Deux jours avant la Saint-Sylvestre des amis nous rejoignent dans notre maison du sud. Selon une tradition bien établie, j’ouvre un champagne Salon, champagne de bienvenue. Sur la table du salon il y a des chips à la truffe, un tarama à la truffe d’été et des anchois. Le Champagne Salon 2006 a un bouchon qui vient avec effort mais ne résiste pas comme ceux de certains millésimes. Immédiatement on est conquis par ce champagne clair et limpide, fluide et plaisant. L’image qui me vient est celle d’une automobile Bentley. Ce véhicule est classé haut dans la hiérarchie et se caractérise par un grand confort. Le Salon se ressent de la même façon, grand et confortable. Il met à l’aise celui qui le boit qui n’a pas à se poser la moindre question : il est là, présent, et on en jouit.
Pour le déjeuner dont le plat principal est un cœur de saumon de Kaviari, il faut un vin blanc. J’ai choisi en cave un vin qui m’intrigue : Vray Pinot Chardonnay Le Roy négociant Appellation Bourgogne Contrôlée 1966 dont l’étiquette a été imprimée pour un distributeur italien. Le Roy est écrit Une fois Leroy et une fois Le Roy. Le niveau est très haut pour cet âge et la couleur vue à travers le verre de la bouteille est très foncée. Le vin serait-il madérisé ? La question est assez légitime. J’ouvre le vin deux heures avant le repas. Le bouchon est de belle qualité. Le parfum est engageant, vieux bien sûr, mais acceptable.
Au moment du service la couleur dans le verre est plus claire qu’elle l’est dans la bouteille. Je me dis qu’il faut boire ce vin comme il se présente et non pas comme on aimerait qu’il fût. Et lorsque l’on choisit cette voie, on se rend compte que le vin est agréable. Son nez discret est avenant, l’attaque en bouche est un peu fermée et sèche, le milieu de bouche est large et ensoleillé, l’âge étant marqué mais pas trop, et tout se joue dans le finale, long, complexe et joyeux. L’accord est meilleur sur du pain et du beurre que sur le saumon lui-même, bien qu’acceptable, mais ce qui compte c’est que ce vin est agréable et gentiment complexe, alors qu’il ne s’agit que d’un Bourgogne générique.
Ce vin aurait probablement rebuté de nombreux amateurs parce qu’ils auraient eu des attentes qu’il ne fallait pas avoir. Sur un camembert Jort affiné idéalement, le vin a trouvé un bel accord. Ce déjeuner nous a plu.
Le soir, l’apéritif se prend avec un Pata Negra Belota Belota extrêmement gras et goûteux, avec la deuxième moitié du champagne Salon 2006. Il a gagné beaucoup en largeur et devient plus glorieux. Il est, pour un champagne jeune, au sommet de son art et le gras du jambon l’épanouit.
Le plat principal sera des pommes de terre bio à la mayonnaise accompagnées d’anguilles fumées. J’ai choisi un vin qui a une certaine valeur affective. Pendant des années j’ai accompagné les vignerons de l’association Rhône Vignobles dans leur démarche de curiosité envers les vins anciens. Nous avons fait des dîners mémorables avec des vins que j’avais apportés, ainsi qu’un caviste lyonnais. Et en fin de ces belles réunions des vignerons m’offraient de leurs vins. Le Cairanne Domaine Bruno et Vincent Delubac Côtes du Rhône Villages 2014 fait partie de ces cadeaux amicaux. Je l’avais ouvert avant midi pour le cas où le « Vray Pinot Chardonnay » eût été défaillant.
Ce vin est une très agréable surprise. Il est franc, précis et extrêmement bien fait. Fluide, plaisant, on sent qu’il profite bien de son âge, et qu’il a atteint un optimum, mais qu’il saura vieillir calmement. Il est beaucoup plus élégant que ce qu’on attendrait d’un vin « Villages ». C’est une heureuse rencontre.