Quand Naoko, l’épouse de Teshi a demandé si nous voulions du fromage pour accompagner le reste du 1929 il était évident de dire non, pour que nous finissions ce vin à la grâce pure et absolue pour lui-même, comme on le ferait d’une liqueur. Rencontrer de tels vins est ma passion. Romain en a profité et j’en suis heureux.

J’avais dans ma musette le reste du Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897 que j’avais fait goûter lors du dîner de vignerons. Et je suis obligé de dire que si le Corton 1929 est au sommet de la hiérarchie du vin, il faut inventer une huitième ou une neuvième dimension pour savoir où situer ce muscat. C’est invraisemblable. Il a de la rose, des fruits blancs et des fleurs blanches et une délicatesse comme des pétales de rose alors que c’est un vin doux naturel. On arrive au-delà de toute limite gustative à un niveau de paradis puissance dix.

A côté, le reste du Maury 1937 que j’avais présenté au salon Vinapogée est délicieusement gentil mais fait revenir sur terre. Et par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux gens chanceux, le dessert au chocolat, absolument délicieux, semble avoir été fait pour le Maury 1937.

Romain a un train à prendre car il dîne ce soir chez Bocuse. J’ai moi-même ce soir un dîner avec mon fils qui arrive de Miami. Cela ne doit pas nous empêcher de penser que nous avons vécu un moment de grâce absolue avec un Corton 1929 qui est l’expression absolue du vin rouge à maturité éternelle, et parce que nous avons vu des résurrections incroyables avec un Krug blessé et un Haut-Brion un peu claudiquant qui ont su donner le meilleur d’eux-mêmes, comme si de rien n’était. Et les dernières larmes du Muscat 1897 sont la preuve que quand on croit avoir bu l’ultime de l’ultime, il existe encore un Olympe au-dessus de l’Olympe. Quel beau repas !

N’oubliez pas les prochaines énigmes !

la couleur du 1929

apéritif

amuse-bouche

repas