Jean Sulpice et Stéphane Rossillon jouent à quatre mains sur les champagnes Selosse aux Avisés mardi, 7 mai 2013

Lorsqu’Anselme
Selosse a décidé de se lancer dans l’hôtellerie et la restauration, on pouvait se demander : que va-t-il faire dans cette galère ? Force est de constater que c’est un plein succès. Jean-Philippe m’avait dit il y a quelques semaines : il y aura un dîner à quatre mains à l’hôtel les Avisés d’Anselme avec le jeune chef Jean Sulpice, le chef étoilé le plus haut du monde, puisque son restaurant L’Oxalys est à Val Thorens. Sans réfléchir je réponds instantanément : nous venons, mon épouse et moi.

A 17 heures nous nous présentons aux Avizés ou Avisés selon les orthographes possibles, et Anselme nous accueille. Notre chambre est ravissante, d’une décoration raffinée réalisée par Corinne Selosse. Jean Philippe nous rejoint et nous allons serrer les quatre mains, celles du chef Stéphane Rossillon et celles de Jean Sulpice, mais aussi celles des commis, celles de Nathalie, l’épouse de Stéphane, celles de Magali, l’épouse de Jean, celles de Coralie, directrice de salle de l’Oxalys, que nous avons connue à Casa del Mar.

Assez rapidement, je déclare une grande soif et Anselme va chercher en cave un Champagne Selosse magnum 1997. Ce champagne qui claque sur la langue m’évoque le feu et Anselme me demande : quel feu ? Je réponds : la cendre et Anselme sourit, car la cendre fait partie de ce qu’il cherche à exprimer dans ses champagnes. Ce champagne est très agréable à boire et nous picorons des petits dés de féra fumée du lac Léman. Je lui trouve un petit manque de longueur et on dirait qu’Anselme a lu dans mes pensées car il va chercher un Champagne Selosse 1990. Comme dans les films de science-fiction nous changeons de dimension, car la première caractéristique de ce 1990 est l’insondable profondeur. Il est riche, plus large que le 1997 mais incroyablement plus profond. C’est une magnifique réussite.

Si Anselme ouvre un Champagne Selosse 1999, ne croyez surtout pas que c’est pour boire. Non, non, c’est seulement pour la science : c’est pour comparer avec les deux précédents. Et comme nous buvons tout cela en cuisine, on notera bien que seul nous guide l’impératif didactique. Ce qui est étonnant, c’est l’abondance du fruit dans ce 1999. J’en fais la remarque à Anselme en suggérant que ce n’est peut-être pas la direction qu’il recherche. Mais Anselme me dit que cette voie fait partie de celles qu’il explore. Dans la cuisine, ce ne sont que rires, joie, remarques aimables et le travail se fait, dans le calme, sans stress. Alors que Stéphane et Jean vont jouer ce soir une partition à quatre mains importante, c’est la sérénité qui règne.

Sur la terrasse face à la colline, les premiers participants au dîner arrivent. Il y a un fort contingent de Vertus, commune voisine, dont deux ou trois vignerons et leurs épouses. Nous bavardons en portant des toasts avec un Champagne Selosse 2000 très pur, équilibré, carré et droit. Le tempura de grenouille, ail et persil de Jean plante le décor : c’est raffiné et parfait.

Le menu mis au point par les deux chefs est ainsi composé : œuf de cailles poché dans un sirop, fine gelée de concombre, féra fumée, fleurs de bourrache et feuilles d’oxalis / l’asperge et la queue de langoustine à l’anis vert grillé à la plancha, jus des pinces émulsionné à l’huile d’olive Taggiasca / filets de perche du lac Léman, crémeux pistache et émulsion citronnelle et gingembre / râble de lapin infusé au serpolet, jus de moules au chorizo / le pigeon en croûte de sel à la verveine purée de petits pois et légumes de printemps / la selle d’agneau de lait des Pyrénées roulé au chèvre et menthe fraiche, datte medjoul et pilaf de quinoa au citron confit / rhubarbe pochée dans un sirop d’épices, blanc-manger au lait d’amande et miel de montagne / millefeuille craquant de chocolat noir, ganache à la confiture de cassis, sorbet persil / la Chartreuse flambée sur coque de chocolat, sorbet mure.

Etant placé à côté de Jean-Philippe et en face d’Anselme, de Corinne et de leur fils Guillaume, il est certain que j’ai été captivé par nos discussions, ce qui m’a conduit à accumuler des impressions plus que des analyses. De ce repas, je retiens l’œuf, absolument superbe, le râble de lapin très équilibré et très propice aux accords mets et vins, le pigeon remarquable, avec la verveine qui excite le champagne, la très belle selle d’agneau, le blanc-manger aérien, et les desserts de haut niveau. Mais le charme venait surtout de l’ambiance en cuisine, avec le sourire des deux chefs, leur complicité et l’engagement de tous y compris des jeunes commis.

Les champagnes, tous de Selosse, ont particulièrement collé aux plats et comme je buvais les paroles d’Anselme, je me suis laissé bercer par les vins marqués par une grande pureté. Champagne Selosse 2000, Champagne Version Originale Selosse, Champagne Selosse 2003 que j’aime particulièrement, Champagne Les Carelles Selosse 2003, Champagne Selosse 2002 promis à un grand futur, Champagne Selosse 1999 très original, Champagne Lubie rosé Selosse très agréable et subtil, Champagne Exquise Selosse et enfin le ratafia « Il était une fois » de Selosse.

La passion d’Anselme est assez fascinante. Il sait mettre des mots sur le rythme des saisons, l’influence de tel ou tel événement climatique, de tel ou tel élément minéral sur le futur et le présent d’un vin. Il est en permanence en réflexion et en interrogation. Il le fait avec beaucoup de sagesse et de gentillesse. Corinne est aussi passionnée que lui, décoratrice hors paire de ce lieu charmant.

Jean est un chef formé par Marc Veyrat qui est en pleine ascension, ce qui n’est pas le jeu de mots facile, mais une réalité. On le sent prêt à assumer une cuisine de haute création. Magali parle des vins avec des commentaires judicieux. Stéphane fait une cuisine solide de haute sécurité et Nathalie tient la maison avec discrétion et efficacité.

Si je devais tirer quatre fleurs de ce bouquet flamboyant, ce serait le râble, le Selosse 1990, le sourire de Jean, mais surtout l’atmosphère de félicité et de complicité qui a marqué cette soirée.

Après trois expériences de dîners à quatre mains, il semble évident que cette formule est extrêmement féconde pour les chefs mais aussi pour ceux qui profitent de leur cuisine.

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Dîner au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropez, nouveau trois étoiles mercredi, 1 mai 2013

La Réserve de la Pinède à Saint-Tropez est un coin de paradis. Imaginez un triangle dont les côtés ont des chambres ou des suites face à la baie de Saint-Tropez et dont l’hypoténuse est une délicieuse plage de sable fin. L’intérieur du triangle est une pinède élégante où sont semées de jolies tables et d’attirantes chaises longues. Face à la mer, au soleil couchant, nous prenons un Champagne Dom Pérignon 1996 qui confirme, une fois de plus, qu’il est une réussite majeure. Le champagne est floral, évoque les fruits blancs, mais c’est surtout sa vivacité et sa persistance aromatique qui enchantent.

Les amuse-bouche sont d’inégal intérêt, le tempura de langoustine étant une petite merveille.

Pour choisir ce champagne, j’avais consulté la carte des vins où il est facile de repérer ce qui est prévu pour le touriste russe et ce qui est prévu pour l’amateur de vin. Il y a quelques bonnes pioches, mais la carte des vins n’a pas encore le niveau de variété que doit avoir un restaurant trois étoiles. Car Arnaud Donckele, le jeune chef, vient de décrocher la troisième étoile pour son restaurant La Vague d’Or, niché dans cet hôtel. Trop rapide sans doute, j’ai commandé deux vins rouges. Le très compétent directeur, Thierry di Tullio, aurait dû stopper ma commande, ou le sommelier, car les vins ont joué à contremploi. Mais le caractère décidé et péremptoire de ma commande les en a peut-être dissuadés.

Nous passons dans la grande salle à manger où un peintre expose ses toiles. Tous les goûts sont dans la nature, mais ce n’est pas le mien. Les tables sont espacées et l’atmosphère du lieu est cosy. Le service est impeccable, attentionné et compétent. Lorsque notre compétente et jolie serveuse reprend les ronds de serviette en faïence avec fourchette et cuiller, on ne peut que sourire. Le fait de ramasser les miettes après chaque plat est un plaisir qui devrait être la norme. Bravo.

Le menu que nous avons choisi est la « balade épicurienne » : sériole et chair d’esquinado marinés à la mandarine Berlugane, feuilles de farigoulette, primeurs et herbacés à cru / langouste puce et saint-pierre, coupés en fines tranches, une gelée abyssale, anglaise de corail au yuzu et mélisse / la pâte zitone de foie gras truffé, gratinée au parmesan, artichauts violets étuvés au basilic / courbine meunière déglacée au jus de vernis et braisée longuement, sabayons d’estragons et sudachi, king-crabe enrobé de ses sucs, asperges fondantes et d’autres croquantes et croustillantes / granité à la fleur de thym, sorbet fenouil de Florence, une flanquée d’absinthe / l’esprit d’un pot-au-feu de volaille et homard, le jardin y distille le parfum de légumes, d’herbes et gingembre rose / lactée de brousse du Rove, caillé de brebis au miel de safran de la Môle, yaourt Caillolais de Marseille, poire en deux textures et huile de bouteillan / accord entre la pomme de Manosque et le combava, l’éphémère d’un soufflé chaud, texture en superposition glacée.

Mon potentiel au Scrabble va s’enrichir d’un coup, car il y a la moitié des mots de ce menu que je ne connais pas. Avant de parler de la cuisine, parlons un peu des vins. J’avais imaginé que le bourgogne viendrait avant le vin rhodanien mais devant la complexité du menu, j’ai demandé que les deux vins soient servis ensemble pour que nous puissions choisir l’un ou l’autre pour chaque plat. Et nous avons pu vérifier ce que je constate souvent, c’est que pour un plat déterminé, c’est un des vins qui est adapté, et jamais les deux. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2009 a été brillant pendant toute la première partie du repas alors que le Domaine de Trévallon Vin de Pays des Bouches du Rhône 2001 a ensoleillé la deuxième partie. Inutile de dire que pour certains plats, il a fallu recalibrer le palais en mordant le délicieux pain servi à satiété.

Le Corton 2009 est un vin d’une subtilité rare. Il est soyeux, délicat mais pénétrant en même temps. Il joue en permanence sur son raffinement. Tout en lui est noblesse et j’ai les yeux de Chimène pour ce vin de Corton. Il est jeune bien sûr, mais il est encore dans la période où sa jeunesse triomphe.

Le Trévallon 2001 est nettement moins complexe que le Corton, mais la comparaison n’a pas de sens, car ils ne jouent pas sur le même registre. Ce vin est de soleil, puissant avec ses 14°, direct, s’imposant par sa cohérence. Il est généreux, précis, de belle mâche et emporte nos suffrages par son enthousiasme. Au final, nous classerons, Philippe et moi le Dom Pérignon, puis le Corton puis le Trévallon.

La cuisine d’Arnaud Donckele est résolument tournée vers le produit local de qualité. Il explore des saveurs combinées avec une belle richesse imaginative. L’exécution des cuissons est un modèle du genre. Je serais mauvais juge de cette cuisine car j’attends qu’elle soit tournée vers le vin, ce qui n’est pas le cas de celle-ci. Lorsque je m’en suis ouvert à Arnaud, il m’a dit qu’il a fait immerger dans les eaux d’un banc d’huîtres des bouteilles de vin blanc pour qu’elles captent de l’iode qui s’harmoniserait à sa cuisine. L’intention est louable, mais ne couvrira qu’une facette de sa cuisine. A ce jour, c’est le champagne qui accompagnera idéalement la cuisine d’un chef inventif et créatif.

Je l’aimerai encore plus lorsqu’elle visera la cohérence des plats en pensant aux vins. Il ne fait pas de doute que ce chef est promis à un bel avenir, dans un cadre féerique, avec une équipe dont la compétence et le sens du service est à signaler. Le chef a dédicacé d’un mot charmant nos menus où figurent les noms mais aussi les images des étiquettes des vins. C’est une délicate attention, très représentative de l’esprit du lieu.

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Féerie de Haut-Brion dans le sud dimanche, 28 avril 2013

Henri, ami de longue date est l’ami d’enfance de ma voisine dans le sud. Il lance l’idée d’un dîner de Haut-Brion chez son amie. Je propose d’apporter des Haut-Brion mais il m’est dit qu’il y a ce qu’il faut, car en plus des apports d’Henri choisis par son fils Jean, il y aura ceux d’Olivier. Je prends donc en charge le champagne final. Ma femme collabore avec la maîtresse de maison et réalise plusieurs moments du menu. Les conditions sont remplies. Nous voilà dans le sud.

A 17 heures, je viens ouvrir les bouteilles. Les parfums sont très engageants, sauf celui du Haut-Brion 1978 qui est une menace de bouchon. Pour encourager le travailleur, Henri ouvre un Champagne Dom Pérignon 2003 absolument parfait. Alors que depuis quelques mois j’hésite sur ce 2003, celui-ci est d’un épanouissement idéal, floral et évoquant les groseilles blanches. Il est magnifique de percussion, de joie et de noblesse. Je me rends compte que Richard Geoffroy a vu juste en faisant ce champagne difficile à faire compte tenu des conditions climatiques. Il a pris un pari et l’a réussi. Le bouchon du Haut-Brion 1933 part en charpie, s’émiettant tout au long de sa montée, mais le parfum est divin, de coulis de fraise subtil.

A 20 heures, nous prenons l’apéritif avec de multiples saveurs, œufs de cabillaud, tartines d’oursins, œufs de saumons sauvages, sur un Champagne Mumm sans année qui a l’intelligence de sa politesse. Le Champagne Ruinart rosé qui le suit est aussi politiquement correct, c’est-à-dire agréable et sans folie.

Les choses sérieuses commencent à table. Ma femme a préparé un foie gras avec une gelée délicate à la réglisse qui se devine à peine. Elle est idéale pour un Château Haut-Brion 1969 qui est très au dessus de ce que son année suggère. C’est un beau Haut-Brion velouté, serein, délicat et subtil, joliment épanoui. Il n’est pas tonitruant mais il joue juste.

Les homards sont cuits à la perfection, c’est-à-dire quelques secondes de moins que ce que tout le monde ferait. Le Château Haut-Brion 1993 à la couleur presque noire est infiniment plus puissant que ce que son année indiquerait. Ce n’est pas le Haut-Brion tel qu’on l’attend. On sent que le vin surjoue. Ce n’est pas qu’il serait mauvais, car il se boit avec plaisir, mais il a un petit goût de « too much ».

L’accord qui vient sur le homard avec le Château Haut-Brion 1981 est saisissant d’exactitude. Il y a une vibration entre le plat et le vin qui est un grand moment de bonheur. C’est avec de tels accords qu’on aime la gastronomie. Le vin est l’archétype du Haut-Brion dans les années moyennes, qui réserve toujours des surprises positives. Il est précis, profond, d’une grande authenticité.

L’agneau cuit à basse température avec des petites pommes de terre à la provençale est fondant à souhait. Si le Château Haut-Brion 1978 est vite éliminé pour son goût de bouchon qui, même discret, gauchit irrémédiablement le goût, le Château Haut-Brion 1976 est impérial, joyeuse définition du beau Haut-Brion d’une année solaire. Ce vin épanoui, velouté, ensoleillé, joue juste, car tout en lui est exactement dosé. C’est du travail de précision. On le boit avec gourmandise.

Le Château Haut-Brion 1933 nous fait changer de planète. Ce vin a un parfum d’une intensité rare. On trouve en lui des coulis de fruits rouges. Un ami répète à l’envi que ce vin sent Yquem. C’est vrai qu’il y a un peu de douceur dans ce vin, mais on est très loin d’Yquem. En bouche le vin est très vif, étonnamment vif. Il est très sec, droit, aiguisé comme un couteau, mais il mêle à cela une douceur et un velouté diaboliques. Ce vin est d’une qualité extrême, stratosphérique par rapport aux précédents, à la longueur infinie.

Sur d’excellents fromages mais surtout sur un fromage de brebis bien ferme et frais, le Château Haut-Brion blanc 1970 à l’acidité bien raisonnée et à l’évolution agréable impose sa puissance. Sa force de persuasion est extrême et sa matière vineuse est exceptionnelle. Si l’on peut comparer, le blanc de Haut-brion est plus précis et riche que les rouges.

Le dessert a été composé par mon épouse, salade de mangue avec des madeleines et des arlettes. Le Champagne Krug Vintage magnum 1990 est impressionnant de puissance. Il efface tout ce qui lui résiste et c’est pour cela que j’ai préféré qu’il ne soit pas servi en même temps que le Haut-Brion blanc. Ce champagne racé, pénétrant est d’une richesse aromatique envahissante. Il est idéal pour cette fin de repas.

Le classement des vins évolue tout au long du repas. Les avis sont différents. Mon classement personnel est :1 : Château Haut-Brion blanc 1970, 2 – Champagne Krug Vintage magnum 1990, 3 – Château Haut-Brion 1933, 4 – Château Haut-Brion 1976.

Ce repas fut un travail d’équipe entre Henri, ma voisine et mon voisin, mon épouse et moi pour réaliser un de ces repas dont on est fier quand on est au point final. Car les accords furent merveilleux, les plats sincères et les vins éblouissants. Le plus vibrant accord fut celui du homard avec le Haut-Brion 1981. Alors, ça donne envie de recommencer. L’idée est dans l’air.

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la table avant et après le repas

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Dîner impromptu au Taillevent avec Vannières 1983, Gilette 1943, Clos Joliette 1970 mercredi, 24 avril 2013

Nous voulions avec ma femme profiter du sud après un hiver qui n’en finissait pas. Les billets sont pris, ma femme partant plus tôt que moi. Sans que j’y prenne garde, elle ne sera pas là le jour de mon anniversaire. Par je ne sais quelle préscience, Jean-Philippe me demande ce que je fais le soir de mon anniversaire. Je réponds : « sardines et carottes à la maison ». Péremptoire, il me répond : « ne fais pas ça, je m’occupe de tout ».

Un message la veille, alors que j’étais à l’Assiette Champenoise, m’informe que ce sera au Taillevent. Normalement, je ne devrais m’occuper de rien, puisque Jean-Philippe prend tout en charge, mais quand même, je prends dans ma musette une bouteille pour le cas où.

Je suis le premier sur place. Luc et Jean-Philippe arrivent presque ensemble et de longs conciliabules se tiennent derrière les paravents pour que je ne sois au courant de rien. Mes deux filles arrivent ensuite et notre table est constituée. Je demande avec ma timidité coutumière si je peux oser une ajoute au programme des vins de mes deux amis. On me répond que la souplesse est de rigueur. Cachant mon vin à la vue des amis, je décide derechef que mon vin sera le dernier du repas. Tout se boira à l’aveugle pour moi pour les vins sauf le mien. Mes amis connaissent tous les vins sauf le mien. Pour mes filles tout est inconnu.

Voici le menu concocté par l’équipe du Taillevent avec Jean-Philippe : épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées / homard bleu en cocotte lutée, olives niçoises, basilic et tomates mi-séchées / tourte feuilletée de lapereau, carottes nouvelles et marjolaine / noix de ris de veau croustillante aux morilles blondes / mangue rafraîchie aux fruits de la passion.

Le premier vin blanc sec est presque rose. Le vin est énigmatique car il évoque la truffe blanche, les feuilles d’artichaut, et en bouche c’est un parcours qui change à chaque gorgée. Le vin est sec. J’hésite mais j’imagine Jurançon sans le dire, pour ne pas paraître idiot. Jean-Philippe me donne des indications pour que je trouve. Il s’agit de Clos Joliette Jurançon sec 1970. Ce vin est prodigieux. C’est un Fregoli car il change sans cesse. L’amuse-bouche ayant une crème prononcée, le vin délivre des saveurs de pomelos. Sur le risotto d’épeautre, le vin est exceptionnel. Il me fait penser au parcours de la Coulée de Serrant qui a aussi besoin de beaucoup d’années pour s’exprimer. Il faut bien cet âge au Clos Joliette pour atteindre la complexité magique qui nous déroute à chaque fois, le final claquant comme un fouet.

On ne dira jamais assez les délices de la dégustation à l’aveugle. Le vin qui arrive sur le homard extrêmement goûteux me gêne un peu par un caractère serré et un final un peu rétréci. Il sent le cuir mais aussi la truffe. Quand Jean-Philippe me demande la région, la truffe me pousse vers bordeaux. Mes filles me regardent comme si j’étais déjà atteint de sénilité précoce. Luc, diplomate, me dit que c’est le plus bordeaux des bourgognes. Il s’agit d’un Richebourg Charles Viénot 1949. Je dois avouer que même après qu’on me l’a dit, j’ai toujours du mal à imaginer que ce puisse être un bourgogne. Luc aime son vin et je ne le lui reprocherai pas car j’ai la même attitude, mais ce vin serré, au final difficile, ne m’a pas vraiment convaincu.

En revanche, le vin qui suit est magnifique de générosité et d’équilibre. Il est très velouté, emplissant la bouche avec bonheur. Je sens un vin du sud, mais il faut les coups de pouce de Jean-Philippe qui tente de m’orienter pour que je reconnaisse le Château Vannières Bandol 1983 que j’ai déjà tellement aimé. Ce vin est une grande réussite, sereine, accomplie, vin de grande gastronomie.

Il fallait bien à un moment que je reprenne la main. Répondant aux questions de Jean-Philippe, je déclare : bordeaux, rive droite, pomerol. Et au second essai je dis Trotanoy. Ouf, l’honneur est sauf car il s’agit de Château Trotanoy Pomerol 1970. C’est une beau pomerol, à maturité, qui est peut-être un peu trop civilisé. On aimerait qu’il s’encanaille.

Alors que ma fille aînée est assez éloignée des choses du vin, aimant les vins du sud assez faciles, que nous appelons les vins de Ginette, mais aimant aussi la qualité puisqu’elle a adoré Vannières, c’est elle qui lance en premier Climens. Elle a visé du premier coup Barsac. Il s’agit du Château du Mayne Haut-Barsac 1943 qui nous surprend tous par sa folle jeunesse. Sa couleur est claire, son goût est précis, et même s’il n’a ni l’ampleur ni la complexité d’un Climens, il est absolument charmant. Il a formé avec le dessert à la mangue au combawa un accord prodigieux.

C’est à mon vin d’apparaître. Tout le monde pense qu’il doit être extrêmement vieux, voire du 19ème siècle, car il est très foncé, opaque. Il est riche, profond et ne va pas du tout avec le dessert à la mangue. J’exprime le vœu d’avoir des madeleines pour apprécier le vin et comme par magie, elles arrivent sur table pour former un bel accord avec le Château Gilette Sauternes 1943. Taillevent, c’est la classe. Ce vin a des accents de caramel, mais en trace, car il n’est pas dominant. Le vin est très riche et sa trace est profonde, avec un final immense. C’est le jour et la nuit entre le Barsac et le sauternes. Le Mayne est gracile, fluide, joyeux sur des saveurs de fruits frais. Le Gilette est lourd, imprégnant, pénétrant, d’une intensité rare. Cette conjonction des deux 1943 est passionnante.

Depuis quelques minutes une bouteille d’alcool brun trône sur une desserte et l’on nous cache l’étiquette. C’est Jean-Marie Ancher qui a pris dans la cave du restaurant un Grand Bas Armagnac domaine de Jouanda 1943. Très frais, aérien, sans la moindre pesanteur, il est d’une grande personnalité. L’accord avec les petits chocolats des mignardises est un délicieux péché. La suite de la bouteille m’attendra pour de nouvelles merveilles.

Nous n’avons pas classé les vins. Mon classement n’a pas été discuté : 1 – Château Vannières Bandol 1983, 2 – Château Gilette Sauternes 1943, 3 – Château du Mayne Haut-Barsac 1943, 4 – Clos Joliette Jurançon sec 1970. Le quatrième pourrait être ex-æquo avec le troisième.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir les portions étaient XXL. Il faut imaginer les cinq cocottes lutées transparentes comportant chacune un homard entier. La tourte au lapereau était gargantuesque. J’ai imaginé un complot pour me faire périr ! Nous sommes allés deux fois nous dégourdir sur le trottoir, pour faire de salutaires pauses. La cuisine d’Alain Solivérès est marquée par une sérénité de plus en plus grande. La qualité de ses sauces est une merveille. Mon plat préféré est le risotto d’épeautre avec les cuisses de grenouille. Le homard est exceptionnel et de dessert d’un talent fou. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise et je pense qu’il serait temps que le guide rouge accroche une troisième étoile à cette cuisine qui la mérite.

Le service est toujours d’une parfaite justesse. Il est suffisamment décontracté pour conserver un caractère amical. Au moment du dessert un grand plateau fut tenu devant moi, avec le dessert et une bougie. Mes filles et mes amis ont entonné « joyeux anniversaire » et j’ai soufflé à la fin de leur chant. Si ma femme avait été là, elle aurait fait cesser ce brouhaha, car elle aime la discrétion.

Ce repas amical et affectueux m’a fait mieux accepter l’impitoyable arithmétique de l’âge.

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bicentenaire des éditions Féret mercredi, 24 avril 2013

Dans les ors et les cristaux du musée de Baccarat, l’Union des Grands Crus représentée par Henri Lurton en l’absence du président Philippe Castéja célèbre le bicentenaire des éditions Féret. Son président Bruno Boidron retrace l’histoire de cette grande maison bordelaise, indéfectiblement liée au vin. Les vignerons présents ont fait fort, car ils sont venus avec des millésimes qui se goûtent : 2000, 1996 et même 1990. L’accès aux stands est difficile, tant la foule présente fait honneur à ces grands vins. Je parle plus que je ne bois, car un grand dîner m’attend.

Krug 1979 et Pol Roger 1937 à l’Assiette Champenoise mardi, 23 avril 2013

Peter est un écossais passionné de champagne. Il visite la Champagne avec Sarah et nous nous sommes donné rendez-vous à l’Assiette Champenoise.

Arrivé longtemps en avance, j’ai le temps de mettre au point le menu avec Arnaud Lallement. Nous nous comprenons à demi-mot. Ce sera : asperges vertes et morilles / langoustine royale nage réduite / turbot breton, petit pois, radis / côte de veau de lait, gnocchis crémeux / ris de veau, navets.

Les deux premiers champagnes sont les miens, les deux suivants ceux de Peter. Le Champagne Piper Heidseick 1961 a une couleur fortement ambrée. Je m’en veux tout de suite de ne pas avoir ouvert les champagnes il y a deux heures, car comme le vin, le champagne peut avoir conservé des amertumes qui disparaissent avec le temps. Ce champagne est joliment doucereux, évoquant les sauternes secs, mais je trouve qu’il manque d’émotion. Il est là, récitant de belles saveurs, mais ça s’arrête là.

A l’inverse, le Champagne Pol Roger 1937, à la couleur plus claire, est riche de vibrations et d’émotion. C’est un champagne âgé, mais qui ne le semble pas plus que le 1961. Avec la langoustine et le turbot il réagit bien, trouvant des complexités plus belles. Il a les douceurs des champagnes anciens, plus une belle vivacité.

Le Champagne Krug 1979 est particulièrement aidé par les deux premiers qui mettent en valeur sa jeunesse, plus grande en relativité. Ce champagne a une vivacité et une tension qui s’ajoutent à sa noblesse. On est dans des évocations fumées et d’automne. Ses notes sont déliées et élégantes. Son caractère vineux est bien dosé.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1998 est un gamin, floral, évoquant le printemps, plein de petites suggestions délicates, mais vraiment trop jeune. Il sera grand avec cinq ans de plus.

La cuisine d’Arnaud Lallement est d’une grande maturité, les produits étant traités avec une grande lisibilité. La langoustine est d’un grand raffinement et je suis tombé en pâmoison devant la côte de veau, plat trois étoiles s’il en est.

Il est intéressant de noter que Sarah a mis en premier le Piper 1961, pour son réveil provoqué par les plats. Il fut hautement gastronomique, même s’il a manqué, pour moi, d’émotion. Mon classement est : 1 – Krug 1979, 2 – Pol Roger 1937, 3 – Piper 1961, 4 – Clos du Mesnil 1998. Ce classement n’est pas lié à la valeur des vins, car le quatrième deviendrait premier, mais à l’aptitude à figurer dans ce dîner.

Dans une salle du premier étage, un grand nombre de vignerons s’étaient réunis. A la fin du repas, ils fumaient et buvaient sur la terrasse, par une nuit clémente. Nous les avons rejoints pour bavarder avec eux, trinquant sur leurs champagnes, tard dans la nuit.

L’Assiette Champenoise est une halte gastronomique idéale, l’ambiance et le service sont à signaler. Avec Peter, nous avons formé quelques projets d’ouvrir des champagnes rares. Il y a de belles perspectives à l’horizon.

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Musigny 1899 et Yquem 1876 irréellement exceptionnels samedi, 20 avril 2013

Avec Florent, Jean-Philippe et Tomo, nous avions fait un repas tellement exceptionnel, marqué par la générosité de chacun, qu’en fin de soirée, comme au poker, nous avons « misé » en annonçant « sur table » nos apports pour un prochain dîner, celui de ce soir. J’avais joué, pour voir, un Musigny Coron Père & Fils 1899, la dernière de mes trois bouteilles dont l’une est ancrée dans ma mémoire puisqu’elle fut servie le 31 décembre 1999 à 23h40 et finie le 1er janvier 2000, un millénaire plus tard. Ce vin était sublime. La seconde fut bue lors d’un dîner au château d’Yquem. Tomo a misé avec un Musigny Roumier 1969, Florent a lancé ses dés avec un Clos de Vougeot Antonin Rodet 1911 et Jean-Philippe a mis sur le tapis vert un Krug Clos du Mesnil 1982. Ces enchères étant jugées convenables par notre quarteron, une table fut réservée au restaurant Garance.

Une semaine avant le dîner, je descends pour prendre la bouteille qui depuis trente ans n’a jamais bougé dans ma cave et à ma grande tristesse, le niveau du vin dans la bouteille est très bas. Je suis furieux d’avoir ainsi perdu un vin précieux et il est hors de question de ne pas répondre à la générosité de mes amis. J’avise une bouteille de 1899, un Nuits Saint-Georges au domaine illisible, mais au très beau niveau. Je la mets dans ma musette. Une bouteille de sauternes très foncée et sans étiquette attire mon attention. La capsule indique sans aucune crainte de se tromper : « Yquem ». Le bouchon montre clairement un « 1″ et un « 8″ et de ce que je vois des traces d’encre, ce pourrait être 1877. J’informe mes amis que je viendrai avec trois bouteilles, deux de 1899 et un Yquem probablement 1877, pour compenser la probable perte du Musigny. Quelques jours plus tard, au moment de livrer mes vins au Garance, j’ajoute un Palmer 1966 et le jour même, au moment de partir vers le restaurant, je chope un Pol Roger 1959 pour que, quoi qu’il arrive, je ne laisse pas mes amis insatisfaits de mes apports.

A 18 heures, l’accès au restaurant Garance est barré par des camionnettes de CRS qui déploient des paravents métalliques qui bouchent le chemin. Palabrer avec ces représentants de l’ordre pour pouvoir passer demande des trésors de diplomatie, car le seul mot que connaît cette peuplade, c’est : « non ». J’arrive a me frayer un chemin et je commence à ouvrir le Musigny 1899. Le parfum qui s’exhale de la bouteille est totalement magique. C’est incroyable qu’un vin de niveau aussi bas n’ait pas l’ombre d’un défaut olfactif. La bouteille est vite mise debout dans la cave climatisée, et je prie pour que cette perfection subsiste. J’ouvre ensuite l’Yquem. Tomo lit avec netteté 1876, qui est une immense année. Malgré un niveau sous l’épaule, le parfum qui sort de cette lampe d’Aladin est miraculeux. Deux bouteilles basses et deux miracles. Je descends vite au rez-de-chaussée pour faire sentir l’Yquem à Guillaume Iskandar le chef, afin qu’il ajuste le dessert au parfum capiteux et sensuel.

Le succès de ces ouvertures est irréel. Tomo est avec moi. Je lui dis qu’il me semble qu’avec ces deux vins, j’ai respecté mon devoir amical pour le dîner. Il en est d’accord. J’ouvre alors le Musigny Roumier 1969 au nez follement bourguignon, une trace de sel annonçant une élégance particulière. Nous bavardons en attendant les deux autres amis, et nous allons discuter, sans sortir du restaurant, avec les CRS qui casse croûtent en attendant la castagne.

Florent arrive et j’ouvre ses deux vins, un Clos de Vougeot Antonin Rodet 1911 et un Corton de domaine illisible 1915. Les parfums des deux vins sont plus discrets que les précédents. Jean-Philippe arrive et son Clos du Mesnil est manifestement trop chaud. Il devait ouvrir les festivités. Il faudrait alors commander un champagne de soif avant d’attaquer les choses sérieuses.

Le fait d’avoir des cheveux blancs permet d’envisager les situations avec une hauteur de vues que n’ont pas ces gamins qui m’entourent. Mon Pol Roger 1959 était au frais depuis mon arrivée. C’est donc lui qui lancera le dîner.

Le menu mis au point entre Jean-Philippe et le chef est : Velouté de caille montée au foie gras / Ris de veau à la graine de moutarde / Asperge blanche, sauce boudin noir / Echine de cochon fumée, mousseline de champignons de Paris et légumes de saison / Agrumes. Jean-Philippe se doutait bien en m’envoyant ce menu que j’allais y apporter ma touche personnelle. Voyant en cuisine des couteaux j’ai demandé à Guillaume que ce plat soit ajouté après le velouté pour qu’on essaie les couteaux avec l’Yquem. J’ai demandé aussi que les asperges passent avant le ris de veau et que les agrumes soient remplacés par un dessert plus doux pour garder le gras de l’Yquem.

Le Champagne Pol Roger Extra Réserve 1959 a une capsule qui doit valoir une petite fortune puisqu’elle est millésimée. Je la soustrais vite de la portée d’éventuels rapaces. La couleur est d’un bel ambre qui n’est pas trop prononcé. La bulle n’est pas active mais le pétillant est là. C’est un champagne ancien fort agréable car il a de belles complexités et une douceur confortable et gastronomique, mais il a une petite amertume qui me gêne. Il joue à 70% de sa valeur.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 me fait un choc. Quand il touche les lèvres, c’est comme s’il ouvrait en grand les portes du printemps, sur des prairies de folles et frêles fleurs. Qu’il est beau ! Sa complexité est infinie et ravissante. S’il évoque les nymphes pré-pubères de David Hamilton, il a aussi de la puissance. Le velouté lui va à merveille. C’est un immense champagne, très floral et racé. Il est à noter que le passage d’un champagne à l’autre ne dessert pas tant que cela le Pol Roger, qui joue sur un autre registre, moins complexe et plus ensoleillé.

Le Château d’Yquem 1876 arrive maintenant, et chacun est, si l’on me permet une expression un peu osée mais qui caractérise bien, « sur le cul ». Cet Yquem est d’une richesse infinie. Son botrytis est tonitruant. On n’est pas du tout dans le registre des sauternes qui ont mangé leur sucre. Celui-ci est en pleine possession de ses moyens, et si on le mettait en face d’un très grand Yquem comme le 1976, si beau et plus jeune de cent ans, je serais prêt à parier que le plus puissant des deux serait celui d’un siècle de plus. Le couteau est fortement aillé, mais l’Yquem s’en accommode, indestructible. Chacun se demande comment il est possible qu’un Yquem de niveau aussi bas sous l’épaule puisse être aussi parfait.

Nous passons aux rouges avec le Clos de Vougeot Antonin Rodet 1911 servi en même temps que le Musigny Roumier 1969. Les asperges avec la sauce au boudin est peut-être le plat le moins cohérent du repas. J’en ai discuté en fin de soirée avec le chef qui a donné sur les autres plats la mesure de son talent. Le 1911 a des petits défauts olfactifs, qu’ils soient de poussière ou de gibier en trace. Le vin est agréable à boire mais n’est pas parfait, aussi n’a-t-on pas autant d’attention qu’il faudrait, car le Musigny est irréellement bourguignon, tout en subtilité, un peu à la Romanée Conti. Son équilibre, sa cohérence, son élégance en font un vin de la plus haute qualité. Je le trouve serein, parlant juste, sans forcer son talent, ce qui le rend plus persuasif. Décidément, les choses se passent bien.

Le deuxième service des rouges met en parallèle le Musigny Coron Père & Fils 1899 et le Corton domaine inconnu 1915. Là aussi, le combat est inégal, car le 1915, malgré son année quasi indestructible, est un peu trop torréfié, cuit, ce qui limite le plaisir. Mais peu importe, car le 1899 est à un niveau stratosphérique. Florent signale avec justesse qu’il évoque les vins préphylloxériques tant sa puissance est grande combinée à une fraîcheur magnifique. Ce qui me frappe dans ce vin, c’est sa plénitude. Tous, nous convenons que le Musigny 1969 est un vin immense, mais que le Musigny qui est son aîné de 70 ans est d’une dimension très supérieure. Autant on pourrait décrire le Musigny 1969 avec des mots, autant le Musigny 1899 laisse sans voix, car on veut essayer de comprendre pourquoi il est si grand. Et le mot qui revient encore une fois c’est plénitude, couplée à une puissance et une richesse rares. Nous sommes à un niveau d’émotion palpable.

Le dessert est de riz au miel qui accompagne assez bien l’Yquem 1876 qui n’en a pas réellement besoin. Il est impérial et ce qui est incroyable, c’est que jamais il n’a baissé de vitalité. Il n’a pas de caramel à proprement parler, mais plutôt de la mélasse de fruits confits très lourds. Sa trace en bouche est du plomb fondu de plaisir. Le Clos du Mesnil 1982 est encore d’une vivacité extrême et adoucit le palais après l’irréel Yquem.

J’ai proposé un classement qui a recueilli l’approbation de tous : 1 – Musigny Coron Père & Fils 1899, 2 – Yquem 1876, 3 – Musigny Roumier 1969, 4 – Clos du Mesnil 1982.

Nous avons longuement parlé de l’étonnante performance des deux vins les plus vieux dans des bouteilles aux niveaux plus que bas. Deux hypothèses ont été évoquées : la solidité invraisemblable des vins du 19ème siècle, ou bien un pouvoir magique que j’aurais sur mes vins. Ma modestie, qui s’accouple au même adjectif que l’oronge, me pousse à privilégier la solidité indéfectible des vins du 19ème siècle.

Comme au précédent repas nous avons pris date pour le prochain repas de notre « dream team ». Cinq vins de Vogüé sont annoncés. Ça va chauffer à nouveau !

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on lit « Antonin Rodet Maître du Chais »

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le bouchon de l’Yquem 1876

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Déjeuner au restaurant Alain Senderens jeudi, 18 avril 2013

Déjeuner au restaurant Alain Senderens. Les boiseries Majorelle sont encore plus belles avec les délicates ajoutes de plaques de verres colorés. L’accueil est chaleureux. Nous sommes trois et même si c’est pour un déjeuner de travail, je commande un magnum de champagne. C’est un Champagne extra-brut blanc de blancs La Colline Inspirée Jacques Lasseigne à Montgueux. Je n’ai pas noté la date de dégorgement car j’étais pris par les conversations. Le champagne est précis, direct, très clair et profond. C’est son équilibre et sa franchise qui me conquièrent.

J’ai choisi des asperges vertes du Vaucluse, avec une émulsion froide aux truffes mélanosporum. Le plat est un paleron snacké maturé quatre semaines, sauce Angus. Cette cuisine simple, directe comme le champagne, de belle exécution sur de beaux produits est d’une grande maturité. Je suis très favorable à cette formule d’une grande qualité. Le champagne réagit bien aux deux plats, montrant une belle flexibilité. Sa précision et sa tension m’ont beaucoup plu.

Le reste du magnum a été fini au dîner avec mon fils. Le vin est encore plus épanoui, franc, accessible et très vif. Comme il est assez vite asséché j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 2002. Et l’on est saisi par l’explosion de charme du second. La complexité est beaucoup plus grande que celle du Montgueux, et la matière vineuse aussi. Ce Dom Pérignon est de grand plaisir et très vineux. Mon fils part demain de l’autre côté du « Pond ». Ce fut un beau point final.

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Un nouvel Agrapart à la maison mercredi, 17 avril 2013

Deux jours plus tard, avec mon fils, j’ouvre un Champagne « Minéral » extra-brut blanc de blancs Agrapart 2005 qui a été dégorgé en décembre 2011, alors que le 2006 a été dégorgé en janvier 2013. L’écart est spectaculaire. Le 2005 est beaucoup plus épanoui, généreux, riche d’expression. Je pense que le temps entre le dégorgement et le jour où le champagne est ouvert joue un rôle majeur. Ce champagne d’un équilibre fou est beaucoup plus gastronomique. Un accomplissement de première grandeur. Bravo !

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préparation d’asperges de mon épouse

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Jean-Georges Klein et Philippe Mille, menu à quatre mains aux Crayères mardi, 16 avril 2013

Chaque mois au restaurant de l’hôtel Les Crayères, se tient un dîner à quatre mains et cinq étoiles. Philippe Mille, le chef doublement étoilé du lieu invite un chef trois étoiles à composer un menu partagé. Ce soir c’est Jean-Georges Klein de l’Arnsbourg. Le lundi étant un jour de fermeture de la cuisine de l’hôtel, les participants présents ne viennent que pour cet événement. La maison Ruinart est venue en force.

Par un beau soleil couchant, devant le grand parc qui s’étend à nos pieds nous prenons l’apéritif avec un Champagne Ruinart Blanc de Blancs brut sans année qui a du mal à me communiquer une émotion après les champagnes de la veille dont l’iconique Ambonnay. Ce n’est pas le champagne qui est à critiquer, c’est mon palais qui n’est pas réceptif.

Dans la belle salle à manger nous avons la chance, ma femme et moi d’être assis aux côtés de Laurent et Florence Gardinier, propriétaires des lieux et de Jean Miot, brillant et truculent observateur des mœurs du temps.

Le menu « partition à quatre mains » est : tel un Tacos, la langoustine, le caviar et sa garniture, par Jean-Georges Klein / dos de sole de l’île d’Yeu à la livèche, huîtres spéciales Vollet n° 4 tiédies au champagne par Philippe Mille / canard croisé de Mme Burgaud rôti à la fièvre de tonka, asperge verte gratinée au pralin de morilles par Philippe Mille / fraises, pistache, yuzu, betterave crapaudine par Jean-Georges Klein.

Le plat de langoustine plante le décor. C’est un plat de trois étoiles. D’une rare subtilité, goûteux et original il est accompagné par le Champagne Dom Ruinart magnum 2002. Présenté dans des verres conçus par Philippe Jamesse, chef sommelier des Crayères, il exhale une profusion d’arômes comme aucun autre verre ne le ferait. Ce champagne est grand, très grand tel qu’il est là, marquant un saut qualitatif impressionnant après le Ruinart. C’est un très grand champagne et un très grand 2002.

Le plat de sole est merveilleux. L’association avec la livèche est magique, créant des émotions fascinantes. Deux visions vont s’opposer. Pour les deux femmes de la table, les huîtres sont un intermède agréable dans le déroulement du plat. Mon optique est différente : pensant aux accords mets et vins, j’aurais volontiers oublié les huîtres, car je préfèrerais m’imprégner continument de la sole fourrée et de la livèche, pour atteindre une plénitude créée par la répétition prégnante des saveurs. Le Champagne « Minéral » extra-brut blanc de blancs Agrapart 2006 est un champagne de haute tension. Il est noble, guerrier, d’une personnalité conquérante. Curieusement, un verre plus petit freine un peu ses arômes, mais le champagne a une telle ressource qu’il s’en sort très bien. L’accord avec la sole est pertinent, mais moins naturel que l’accord précédent.

Lorsque Philippe Mille est venu à notre table bavarder avec son associé d’un jour, je lui ai dit que la cassolette à la fève de tonka est tellement forte qu’elle écrase un peu le canard très subtil et lui vole la vedette. Mais le plat tel qu’il a été présenté est un très beau plat, les asperges étant divinement cuites et croquantes à souhait. Le Champagne « Vénus » brut nature blanc de blancs Agrapart 2006 est un peu moins claquant que le « Minéral », mais il crée un accord plus adapté au joli plat de Philippe Mille. C’est un champagne de belle tension, qui cause.

Le dessert conçu par Jean-Georges Klein a été réalisé par un jeune chef pâtissier des Crayères de seulement 22 ans, qui a gagné des concours à des âges où l’on est normalement sur les bancs de l’école. C’est, à mon sens, le plus grand plat de ce repas. Car on est face à une sublimation de la betterave, à un niveau insoupçonnable. Le Champagne Ruinart rosé sans année est un compagnon naturel de ce plat, agréable sans nous pâmer.

Lorsque j’avais profité d’une cuisine à quatre mains au Petit Verdot qui avait invité Davide Bisetto, je n’avais pas cherché à savoir quel était l’auteur de chaque plat. Ici il était impossible de l’ignorer puisque c’est écrit sur le menu. Je me demande si je ne préfèrerais pas une cuisine dont chaque plat serait un travail commun. La recette initiale serait celle d’un chef, mais revisitée avec son compère. Je ne sais pas si c’est possible, mais ce pourrait être intéressant.

Le menu de ce soir fut d’une très haute qualité, les exécutions étant parfaites. Je classerais dans l’ordre de mes préférences, sans me soucier de qui l’a fait, car je respecte le talent des deux chefs : le dessert à la betterave, la sole à la livèche, la langoustine et le canard.

Les accords ont été pertinents, sans toutefois, sauf le premier, créer l’émotion qui résulte d’un accord parfait. Les champagnes sont bons et c’est un grand plaisir de voir que le champagne Agrapart est associé à ces agapes. Pascal Agrapart était présent, ce qui donné le plaisir de bavarder avec lui comme nous l’avions fait lors d’une réunion des rencontres Henri Jayer.

Le service est impeccable, mais il faudra corriger la désagréable impression qu’il n’y a pas assez de bouteilles à servir pour l’ensemble des convives. Il vaut mieux gérer l’opulence que la pénurie. C’est d’ailleurs uniquement une question de service, car la générosité des vignerons présents les a poussés à faire sauter des bouchons dans le calme d’une nuit de printemps sous le péristyle du château où s’élevaient des volutes de fumées de cigares et cigarettes.

Cette expérience est incontestablement une grande réussite et on ne peut que féliciter Hervé Fort et Philippe Mille d’en avoir eu l’initiative. Les deux chefs étaient épanouis, heureux de travailler ensemble. C’est la cuisine française qui sort grandie de l’addition de tels talents. Vive les partitions à quatre mains !

de grosses bébêtes sur le gazon

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les chefs se font photographier devant le château

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en blanc :Jean-Georges Klein, Philippe Mille et le jeune et brillant chef pâtissier

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