Le dîner du 14 août est prévu chez des amis qui participent à nos agapes du sud. Je vais ouvrir les vins à 17 heures chez eux et j’apporte des verres en supplément, car ce soir il va en falloir. Parmi les parfums d’ouverture, le plus brillant est celui d’Harlan Estate et les plus discrets ceux des deux Grange des Pères.
Des amis qui venaient en voiture d’un séjour en Gironde ont quelque retard aussi est-ce après 20h30 que nous nous présentons chez les amis. Le Champagne Egly-Ouriet Blanc de Noirs a un nez très charmant qui évoque le lilas blancs et en bouche il suggère des fruits pâles comme la groseille blanche. Ce champagne est subtil et frais. Il se plait avec du Pata Negra et diverses cochonnailles de porc espagnol.
Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1995 ne fait quasiment pas de pschitt mais sa bulle est bien présente lorsqu’on le verse dans le verre. Sa couleur est déjà ambrée. Au nez comme en bouche il se présente comme un champagne beaucoup plus ancien que 1995. Il est expressif et vineux, avec un goût de thé. Il est très vivement excité par des tartines de foie gras poêlé au poivre du Cameroun, mais on sent qu’il manque de finale et de cohésion. Agréable bien sûr, il n’est pas au niveau des grands Clos des Goisses.
Sur des tagliatelles aux coquilles Saint-Jacques, le Montrachet Ramonet 2000 est brillant. Son nez est une douceur extrême annonçant des subtilités rares. Le vin est très minéral, citronné, avec poivre et épices. La truffe abondamment distribuée sur les pâtes propulse ce grand Montrachet, précis, pur, racé. La truffe illumine le vin. On le voit comme une évidence, vin d’une noblesse rare. Ce sera le gagnant du repas.
Nous allons avoir maintenant deux séries de trois vins rouges et il convient d’expliquer le fil conducteur. Le vin Grange des Pères, vin de pays de l’Hérault, jouit d’une belle réputation d’excellence. Ne l’ayant goûté qu’une fois, j’ai voulu pousser ma curiosité plus loin, aussi en ai-je acheté de plusieurs millésimes, avec l’envie d’essayer de le comprendre. Ce sera l’un des thèmes des dîners du 14 et du 15 que de comparer quelques millésimes de Granges des Pères avec des vins que j’apprécie, des mêmes millésimes.
La première série est de trois vins, servis sur un cochon de lait accompagné de pommes de terre sautées, d’une farce et de patates douces. Le Grange des Pères, vin de pays de l’Hérault 2005 a un très joli nez, très doux. Le vin est opulent, racé, vif et râpeux, mais au finale un peu court.
La Côte Rôtie La Landonne Guigal 2005 a un nez calme. En bouche, ce vin est d’une richesse extrême, profond, hyper généreux.
Le Sassicaia Bolgheri 2005 a un nez velouté, racé, avec une bouche gourmande, de la force et un final un peu rêche.
Le Grange des Pères a des fruits sur-mûris, évoquant des mûres mais aussi des fruits compotés, et sur la viande a un petit côté perlant. La Landonne est fluide et cohérente, un peu fumée, grand vin noble et grandiose, charmeur au finale tout en velours, soyeux. Le Sassicaia joue plus en dedans, très bien construit mais pas assez ouvert.
Le Grange des Pères a une attaque très belle, très flatteuse, mais c’est dans le finale que tout se désagrège, finale trop rêche et peu structuré. Au point que le contraste avec La Landonne met en lumière son manque de structure. Un convive de la table dit que chacun des vins pris seul serait un vin immense mais la confrontation exacerbe les différences.
Le Sassicaia, très italien, tout en charme, a un bel équilibre. C’est un grand vin qui manque un peu de panache. Mais une impression fugace de violette dans le finale me l’a rendu plus sympathique.
Nous sommes six à voter. La Landonne est cinq fois première et une fois seconde, le Sassicaia est cinq fois deuxième et une fois troisième et Grange des Pères est cinq fois troisième et une fois première. Comme le fait remarquer un ami, l’écart de La Landonne avec les deux autres est très important, alors que Sassicaia et Grange des Pères sont très proches.
Ce qui gêne dans Grange des Pères au-delà du petit côté perlant, c’est le côté déstructuré et le final court. Le Sassicaia est joli mais trop conventionnel et donnant moins d’émotion que La Landonne qui surclasse les deux autres, par son charme, son équilibre et son final glorieux.
C’est avec la farce que le Grange des Pères est le plus plaisant.
La série suivante de trois vins est sur le fromage, ce qui n’est peut-être pas le meilleur moyen de comparer les vins, aussi avons-nous commencé à les boire sans rien.
Le Château de Pibarnon Bandol 2001 a un nez d’olive noire et de garrigue. Le Grange des Pères 2001 a un nez de miel d’acacia, de sirop et de crème surette, montrant qu’il n’est pas structuré. Le Harlan Estate Napa Valley 2001 qui avait à l’ouverture le nez le plus brillant a un nez riche, élégant et velours, un peu moins puissant qu’il y a six heures.
En bouche, le Pibarnon 2001 est tout doux, presque sucré, vin joyeux qui donne du bonheur. Le Grange des Pères a un petit côté déstructuré, acidulé d’alcool auquel on ajoute du jus de fruit. Le Harlan a une attaque toute en douceur et un finale très riche. Il a de telles complexités qu’il évoque des tas de choses. Je le vois assez proche de Vega Sicilia Unico, avec ses traces de moka et de café.
Le Grange des Pères va bien avec le munster qui le coordonne. Le Pibarnon est le plus naturellement à l’aise, très direct. Le Harlan est tout en douceur sur un fond de grande richesse.
Quelqu’un évoque le jus de sureau pour Grange des Pères nettement surclassé par Pibarnon, beaucoup plus à l’aise sur les fromages.
Nous votons et Harlan et Pibarnon sont ex-aequo avec trois votes de premier et trois votes de second. Le Grange des Pères a six votes de troisième. Nous attendrons demain pour savoir s’il s’agissait pour Grange des Pères de problèmes de bouteilles ou si d’autres millésimes confirment le manque de structure par rapport aux jalons que nous avons posés. Un ami n’aime carrément pas le style Grange des Pères. Les autres, dont moi, sont plus nuancés, estimant que bu dans d’autres circonstances, ce vin aurait plus de chance.
Sur un cheesecake et une tarte au citron, le Champagne Agrapart 7 crus mis en bouteilles en mai 2012 est très joli, très fluide. Juste ce qu’il faut de fraîcheur pour conclure un magnifique dîner d’amitié dont les deux vedettes ont été le Montrachet Ramonet 2000 et La Landonne Guigal 2005, malgré sa folle jeunesse.