un Bandol de rêve vendredi, 20 juillet 2012

Demain, nous aurons nos trois enfants chez nous. La fenêtre de tir est toujours étroite, alors il faut en profiter. Aujourd’hui, ce sont deux sur trois, avec trois petits enfants sur les six. Je crois ouvrir un Cristal 2002, mais en fait, c’est un Champagne Cristal Roederer 2004. La première impression est très rassurante. C’est un champagne solide, sûr de lui, sans véritable imagination. Il se boit bien, car il est bien fait, mais il ne crée pas la vibration d’un champagne complexe. Il faut sans doute attendre qu’il trouve sa personnalité. Un Pata Negra vieilli quatre ans est une merveille, car il délivre un gras subtil et des notes de noix légères. Il excite le champagne d’une superbe façon, alors qu’une tapenade traditionnelle fort goûteuse n’accroche pas sur le champagne.

Avec des chipolatas d’une mode traditionnelle, elle aussi, j’ai ouvert un Domaine des Baguiers, Bandol rouge 1989. Nous crions des oh et des ah, car ce vin est tout simplement exceptionnel. Il évoque la garigue, le fenouil, les végétaux râpeux comme la barbe d’artichaut, et nous nous disons que jamais un Bandol récent ne pourrait donner cette impression de plénitude absolue. Quand on boit ce vin râpeux, qui chante comme les cigales, on se dit qu’il n’existe rien de meilleur. J’aime les vins de Bourgogne quand je trouve en eux le sel et la rose. J’aime ces vins du sud quand je trouve le fenouil, l’anis et une râpe à nulle autre pareille. On peut dire que ce vin « nature », « simple », a trouvé un accomplissement qui en fait un vin de première grandeur. Bandol ne fait probablement pas beaucoup mieux, du fait de ces 23 ans qui donnent une touche de génie.

Réponse à une question : jeudi, 19 juillet 2012

On me pose la question suivante :

Bonjour Monsieur,

Je me permets de vous contacter sachant votre expérience des vins anciens. Je prévois d’ouvrir demain au restaurant une bouteille de Haut Brion 1985. Comme je n’ai pas eu le temps d’effectuer le règlement de la bouteille à l’avance, le maître d’hôtel s’est montré réticent à son ouverture avant mon arrivée sur les lieux alors que je lui réclamais un débouchage de plusieurs heures au préalable. Ma question est la suivante, pensez vous qu’il soit déraisonnable de boire ce vin sans aération, allons nous passer à côté de son potentiel ? Au mieux nous pourrions réserver cette bouteille pour la seconde partie du repas mais cela ne ferait qu’une demi heure d’aération tout au plus. Dans cette situation, pensez vous qu’il faille renoncer à cette dégustation et prendre une bouteille plus facile ? Votre réponse me serait bien utile. En vous remerciant par avance…

Cette question étant souvent exprimée, j’y réponds sur le blog.

Si l’on veut que la bouteille soit ouverte quatre heures ou cinq heures avant le repas, le mieux est de la payer à l’avance, ce qui crée une relation confiante. Ceci peut être rattrapé dans le cas qui nous occupe si celui qui pose la question arrive vers 19h30 pour un dîner démarrant à 20h30. Car le vin qui ne sera pas le premier sera bu deux heures après l’ouverture, ce qui donne déjà une belle aération, arrondissant le vin.

Le sommelier a réagi comme il convient, car c’est au client à créer le climat de confiance.

Supposons maintenant que cela ne soit pas possible.

Haut-Brion 1985 est encore un vin jeune qui pourrait supporter une mise en carafe. Le vin sera moins rond, mais aura gagné en largeur.

La bonne solution selon moi serait de faire ouvrir la bouteille immédiatement, à l’arrivée (ce qui n’est pas toujours facile, car le sommelier ne réagit pas forcément très vite), et de faire verser le vin dans de très larges verres à bourgognes.

Dans tous les cas, le plaisir sera présent, car même bu sur son éclosion, ce vin sera intéressant.

En ce qui concerne l’idée d’un vin préalable, je conseille que ce soit le cas. Un vin jeune, de plus faible calibre, voire un vin au verre, prépareront votre palais à déguster ce grand vin.

Haut-brion 1985 est une très grande réussite de Haut-Brion. Je vous souhaite une excellente soirée.

repas de famille dans le sud dimanche, 15 juillet 2012

Nous accueillons depuis quinze jours quatre puis trois de nos petits enfants dans le sud. Le week-end du 14 juillet, fille et gendre viennent retrouver leur couvée. C’est un court passage de leur part, mais il faut fêter cela. A déjeuner, un Champagne Dom Pérignon 1998 est ouvert. Immédiatement nous sentons que le gamin souvent bu l’an dernier à notre table estivale a pris du poil au menton. La couleur s’est à peine dorée. C’est en bouche que l’évolution est sensible. Le champagne a perdu ses fleurs blanches pour devenir plus vineux, et cela lui va bien. Alors que je le trouvais depuis quelques mois dans une phase de renfermement, il est sorti de sa retraite et ne procure que du plaisir. Bravo.

C’est un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 qui lance le dîner. La race, la grandeur, la complexité, tout est là. C’est un champagne carré, assis, notable. Notre fournisseur de poutargue a changé, et sa poutargue n’est pas aussi typée qu’avant. Le champagne n’y trouve pas son compte, se sentant rétréci, alors qu’avec du lomo, saucisson de Pata Negra, le Pol Roger prend un véritable coup de fouet. Sur un Pata Negra de quatre ans de séchage, le petit goût de noix et le gras propulsent le Winston Churchill à des sommets merveilleux. Le champagne est très long, complexe, de grand raffinement. Rectitude et plénitude sont ses deux qualités. On a donc deux oppositions de style avec le Dom Pérignon, le 1998 étant plus vineux et très élégant, alors que le 1996 est plus complexe et plus noble.

Sur un loup juste saisi à la plancha, c’est un Château de la Gardine Chateauneuf-du-Pape 1989 qui est ouvert. Instantanément, c’est une bouffée végétale du sud qui nous envahit. Je reconnais le fenouil, le romarin et un poivre bien assorti. Ce vin est joyeux et fait crisser les cigales dans nos cœurs. Il est velours, on se sent bien. Il n’est pas tonitruant, mais un vin de grand plaisir, une belle surprise. Il montre à quel point il fait savoir attendre ces vins chauds, car il n’a plus la moindre aspérité, il est doux, plaisant, convivial. C’est exactement ce qu’il faut pour un loup à la chair si précise. Ce dîner est un coup d’envoi des futures vacances de nos enfants.

dîner dans le sud avec Penfolds Grange 2005 mercredi, 27 juin 2012

C’est une coquetterie, je tiens à être présent dans mon sud pour le jour le plus long de l’année. C’est le jour où le soleil se lève et se couche le plus au nord à l’horizon. C’est le début d’une longue pause bien nécessaire, car en ce premier semestre j’ai bu plus de six cents vins. L’ordre du jour est au sport. Mais quand des amis nous invitent, il est difficile de refuser. Par un beau soir d’été, sur une terrasse surplombant la baie de Hyères et les îles, notre hôtesse a interprété de belles recettes de grands chefs. La salade de homard aux fraises et caviar d’aubergine est d’une recette créée par le chef Patrick Raingeard du Cap d’Estel, et le tagine est revisité selon une recette de Nicolas Isnard et David Le Comte de l’Auberge de la Charme à Prenois. L’exécution est parfaite et montre les talents culinaires de notre amie qui surmonte les difficultés de ces préparations avec grâce.

Le Champagne Louis Roederer magnum sans année est nettement meilleur que de précédentes versions. On sent que l’âge fait son œuvre ajoutant des complexités qu’il n’a pas quand il est au berceau. Il se boit donc vite, car il fait soif à bavarder et le Champagne Bollinger Grande Année 1999 lui succède. Et c’est une bonne chose car cela met en valeur le caractère raffiné et délicatement floral de ce champagne. Il a beaucoup de talent combinant les vertus pâtissières à ce floral insistant. Un vrai plaisir.

Nous commençons les rouges par un Richebourg Grand Cru 1992 mis en bouteille par un certain monsieur Bidouilh au château de Verneuil dont on imagine volontiers que des amis mal intentionnés l’ont accusé d’avoir un peu coupé ses vins. Du poids à porter des patronymes ! Le vin est fort sympathique car l’année 1992 a donné des vins subtils et délicats, peut-être en sourdine quand ils étaient jeunes, mais bien expressifs maintenant. J’ai apporté, pour voir, un Côtes du Rhône Rochegude Cuvée du Président 1976, provenant de la coopérative de vinification de Rochegude. Ça peut faire sourire et le début en bouche est assez simplifié, mais tous les convives seront étonnés de voir à quel point ce vin assemble ses composantes pour offrir presque une heure plus tard un vin du Rhône solidement charpenté et très expressif, jugé par eux presque le meilleur de ce soir.

Le Rimauresq Côtes de Provence 2004 nous fait revenir sur des bases solides, car nous sommes dans sa région. Il chante comme les vins du sud, et les citrons confits et l’orange amère qui accompagnent le suprême de volaille mettent en valeur le vin.

Le Rimauresq Côtes de Provence magnum 2008 est meilleur que le 2004. Il est plus précis, plus expressif, plus souriant. J’ai un grand faible pour ce vin que l’on goûte si bien dans sa région.

Vient maintenant mon autre apport dont j’espère qu’il fera un tabac. A l’ouverture son parfum explosif anisé m’avait conquis. Le Penfolds Grange BIN 95 2005 est un vin que j’adore. Résolument moderne, puissant, envahissant, il me conquiert par sa fraîcheur anisée. Alors que mon cœur bat pour les vins anciens, on est ici dans le contraire. Le vin est conquérant, propulsant un fruit noir et lourd qui envahit et possède le palais. Mais la fraîcheur de menthol et d’aneth est une telle merveille que je succombe. Une convive présente ne cessera d’éreinter ce vin, disant qu’il est trop travaillé, trop boisé, trop tout. J’aurais peut-être eu la même analyse il y a plus de dix ans, quand je refusais les tendances modernes. De l’eau a coulé sous les ponts et mon palais s’est ouvert à d’autres horizons. Le lendemain matin ma bascule et mon professeur de tennis semblaient ligués contre moi. Mais comment regretter une si belle soirée d’été.

restaurant les Délices d’Aphrodite, bistrot de spécialités chypriotes mardi, 19 juin 2012

Il y a quelques semaines, j’étais reçu par l’ambassadeur Marios Lyssiotis pour lui remettre une bouteille vide de Chypre 1845 qui sera expédiée à la mairie de Limassol, ville la plus au sud de Chypre, qui est proche de toute la zone où l’on produit les célèbres Commandaria de Chypre, pour y être exposée.

Offrir une bouteille vide, c’est bien, mais une bouteille pleine, ce serait mieux. Je suis invité par un proche de l’ambassadeur au restaurant les Délices d’Aphrodite, bistrot de spécialités chypriotes. La formule « méga Pikilia » consiste en des assiettes de quatre entrées froides et six entrées chaudes en petites portions. C’est très simple et fort goûteux. Mon hôte m’explique l’origine traditionnelle et souvent paysanne de chaque partie de plat. Nous buvons un Zambartas Maratheftiko 2008, vin rouge du cépage maratheftiko, lui aussi simple et fort goûteux avec des notes de griottes et de violette. Il titre 13,5° et a été élevé en fût de chêne. C’est un plaisir de bon aloi. Le restaurant est simple mais prisé par des habitués du cinquième arrondissement, dont un ami expert en vins devenu négociant que je retrouve par hasard en ce lieu. Nous échafaudons des hypothèses pour mettre en valeur un de mes vins auprès de chypriotes qui auraient l’émotion de boire un vin de leur île de près de 170 ans, lorsque Chypre faisait partie de l’Empire Ottoman, plus de trente ans avant la tutelle britannique. A suivre !

L’Arpège du 18 juin – icônes et surprises mardi, 19 juin 2012

En ce jour, pensant à Charles de Gaulle, j’ai envie d’intituler ce compte-rendu : « l’Arpège du 18 juin« . Nous sommes huit pour un repas d’amis à apports partagés. Cinq sur huit étaient du dîner mémorable chez Michel Rostang illuminé par un Hermitage La Chapelle 1961 éblouissant.

Notre groupe est cosmopolite : Patrick est irlandais et travaille dans le commerce du vin, Amin possède à Madagascar des fermes aquacoles, Iqbal est un avocat mauricien, Freddy est restaurateur aux tendances vietnamiennes, Eric est un trader qui gère son patrimoine, Frédéric est aussi dans le commerce du vin. Jean-Pierre et moi sommes retraités. L’ambiance est joyeuse, amicale, souriante et partageuse.

Je suis venu dès 17h30 ouvrir les vins du dîner et les deux vins du Rhône de 1978, bien que de deux caves différentes, m’ont donné le même souci : bouchons très secs collés aux parois, qu’il est impossible d’extirper sans les briser en morceaux. Aucune odeur n’est suspecte. Certains parfums sont discrets. La couleur du 1973 est un signe possible de madérisation. Avec douze bouteilles pour huit convives, nous ne manquerons de rien.

Lorsque j’ai senti le Haut-Brion 1943, j’ai pensé qu’il serait dommage de l’associer à un fromage. Je m’en suis ouvert à Alain Passard qui a donné son accord pour un ris de veau de plus que celui prévu au menu, et Gaylord, fort astucieusement, a fait passer le Bâtard 1973 à cette place, pour trouver un accord brillant avec le gruyère.

Le menu conçu par Alain Passard : Tartelettes potagères (apéritif) / L’Œuf à la coque aux quatre épices / Fines ravioles potagères consommé végétal / Homard des Iles Chausey en aigre-doux miel du jardin / Asperges et couteaux à la verticale (comme ils ne sont pas venus, les couteaux ont été remplacés par des salicornes) / Turbot de la pointe de Bretagne grillé entier au savagnin / Robe des champs multicolores fine semoule à l’huile d’argan / Volaille du Haut Maine au foin / ris de veau (ajouté) juste poêlé / Ris de veau à la fève de tonka / Canard grillé entier au thé rohibos / Fromage / Tarte aux pommes bouquet de roses caramel lacté.

Le Champagne Salon 1997, comme je l’avais annoncé, est là pour se préparer la bouche au festin. Je le trouve très vert. Son vin est puissant et structuré, mais il lui manque quelques années pour trouver le charme et la plénitude d’un grand Salon.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 a un nez d’une complexité et d’un raffinement extrêmes. Le vin évoque les cèpes et la pâtisserie, mais est marqué par une empreinte florale très suggestive. Ce n’est que plus tard qu’apparaît le citron vert. Puis le champagne revient aux évocations gourmandes de pâtisserie. Pendant toute la dégustation, on ressent que l’on est face à un extra-terrestre de grandeur pure. C’est un immense champagne. Alors que 1986 n’est pas une très grande année de champagne, en le buvant, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse boire quelque chose de plus grand. L’œuf, qui est une institution de l’Arpège, n’est pas le meilleur camarade du Krug pourtant très flexible.

Le Pouilly Fuissé Cuvée Vieilles Vignes Daniel Barraud 1989 est une remarquable surprise. Son nez est opulent et sa mâche, sa plénitude sont la marque d’un grand vin. Freddy voulait nous faire découvrir de belle surprises. Ce vin en est une de première grandeur. Les ravioles aux herbes et légumes, sur un consommé à se damner créent un plat de haute gastronomie et le Pouilly est épanoui par le consommé.

Le Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002 est une bombe olfactive. Il sent le soufre. Son goût Coche-Dury se reconnaît instantanément. Il trace sa route gustative à la hache, envahit les papilles et les terrasse. C’est un vin de grand calibre, mais beaucoup trop jeune.

Voir apparaître le Château Haut Brion blanc 1990 après la bombe bourguignonne, n’est-ce pas un assassinat annoncé ? Pas du tout. Le bordelais marque son territoire. Il ne trompette pas, il convainc. Sa complexité est immense, avec une acidité citronnée bien mesurée, et une longueur extrême. C’est un vin très complexe qui ne passe pas en force, il persuade. Quelques années de plus lui feraient du bien. Les asperges ne l’aident pas beaucoup.

Le Puligny-Montrachet Les Combettes Domaine Etienne Sauzet 1986 a une couleur un peu ambrée. Il a une sécheresse que l’on trouve généralement dans les vins bouchonnés, mais ce n’était pas détectable au nez. Et le goût de bouchon s’impose de plus en plus. On sent que derrière ce goût il y a une grande matière. Mais le plaisir n’est pas au rendez-vous.

Le Domaine de Trévallon Coteaux des Baux en Provence J. Dürrbach 1983 est un vin gigantesque. A l’ouverture, il m’avait impressionné par son parfum intense. En bouche, c’est la même intensité. Il est envahissant, conquérant, avec une force de fruits difficilement soupçonnable. On reconnait un vin du sud, parce qu’on le sait, mais il est sûr qu’à l’aveugle, on ne citerait pas un vin des Baux de Provence. Il a la force, le charme convaincant, un fruit rouge épicé, du poivron, et se situe délibérément dans les grands vins. Le couscous de légumes d’Alain Passard est un plat exceptionnel, le plus grand du repas, et excite merveilleusement le Trévallon.

Le Royal Kébir Frederic Lung 1945 me fait un plaisir immense. Depuis plus de trente ans j’apprécie ces vins algériens nobles. Celui-ci est ramassé, carré, au message direct, avec une profondeur extrême. Sa solidité est imposante. Il fait rêver à tous les bourgognes que ses congénères ont fortifiés. C’est un régal.

Oui, mais voilà, quand on prend contact avec le Château Haut Brion 1943, le silence se fait. D’abord, c’est la couleur, d’un sang de pigeon vivace. Puis le nez, noble. Enfin en bouche, c’est un festival d’élégance et de complexité. J’ai bien fait de le marier à un ris de veau délicat, qui met en valeur la finesse de sa trame. Toute la table est excitée, car on sent que l’on tient le vainqueur. L’âge est à peine visible, la sérénité est exemplaire, la classe de ce vin est exceptionnelle. Il y a évidemment des années de Haut-Brion qui sont plus grandes. Mais avec ce volume mesuré, le vin est encore plus convaincant.

Le Vega Sicilia Unico 1986, pour moi, c’est un petit bonheur. Car il est d’une immense intensité et récite le fenouil, le céleri et la menthe pour donner dans son final infini une fraîcheur inégalable. Je l’ai sans doute plus aimé que mes compères, qui eux, ont plus vibré sur le Haut-Brion 1943.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978 est manifestement un grand vin du Rhône, puissant, charnu, mais il lui manque quelque chose. J’ai bu assez souvent ce 1978, année encensée pour le vin de Jaboulet. Mais j’avoue rester un peu sur ma faim. Car le 1961 est un mythe incontestable, mais ce 1978 n’en est pas un. Il est bon, bien sûr, franc, direct. Mais il n’est une icône, contrairement au vin servi en même temps que lui.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978 ne peut s’accueillir qu’avec des courbettes er l’expression d’un total respect. Quel vin inimitable ! Ce qui est surprenant, c’est que le mot qui s’impose, c’est « grâce ». Ce vin est aérien. Bien sûr, il a une forte empreinte, mais il glisse en bouche comme le mouchoir négligemment jeté par une belle glisse dans les airs. Je suis conquis, inutile de le dire. Il est difficile de comparer avec La Mouline 1978 puisqu’il faut faire appel à mon souvenir, mais il est probable que cette Landonne est encore plus délicate que la mythique Mouline 1978.

Le Bâtard-Montrachet Delagrange Bachelet 1973 est très ambré. Il est devenu très oxydatif, et c’est le délicieux gruyère qui le sauve, provoquant un accord pertinent et joyeux.

Le Château Suduiraut 1928 est certainement l’un des plus grands sauternes qu’il m’ait été donné de boire. Celui-ci en a les promesses, mais il joue nettement en dedans par rapport à la flamboyance qu’il peut avoir. On a bien sûr la mangue et le caramel, mais sans la vibration rare qu’il pourrait avoir.

On pourrait classer les vins en plusieurs niveaux.

Le niveau 1 serait Château Haut Brion 1943, Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978 et Champagne Krug Clos du Mesnil 1986, dans l’ordre de préférence de mes amis. Mon ordre serait différent, car j’ai déjà bu de plus grands Haut-Brion : Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978, Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 et Château Haut Brion 1943.

Le niveau 2 serait Trévallon 1983, Royal Kébir Frederic Lung 1945, Vega Sicilia Unico 1986, Château Haut Brion blanc 1990, des vins au sommet de leur art.

Le niveau 3 serait Pouilly Fuissé Daniel Barraud 1989, Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002, Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978 et Château Suduiraut 1928, qui n’ont pas démérité, mais soit sont trop jeunes, soit n’atteignent pas leur sommet.

Le niveau général des vins est impressionnant et justifie que nous recommencions. Alain Passard a fait une cuisine d’un niveau très relevé avec deux perles, le couscous de légumes et le consommé et raviolis. Charlotte a joué le jeu en nous expliquant les plats en deux langues. Nous avons passé une magnifique soirée sous le signe du partage et de l’amitié.

Champagne Salon 1997

Champagne Krug Clos du Mesnil 1986

Pouilly Fuissé Cuvée Vieilles Vignes Daniel Barraud 1989

Meursault Perrières J.F. Coche-Dury 2002

Château Haut Brion blanc 1990

Puligny-Montrachet Les Combettes Domaine Etienne Sauzet 1986

Domaine de Trévallon Coteaux des Baux en Provence J. Dürrbach 1983

Royal Kébir Frederic Lung 1945

Château Haut-Brion 1943 (la capsule m’avait fait un peu peur, comme si elle avait été enlevée puis remise, du fait de ses pliures. Il n’en était rien).

Vega Sicilia Unico 1986

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1978

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1978

Bâtard-Montrachet Delagrange Bachelet 1973

Château Suduiraut 1928

photos de groupe (on remarque les superbes niveaux)

les plats

l’Opinel ne se mange pas. On l’utilise tout au long du repas, et il est offert en fin de repas.

déjeuner au restaurant Aamanns dimanche, 17 juin 2012

Le lendemain, notre groupe se réduit encore. Nous sommes cinq à déjeuner au restaurant Aamanns, spécialisé dans les smørrebrods. Je prends un sandwich au hareng au curry et à la moutarde, puis un tartare à l’estragon, câpres, oignons et autres herbes, et un sandwich aux pommes de terre nouvelles, mayonnaise, radis et fromages fumés. Après une bière, un schnaps au fenouil accompagne une tarte à la rhubarbe et un sorbet à la vanille. Ce restaurant est simple mais sympathique, avec des harengs goûteux.

Ce séjour danois montre le foisonnement culinaire d’une ville où il fait bon vivre.

le verre de schnaps

dîner au restaurant Søllerød Kro à Copenhague dimanche, 17 juin 2012

Guillaume nous quitte et nous nous rendons à travers des routes forestières dans une jolie ferme aux toits de chaume, dont la décoration intérieure est de grand raffinement. C’est le restaurant Søllerød Kro. Kristoffer, qui avait raté Noma hier, nous a précédés et a apporté deux vins.

Nous commençons à boire un Champagne Grande Cuvée magnum Krug dont l’étiquette dorée correspond à une période d’embouteillage comprise entre 1995 et 2005. Ce champagne peut donc avoir une quinzaine d’années. Le parfum de ce champagne est exceptionnel, envoûtant. En bouche, c’est la classe absolue et l’on comprend pourquoi Olivier Krug dit que la Grande Cuvée est l’âme de Krug, car le goût est magnifique et la longueur infinie. C’est très probablement un des plus grands Krug que j’aie jamais bu. Il a créé sur l’huître mais surtout le caviar d’Aquitaine un accord vibrant.

Nous prenons le menu prestige, dont un ami fidèle a essayé de reconstituer les composantes, avec : Huitre de Marennes, sorbet au céleri, morceaux de pomme granny-smith, vinaigre de raifort et pomme / Pana cota, asperge, langoustine et caviar de Gironde / Homard bleu, concombre, petits pois glacés, pousses de petits pois, mayonnaise aneth et oseille / Saint-Jacques de Norvège rôties, pomme de terre nouvelles et fenouil, patates bleues croustillantes et crème de moules fumées, morilles, sauce à l’huile d’aneth / Asperge grillée, lotte rôtie, feuilles de capucines parmesan truffe d’été, beurre brun, fond de sauce volaille / Foie gras poêlé, poitrine de pigeon sèche, petits oignons, sauce beurre d’amande, purée d’oignons / Chevreuil d’été poêlé, moelle fumée, asperges vertes, morilles et herbes / Fraises danoises, fumet de camomille, sorbet au thé / compote de rhubarbe, gelé de yogourt, citron et chocolat blanc, petit financier et beurre brun / Sorbet et macaron chocolat passion crémeux et mousse chocolat. Après Noma, le contraste est très intéressant. Car ici, tout est gourmand, joyeux, gastronomique.

L’Y d’Yquem 1972 sent la cire, le miel. En bouche il évoque le caramel de façon discrète et a parfois des notes d’armagnac. Ce vin mature est délicieux et crée avec la lotte un accord parfait.

Le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 2007 est un vin d’un grand raffinement. Il est déjà prêt à boire. Son élégance est ravissante. Sur la sauce du plat au foie gras, il atteint des sommets.

Le Grands Echézeaux Paul Bouchard 1971 est follement bourguignon. Il est typé au possible. On peut reconnaître le sel et la rose, qui signent les bourgognes anciens de forte personnalité, sur une structure manquant un peu d’étoffe. Mais le vin est extrêmement plaisant et la chair du chevreuil lui va bien.

Le Fonseca Guimaraens Porto vintage 1978 est d’une grande légèreté. Il glisse en bouche et le mariage avec le dessert au chocolat est d’une rare gourmandise. L’incontestable phare de ce dîner est le Krug Grande Cuvée, d’une perfection incroyable. L’ambiance de ce restaurant est très sympathique et chaleureuse. Ce restaurant est une étape à ne pas manquer lorsque l’on est à Copenhague.

bar à vin Ved Stranden à Copenhague dimanche, 17 juin 2012

Mon gendre doit partir en Australie, aussi ne pourra-t-il pas se joindre à nous au restaurant Søllerød Kro. Alors, pour que nous nous quittions autour d’un verre de plus, nous nous rendons au bar à vin Ved Stranden, Vinhandel & Bar. Au coin d’une rue, au rez-de-chaussée d’un immeuble, ce lieu est d’une décoration raffinée, comme celle d’un appartement privé, et la pièce de réception qui fait aussi comptoir ressemble à l’échoppe d’une pharmacie.

Jean-Philippe m’avait indiqué le champagne à commander : le Champagne Georges Laval Cumières Premier cru Brut sans année. Je ne sais pas ce qui conduit Jean-Philippe à ce choix, car le champagne est dur, strict, extrêmement sec et sans concession. Nous sommes assis dans un petit salon charmant et qui voyons-nous ? Mats, le sommelier qui nous a servis hier au Noma, qui fait des extras dans cette boutique. Nous bavardons en commentant la soirée d’hier, et pendant que nous parlons, je remarque que beaucoup des vins que nous avons choisis hier se trouvent aussi sur les étagères de ce bar à vin. Et nous avons constaté que tous ces restaurants et lieux de dégustation se connaissent et ne sont pas en compétition, au contraire. Ils promeuvent un style gastronomique danois fait de recherche de pureté, tant au niveau des plats que des vins.

la surprise de retrouver Mats de Noma !

déjeuner au restaurant Manfred à Copenhague samedi, 16 juin 2012

Le temps à Copenhague est incertain. La météo locale prévoyant des pluies, nous changeons notre programme du lendemain de Noma pour aller au restaurant Manfred, sur les conseils d’un ami suédois de Jean-Philippe. A notre grand étonnement, ce restaurant est juste en face du restaurant Relae qui avait marqué la première étape gastronomique de notre voyage de 2011. Nous apprendrons peu après que ces deux restaurants ont les mêmes propriétaires.

Ici, c’est la chasse gardée du vin bio, du vin nature, des « terroiristes ». Par une insolente contradiction de la nature, il fait un soleil de plomb. Nous déjeunons sur le trottoir en plein soleil. Dans cette rue passent les innombrables vélos et tricycles, la population est très jeune et le nombre de femmes enceintes et de mères de jeunes enfants est impressionnant. Nous prenons la formule suggérée à la carte où rien n’est décrit.

Assiette de fenouil mariné, assiette de crudités, salade de concombre et de tranches de poisson cru, délicieux tartare et verdure, œuf poché et graines épicées, pommes de terre et lardons, asperges et herbes, mousse au chocolat. On sent l’énorme influence de Noma et de René Redzepi sur tous les restaurants de la ville. Il n’est question que d’herbes, de nature, de légèreté de tous les plats. Alors que l’endroit ne paie pas de mine, tout ce que nous mangeons est goûteux, précis, engageant, et l’on ressort frais, en ayant bien mangé. Je me suis régalé.

Un Champagne Larmandier-Bernier 2005 est hélas bouchonné aussi commandons-nous un Champagne L’Apôtre Blanc de Blancs extra brut David Léclapart sans année très agréable, fluide, pur et bon compagnon de gastronomie. C’est de la belle ouvrage.

ici, c’est le paradis des vins « hors piste », comme le montrent ces étiquettes de vins que l’on peut acheter.

ceux que nous avons bus

même ici, on voit l’école danoise qui fait multiplier les plats, même dans une petite maison. Ici, c’est gourmand !