188ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 28 mai 2015

Le 188ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Nous serons six, en groupe restreint, et notre table est installée au rez-de-chaussée. En ce jour où l’on a panthéonisé quatre résistants en respectant la parité, notre table s’est mise au diapason puisqu’il y aura autant d’hommes que de femmes, pour un dîner républicain, oserais-je dire citoyen.

J’ouvre les bouteilles à partir de 17 heures. Les bouchons sont de belle qualité même s’ils se brisent, ce qui est normal pour des vins de plus d’un demi-siècle. Les parfums des vins à l’ouverture sont prometteurs. Celui du Coutet 1924 est un bonheur.

Les convives arrivent et je donne les dernières consignes avant l’envol du repas.

Le menu composé par Alain Solivérès est : langoustines croustillantes en aigre-doux / foie gras de canard des Landes, gelée au verjus / homard bleu en cocotte lutée / selle d’agneau de l’Aveyron, côtes et feuilles de blettes / pigeon de Racan aux girolles / alliance amandes et cerises.

Le Champagne Bollinger Grande Année 1992 est classique, confortable, sans folie. On pourrait lui reprocher un certain manque d’extravagance, mais son millésime le conduit à avoir ce classicisme. Il accompagne dignement les gougères et le jambon Pata Negra.

Le Champagne Dom Pérignon 1966 est mon chouchou. C’est, à mon sens, la plus belle année pour les Dom Pérignon des années postérieures à 1950. Dans le palais, le goût joue au ricochet. Ça commence par des fleurs roses et blanches, puis des fruits roses et rouges et ça finit par des fruits confits. Le vin au pétillant présent supporté par une bulle fine et discrète est fou de complexité. Il est charmeur. C’est un régal.

Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1992 est servi avant le plat, ce que je ne souhaite normalement pas, car le vin doit se boire avec son plat et non pas avec en bouche la mémoire du plat précédent. Il est discret, sérieux, d’un jaune clair magnifique. Dès que le plat est servi, c’est le jour et la nuit. Le parfum est profond, collant au fumet du plat et le vin s’anime. Il forme avec le homard un accord exceptionnel. Le homard étant lui-même délicieux et fortement goûteux, on nage dans la luxure.

Les deux bordeaux rouges sont servis ensemble. Le Château Margaux 1945 a un nez sublime. Tout en ce parfum est élégant, féminin, racé. Le nez du Château Latour 1947 est plus profond, plus lourd et plus riche. Et c’est confirmé en bouche. La Margaux a un charme, une séduction et une longueur qui sont extrêmes et il y a aussi une charpente de grand vin.

Le Latour est plus guerrier, riche, profond, porté vers la truffe, et sa longueur est infinie. Nous sommes face à deux expressions très différentes du grand vin de Bordeaux, au sommet de son art. Les deux sont de grande race, formant une juxtaposition féminin – masculin exactement comme au Panthéon nouvelle manière et à notre table. J’adore voir les airs surpris des nouveaux convives, qui n’imaginaient jamais que des vins « aussi vieux » pouvaient dégager tant de complexités et de grandeur. Bien malin celui qui pourrait dire lequel est le meilleur, tant ils sont au sommet de leur art dans des expressions opposées.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 est un petit bijou de douceur. Rond, équilibré, serein, il est adorable. Je l’attendais pour donner la réplique aux bordeaux, mais après tant de grandeur et de complexité, il a un peu de mal à se situer au même niveau. J’avais un bel espoir de confrontation, car j’aime ce 1962 qui n’a pas l’ombre d’un défaut, mais les Margaux et Latour sont trop exceptionnels. Pourtant, le pigeon superbe a donné un grand coup de fouet à ce bel Hermitage.

Le Château Coutet Barsac 1924 est d’une couleur ambrée très sombre. Dans le verre, cela devient de l’or. Le nez est complexe, avec les évocations de tous les fruits exotiques que l’on pourrait imaginer. Le vin est glorieux, au sucre intact, au gras certain, et, ce qui est agréable avec les liquoreux, c’est qu’on ne leur trouve pas un seul défaut.

Les yeux brillent à notre table, car les vins ont fait un sans-faute total. Il est temps de voter, à six convives pour quatre vins préférés sur les sept du programme. Six vins sur sept ont des votes, le Bollinger passé en premier ayant joué son rôle d’ouvreur.

Trois vins ont été déclarés premier, le Margaux trois fois, le Latour deux fois et le Dom Pérignon une fois. Influencé par les places de premier, j’ai déclaré le Margaux 1945 vainqueur mais en faisant le calcul, c’est le Coutet qui obtient la première place car il est le seul à figurer dans les six feuilles de votes, dont cinq fois en seconde place.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Coutet Barsac 1924, 2 – Château Margaux 1945, 3 – Château Latour 1947, 4 – Champagne Dom Pérignon 1966, 5 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962.

Mon vote est : 1 – Château Latour 1947, 2 – Château Coutet Barsac 1924, 3 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 4 – Château Margaux 1945.

Un repas à six est agréable car tout le monde converse avec tous. Deux plats émergent, le homard et le pigeon. Le service est toujours aussi prévenant. Pour nous faire plaisir, Jean-Marie Ancher nous a fait servir un Armagnac Comte de Boisséson 1947 très joyeux et fort de ses 44°. Une fois de plus la démonstration a été faite de la vivacité et de la grandeur des vins anciens.

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la couleur de la capsule du Latour varie selon l’éclairage

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Deux dîners avec mon fils mercredi, 27 mai 2015

Personne ne peut me procurer autant de plaisir que mon fils lorsqu’il s’agit de partager des vins. Aussi chaque moment compte puisqu’il vit très loin, aux Amériques. Malgré la fatigue du voyage en Suisse, je descends en cave pour chercher une bouteille. Je prends en main, au hasard, une bouteille sans étiquette. La petite étiquette d’année indique 1978 et la capsule indique clairement Henri Richard Propriétaire-Viticulteur, Gevrey-Chambertin. Je n’ai pas honte de dire que je ne connais pas.

Le niveau est beau et la couleur est belle. Comme un sourcier qui sent la présence de l’eau, je pressens que ce vin sera beau. Je l’ouvre et le parfum est envahissant et annonce une merveille. Le bouchon est d’une qualité superbe, qui rivaliserait avec celle des bouchons des plus grands domaines

Ma femme m’ayant entendu proclamer que ce soir ce serait diète n’a rien prévu de spécial. Tant pis, on s’arrange et le vin au fort parfum, dense, où la profondeur du vin se suggère, donne en bouche un message comme je les adore. Le message est râpeux, viril, sans concession. Pour mon goût, c’est la Bourgogne « bourguignonnante », paysanne, rugueuse, qui ne cherche pas à flatter mais séduit par son message authentique. C’est un vrai bonheur et secrètement, je me dis que mon flair n’est pas si mauvais. Là où j’en ai moins, de flair, c’est pour trouver le vin. Ce n’est plus un exercice auquel j’aime me livrer. De petites étincelles m’indiquent Echézeaux.

Après le dîner, avec mon fils, nous allons chercher en cave si des indices existent sur d’éventuelles sœurs de la bouteille que nous venons de boire. Et nous en trouvons. Il s’agit d’un Mazoyères-Chambertin Henri Richard 1978. Comment ces bouteilles ont-elles atterri dans ma cave, je ne sais pas. Toujours est-il que ce vin que j’appellerai paysan, évoquant le travail rude des vignerons, par sa râpe et sa rugosité, nous a donné un grand plaisir.

Le lendemain, mon fils me retrouve à l’endroit où se situe ma cave extérieure. Il prend des dizaines de photos pour alimenter ses rêves lorsqu’il sera de retour à Miami. Je lui lance : « ce soir, il faudrait être raisonnable ». Il me répond : « l’est-on vraiment ». Je vais une fois de plus au hasard et je choisis un vin qui doit être dans une forme totale d’accomplissement.

A la maison, c’est un poulet rôti au citron qui nous attend, le citron cuit ayant la bonne idée de ne pas être marquant. Le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1990 a un niveau qui colle quasiment au bouchon. Disons trois à quatre millimètres d’air. Le bouchon est superbe, d’une qualité et d’une élasticité parfaites. Le nez est un bonheur. Il annonce un vin soyeux et doux, il évoque sa puissance et sa complexité.

En bouche, mon fils considère que c’est le vin parfait et c’est vrai qu’il a atteint une maturité et une sérénité qui rendent tout facile, immédiatement élégant. On retient surtout le velours, la grâce, l’élégance, et cette fluidité de message qui n’appartient qu’aux vins bien faits. Il a 25 ans, et c’est à ce stade qu’il faut le boire. J’ai bu plusieurs 1990 de ce vin, mais jamais je n’ai eu cette impression de félicité. Bien sûr, le côté doux et velours de ce Beaucastel n’a rien de bourguignon, car c’est un authentique Châteauneuf-du-Pape mais par instants, je retrouve la complexité des grands bourgognes.

Le poulet est magique, la sauce est un péché qui devient mortel avec le vin. Je ne reverrai mon fils que dans six semaines. Nous avons eu des moments merveilleux pendant son séjour.

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l’étiquette est celle d’une autre bouteille

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Déjeuner en Suède avec deux beaux 1959 lundi, 25 mai 2015

Lorsque j’avais mis au point mon voyage en Suède, j’avais prévu un retour en avion assez tard dans l’après-midi du lendemain du dîner, pour avoir le temps de récupérer. La veille de mon départ, Robert me dit : « vous aurez le temps de déjeuner avant votre avion, voulez-vous rejoindre un groupe d’amis ? ». Sans réfléchir, je dis oui. Me voilà parti pour une nouvelle folie. C’est Ida qui va conduire Robert et moi, d’abord au bureau de Robert situé dans la ville de Gävle, où il rapporte les bouteilles vides d’hier et prend les vins du déjeuner, puis au restaurant Söders Källa normalement fermé le dimanche mais qui sera ouvert pour nous. Qui vois-je en entrant dans le restaurant ! L’équipe de tournage qui n’avait pas été autorisée à filmer le dîner d’hier pour préserver l’anonymat de quelques convives, mais aura la permission de filmer ce déjeuner.

Robert me demande de choisir les vins avec lui. J’ouvre à nouveau les vins pour ce repas à cinq, Ida, Robert, deux amis de Robert et moi. Vessna, l’amie de Robert, possède des restaurants, un bar pour sportifs et une boîte de nuit et va s’associer avec lui pour créer un bar à vins. Elle est stupéfaite de voir le soin que je prends pour ouvrir les vins et le plaisir que je trouve dans cet exercice d’accouchement des vins.

Le menu de onze services dont huit plats est écrit en suédois. Je n’en ai pas la traduction.

Le Champagne Georges Vesselle à Bouzy Collection Millésimes Grand Cru Brut 1998 est de très belle fraîcheur et je le trouve très agréable à boire. J’aime bien ce champagne direct, facile à boire, sans grande complexité mais franc.

Le Meursault Première Cuvée Maison Louis Latour 1953 a une couleur très ambrée. Il est objectivement très évolué mais il montre de plus en plus de qualités gastronomiques. Si l’on accepte qu’il ne représente pas la pureté d’un meursault, on comprend que c’est un autre objet de plaisir. Sur les langoustines et les coquilles Saint-Jacques, il se comporte à ravir.

Le Château Laroze Saint-Emilion 1959 a une belle pureté. C’est un vin immédiatement charmant et joliment flexible pour accompagner les plats. C’est un bonheur de boire de tels bordeaux.

Le Châteauneuf-du-Pape Domaine Charles Viénot 1959 montre des signes d’âge, mais sa puissance naturelle et ses complexités en font un vin très vibrant et entraînant. C’est des trois rouges celui que je préférerai.

Le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Cabernet Sauvignon 1983 aurait tout pour plaire, mais il ne l’a montré que peu de fois. Le plus souvent il est en retrait, comme bridé alors qu’il pourrait briller.

L’Extravagant de Doisy-Daëne Sauternes 2003 a une couleur d’un or glorieux. A l’attaque, le sucre gâche tout, car on ne sent que lui. Ce sucre dominant, c’est trop. Il a toutes les composantes pour être parfait car il est fait par un grand vigneron, mais il en fait trop, l’extravagance nuisant à l’élégance. Il se pourrait que dans cinquante ans, ce vin devienne sublime. Si j’avais l’éternité devant moi, j’essaierais volontiers d’en conserver.

La cuisine du chef, qui n’a travaillé que pour nous un jour de fermeture, mérite des encouragements, car il y a une volonté de mettre en valeur des produits locaux qui est appréciable. Les ingrédients sont bons mais il y a un manque de maturité car il y a des ajoutes de saveurs qui ne servent en rien le message et sont inutiles. Saluons la volonté d’excellence.

Robert a été d’une générosité exemplaire. Le dîner fut mémorable car certains vins font partie des légendes du vin. L’authenticité du goût de Tokaji 1866, l’originalité du Massandra 1905 et surtout le parfum inouï du Madère 1806 vont rejoindre mon Panthéon mémoriel. Ce fut un week-end inoubliable.

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le cameraman pose un micro à Robert

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le menu en suédois

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En Suède, invraisemblable dîners de vins anciens 1806, 1828, 1866, 1905 et autres lundi, 25 mai 2015

Robert (prononcez Roberte) est un amateur de vins suédois qui s’était inscrit à l’un de mes dîners. Il venait voir comment je procède car il organise lui aussi des dîners de vins anciens. Il vend du vin à des restaurants, possède un bar à vins à une petite heure au nord de Stockholm et il organise six ou sept dîners de vins anciens par an.

Robert m’invite à l’un de ses dîners et lorsque je vois qu’il y aura un Madère de 1806, l’hésitation n’est pas de mise. Robert a de moi une opinion qui est très probablement excessive car il organisé que l’on fasse un reportage sur ma venue en Suède. Il m’annonce qu’un chauffeur m’attendra à l’aéroport et que le trajet vers le lieu du dîner durera environ deux heures. Il ajoute : « prévoyez de quoi lire pour que le voyage ne soit pas trop ennuyeux ». A la sortie de l’aéroport mon œil est attiré par une grande jeune femme blonde, à la coiffure punk, tendance iroquois. Elle est intégralement vêtue de cuir noir, avec des chaussures noires dont les talons dépassent les vingt centimètres. Elle est fière de ses Louboutin. Elle tient en main une bouteille de La Tâche. Instantanément, je sais que c’est elle et elle sait que je suis celui qu’elle attend. Nous nous disons bonjour, filmés par un caméraman, sans qu’elle ne vérifie que je suis le voyageur attendu. La voiture des journalistes nous précède, Ida, puisqu’elle s’appelle Ida, me conduit à ma destination. Inutile de dire que je n’ai pas eu besoin de lire, car nous avons discuté. Elle est la petite amie de Robert, elle est tatoueuse professionnelle et aime le vin. Pour me montrer qu’elle aussi est tatouée, elle dézippe une de ses manches et je peux voir une bouteille de Krug Grande Cuvée. Que le lecteur se rassure, la démonstration s’arrêta là.

L’hôtel se situe à proximité de la ville qui loge la société Sandvik, un conglomérat suédois œuvrant notamment dans la métallurgie. L’hôtel regroupe de nombreuses maisons d’ouvriers, en bois et en dur réaménagées. Robert m’accueille, souriant et m’explique que s’il n’est pas venu me chercher, c’est qu’il n’a pas le permis. Après une courte mais bénéfique sieste, je me rends avec Robert, suivi par les journalistes, vers une maison dont le décor strict et anodin cache en fait ce qu’on pourrait considérer comme un petit château. Il y a dans chaque pièce d’immenses poêles en faïence de toute beauté. Ce qui m’a fasciné c’est que le plafond d’une des pièces, en bois de sapin, est peint avec les blasons d’une famille noble dont le bandeau écrit en français porte cette mention : « Les enfants d’illustre maison, doivent suivre les traces de leurs ayeuls » (sic). Inutile de dire que nombre de ministres de l’éducation, de droite comme de gauche, s’étrangleraient en lisant cela. Les salles sont belles et dans la grande salle à manger, Robert a assemblé un nombre déraisonnable de bouteilles. Il me cède gentiment la responsabilité d’ouvrir les bouteilles, filmé par les reporters.

Certains bouchons ont trahi des problèmes de cave ou des accidents de température, d’autres se sont montrés imbibés ou impeccables. Les défauts de bouchon se sont retrouvés dans les défauts du vin, mais globalement je ne vois aucun vin qui mériterait d’être écarté. Il y a même de divines surprises comme ce Clos Haut-Peyraguey 1918 au parfum exceptionnel et la star du dîner, un Madère de 1806. Tout se présente bien, mais comme un autre professionnel du vin allemand un peu fou grâce auquel j’ai bu un vin sublime de 1727, Robert a une générosité qui frise l’excès.

Nous sommes douze, dont onze suédois, tous mâles. Il y a de nombreux métiers représentés, et les âges sont très variés. Une caractéristique de tous, c’est d’être amoureux des vins anciens, comme Robert. Notre hôte fait un speech de bienvenue en suédois et me passe la parole pour quelques mots de présentation. Dans une salle dont les murs sont remplis de portraits de famille couvrant le 18ème et le 19ème siècle, nous buvons un Champagne Paul Bara de Bouzy Grand Cru 2000 qui évoque immédiatement le miel. Il est agréable à boire mais manque un peu de coffre et de complexité. Il est trop monolithique, surtout après les champagnes exceptionnels que j’ai bus avec mes enfants.

Nous passons à table et je suis assis à côté d’un écrivain du vin, spécialiste des vins de Madère. Le Champagne Bollinger Grande Année 1995 est trop ambré pour son âge. Il est légèrement déséquilibré, défaut qui apparaît d’autant plus qu’il y a à ses côtés un Champagne Veuve Clicquot la Grande Dame 1995, clair, superbe, brillant et joyeux. Le contraste amplifie encore plus ses qualités.

Vient maintenant l’objet de mon voyage, le Madère P.P. Goelet 1806. Mon voisin nous explique que ce madère a été mis en bouteille en 1810 pour être expédié aux Etats-Unis. Il a été rebouché à plusieurs reprises, les deux dernières étant de 1919 et du début des années 90. C’est un Colheita, c’est-à-dire que 100% est de 1806. Il a eu étonnamment peu de vieillissement en fût. Le nez de ce vin est tellement miraculeux que je m’enferme dans ma bulle, oubliant le monde extérieur, pour me repaître de ce parfum. Il est magique. Nommez n’importe quel fruit – s’il n’est pas rouge ou rose – et vous l’aurez immanquablement dans ce vin. C’est inouï, irréel, et je ne reconnais pas madère tant il est « hors de ce monde ». Je jouis de cet instant unique où il m’est donné de sentir un vin au parfum infini. Il est sec, vibrant, l’alcool est discret. C’est le panier de fruits oranges et bruns qui domine. Je suis presque tenté de ne pas boire tant le parfum est envoûtant. La bouche est moins géniale et le vin est assez éloigné du madère. Il est très sec, subtil, inclassable, de belle longueur, avec un léger poivre et de belles épices. J’ai gardé jusqu’en fin de repas le verre du 1806 et plus le temps passait, plus le parfum redevenait madère avec du gras qui n’existait pas au moment du service. Ce vin justifie à lui seul mon voyage. Un velouté de champignons avec un petit œœuf de caille s’est révélé idéal pour le vin.

Passer après le 1806 est une tâche difficile pour le Château Carbonnieux blanc 1961. Le bouchon était très imbibé et ce qui me gêne c’est une trace glycérinée insistante. On peut imaginer ce qu’il serait, mais le plaisir n’est pas au rendez-vous. On se contente de l’imagination de ce qu’il aurait pu être.

La série suivante est de deux vins. Le Château Haut-Brion 1937 n’a pas un nez d’une totale précision mais il est riche. En bouche pour une raison que je ne saurais expliquer je me dis que ce vin est vraiment Haut-Brion, avec des évocations de cigare, de mine de crayon, mais il n’y a pas que cela. Il est riche, mais pas totalement précis.

A côté de lui, le Château Lascombes 1934, moins puissant et moins riche est beaucoup plus plaisant car il est très pur et très vivant. C’est un vin très agréable. Les deux vins se boivent sur une caille délicieuse mais bien chiche, dont nous avons le suprême, le foie et le cœur, les abats avantageant le Haut-Brion.

Sur l’agneau, trois vins de 1961 sont servis. J’ai demandé à la fin que chacun donne son tiercé et la diversité des votes est invraisemblable. Le Château Palmer 1961 est objectivement incomplet. On sent son potentiel, mais manifestement dévié. Un bon tiers des participants va le noter premier ce qui montre la diversité des goûts.

Le Château L’Evangile à Pomerol 1961 est superbe, naturel, facile et je l’adore même si c’est le plus gracile des trois. Sa fluidité me pousse à le nommer premier et je serai le seul à avoir ce vote. Robert m’avouera le lendemain que, voyant que nous serions les deux seuls à voter pour l’Evangile, il a préféré changer son vote pour qu’il n’y ait pas le vote des supposés experts et les votes des autres. C’est délicat.

Le Château Cheval Blanc 1961 est fermé au début de la dégustation, mais il progresse à une vitesse telle que nous serons nombreux à changer notre vote quelques minutes plus tard, et effectivement c’est le plus grand des trois, riche, très truffé, un très grand vin qui n’était pas réveillé lorsque nous avons voté. L’agneau est délicieux mais aussi un peu chiche.

La générosité des plats s’améliore et cela tombe très bien car il y a maintenant un bœuf Wagyu délicieux mais relativement peu gras. Le Sine Qua Non Atlantis Syrah 2005 est une divine surprise. J’attendais un vin américain très international qui a la richesse des vins parkériens puisqu’il a 100 points et titre 15,3°, et voilà que je découvre un vin élégant, discret, charmeur, un vrai grand vin. De plus, il s’insère parfaitement à la suite de vins canoniques. On ne peut qu’applaudir une telle réussite.

Très curieusement, le nez du Clos Haut-Peyraguey 1918 est beaucoup moins conquérant qu’à l’ouverture, ce qui est rare. Il est délicieusement doré et son goût est parfait. Il y a des figues, des mangues, du caramel et des épices généreusement distribuées. C’est un grand sauternes d’une grande année.

Robert a ajouté au programme un Château Roumieu Sauternes 1941 un peu déstructuré, ce qui renforce la performance du 1918. Le 1941 s’améliore mais on sent plus l’alcool que les fruits.

Le Tokaji Aszú 6 Puttonyos 1866 est superbe de douceur, mais sait avoir de la force. Il évoque des figues, du café, du chocolat et du poivre. Il est un très joli témoignage des Tokaji de cette époque, déroutant mais dans un sens positif, charmant de douceur.

Alors que Robert m’avait dit de nombreuses fois de ne rien apporter, je n’ai pu résister au plaisir d’apporter une Malvoisie des Canaries 1828. L’année n’est pas indiquée mais comme j’ai un lot de vins des Canaries de 1828 avec strictement les mêmes bouteilles, je l’ai daté ainsi, ce qui est corroboré par le goût. Ce vin est une bombe. Le nez est intense, la bouche est du plomb fondu et chacun est surpris par le fait que sa persistance est infinie. Il ne veut pas s’éteindre en bouche. Il est fort en réglisse et poivre, d’un noble muscat, d’une concentration extrême. Ce vin fait partie de ceux que je révère. Ayant la lie qui tapisse mon verre, je peux goûter un nectar concentré comme un marc, un seigneur, avec du goudron, de la réglisse et du zan.

Robert, par un mauvais geste, avait cassé la bouteille de Livadia White Muscat Massandra Collection 1905. Il a pu sauver de quoi nous donner des fonds de verre. Le vin est subtil, doux, étrange, avec un goût de bonbon anglais particulièrement excitant. Il y a aussi du miel et de la réglisse. J’adore ce vin aux accents inconnus. C’est une vraie découverte.

Nous finissons avec un Porto Grahams Vintage 1970 au goût tellement attendu que le souvenir s’en est estompé aussi vite que nous l’avons bu. Il est bon, mais n’apporte rien à ce dîner.

Robert fait voter pour le meilleur. Je suis étonné que le Cheval Blanc 1961 recueille autant de votes, ce qui se comprend car il fut excellent sur sa seconde vie, mais le 1806 est tellement en dehors des sentiers battus qu’il aurait dû recueillir tous les suffrages. Mais l’expérience de mes dîners me montre que la variété des goûts des amateurs est incommensurable.

Mon vote serait : 1 –Madère 1806 pour son parfum inoubliable, 2 – Malvoisie 1828 pour son goût inextinguible, 3 – White Muscat 1905 pour son originalité, 4 – Tokaji 1866 pour son incroyable typicité, l’archétype du grand Tokaji, 5 – Sine Qua Non 2005 pour la surprise qu’il m’a procurée et 6 – Cheval Blanc 1961 car il est grand mais j’en ai bu de meilleurs de ce millésime.

Le chef qui a réalisé le menu a fait beaucoup d’efforts pour provoquer de beaux accords. Les portions furent petites au début et copieuses à la suite. Robert a organisé ce dîner avec pertinence et efficacité. L’atmosphère était celle de vrais amateurs de vins anciens. Ce fut un magnifique dîner avec des vins mémorables qui prouvent que le bon vin est éternel. A deux heures du matin, je n’ai pas eu besoin de compter des moutons.

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on a déjà vu de moins charmants chauffeurs

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ma chambre a un décoration qui évoque les maisons ouvrières d’un site dédié à la métallurgie

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l’extérieur de la maison où a lieu le dîner ne paie pas de mine

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mais à l’intérieur tout est beaucoup plus beau et il y a l’étrange légende du blason

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lorsque j’arrive dans la salle à manger, voici l’ampleur de la tâche qui m’attend, d’ouvrir tous les vins

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Champagne Paul Bara de Bouzy Grand Cru 2000

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Champagne Bollinger Grande Année 1995

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Champagne Veuve Clicquot la Grande Dame 1995

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Madère P.P. Goelet 1806

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Château Carbonnieux blanc 1961

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Château Haut-Brion 1937

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Château Lascombes 1934

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Château Palmer 1961

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Château L’Evangile Pomerol 1961

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Château Cheval Blanc 1961

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Sine Qua Non Atlantis Syrah 2005

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Clos Haut-Peyraguey 1918

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Château Roumieu Sauternes 1941

Tokaji Aszú 6 Puttonyos 1866

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Malvoisie des Canaries 1828

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Livadia White Muscat Massandra Collection 1905 (ce que Robert a pu récupérer a été mis dans une demi bouteille d’Yquem

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Porto Grahams Vintage 1970

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quelques photos de groupes et de bouchon où l’on voit la forme effilée du Tokaji et la bouteille trapue de la Malvoisie

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Nous prenons le champagne dans la pièce aux nombreux tableaux de famille. On peut reconnaître Charlotte Landelius, la journaliste, derrière les verres

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des couverts de repas royaux

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Présentation de vins conseillés par Hubert de Boüard au restaurant de Guy Savoy dimanche, 24 mai 2015

Lors de la soirée « portes ouvertes » du restaurant Guy Savoy implanté comme par miracle dans l’hôtel de la Monnaie, Hubert de Boüard présent ou plutôt son épouse m’avaient incité à revenir en ce lieu la veille de l’ouverture officielle du restaurant Guy Savoy, pour une présentation des 2014 de nombreuses propriétés bordelaises. Il s’agit des châteaux dont Hubert de Boüard est le consultant, à l’instar des Michel Rolland, Stéphane Derenoncourt, Denis Dubourdieu et quelques autres. La présentation est faite par les propriétaires eux-mêmes. Dans la magie du lieu, l’immense cuisine va restaurer les visiteurs, le plus souvent des amis d’Hubert de Boüard ou de Guy Savoy.

Je n’ai goûté que quelques vins et cela m’a suffi pour me rendre compte de l’avantage historique dont dispose le bordelais par rapport aux pays neufs qui font des vins parfois maladroitement internationaux. Le Château Jean Faure Saint-Emilion 2014 est un petit bijou de finesse, comme le Château de Pressac Saint-Emilion 2014 fringant.

Le Château Branas Grand-Poujeaux, Moulis 2014 est aussi d’un bel intérêt, mais mon cœur succombera, on l’imagine au Château l’Angélus 2014 puis au Château l’Angélus 2010, deux merveilles qui font comprendre que la promotion de l’Angélus dans le plus haut degré des classifications des saint-Emilion est justifiée. Ce vin est riche, puissant, charnu et charpenté, tout en ayant une grâce et une distinction remarquables. C’est un très grand vin. Les petits fours et amuse-bouche vont crescendo en qualité et en saveurs. C’est une invitation à rester en ce lieu, mais je préfère rester raisonnable, ce qui n’est pourtant pas une de mes qualités premières. Demain, c’est le jour officiel d’ouverture du restaurant Guy Savoy mais j’apprends que depuis un mois on ne cesse de festoyer ici. Guy Savoy est généreux. Ce lieu va devenir la coqueluche de la capitale.

présentation des « Vignobles Français de l’Etranger » dimanche, 24 mai 2015

Chaque année, une présentation des « Vignobles Français de l’Etranger » se tient à l’hôtel Saint-James & Albany à Paris. Beaucoup de pays sont représentés et les propriétaires sont souvent présents. N’ayant aucune obligation de résultat, je me limite aux rouges et je butine sur quelques stands. Toutefois, c’est avec un mousseux argentin, le Chandon, que j’ai commencé mon tour de piste, mousseux qui se révèle fort agréable, évoquant dans son vin de base les chardonnays californiens, avec du beurre et du fumé. Il tromperait beaucoup de gens, même si on s’aperçoit vite qu’il ne peut être champenois.

Au même stand je goûte le Cheval des Andes 2010 que j’avais bu récemment à l’ambassade d’Argentine. Je le trouve nettement meilleur, et il me plait par sa belle structure.

Le Domaine Drouhin Laurene Pinot Noir, Dundee Hills, USA 2012 est superbe de finesse et de précision. Voilà un vin que l’on doit aimer.

Ayant entendu qu’il y avait une dégustation privée à l’intérieur de de cette présentation, je pousse la curiosité et la porte et je me retrouve à une table de quatre, Sylvain Ouchik, organisateur de cet événement, Gérard Margeon le responsable des vins de la galaxie Ducasse, un tonnelier et moi. L’idée de cette table ronde est de déterminer le meilleur rapport qualité prix des vins présentés. Devant m’éclipser avant la fin, je ne saurai pas quels sont les gagnants mais c’est l’occasion pour moi de confronter mon palais acquis aux vins anciens avec des vins récents et qui plus est internationaux, dont l’alcool n’est pas chiche.

Déguster avec ces professionnels est un plaisir certain. La dégustation tient compte du prix de vente hors taxe, annoncé avant de boire. Quand j’entends Gérard Margeon dire d’un vin vendu 7 € qu’il est trop cher, je me sens Le Petit Prince, perdu sur une planète inconnue !

Le Shiraz Pyrenees Trelato et Chapoutier Australie 2008 est vendu 12€. Il titre 14°. Le nez est très végétal, fruité et poivré. Le final est aussi végétal et un peu déstructuré. On sent l’eucalyptus et les fruits confiturés.

Le Mathilda Tournon Victoria Shiraz Chapoutier Australie 2013 est vendu 7,5€. Nature, simple, il manque de vibration mais je le préfère dans son registre simple au Shiraz Pyrenees qui veut trop en faire.

Le Quite Mencia Vertuille veronica Ortega Espagne 2013 coûte 7,15€. Le nez est assez neutre sur l’alcool. L’acidité est trop forte, signant un vin déstructuré. Il est assez désagréable et ne vieillira probablement pas bien.

Le Fonsclar Priorat Combier Fischer Gérin Espagne 2012 vaut 15€. Tout en ce vin sent la douceur ? Il y a du velours mais aussi un peu de végétal. Il est gourmand et je le vois gastronomique. L’élevage est bien fait, il est très digeste malgré 14,5°. Les tannins sont un peu sec mais je le trouve agréable.

Le Carmenere Anderra barons de Rothschild Chili 2013 est vendu 5,5€ le nez est rebutant, le vin est flatteur, travaillé mais l’effet final est désagréable. On peut supposer qu’il y a des copeaux dans ce vin.

Le Enira Domaine Bessa Valley Bulgarie 2009 vaut 9,80€. Le nez est flatteur, ultra-moderne et le vin titre 14,5° Il est flatteur, trop flatteur, trop international. La finale est asséchante, le toucher est soyeux. Il n’a pas vraiment d’identité.

Le Vranec Tikves Macédoine 2012 est vendu 7€. Il a un joli nez. Le vin de 14° est très doux avec une belle personnalité mais il est handicapé par trop d’astringence.

Après cette dégustation je me suis demandé pourquoi ou fait boire aux consommateurs des vins dont certains sont assez excessifs, simplifiés, et parfois caricaturaux. Comme les producteurs sont français ou associés à des français, les ambitions devraient être plus hautes.

On m’a soufflé que le vin qui a gagné est un vin de la maison Drouhin USA, représentée sur les stands par Véronique Drouhin. J’ai bu ce vin gagnant très agréable en passant sur les stands, mais c’est la cuvée Laurene, de qualité supérieure qui a remporté mes suffrages.

Merci aux organisateurs de permettre ainsi de s’imprégner des tendances internationales initiées par des français. Je vais avoir l’occasion de comparer avec ce que font les bordelais puisqu’il me suffira de traverser la Seine, d’aller au nouveau palais de Guy Savoy pour apprécier une présentation de Bordeaux récents.

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Dîner familial avec de beaux champagnes dimanche, 24 mai 2015

Mon fils revient en France pour sa visite mensuelle des sociétés familiales. Sa maman veut qu’il se sente bien en famille pour son premier dîner et son papa a envie qu’il boive bien.

Le Champagne Charles Heidsieck 1952 a un bouchon qui se casse à mi-hauteur. Le bas est sorti au tirebouchon. La bulle est quasi inexistante. La couleur est belle, celle de pailles d’un chaud été. Le nez est agréable, vineux. En bouche, le vin est d’une grande fraîcheur évoquant les fruits jaunes d’été. Une légère amertume est liée au vieillissement du champagne, mais elle disparaît presque complètement sur un délicieux jambon Pata Negra puis sur de goûteux fromages, camembert et Brie. Le plateau de fromages est une attention de ma femme, ainsi que la baguette, pour que notre fils américain se sente revenu au pays. Il ne manque que le béret ! Malgré une petite fatigue, le champagne est joyeux, racé, d’une belle vinosité.

Le Champagne Dom Ruinart 1973 a un pschitt un peu faible mais réel. La bulle est fine, discrète mais présente. La couleur, très proche de celle du 1952, est d’un bel or clair. Le nez est intense et vineux. Ce qui frappe, c’est la complexité de ce champagne. Je ressens du cuir mais aussi de la réglisse. Et mille saveurs complexes qui font voyager le palais. Le Champagne Dom Ruinart 1973 est un très grand champagne d’une année qui n’est pas assez mise en valeur alors que c’est une grande.

Pour faire plaisir à mon fils, ma femme a acheté un dessert sphérique meringué coupé en deux hémisphères, dont la surface de l’écorce est saupoudrée de fines poussières rectangulaires de chocolat. Ça, c’est la définition selon la novlangue de l’Education Nationale. Il fut un temps où l’on appelait ce dessert tête de nègre. Le politiquement correct a bien fait de supprimer ce vocable qui est un obstacle à la repentance. Par une chance qui n’est pas une surprise, nous aimons tous les trois ce dessert sucré qui ponctue ce moment de chaude intimité familiale.

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Dîner au restaurant Pages avec de grands vins dimanche, 24 mai 2015

Le lendemain, c’est l’anniversaire de ma fille. Mon fils a réservé une table au restaurant Pages où nous devrions nous retrouver à quatre, ma femme, mon fils, ma fille et moi. J’annonce d’emblée que je ne pourrai pas venir, car le lendemain, je partirai très tôt vers la Suède où va se tenir un dîner aux vins mémorables dont le plus vieux est de 1806. Mais le soir venu, l’idée que je me retrouve seul à la maison pendant que femme et enfants festoient m’est insupportable. Nous nous retrouvons donc tous les quatre au restaurant Pages. Je fais vite préparer les vins que j’ai apportés.

Selon la tradition, le menu n’est pas annoncé. Je le reçois par mail le lendemain matin. En amuse-bouche, dauphine de veau de lait du Limousin, crème au curry / pain soufflé et crème au chou Kale / ceviche de turbot / chips de légumes. Le menu : carpaccio de bœuf Ozaki / homard breton façon Piña Colada / cromesquis de foie gras fumé au Bincho, purée d’oignons doux grillés / asperges vertes de Sylvain Erhardt, asperges blanches d’Anjou, sabayon et ventrèche ibérique /turbot de l’île d’Yeu, extraits de coquillages, agrumes de Michel Bachès / poulette de Pascal Cosnet grillée sur le Bincho, petits pois et jaune d’œuf / le trio de bœuf grillé sur le Bincho, l’Ozaki, la normande 30 jours, le bœuf de Galice 60 jours / granité de verveine, granité de coquelicot / crème brûlée glacée à la fleur de sureau, rhubarbe et gariguettes.

Le Champagne Salon 1983 est une divine surprise. On grimpe de six étages par rapport aux champagnes de la veille. Mon fils serait plus tendre avec les champagnes d’hier et j’aime bien qu’il ait cette ouverture d’esprit et cette tolérance. Mais l’écart est bien là. La bulle est active, la couleur est celle d’un champagne très jeune, le nez est riche, joyeux et luxuriant. En bouche, c’est une explosion de bonheur. Ce champagne est fou. Il a tellement de complexités, plus que le Dom Ruinart qui en avait beaucoup, que je suis surpris. Je n’attendais pas le 1983 à ce niveau sublime. Les richesses sont si grandes qu’on ne cherche pas à les analyser. Il est vineux, évoque de beaux fruits roses romantiques, mais il y a bien plus que cela. C’est un champ d’enchantements absolus. Sur le carpaccio d’Ozaki puis sur le homard il crée des accords merveilleux.

Le Châteauneuf-du-Pape domaine du Pégau 1985 a un nez riche et profond, de truffe et de cuir. En bouche, c’est un miracle. J’ai l’impression d’être devant le Châteauneuf-du-Pape parfait. Il est rêche, râpeux à la bourguignonne et d’une complexité que je n’attendais pas à ce niveau. Il a trente ans et aucun jeune Châteauneuf-du-Pape ne pourrait offrir une palette de cette ampleur. Les grands Châteauneuf-du-Pape vieillissent aussi bien que les bordeaux et les bourgognes, et celui-ci est éblouissant. Quand arrive le plat des trois bœufs, celui de Galice crée le plus bel accord avec ce vin vif, puissant et confortable.

La cuisine de Ryuji Teshima dit Teshi me plait énormément. Tout est élégant, dosé, intelligent. C’est sur les viandes que j’ai pris mon plus grand plaisir. Il se faisait tard, j’ai quitté la table avant les desserts, car demain l’avion vers la Suède partira très tôt.

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Dîner d’amateurs de Bordeaux au restaurant le Saut du Crapaud dimanche, 17 mai 2015

En mars 2001, je me suis inscrit sur un forum américain de vins, le « Bordeaux Wine Enthusiasts », BWE. Il m’en a fallu du temps pour faire admettre qu’un vin ancien pouvait être bon, tant à cette époque qui paraît aujourd’hui antédiluvienne, tout vin ancien ne pouvait qu’être mort. C’est par les rencontres entre membres que les forums forgent des amitiés. Je suis allé à un congrès à New York où les dégustations furent mémorables (bulletin 72). Un voyage en Bourgogne et à Bordeaux avec des membres de ce forum fut un moment magique, couronné par un dîner au château Margaux où furent ouverts des magnums de Margaux 1961 (bulletins 142 à 145). Dix ans après ce voyage extraordinaire, BWE remet le couvert à Bordeaux. Une vingtaine de membres seront du voyage. Les aléas de mon agenda m’interdisent d’être avec eux mais je vais retrouver quatre d’entre eux, dont le président fondateur du forum, pour un dîner avant leur départ à Bordeaux. Nous sommes cinq, deux canadiens, un américain vivant dans le Maine, un américain vivant à Paris et moi.

Le restaurant le Saut du Crapaud est un petit bistrot d’angle où je me présente à 18h30, en avance pour ouvrir mon vin. On m’ouvre et le chef avec qui je bavarde est direct, simple et m’apparaît comme un amateur de vin. Les plats proposés sont écrits à la craie sur une grande ardoise. Nous discutons des plats qui pourraient accompagner les vins et des modifications de présentation qui amélioreraient les accords. Marco Paz retourne à ses fourneaux et j’attends les amis.

Malgré les recommandations de Tim, l’organisateur du dîner, j’ai apporté un champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1988 a un bouchon qui vient un peu trop facilement et sans pschitt. La couleur est ambrée, d’un or foncé. Le nez est agréable, un peu doux. En bouche le vin a peu de pétillant mais le goût est très pur et agréable. Les évocations sont dorées, de miel et de fruits jaunes. A ma demande on nous sert deux assiettes, l’une d’un pâté et l’autre de saucisson. Ici, on est généreux sur les quantités. Nous grignotons et ces mets sont idéaux pour animer le champagne qui plait de plus en plus à mes amis, lorsqu’ils se sont habitués à ce champagne dont la maturité est supérieure à ce qu’elle devrait être, du fait du rétrécissement excessif du bouchon. Malgré cette évolution j’aime beaucoup ce champagne lourd et de soleil et à la rémanence très forte en bouche.

Le menu que nous prenons est : croustillant de pied de cochon au piment d’Espelette / rognons de veau flambés à la Tequila / faux-filet aux pommes frites et purée.

Le Puligny-Montrachet Les Enseignères domaine J-F. Coche-Dury 2006 est d’un joli jaune citron. Le nez est extrêmement envahissant tant il explose. En bouche, ce vin est une bombe. C’est un guerrier, un Attila gustatif, fou de concentration. Il est très agréable comme cela, mais je pense qu’il deviendra divin avec quelques années de plus. Les pieds de porc sont parfaits pour ce vin.

Chacun des deux plats qui vont suivre vont être accompagnés de deux rouges. Le Cos d’Estournel 1995 a un nez légèrement poussiéreux. En bouche le vin foncé montre qu’il a un potentiel important. On pressent qu’il deviendra exceptionnel, mais je ressens ce vin comme ayant mis le pied sur la pédale de frein. Il est comme encore enfermé dans une gangue. Une des raisons est sans doute l’ouverture tardive des bouteilles. Preuve en est que plus tard, le vin a pris de l’ampleur, confirmant qu’il est la promesse d’un grand vin à forte trame.

Le vin qui suit, que j’avais ouvert près d’une heure avant les autres, est présenté enveloppé d’une feuille d’aluminium pour le faire découvrir à l’aveugle. C’est Château Lynch-Bages 1989. Ce vin est symbolique car le président du forum, Jim, en a tellement voté les qualités que j’ai eu envie de l’acheter. Et le président est bien le président, car Jim a trouvé ce vin sans la moindre hésitation. La couleur est noire et évoque plus un vin de moins de dix ans qu’un vin de vingt-six ans. En bouche l’impression de jeunesse est aussi sensible. Le vin est extrêmement serré, riche, évoquant la densité de la truffe et la mine de crayon. C’est un beau vin, agréable et percutant, qui sera encore plus brillant avec une bonne vingtaine d’années de plus, car il est follement jeune maintenant, plus jeune que le 1996. Le rognon de veau convient bien à ces deux vins.

Le Château Pape Clément 1989 avait à l’ouverture un parfum beaucoup plus flatteur et séduisant que celui du Lynch-Bages de la même année. Sur la viande rouge très goûteuse, il conserve cet avantage de charme. Il est moins fonceur, moins percutant et joue beaucoup plus sur la douceur, l’élégance et le charme. J’aime beaucoup sa subtilité.

Le Château Léoville-las-Cases 1961 a un niveau quasiment dans le goulot de la bouteille. Le nez est superbe, annonçant les délices de son année légendaire. En bouche ce vin est tout velours. Il a beaucoup moins de fruit que les trois précédents mais il a gagné en complexité. Il a une râpe qui évoque un peu les vins de Bourgogne. Il convient parfaitement au plat et à la purée de pomme de terre. Des quatre rouges, c’est le vin que je préfère car sa maturité s’accompagne de multiples complexités. 1961 est une année exceptionnelle et l’équilibre du vin est superbe, vin de bonheur.

Tim a apporté une demi-bouteille, cachée sous une feuille d’aluminium. Le vin a une belle couleur de jeune vin gras et opulent. Le nez indique sauternes et plus que probablement Yquem. Je propose une année déjà mûre et lorsque Tim fait la grimace, je propose Château d’Yquem 2001. C’est un Yquem riche, opulent où abricots, pêches et épices sont joyeux et ensoleillés. La structure est puissante et l’on voit que ce vin a un potentiel énorme. Mais il est dans une phase où il n’est plus tout-à-fait jeune et pas encore assez vieux. On s’en régale mais il serait plus pertinent de l’attendre encore.

Mon classement des vins de ce dîner serait : 1 – Château d’Yquem 2001, 2 – Château Léoville-las-Cases 1961, 3 – Château Pape Clément 1989.

Le restaurant ne paie pas de mine, la cuisine est simple et solide, sur de bons produits. Le service est attentif. Ce lieu sympathique et simple est à recommander. Les amis partent une semaine visiter les châteaux bordelais. Ce repas m’a donné envie de les revoir lors de conventions du forum aux Etats-Unis.

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notre table

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parfois, le langage des mains compense le langage des mots

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Déjeuner au Saint-James à Paris mercredi, 13 mai 2015

Il est entrepreneur, l’un des seuls avec lesquels j’ai encore des relations amicales de mon ancien monde professionnel. A l’époque il n’y avait pas de confusion de genre. Il s’est inscrit à l’académie des vins anciens dont il est un des fidèles. Il m’invite au Saint-James, hôtel et club dont il est membre depuis des lustres. L’hôtel particulier est cossu, avec son entrée où devaient s’approcher des carrosses, biges, berlingots et briskas dont s’échappaient des femmes en crinolines et vertugadins. L’entrée est magistrale et le bar habillé en bibliothèque est très second Empire sans clinquant. Alors que je suis en avance, mon ami est déjà là, lisant son journal en sirotant un chablis. Le maître d’hôtel me propose un champagne et je prends un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005 au verre qui me montre s’il en était besoin combien Taittinger a réussi ce millésime. Le vin est opulent , conquérant, facile à lire, porteur de joie de vivre.

On nous apporte les menus et nous faisons le même choix : asperges blanches angevines, sauce savora, coulis de persil, chorizo ibérique et câpres / dos de cabillaud cuit au plat, légumes de saison, beurre citron mélisse.

Micaël Morais, sommelier du Saint-James me tend le livre de cave, à la demande de mon ami qui préfère le vin rouge. Dans ce livre il y a des prix lourds, mais il y a aussi de bonnes et intelligentes pioches. Je choisis un Coteaux du Languedoc Syrah Leone domaine Peyre Rose 2005 de Marlène Soria.

Les asperges sont belles et bien cuites, mais ce qui me gêne, c’est que le chorizo écrase tout sur son passage. J’en parlerai plus tard avec le chef. Nous buvons de nouvelles coupes du Comtes de Champagne 2005 qui confirme ses capacités d’adaptation.

Nous sommes gâtés, car on nous apporte un plat ajouté, un saumon de Cherbourg à la parisienne, macédoine de légumes au saumon fumé. Ce plat est splendide, le saumon étant fondant à souhait et joliment accompagné par la macédoine rafraîchissante.

Micaël nous apporte pour ce plat deux verres noirs dans lesquels il est impossible de reconnaître la couleur. Comme mon ami évoque un souvenir de dégustation de sakés, je remarque que l’aspect sucré de ce que je sens n’exclurait pas le saké, mais il y a au nez beaucoup plus d’alcool. Je risque l’hypothèse d’un Maury et en fait c’est un Porto blanc Niepoort. Le vin est agréable mais trop sucré et trop fort pour accompagner le saumon. Je suivrais plutôt la piste d’un Condrieu pour ce plat tout en finesse.

Le cabillaud est superbe, râpeux tout en étant délicat et magnifiquement cuit. J’aurais dû ne pas demander la sauce citronnée car le Coteaux du Languedoc Syrah Leone domaine Peyre Rose 2005 crée un accord superbe avec la chair du cabillaud, mâche sur mâche, râpe sur râpe, à condition que la sauce soit oubliée. Le vin est riche, incisif, percutant et il a un infini mérite c’est qu’il ne surjoue en rien. Il est boisé, il est puissant, mais sans jamais dépasser de limite. Il laisse en bouche une trace pure et profonde. Je l’aime beaucoup, la vigneronne Marlène Soria accomplissant des merveilles.

Le dessert au chocolat est excellent et frais. Tout en cette cuisine semble inspiré.

Nous avons la chance que Virginie Basselot, l’une des rares MOF de France (meilleur ouvrier de France 2015) s’asseye à notre table. Elle est jolie, d’abord aimable et nous discutons cuisine bien sûr. Elle est une valeur sure du saint-James, dotée d’une étoile.

Le décor est agréable, les hauts plafonds donnent un confort apprécié. On est bien au Saint-James, surtout lorsqu’on est en bonne compagnie, avec un service exemplaire et une cuisine solide et mature.

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