Duel entre 1928 et 1929 du Château Carbonnieux mercredi, 12 mars 2014

L’histoire commence par la revue Vigneron. Oriane Nouailhac me fait le plaisir et l’honneur de me demander d’écrire un article dans cette prestigieuse revue. Le thème de mes billets est de raconter en une page un vin ancien porteur de souvenirs. J’ai déjà écrit dans plus d’une dizaine de numéros. Pour le prochain sujet, je choisis Château Carbonnieux rouge 1928, vin que j’ai bu plus d’une douzaine de fois avec grand plaisir. En compulsant mes notes, je constate que j’ai bu le 1929 une seule fois et j’ai eu ce commentaire : « ce 1929 est meilleur que les 1928 que j’ai bus ». Cette remarque m’étonne et il faut que j’en aie le cœur net. J’appelle Philibert Perrin qui, avec son frère Eric et sa sœur Christine ont pris les rênes de ce domaine à la suite du décès de leur père Anthony Perrin que j’avais bien connu. Je lui raconte le contexte et je lui propose que nous nous retrouvions pour vérifier si oui ou non le 1929 est supérieur au 1928 que j’ai adoré. L’idée lui plait et rendez-vous est pris pour une confrontation de ces deux années de légende.

J’arrive au Château Carbonnieux et suis accueilli par Christine Perrin. Philibert m’avait prévenu qu’il ne serait pas présent à mon arrivée et il était convenu que j’ouvrirais les vins en son absence. Philibert a sorti de son « caveau » les rouges de 1927, 1928 et 1929 et les blancs de 1937 et 1940. Je me vois mal ouvrir tous ces vins sans son aval, car nous serons peu nombreux à table, aussi j’ouvre seulement les 1928 et 1929. Alors que Philibert avait prévu que la comparaison se ferait avec ses vins, j’ai apporté un 1928 que j’ai acheté aux enchères il y a bien longtemps, en provenance des caves Nicolas. Ma bouteille est venue avec moi par avion hier, a fait le voyage vers Saint-Estèphe et ce matin vers Léognan. Elle a donc été chahutée. Son niveau est entre mi-épaule et basse épaule. Les 1928 et 1929 du château ont été rebouchés en 2007 et ont des niveaux parfaits, puisque les bouteilles ont été complétées avec des bouteilles de leur millésime.

Le nez du 1928 Nicolas est éblouissant de richesse fruitée. C’est une explosion de charme. A l’inverse les parfums des vins de la cave du château sont fermés, stricts et trop discrets. L’ouverture leur fera du bien. Philibert arrive et décide que nous ouvrirons tout. Le 1927 a un nez plus engageant que les 1928 et 1929. Pour les blancs, le 1940 a un nez désagréable et le 1937 a un nez d’une pureté extrême.

Nous prenons l’apéritif dans l’un des nombreux salons de cet immense château de grand charme. Le chef qui a préparé le repas et les amuse-bouche est familier du lieu et officie aussi régulièrement pour Jean-François Moueix. Il sait ce que vin ancien veut dire. Nous sommes quatre, Christine, Philibert, un ami de la maison, grand négociant en vins et moi. La mère de mes hôtes nous accompagnera de temps en temps, à l’apéritif et au dessert.

Le Château Carbonnieux blanc 1940 est trop ambré pour nous plaire. Le nez est désagréable, poussiéreux et dévié. En bouche, on pourrait imaginer ce qu’il voudrait dire, mais, trop oxydé, avec des senteurs de champignons et de poussière, il ne peut pas entraîner notre adhésion.

Il est vite remplacé par le Château Carbonnieux blanc 1937 pour lequel je dirai au moins dix fois : « ce vin est un miracle ». La couleur est encore claire, l’ambre étant plus que discret. Ce vin a été reconditionné en 2013. Le nez est beau, mais la bouche est encore plus belle. Il y a du pomelos, du citron confit, et l’acidité du vin est merveilleuse. Ce vin est frais, équilibré, savamment dosé. C’est un régal qui se confirmera sur les coquilles Saint-Jacques.

Le 1940 au fil du temps va perdre un peu de ses tendances poussiéreuses. Il pourrait devenir agréable, mais le côté oxydatif est trop marqué.

Devant nous, nous avons quatre vins rouges : le 1928 du château, le 1928 de ma cave; le 1929 et le 1927. La première chose qui frappe, c’est l’incroyable jeunesse des couleurs de ces quatre vins. Ils sont d’un sang noir prononcé. La plus belle couleur est celle du 1928 de ma cave, mais c’est une différence infime.

Les nez des trois vins du château sont stricts, presque fermés, alors que celui du 1928 de ma cave est d’un charme rare. Ce qui va étonner Philibert et son amis au plus haut point, c’est que le 1928 Nicolas ne va pas bouger d’un poil pendant tout le déjeuner et conserver une séduction particulièrement marquée.

La plus belle évolution, spectaculaire, est celle du 1928 du château, qui, strict au premier contact a pris de l’ampleur et de la consistance. Le Château Carbonnieux 1928 du château a un nez discret, une matière énorme et une pesanteur de bon aloi. Le Château Carbonnieux Caves Nicolas 1928 a plus de charme, plus de séduction instantanée mais un peu moins de matière.
Il est plus primesautier, fait plus l’école buissonnière, alors que son conscrit joue sur sa profondeur.

Le Château Carbonnieux 1929 a un nez assez fermé. On sent qu’il pourrait avoir une matière plus complexe que celle des deux 1928. Mais il joue en dedans. Il ne veut pas s’ouvrir et l’on dirait qu’il a le pied sur le frein à main. C’est un grand vin qui nous ravirait s’il était seul, mais qui n’a pas voulu jouer la compétition.

Le Château Carbonnieux 1927 est une immense surprise. Cette année est introuvable et je n’ai bu aucun bordeaux rouge de 1927. Il fait presque jeu égal avec le 1929 mais bien sûr il n’a pas une étoffe aussi belle. Mais il tiendrait sa place à haut niveau s’il était seul sur un repas.

Nos commentaires ont évolué pendant le repas surtout à cause de la spectaculaire progression du 1928 du château. Le classement de Philibert et aussi de Romain, maître de chai venu nous rejoindre en fin de repas est : 1928 du château, 1928 de Nicolas, 1929 et 1927. Ce classement est normal car ils retrouvent dans le 1928 du château ce qu’ils ont l’habitude de boire.

Mon classement diffère du leur pour la même raison. Je retrouve dans le 1928 Nicolas ce goût prononcé de truffe que j’ai adoré de multiples fois. J’ai classé : 1928 Nicolas, 1928 château, 1929 et 1927. Nous avons tous été frappé par la jeunesse et la présence de tous ces vins. Le fait que le 1928 chahuté dans les transports et de niveau bas se comporte avec une telle constance sur plus de deux heures est une preuve de la solidité des vins anciens de Graves.

Là où nous nous retrouvons tous, c’est pour dire que dans le classement final, c’est le Château Carbonnieux blanc 1937 qui est le premier, car il représente une forme ultime du grand vin blanc de Graves.

Les vins rouges ont été accompagnés par une pièce de bœuf aux petits légumes dont la sauce au vin était trop appuyée pour l’exercice auquel nous nous sommes livrés.

J’avais apporté avec moi un Château d’Yquem 1987 qui a accompagné à merveille un carpaccio d’ananas aux fines lamelles d’orange confite. Le nez du vin est un peu lourd, mais en bouche, le vin est tout simplement parfait. J’adore cette année d’Yquem qui donne des vins distingués, racés et élégants, avec une merveilleuse fraîcheur de fin de bouche.

A l’issue de ce repas, nous avions l’impression d’avoir vécu un grand moment. Et j’ai la réponse qui conforte mes amours passées, les deux 1928 ont tenu la dragée haute au 1929 qui m’a donné l’impression de refuser le combat.

Merci Philibert Perrin d’avoir permis cette belle exploration d’un vin rouge cher à mon cœur, le Château Carbonnieux.

Le château vu de la cour

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La collection de vieilles voitures

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Le « caveau »

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J’ouvre mes bouteilles et les 28 et 29

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Les vins

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La couleur du blanc 1940 et aussi par comparaison la couleur du 1937

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La couleur des rouges : 28 chateau, 28 Nicolas, 29, 27

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Le repas

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J’ouvre l’Yquem 1987 à table. Surprise, elle a voyagé au Japon !

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tableaux finaux

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De très jeunes et de très vieux Phélan-Ségur bus au château, dont un extraordinaire 1955 et un 2013 qui promet mercredi, 12 mars 2014

Thierry Gardinier reçoit à dîner quelques courtiers ou distributeurs de la place de Bordeaux au château Phélan-Ségur, belle demeure à l’architecture stricte voire militaire. Nous serons huit.

Je suis arrivé suffisamment tôt pour ouvrir les vins que j’ai apportés qui sont un petit clin d’œil amical à Thierry Gardinier. Le Taillevent a créé un « dîner Curnonsky » avec les cinq vins consacrés par le « Prince des Gastronomes ». J’ai donc apporté deux vins sacrés par Curnonsky, d’un âge plus canonique que ceux du repas de Taillevent, pour titiller amicalement mon hôte. J’ouvre mes deux vins dont les parfums sont diaboliques. Le menu ayant été composé sans qu’on connaisse mon apport, le Château Chalon ira naturellement avec les fromages et ce serait dommage d’y associer aussi le Clos de la Coulée de Serrant. La seule place possible pour lui sera avec le champagne d’apéritif.

Lorsque les invités arrivent, dans la salle de dégustation, Véronique Dausse nous invite à une petite verticale de son vin, de 2006 à 2012 avec trois verres supplémentaires pour 2013 qui sera goûté dans moins d’un mois à l’occasion de la fameuse semaine des primeurs.

N’étant pas un spécialiste des vins jeunes, mes commentaires sont instinctifs et à juger comme tels.

Le Château Phélan-Ségur composante merlot 2013 est raide, serré, mais de belle matière.

Le Château Phélan-Ségur composante cabernet 2013 a moins de matière. Il est plus léger.

Le Château Phélan-Ségur 2013 avec un assemblage qui n’est pas définitif est élégant et de belle structure. Pour mon goût, le merlot est le plus vibrant. Ces trois versions du 2013 me font m’interroger sur les réserves qui ont été émises sur ce millésime. Les rendements sont faibles, mais le vin est bien présent dans le verre.

Le Château Phélan-Ségur 2012 a un beau cassis gourmand. Il a de la finesse. C’est un très joli vin élégant.

Le Château Phélan-Ségur 2011 est plus strict. Il faut l’attendre.

Le Château Phélan-Ségur 2010 est joli, très pur, tout en retenue. Il est équilibré au final toasté.

Le Château Phélan-Ségur 2009 est élégant, avec un beau corps et un beau final, mais je m’attendais à mieux.

Le Château Phélan-Ségur 2008 est plus fermé et plus strict

Le Château Phélan-Ségur 2007 est élégant, léger et très agréable

Le Château Phélan-Ségur 2006 est un beau vin épanoui, avec une opulence de vin accompli.

Mes deux préférés sont le 2012 et le 2007, vins de grâce pure, et pour le 2013, le merlot.

Ce qui ressort de ce court voyage, c’est que les vins sont tous élégants, avec un final un peu toasté. Il y a beaucoup d’équilibre et aucun excès ne vient forcer le talent au-delà du raisonnable. C’est tout à l’honneur de ce château de faire un vin tout en mesure, un peu à l’instar de Haut-Bailly, lui aussi fait par une femme. Encore un stéréotype du genre !

Nous nous rendons ensuite dans l’un des salons du château pour l’apéritif et le dîner.

* * * * *

Nous sommes huit au château Phélan-Ségur et nous venons de faire une petite verticale de 2006 à 2013 de ce vin. Dans le très joli salon du château, Thierry Gardinier nous invite à prendre l’apéritif. L’un des convives, Pierre, a apporté un Champagne Lanson 1975 dont la bouteille a la caractéristique forme de quille du passé de cette maison. Lorsque le bouchon est enlevé, aucune trace de pschitt. Le vin est très ambré. Il n’a plus de pétillant. Il pourrait être agréable s’il n’était amer. Il est oublié au profit d’un Champagne Lanson Noble Cuvée 1985 pétillant, vivant et de belle expression. C’est un vin stylé.

Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses magnum 1986 fait partie des grands Clos des Goisses. Il a tout, la vivacité, l’épanouissement, la joie de vivre. Il est très beau. Je le trouve généreux et superbe.

A côté de lui on a mis le Clos de la Coulée de Serrant Savennières Mme A. Joly 1970 que j’avais apporté. Voilà un vin extraordinaire dont on peut dire qu’on n’arrive jamais complètement à le connaître. Car il est changeant, énigmatique, kaléidoscopique. C’est un très grand vin d’une complexité folle, mais la cohabitation avec le champagne ne lui profite pas vraiment. Il lui aurait fallu un plat pour qu’il montre tout son talent. Nous avons toutefois apprécié ces deux grands vins, le Philipponnat et le Savennières particulièrement brillants.

Nous passons à table et le menu prévu par le chef du château est : rognons de veau dorés au sautoir, pommes rattes et piquillos / Pithiviers de tradition au canard, foie gras et truffes noires / fromages affinés de Maître Xavier / tarte au chocolat, glace vanille Bourbon et crème au café.

Les vins sont servis à l’aveugle mais nous savons que ce sont des Phélan-Ségur.

Pour la première série, je me suis joyeusement trompé sur les années, mettant le curseur à des années de plus. Le Château Phélan-Ségur 1981 est un vin immense et étonnant de grandeur. Par rapport aux jeunets que nous avons bus dans la salle de dégustation, il y a un monde. Nous sommes frappés par les couleurs profondes de tous les vins.

Alors que sur le papier, j’aurais dit que le Château Phélan-Ségur 1971 gagnerait face au 81, c’est le contraire. Le 1971 est grand, très charpenté. Mais le 1981 est plus éblouissant.

Dans la série qui suit, que de surprises ! Le Château Phélan-Ségur 1991 est d’une année que personne n’aurait soupçonné à ce niveau. Il est associé à deux vins qui vont nous surprendre.

Ce Château Phélan-Ségur 1961 a été ouvert deux heures et demie avant le repas et carafé tout de suite alors que l’autre Château Phélan-Ségur 1961 a été ouvert au même moment et carafé quelques minutes avant le service. Que constate-t-on ?

Contre toute attente, le 1991 est meilleur que les deux 1961. Bien sûr, le 1991 n’a pas la matière ni la vigueur des 1961, mais on sent très nettement que les deux 1961 n’expriment pas la grandeur de l’année. Le 1961 carafé depuis plusieurs heures est meilleur que le 1961 carafé récemment. Peut-on en conclure quelque chose ? Ce n’est pas évident, car l’écart entre deux bouteilles peut jouer plus que l’écart de temps au carafage. Mais c’est intéressant.

Le Pithiviers est probablement un plat un peu lourd pour mettre en valeur ces vins subtils. Mais le plat n’a gêné en rien notre approche de ces vins.

Il ne sera pas difficile de choisir le vainqueur des vins rouges de ce soir. Car le Château Phélan-Ségur 1955 est éblouissant. Il a tout pour lui, le charme, l’élégance, la puissance et la joie de vivre. C’est un vin au sommet de sa forme, comme cela arrive souvent avec les 1955. Le fruit est beau et généreux.

De ces Phélan-Ségur d’années en 1, celui qui gagne est celui qui n’est pas en 1, le 1955. Mon deuxième chouchou est le 1981. Le 1991 aura le prix de la plus belle surprise.

Le Château Chalon Fruitère Vinicole de Voiteur 1959, deuxième vin « Curnonskien » que j’ai apporté est immense. Il est au sommet de son épanouissement, riche, claquant sur la langue et donnant un accord divin avec le Comté. C’est un très grand Château Chalon avec une plénitude unique. Quand il emplit la bouche, c’est de l’or fondu.

Le Quinta do Noval Porto Tawny Colheita 1964 est gourmand mais je trouve qu’il manque un peu de fruit, emporté par sa puissance alcoolique.

En revenant au Clos des Goisses, je suis conquis par ce champagne superbe.

C’était un dîner d’amis. Mais ce fut l’occasion d’ouvrir des années rares de Phélan-Ségur dont certaines venant des caves des convives puisque le château n’en a que très peu. Et la démonstration est concluante : Phélan Ségur est un vin élégant, traditionnel, qui jamais ne force son talent. On s’aperçoit que les vins récents s’inscrivent dans la ligne d’excellence des millésimes anciens de ce beau Saint-Estèphe.

Un château qui est capable de produire un 1955 de cette trempe ne peut pas ne pas être un grand vin. Longue vie à ce château.

L’ouverture de mes vins

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la dégustation des vins jeunes

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les vins du repas

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Dom Ruinart et Selosse en connivence lundi, 10 mars 2014

Ma femme est restée dans le sud. Je suis revenu à Paris pour voir mon fils venu de Miami. Il est souvent pris, je suis souvent pris, un seul jour concorde. Au programme, deux boîtes de 125 grammes de caviar Prunier, l’une à couvercle noir et l’autre à couvercle orangé brun. Il y a de la crème que nous ignorerons et du beurre. Il y a une baguette traditionnelle. Les cuillers en nacre sont prêtes, le décor est planté.

Le bouchon du Champagne Dom Ruinart 1973 vient sans trop d’effort et le pschitt est discret. La couleur est légèrement ambrée, la bulle est active. Ayant reçu la première gorgée, je suis accueilli par une première amertume qui disparaît très vite. Ce qui frappe, c’est la sérénité tranquille de ce champagne. Mais il est aussi ciselé. C’est un blanc de blancs qui claque, qui vibre, ce qui n’empêche pas un beau fruit discret dans des tons de brun.

Le caviar à couvercle noir est joliment gras, rassurant, convainquant, serein. Le caviar à couvercle ocre est très différent même si sa couleur et son grain sont assez proches de l’autre. Il est beaucoup plus marin, salin, avec une longueur qui n’en finit pas. Mon fils préfère le noir et je préfère le brun.

Le Champagne Selosse 2002 a une bulle légèrement plus grosse et sa couleur est presque la même que celle du Dom Ruinart. Dès le premier contact, ce qui frappe, c’est l’opulence, un fruit marqué, un côté lacté, épais, et une présence en bouche marquée. Le Selosse est plus mûr qu’il ne devrait alors que le Dom Ruinart est plus jeune qu’il ne devrait.

Et ce qui me fascine, c’est qu’un pont se crée entre les deux. Ils se parlent entre eux, au point de créer une continuité gustative saisissante. Le Dom Ruinart est plus ciselé, plus fin et le Selosse est plus charnu. Les deux ont un charme fou et rebondissent sur les caviars, le Selosse surtout sur le plus marin et le Dom Ruinart plus sur le plus opulent. Mais lorsque l’on passe de l’un à l’autre quel que soit le sens, les deux se rejoignent.

Peut-on imaginer plus grand moment de communion avec mon fils que ces deux caviars très purs et ces deux champagnes merveilleux dans leurs différences et leurs complémentarités.

Un camembert très fait et intense a fait vibrer les deux champagnes. Au-delà de la connivence avec mon fils, ce qui m’a fasciné, c’est la connivence de deux champagnes que tout oppose, l’âge et la conception, et qui se retrouvent comme deux frères.

Magnifique soirée.

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Le Musée Jorge Perez de Miami samedi, 1 mars 2014

Le Musée Jorge Perez de Miami est au bord de la mer, comme l’est le musée Dali de Saint-Pétersbourg à l’ouest de la Floride. L’architecture est superbe, épurée, de matériaux simples judicieusement mariés. Il y a une exposition de l’artiste chinois Ai Weiwei qui a attiré beaucoup de monde car une de ses œuvres représente une série de vases sur lesquels différentes couleurs de peinture ont été renversées. Et derrière les pots alignés d’immenses photos montrent l’artiste prenant l’un de ses pots et le brisant. Un artiste local frustré que l’on mette en exergue un artiste chinois et pas un artiste local est venu sur place, a pris un vase et l’a brisé. Quelle meilleure publicité que celle-là pour l’exposition. Nous y sommes allés. C’est parfois provocant, parfois intéressant. D’autres artistes sont exposés. Le site en lui-même vaut la visite.

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L’oeuvre de l’artiste chinois

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d’autres oeuvres de lui à base de rond à béton

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d’autres oeuvres du musée

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Le choc du retour en France samedi, 1 mars 2014

C’est le chemin du retour. Le personnel de bord d’Air France est souriant et serviable. Ce fut le cas à l’aller. C’est le cas au retour. Il faut le signaler. Le voyage est secoué, le service étant interrompu lorsque le capitaine demande au personnel de cabine d’attacher ses ceintures du fait des soubresauts de l’avion. Pendant plus de la moitié du voyage, ce sont des montagnes russes, car nous sommes poussés par un fort vent qui nous fait arriver avec près d’une heure d’avance.

Que fait-on dans ce cas-là à Roissy ? On nous fait descendre par des escaliers abrupts dans des bus. Pas de rampe d’accès. Notre terminal est si loin du point d’arrivée que le bus nous promène pendant près d’une demi-heure. Tout le monde se regarde en se demandant par quelle aberration on nous fait faire de tels détours. Enfin le bus s’arrête. Le conducteur descend du bus, sans ouvrir les portes. Nous nous regardons encore. Il remonte, avance de deux mètres, estime que sa position est bonne et quelques minutes plus tard, les portes du bus s’ouvrent.

Nous marchons vite pour aller au passage de douane où une foule immense attend. Nous faisons la queue. Toutes les cinq minutes, une voix impersonnelle nous dit qu’un bagage à main ayant été trouvé dans un hall, le propriétaire est urgemment prié de venir le reprendre. De tels incidents sont fréquents dans les aéroports et nous attendons sagement. Mais le message ne cesse de se répéter, les postes de douanes affichent « Closed ». Aucune explication n’est donnée et l’on demande que le propriétaire du colis se manifeste. La salle se remplit encore et encore et le calme apparent de la foule est à signaler.

Le message d’un ton impersonnel et ne comportant aucune réelle information se répète sans cesse, alors que dans des cas déjà rencontrés, le colis suspect est assez rapidement détruit. Aucune décision, aucune information. L’immense hall se remplit de milliers de personnes qui ne comprennent rien. Je redoute une grève qui ne dirait pas son nom.

Tout le monde est pris d’un fou-rire lorsque la même voix rappelle que si quelqu’un égarait un bagage, celui-ci pourrait être « immédiatement » détruit. C’est le mot « immédiatement » qui fait rire tout le monde alors que nous attendons depuis une heure.

Les postes de douanes s’animent, nous passons avec des contrôles succincts. Je repère que sur le tapis de valises numéro 33, il y a cinq vols qui ont leurs bagages en même temps que le notre. J’ai peur d’une grande confusion mais s’il y a foule, ça se passe plutôt bien. C’est au point de départ des taxis que l’attente devient interminable. Notre chauffeur de taxi ne connaît pas notre ville de destination. Nous retrouvons les autoroutes françaises avec leur saleté repoussante et les détritus jamais nettoyés. Un camp de Roms en pleine nature est d’une saleté incroyable.

Nous retrouvons la France, chagrinés de son inefficacité et de sa saleté. Sous un ciel nuageux presque noir, le retour au pays est bien rude.

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Dîner à La Palme d’Or de l’hôtel Biltmore Miami vendredi, 28 février 2014

Notre séjour se poursuit à Miami. L’hôtel Bilmore a plusieurs restaurants, dont un gastronomique, La Palme d’Or. Il est tenu par un élève de Joël Robuchon qui a fait ses armes à l’hôtel du Palais à Biarritz, à New York, à Las Vegas, dont le nom est Grégory Pugin.

L’entrée du restaurant n’est pas assez mise en valeur au sein de l’hôtel et la fréquentation en souffre certainement car nous sommes quasiment les seuls. Or ce n’est pas justifié, car la cuisine est de haute qualité. Nous sommes six et nous prenons le grand menu dégustation dont chaque étape est optionnelle, le choix existant entre deux plats très différents.

Celui que je mangerai est : le homard du Maine, taboulé, yaourt en gelée, navet, avocat, et vinaigrette au jus de fruit de la passion / l’oursin dans sa coque, avec huître, langoustine, échalotes et mousse de gingembre / risotto à la truffe noire, artichaut et ailes de poulet / cabillaud sauce barigoule et pommes de terre boulangère / bœuf Kobé du Japon, racines de céleri, pommes de terre et sauce périgourdine / époisses chaude, truffe noire / Yuzu et coulis de framboise.

L’exécution est de très belle facture, les plats s’épurant au fil du repas. L’oursin est superbe, le risotto est parfait et le bœuf de Kobé succulent. Deux au moins des plats dépassent le niveau de une étoile.

Le Champagne Grande Année Bollinger 2002 est dans un état de maturité qu’il faut signaler. Certains champagnes de 2002 sont en ce moment dans une phase intermédiaire entre jeune champagne et champagne mûr. Celui-ci est d’une rare sérénité. Il emplit la bouche avec bonheur, développe des complexités de bon aloi. « Il cause ! ». Champagne de pleine mâche, il aurait volontiers un goût de revenez-y.

Le Chablis Grand Cru Grenouilles Louis Michel et Fils 2011 titre 13° ce qui est loin d’être négligeable. Sa jeunesse ne rebute pas. Il a un beau fruit, beaucoup d’allant, mais sa générosité cache un peu les caractéristiques ascètes d’un chablis grand cru. Il est plaisant, très agréable et peut-être un peu trop flatteur. Avec l’oursin crémeux, il trouve un accord superbe.

Le Pieve Santa Restituta Sugarille, Brunello di Montalcino Gaja 2007 titre 14,5°. On sent l’alcool à l’attaque, mais il se supporte très bien. Il est plein en bouche, très équilibré, un peu monolithique, mais c’est son final qui m’enchante. Il est frais, claque bien, et signe un très bon vin. C’est avec le bœuf qu’il trouve sa plus belle résonnance.

La carte des vins est bien composée et pourra s’étoffer lorsque le succès du restaurant s’amplifiera. Il conviendrait de rendre le site plus accueillant et plus moderne, car en voulant respecter le style Biltmore, le lieu est assez triste. Le service est aussi assez compassé. Miami est une ville qui bouge, qui pulse, très dynamique. Le chef qui a beaucoup de talent et doit réussir, doit épouser son époque plutôt que de s’emprisonner dans la mémoire de George Merrick l’éblouissant investisseur des années 20 et créateur de Coral Gables et du Biltmore.

Nous avons passé une excellente soirée, avec des plats de grande cuisine.

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le dessert est dans une coupe sculptée en glace et éclairée par en dessous, avec des lumières de toutes les couleurs

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Un incroyable restaurant de station-service ! lundi, 24 février 2014

Le dimanche suivant, nous avons prévu de dîner en ville. Quand nous allons chez mon fils vers midi, aucune table n’a été réservée. Ma belle-fille bavarde avec une de ses amies.

Tout-à-coup, mon fils a envie d’aller se promener et suggère à sa mère et moi que nous l’accompagnions. Ça le prend comme une impulsion. Nous partons en voiture sans destination annoncée. Mon fils quitte la US 1 et prend une petite rue. Il entre sur l’aire de stationnement d’une station-service BP. Il a peut-être une envie pressante.

Apparemment il faut le suivre et je ne sais toujours pas pourquoi. Nous entrons dans la boutique de la station-service qui ressemble à des milliers d’autres, mais je vois au fond un nombre inhabituel d’étagères de vins. Il y en a franchement beaucoup.

Nous progressons jusqu’à un panneau demandant d’attendre qu’un serveur nous place, car on voit des tables d’une possible cafétéria. Et mon fils me dit : « nous mangeons là ». Je n’en crois pas mes oreilles. Que venons nous faire dans une cafétéria de station-service ? Et je regarde d’un peu plus près, étonné de voir que de grands vins sont exposés dans les étagères. Mon fils me rassure en me disant que c’est – pour lui – le plus grand restaurant espagnol de Miami.

Nous entrons et prenons place et je vois derrière des vitres une petite salle comme celles qui recèlent de précieux cigares ou de précieux vins dans les boutiques d’aéroports. Curieux, je pénètre avec mon fils à l’intérieur et là sont en caisse des vins du Domaine Leflaive, des Palmer, des Clos de Tart, des Beaucastel et autres vins. Mon sourire s’élargit. Mon fils prend sur un rayon une bouteille de Vega Sicilia Unico 2002 et me dis : « je t’invite ».

Le restaurant El Carajo est un authentique restaurant espagnol. Le serveur est sympathique et connaisseur, car pour lui, Vega Sicilia Unico est ce qu’il y a de mieux dans l’immense cave du lieu.

Nous commandons du Pata Negra, une tortilla, et deux sortes de viandes de bœuf avec des frites et des galettes de pomme de terre.

Je demande que le Vega Sicilia Unico 2002 ne soit pas carafé pour que nous profitions de son éclosion. J’ai bien fait, car dans la fraîcheur de son ouverture, ce vin est tout simplement divin. Il a l’attaque d’un vin riche et lourd, un corps puissant d’un beau fruit et c’est le final qui justifie mon amour immodéré pour Vega Sicilia Unico. Car ce final anisé et mentholé claque sa fraîcheur comme un fouet.

Le vin s’est épanoui par la suite et a gardé son final frais et entraînant, mais c’est sur le premier tiers de la bouteille que je l’ai préféré, car il fait montre d’une vivacité plus grande. C’est un vin dont je suis amoureux.

La viande est bonne, le service est efficace. Un fait ne trompe pas. Quand mon fils a payé, sa carte bleue a été utilisée. Il range ses reçus et sa carte et soudain le serveur vient le voir. Il lui dit que le service avait déjà été inclus. Le service que mon fils avait ajouté n’était pas nécessaire. Le serveur a donc corrigé à la baisse le paiement que mon fils avait accepté. De tels comportements sont à signaler.

Ce repas a été un vrai plaisir. Et je me plais à constater que les deux meilleurs restaurants de notre séjour, si l’on met de côté Bern’s Steak House où l’on va pour le vin, ce sont deux « routiers », le Ma’s Fish Camp d’Islamorada où la nappe est en papier sur une table en bois, mais où la cuisine simple est enthousiasmante et ce restaurant de station-service où les vins, à prix très bas, sont merveilleux. Et la table en bois est sans nappe. Out le Delano des beautiful people, out les restaurants du Biltmore, et vive El Carajo et Ma’s Fish Camp !

Il n’y aura pas de dîner en ville, ce joyeux déjeuner a éclairé notre journée.

 

Nous arrivons dans une station service

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magasin comme il en existe des milliers

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Mais, ça s’oriente vers le vin et l’Espagne

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le vin et la nourriture

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restaurant Bern’s Steak House – diner avec 7 vins de 100 ans et plus samedi, 22 février 2014

Nous sommes à Tampa, Adam, un amateur américain et son beau-père Michael, mon fils et moi. Nous allons dîner au restaurant Bern’s Steak House. Nous avons choisi les vins du dîner dans l’impressionnante cave du restaurant forte aujourd’hui de plus de cinq cent mille bouteilles, j’ai ouvert les bouteilles trois heures avant le repas.

Brad Dixon a juste le temps de nous entraîner avec Adam le caviste dans la grande cave de réserve du restaurant. C’est un immeuble de deux étages qui offrait des appartements. Toutes les cloisons et les planchers ont été enlevés, toutes les fenêtres ont été fermées. C’est donc une immense boîte ou les étagères et les montants sont en planches clouées. Et sur les étagères on ne voit pas de bouteilles mais des cartons de douze bouteilles entreposés à la va-vite, certains penchés ou posés à l’envers. Rien n’est fait pour flatter l’œil. Les allées sont extrêmement étroites et je demande comment on atteint les niveaux supérieurs, à près de cinq mètres de haut. Et Adam dit que l’on n’utilise pas d’échelle ou d’escabeau, mais que l’on grimpe sur les étagères, ce qui explique que des cartons soient bousculés. Les enfilades d’allées sont interminables et Brad nous montre des lubies de Bern Laxer qui comme tout collectionneur a parfois acheté des vins en quantités délirantes comme une Moscatelle qui finit aujourd’hui dans les sauces du restaurant, ne trouvant pas d’amateur.

A 19 heures, nous nous présentons tous les quatre au restaurant. Brad Dixon le chef sommelier me conduit en cave pour que je sente les vins afin de déterminer l’ordre de service des six bordeaux. Mais pendant la pause entre ouverture et repas, j’ai imaginé que l’ordre de service le plus cohérent serait de présenter en une première série les trois vins que j’avais laissés ouverts pour qu’ils s’aèrent et de grouper dans la deuxième série les trois vins dont les parfums étaient si aguichants que j’avais fait reboucher les bouteilles. Adam, le caviste, enlève les bouchons de la deuxième série.

Nous passons à table. Brad ouvre le bourgogne et rapporte un bouchon impeccable sorti entier, ce qui avait été difficile pour les autres vins plus vieux d’au moins un demi-siècle. Mes amis se moquent gentiment de moi, puisqu’il apparaît que Brad est plus habile que moi. Brad sert la première série de bordeaux qui va faire notre apéritif, qui sera accompagné de fines tranches de carpaccio d’une viande bien grasse et nervurée. La couleur des trois vins est d’un beau rouge sang très frais.

Le Château Léoville-Poyferré 1909 est le plus clair des trois. Ce qui le caractérise, c’est sa force de séduction. Ce vin très féminin est tout en charme, avec un final d’un beau panache. Il a des fruits roses et rouges.

Le Château Palmer 1910 est tout le contraire. Il est guerrier, dense, affirmé, de grande structure. C’est le mâle dominant.

Il est bien difficile de dire lequel nous préférons. Le Palmer a la structure et le Saint-Julien a la séduction. J’ai un petit faible pour le Léoville qui est d’une rare subtilité.

Le Château Lagrange 1914 est hélas bouchonné, ce qui ne se sentait pas à l’ouverture. C’est un défaut mineur, qui se sent peu à l’attaque et en milieu de bouche mais qui fait dévier le final. Ce qui est assez étonnant, c’est que ce défaut s’estompera presque totalement un quart d’heure plus tard, puis réapparaîtra une demi-heure ensuite pour pratiquement disparaître lorsque la viande sera servie. Mais mon intérêt est émoussé.

Nous passons commande d’une viande et c’est Adam, fidèle du lieu, qui nous guide vers une viande de bœuf au goût prononcé qui sera servie en une tranche pour quatre, afin d’augmenter la tendreté par l’épaisseur du morceau.

Entretemps, on nous sert une soupe à l’oignon, deux foie gras l’un chaud et l’autre en terrine, ce qui nous plombe, alors qu’arrive la plantureuse viande superbe et de forte personnalité. Elle est accompagnée de frites.

Le Château Brane-Cantenac 1887 est fantastique et émouvant. C’est ce vin qui apparaît le plus jeune de tous. Sa couleur est de rouge sang, et sa vivacité est irréelle. Comme pour tous les rouges que j’ai choisis en fonction de leur couleur, ce vin évoque les fruits rouges et roses, comme en un coulis léger. Ce vin est si beau que je suis très ému, car il nous livre des secrets de vignerons du 19ème siècle.

Le Château Mouton-Rothschild 1907 est le vin qui a le plus beau parfum. C’est le plus racé de tous et le plus complexe. Ce vin est très grand. Paradoxalement il fait plus son âge que son aîné de vingt ans, le margaux.

Le Château Haut-Bailly 1913 avait un nez agréable à l’ouverture, mais là, je suis un peu gêné par une odeur médicinale. Est-ce mon verre, je ne sais, car mon fils, qui a souvent les mêmes jugements que moi, l’aime beaucoup. J’ai pu imaginer ses qualités, mais à aucun moment je n’ai vraiment eu la vibration que l’on pourrait attendre de ce très grand vignoble.

Il y a tellement de récompenses avec quatre vins sur six que nous jouissons de ce moment irréel qui est d’avoir devant soi six verres de vins de cent ans et plus.

Sans attendre l’arrivée des deux autres vins, nous votons pour les bordeaux. Nous sommes quatre et trois vins sont votés au premier rang : le Brane Cantenac deux fois, le Palmer et le Mouton une fois.

Le vote du consensus est : 1 – Mouton 1907, 2 – Brane-Cantenac 1887, 3 – Palmer 1910, 4, Léoville-Poyferré 1909.

Mon vote est : 1 – Brane-Cantenac 1887, 2 – Mouton 1907, 3 – Léoville-Poyferré 1909, 4 – Palmer 1910.

Il y avait en fait deux groupes : le 1887 et le 1907 en tête, avec un choix ouvert entre les deux, puis le 1909 et le 1910, avec un choix ouvert. Ces quatre vins ont démontré la vivacité, l’élégance, la subtilité de ces bordeaux quand ils sont bien conservés et quand ils ont gardé une couleur pleine de vie.

Le Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1964 a une belle couleur, un peu plus tuilée que celle des bordeaux. Le nez quand Brad m’avait servi un verre en début de repas, avait toutes chances de surpasser celui des bordeaux. Mais maintenant qu’il entre en scène, on est obligé de constater que s’il est extrêmement plaisant, avec une belle prestance, il est trop simple si on le compare aux bordeaux qui l’ont précédé. Il y a trop de complexités dans ces bordeaux par rapport à ce bourgogne plus rustique. Nous en profitons évidemment, mais le souvenir de quatre bordeaux si brillants est ce qui peuple notre mémoire.

Le Porto Peatling & Sons 1896 a été acquis en 1985 auprès de Sothebys. Le nez m’avait beaucoup plu à l’ouverture. Maintenant, on sent trop l’alcool qui prend le devant de la scène, alors qu’il a de belles qualités. Je sens du café, du caramel, du raisin de Corinthe. Il est très fort et persistant, mais il est trop alcool.

Le dessert que j’ai pris est à base de noix de Macadamia et de glace au caramel. Il est tout indiqué pour ce porto, agréable mais trop envahissant.

Si l’on devait voter en incluant ces deux derniers vins, le Corton serait cinquième et le Porto sixième.

Que dire de ce repas de folie ? L’accueil qui nous a été réservé a été chaleureux et amical, Brad se prêtant avec bonne volonté à mes exigences maniaques. La viande est bonne, mais l’on mange beaucoup trop.

Avoir face à soi six vins de 1887 à 1914, cela ne peut pas laisser indifférent, surtout quand quatre d’entre eux en remontreraient aisément à des vins de cinquante ans plus jeunes. La jeunesse du 1887, la noblesse du 1907, la solidité du 1910 et la grâce féminine du 1909, ce sont des cadeaux pour l’amateur de vins que je suis. Nous avons vécu un grand moment, en faisant vivre des vins qui ne demandaient qu’à raconter toutes leurs complexités. Vive Bern’s.

 

Les plats

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notre tablée (et mon fils qui se sert)

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les alignements de verre de vins centenaires !

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restaurant Bern’s Steak House de Tampa choix et ouverture des vins samedi, 22 février 2014

Un des grands moments de mon séjour aux Etats Unis, c’est d’aller avec mon fils dîner au restaurant Bern’s Steak House de Tampa, le restaurant qui a eu, du temps de son fondateur, la plus grande cave du monde, avec un million de bouteilles. Les prix de vente étaient si bas que les plus belles années ont été bues et le bouche à oreille aidant, les bouteilles très anciennes devenaient de plus en plus rares. Comme le stock de vins anciens n’est plus réapprovisionné depuis le décès du fondateur, le stock de vins très anciens s’amenuise. Seuls les prix bas sont restés, alors que pour les vins plus récents, les prix se sont actualisés avec de sensibles augmentations.

Un américain, Adam, grand amateur de vins, collectionneur de Tokaji, musicien, qui suit mes aventures sur mon blog, m’envoie un mail dans lequel il dit qu’il souhaiterait venir dîner à Tampa avec moi, si j’ai l’intention d’y aller. Il est un familier du lieu. J’accepte sa proposition. Nous serons quatre, Adam, son beau-père Michael, mon fils et moi.

Nous avons choisi un hôtel qui est juste en face de Bern’s, l’hôtel The Epicurian, tout nouvellement ouvert. De ma chambre je vois le restaurant mais aussi l’immeuble bas qui loge l’essentiel de la cave. Il est prévu que nous la visitions.

A 15h15 nous sommes tous les quatre devant la porte de Bern’s. Brad Dixon le sommelier avec qui nous avons rendez-vous nous accueille, ravi de revoir chacun des convives. Adam avait établi une liste de vins au sein de laquelle nous pourrions choisir les vins du dîner, selon la règle suivante : des bordeaux rouges, sans considérer les premiers crus classés, d’avant 1915 pour qu’ils soient tous centenaires, et dont le budget unitaire ne dépasse pas mille dollars.

Un autre Adam, caviste du restaurant depuis trois ans, a aligné à l’entrée de la cave toutes les bouteilles suggérées par Adam. Il y en a une bonne quarantaine. Je suis chargé de choisir celles que nous boirons.

Plus de la moitié de ces bouteilles ont des couleurs qui ne me plaisent pas. Avec l’aide de mes amis, je sélectionne environ 18 bouteilles au sein desquelles nous allons choisir les vins du dîner. Parmi les bouteilles il y a des vins qu’aussi bien Adam que moi nous avons bus ici-même. Malgré leurs belles couleurs, nous les écartons, pour retenir six à sept bouteilles nouvelles pour tous.

Adam ayant exclu les premiers grands crus classés, je demande à voir la liste de cave, en disant à Adam que si nous dépassions la limite budgétaire, je prendrais à ma charge le dépassement. Une bouteille de Mouton 1907 me semble superbe. Le prix pourrait être dans les limites prévues. Elle est choisie. Cinq autres bordeaux sont ajoutés et un Porto. Tous ses vins sont de millésimes entre 1887 et 1914.

Un repas sans bourgogne ne serait pas un repas, aussi Brad m’apporte la liste des vins. Il n’y a pratiquement plus aucun millésime ancien. Je vois dans cette liste un Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1964. Il se trouve que ce vin est vinifié aujourd’hui par le domaine de la Romanée Conti. En buvant ce vin, ce serait un clin d’œil envoyé à ce prestigieux domaine. Mes amis approuvent ce choix.

Le temps est venu pour moi d’ouvrir toutes ces bouteilles sauf le bourgogne qui sera ouvert par Brad au début du repas. Quasiment tous les bouchons se brisent en mille morceaux, le tirebouchon ne levant que des miettes dans la partie centrale. L’opération d’ouverture durera un temps très long. La cave étant très sombre, Brad tient en main une lampe qui éclaire mon champ opératoire.

La plupart des bouteilles étant très anciennes sont irrégulières, et les rétrécissements des goulots font que les bas des bouchons se déchirent. Je lutte pendant plus d’une heure, ce qu’aucun sommelier ne pourrait faire tant il est appelé à s’occuper de nombreux clients. Il y a trois vins aux odeurs superbes, de fruit et de vigueur. Je fais poser un bouchon neutre sur chacune pour conserver ces parfums idéaux. Il s’agit du Mouton 1907, du Brane-Cantenac 1887 et du Haut-Bailly 1913. Les trois autres bordeaux ont des nez qui promettent et bénéficieront de l’aération. Ce sont Léoville-Poyferré 1909, Palmer 1910 et Lagrange 1914. Le Porto 1896 a aussi un parfum très riche. Je le fais reboucher.

Brad me demande dans quel ordre je souhaite faire servir les vins. Je lui réponds que je sentirai les vins à 19 heures avant de passer à table.

Nous sommes heureux que tous les vins soient porteurs de belles promesses. C’est donc le cœur joyeux que nous regagnons nos hôtels pour nous reposer avant le lourd Marathon qui nous attend.

Le site de Bern’s Steak House vu de ma fenêtre d’hôtel

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La grande cave de réserve, vue de ma fenêtre

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entrée en cave Adam à gauche et Michael à droite

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Brane Cantenac 1887

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Mouton 1907 avec l’année très lisible sur le bouchon

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Léoville-Poyferré 1909

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Palmer 1910

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Lagrange 1914

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Haut-Bailly 1913

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Porto 1896

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j’ouvre les vins, avec une lampe portée d’abord par Brad Dixon puis par Adam. L’autre Adam regarde

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le résultat de mes efforts

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le Corton 1964 avec le bouchon sorti par Brad

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