155ème dîner avec un éblouissant magnum de Lafite 1919 jeudi, 29 mars 2012

Le 155ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent, dans le magnifique salon lambrissé du premier étage. A 17h30, les bouteilles sont alignées dans l’ordre de service pour la photo de famille. J’ouvre les vins dans l’ordre de service, les champagnes étant mis au frais. Le Haut-Brion blanc 1975 a une odeur explosive et promet d’être une merveille. Le Cheval-Blanc 1943 a une odeur poussiéreuse tellement intense que mon verdict est instantané : le vin est mort. Et lorsque je sens le vin quelques minutes plus tard, il me semble que le retour à la vie sera trop long pour que le vin se retrouve. J’en goute un peu, et même si ce n’est pas franchement mauvais, mon verdict ne change pas. Le bouchon du Pétrus 1952 n’a aucune inscription. Il est court et tellement serré qu’il me faut de la force pour l’extraire. Il vient entier, à peine imbibé. Il n’est pas possible que le bouchage soit des années 50. Cette bouteille vient de la même caisse que celle bue au réveillon de l’an dernier qui nous avait fait douter de son authenticité. Je me verse un peu de vin et l’évidence éclate : ce vin n’est pas du Pétrus. Autant le doute était permis au 31 décembre, autant ici, ce vin trop jeune pour un 1952 n’a rien de Pétrus. Deux vins à problèmes coup sur coup, cela m’agace. J’ouvre le magnum de Lafite 1919 et là, un sourire barre mon visage, car le parfum de ce vin est sublime. N’aimant pas que mes vins aient des défauts, je décide d’ouvrir un Pétrus 1969 que j’avais en réserve. Il est comme un coup de poignard pour le 1952 car l’évidence du faux est encore plus criante. Ce 1969 promet d’être grand. Le vin du Jura et les deux liquoreux ont des parfums à se damner. Ce sont des merveilles. Alain Solivérès, le chef avec lequel j’ai déjà fait onze de mes dîners vient me saluer. Je lui fais sentir les deux sauternes et il devient évident que la vanille et l’esquisse de Grand Marnier prévus pour le dessert seront sans objet. Matthieu Bijou, le pâtissier, vient me rejoindre et fait la même constatation. Du pamplemousse rose sera ajouté à la préparation de mangue prévue.

Nous sommes dix, dont huit habitués et deux nouveaux. La table est très jeune. Le menu créé par Alain Solivérès est : Parfait de foie gras de canard, pomme cannelle (brioche) / Bar de ligne étuvé, poireaux et caviar osciètre / Quasi de veau rôti aux légumes caramélisés / Filet de bœuf du Limousin poêlé, pomme de terre fondantes, sauce bordelaise à la moelle / Canard de Challans doré aux épices, cuisses en parmentier / Vieux Comté / Douceur de mangue et de pamplemousse rose.

Le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992 est bu debout sur des gougères. Sa couleur est d’un joli blé de début de printemps, son nez est délicat. En bouche, sa jeunesse est belle. Les évocations sont de pâtisserie, de brioche, de miel et de crème de lait. L’un des convives dit qu’il est cérébral et c’est vrai, car il faut se concentrer pour le comprendre, car il se livre peu. C’est un beau champagne mais qui sera éclipsé par les deux suivants.

Le Champagne Cristal Roederer 1996 est une heureuse surprise. Son nez est envoûtant, disons parfait. Son acidité est superbe, son fruit est délicat et sa persistance en bouche est remarquable. Il s’associe merveilleusement au foie gras qui l’amplifie, alors que le Champagne Salon 1988 magnifique, est à contremploi sur le foie gras, trouvant cependant un écho avec la crème de pomme et cannelle. Lorsque le plat est enlevé le Salon montre à quel point il est impérial. C’est un champagne immense pour lequel j’ai une adoration coupable. Il accompagne avec précision le bar.

Le Château Haut-Brion blanc 1975 promettait des merveilles avec son parfum explosif à l’ouverture. Il a toujours le même nez mais, grosse surprise, en bouche il est plat. C’est évidemment un bon vin, mais pas du tout au niveau qu’il devrait avoir. Dommage.

Mes capacités divinatoires sont à nouveau mises en défaut par le Château Cheval Blanc 1943. Je l’avais annoncé mort à mes convives et voici qu’il se montre brillant. A la lecture, on pourrait penser que l’annonce d’un vin faussement mort serait une coquetterie de ma part, pour faire « genre », comme on dit. Mais en fait je l’avais réellement jugé incapable de revenir à la vie. Or c’est fait et si j’ai cru que des blessures résiduelles apparaîtraient, j’avais tort. On lira plus loin sa performance dans les votes finaux que jamais je n’aurais imaginée. Le vin a un parfum de fruit roses et de fleurs. En bouche il a un velouté délicat. Il a une belle puissance. C’est un vin fort agréable et qui tient bien sa place, aidé par le quasi de veau exemplaire.

Quelques amis arrivés en avance avaient eu mes confidences sur les pépins à l’ouverture. Un ami qui n’avait rien entendu déclare : « j’ai un problème avec ton Pétrus 1952. Sa robe me fait penser à un vin de 2000, et ce vin ne peut pas être de 1952 ». Nous y voilà. Ce faux Pétrus 1952 n’est pas désagréable. Il est même bon à boire, mais on le situerait dans les années 80, et ce qui est certain, c’est qu’il ne s’agit pas du même vin que celui de la bouteille bue il y a trois mois. Je vais devoir traiter deux problèmes : me faire rembourser cet achat, et faire en sorte que les bouteilles restantes ne se retrouvent pas à nouveau dans un circuit commercial.

Le Pétrus 1969 est d’un parfum vibrant, séducteur, charmant. En bouche, si l’on a pas le côté truffe qui signe souvent Pétrus on a son âme dans une année frêle. Pétrus excelle dans ces années là et la puissance de ce vin est supérieure à ce que 1969 donne normalement. Le fruit rouge est beau, la vibration du vin est rare. Il est extrêmement tactile et enjôleur. Un grand Pétrus, moins resplendissant que le 1981 bu récemment, mais de grande facture.

Le Château Lafite Rothschild magnum 1919 est un hymne à l’amour. Son parfum évoque les baies rouges qui sont comme des taches des sang dans des prairies d’été. En bouche, le vin est soyeux, velouté, charmant. Beaucoup signalent son caractère bourguignon, tant les fruits rouges délicats sont ceux des bourgognes anciens. Je signale sa marque profonde d’un authentique Lafite et progressivement, quand le vin s’installe bien dans le verre, cette marque « Lafite » devient évidente pour tous. C’est un vin exceptionnel de fraîcheur, de jeunesse avec une empreinte gigantesque. On n’est pas loin de la perfection absolue. Son score dans les votes est presque un carton plein, ce qui est rare. En écrivant ces lignes le lendemain, j’ai encore en bouche la pureté d’un grand Lafite.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1911 est un roc, que dis-je un roc, c’est une péninsule. Car il est d’une solidité que l’on ressent inébranlable. On l’ouvrirait dans cent ans, il serait au même stade d’accomplissement. C’est la perfection du Château Chalon. Le Comté lui va comme un gant, mais il n’en a même pas besoin tant il trace sa route gustative de façon impérieuse. Quand un vin atteint ce stade d’épanouissement (il a 101 ans le bougre), c’est un régal.

La juxtaposition de deux sauternes quasiment opposés est un bonheur sans égal. Le Château Gilette doux Sauternes 1947 est un océan de félicité calme. Son empreinte est moelleuse et confortable. Cela n’empêche pas la complexité, mais c’est sa douceur calme qui est remarquable. A côté le Château d’Yquem 1949 est un soleil radieux. Ses fruits sont plus lourds, plus confits, et sa complexité est inégalable. C’est un très grand Yquem très archétypal.

Après tant de délices, je demande s’il est opportun d’ouvrir le Cognac Lucien Foucauld circa 1890 que j’ai apporté. Mais je connais d’avance la réponse car il y a à la table de solides gaillards. Ce cognac correspond à mes goûts. Il a un équilibre que seuls les cognacs de plus d’un siècle peuvent atteindre. S’il évoque le caramel, c’est en trace. Il est d’une plénitude ensoleillée. C’est un très grand cognac et les financiers à l’amande sont parfaits pour l’accompagner, ainsi que des macarons à la mirabelle.

Nous sommes dix à voter pour nos quatre vins favoris. Sur douze vins, neuf reçoivent des votes, ce qui me fait toujours plaisir. Pour une fois, car c’est très rare, un vin obtient huit places de premier, c’est le Lafite 1919. Les deux autres places de premier sont attribuées au Château Chalon 1911 et à l’Yquem 1949.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Lafite Rothschild Pauillac 1919, 2 – Château d’Yquem Sauternes 1949, 3 – Château Petrus Pomerol 1969, 4 – Château Cheval Blanc 1943, 5 – Château Chalon Domaine Jean Bourdy 1911.

Mon vote est : 1 – Château Lafite Rothschild Pauillac 1919, 2 – Château d’Yquem Sauternes 1949, 3 – Cognac Lucien Foucauld circa 1890, 4 – Château Petrus Pomerol 1969.

Si le Cheval Blanc 1943 a recueilli trois places de second et une place de quatrième, cela montre à quel point, le vin, organisme vivant, est capable de se régénérer, même quand il paraît définitivement perdu. Cette leçon vaut bien un Cheval Blanc, sans doute et je suis prêt à jurer qu’on ne m’y reprendra plus, de déclarer mort un vin qui ne l’est pas.

Le restaurant Taillevent a réussi une fois de plus une prestation de grand niveau. Le service des plats sous l’autorité de Jean-Claude et des vins par Nicolas a été parfait. La cuisine d’Alain Solivérès est solide, pure pour les vins, sereine, et c’est ce qu’il faut pour ces dîners de grande gastronomie.

le vilain bouchon du Cheval Blanc 1943 et l’année très visible de l’Yquem 1949

Le bouchon du Pétrus 1952 est en haut à gauche. Celui du Pétrus 1969 en haut à droite. On voit la différence de longueur.

le bouchon du cognac (en miettes) et notre table

155ème dîner du 28 mars 2012, les vins mercredi, 28 mars 2012

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992, Champagne Cristal Roederer 1996, Champagne Salon 1988, Château Haut-Brion blanc 1975, Château Cheval Blanc 1943, Pétrus 1952, Château Lafite Rothschild magnum 1919, Château Chalon Jean Bourdy 1911, Château Gilette Sauternes doux 1947, Château d’Yquem 1949, Cognac Lucien Foucauld circa 1890.

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992

Champagne Cristal Roederer 1996

Champagne Salon 1988

Château Haut-Brion blanc 1975

Château Cheval Blanc 1943

Pétrus 1952

Pétrus 1969 (rajouté après avoir ouvert le 1952 qui est un faux)

Château Lafite Rothschild magnum 1919

Château Chalon Jean Bourdy 1911

Château Gilette Sauternes doux 1947 (il y a de drôles de petits bonhommes sur la capsule)

Château d’Yquem 1949 (la bouteille, vendue par Cruse probablement à l’étranger, a un bandeau qui cachait le millésime gravé dans la capsule. Je l’ai fait apparaître)

Cognac Lucien Foucauld circa 1890

Les 2011 des vins conseillés par Derenoncourt Consultants mercredi, 28 mars 2012

A la table du Royal Monceau où nous dégustions le Chateau Guadet saint-émilion, on parlait du rendez-vous qui allait suivre au George V, la présentation des 2011 conseillés par Derenoncourt Consultants. La curiosité me poussant je me rends dans les salons de l’hôtel George V et je suis époustouflé de rencontrer tant de vins qui ont Stéphane Derenoncourt comme conseiller. Quel succès pour ce brillant œnologue dont j’ai connu les débuts lorsqu’il est venu présenter avec son franc-parler les vins qu’ils suivait au Salon des Grands Vins au tout début des années 2000. Plus de 80 domaines sont présents.

Comme il est exclu que je les goûte tous, je vais déguster ceux que je connais. J’ai particulièrement aimé deux vins, le Château La Gaffelière 2011 d’une grâce extrême et le Château Smith Haut-Lafitte 2011 remarquablement fait. J’ai bien aimé des valeurs sûres comme le Domaine de Chevalier rouge 2011, le Château Petit-Village 2011, le Château Canon-la-Gaffelière 2011 présenté par Stephan von Neipperg souriant et pince sans rire, et La Mondotte 2011 du même.

J’ai rencontré avec plaisir Louis Gadby l’animateur de l’Ami Louis qui présente le Château Louis, ex Rol de Fombrauge, et Olivier Decelle qui présente ses vins de Bordeaux dont le Château Jean Faure. S’il est conseillé par Stéphane, c’est parce qu’il veut pouvoir discuter des choix à prendre.

Je suis impressionné de voir tant de grands vins dans « l’écurie Derenoncourt » et je suis aussi impressionné de constater que chacun garde sa personnalité, sans que l’on perçoive un style qui s’imposerait. Chaque vin a son âme, et c’est tant mieux.

Quelle réussite pour ce brillant œnologue !

Présentation du Chateau Guadet au Royal Monceau mercredi, 28 mars 2012

Un déjeuner de presse est organisé par le Château Guadet, un Saint-Emilion. Guy-Pétrus Lignac dirige le domaine avec son épouse et son fils Vincent qui a pris la direction de la vinification. Il a engagé la démarche en biodynamie et profite de son expérience acquise dans les vignobles des quatre coins de notre planète.

Nous sommes reçus dans un minuscule jardin niché dans l’hôtel Royal Monceau maintenant Raffles. La presse du vin est représentée par des français bien sûr mais aussi par des chinois, belges, japonais et des coréens. On trinque sur le Château Guadet 2011 très plaisant, très pur et authentique. C’est la pureté qui est la qualité principale de ce vin. Le Château Guadet 2010 est un joli vin, qui a pris un peu de muscle. Même si l’année 2010 est plus étoffée aujourd’hui, je préfère la pureté du 2011.

Deux carafes nous sont annoncées comme recelant de plus vieux vins. Le premier qui est servi trahit une certaine fatigue. L’amertume est trop prégnante et le bois n’est plus maîtrisé. Je le dis aimablement à madame Lignac qui en convient. Voulant imaginer le millésime je pense aux années quarante, mais Nicolas de Rabaudy lance 1964 qui est la bonne réponse. L’idée des années quarante correspond à la fatigue excessive du vin. Heureusement la deuxième carafe du Château Guadet 1964 est nettement meilleure. L’attaque est belle, fruitée. L’amertume est toujours là, ainsi que l’astringence, mais elles sont mesurées. Je demande à Manuel Peyrondet, le sympathique sommelier du lieu, de me garder quelques pincées de ce nectar.

Nous passons à table dans la magnifique salle à manger de l’hôtel, relookée par Philippe Starck avec une réussite certaine. Sous un plafond aux peintures très modernes et tendance, les décorations sont vives et rassurantes. On se sent bien. Nous sommes répartis en trois tables, ce qui est toujours frustrant, mais j’ai la chance d’être assis à côté de Guy-Pétrus qui est de la cinquième génération des propriétaires de Guadet.

Le menu mis au point par le chef Laurent André est : risotto aux morilles, jus de viande, fromage râpé de fromage « Primo sale » / selle d’agneau de Lozère rôtie, sacre de légumes de printemps / tarte feuilletée aux fraises, menthe fraîche (dessert de Pierre Hermé). On ne peut pas rêver de meilleurs plats pour mettre en valeur les vins.

Le Château Guadet 1998 a la même astringence que le 1964. On sent la continuité historique. C’est un vin « ancienne école » un peu serré.

Le Château Guadet 2001 est un peu trop strict. Le Château Guadet 2005 est un vin parfait. Il est charmant, équilibré, naturel, sans chichi, mais précis. J’adore.

Le Château Guadet 2006 est très riche, fruité, plus généreux que le 2005. Je me demande si je préfère le 2005 ou le 2006 plus dynamique. Mon cœur penchera pour le 2005.

Le Château Guadet 2007 a beaucoup de charme même si la matière est plus faible que celle des deux années qui précèdent. C’est à ce moment que Guy-Pétrus me dit que Stéphane Derenoncourt conseille le château depuis novembre 2005.

Le Château Guadet 2008 est bien fait mais un peu râpeux. Je ne le trouve pas totalement équilibré. Je suis assez surpris par la couleur noire du Château Guadet 2009. Pour moi ce vin n’est pas Guadet. Il est un peu trop moderne pour mon palais, alors que j’ai aimé le 2011. Il se peut que le 2009 soit dans une phase ingrate.

Je suis curieux de revenir au 1964. Le nez est somptueux. L’attaque est magistrale et exprime l’âme de Guadet. C’est un grand vin et il faut oublier l’astringence qui raccourcit le final.

De cette dégustation je retiens quatre vins : le 1964, splendide expression de l’âme de Guadet, malgré un final un peu restreint. Le 2005, le plus épanoui et brillant. Le 2006 très joyeux, et le 2011 dont la pureté m’a impressionné.

Le vin a évolué vers plus de précision. J’ai l’impression que sur quelques années on s’est un peu écarté de la trace historique, pour un travail mieux fait mais plus moderne. L’année 2011 avec Vincent marque sans doute une recherche de la trace historique de ce beau château.

Le1964 montre que tout existe pour tenir le ticket gagnant.

Nicolas de Rabaudy, le chef Laurent André, Guy Pétrus Lignac, Vincent Lignac et sur laphoto de droite, madame Lignac.

Domaines Familiaux de Tradition de Bourgogne mardi, 27 mars 2012

Les Domaines Familiaux de Tradition de Bourgogne présentent à chaque printemps le millésime qui a deux ans et demi. C’est certainement dans le monde du vin l’événement le plus prestigieux qui soit. Au Pavillon Ledoyen, les vignerons ont le sourire, car présenter le millésime 2009, c’est offrir des bijoux. Avec cette année, la réussite est au rendez-vous. Qui plus est, les 2009 sont en ce moment à un moment de grâce particulier. Ils ne se refermeront que dans quelques mois, espérant que nous les oubliions pour au moins vingt ans. Mais à notre époque où l’on veut tout tout de suite, qui sera raisonnable ? Comme tous les vins sont bons, le promeneur papillonnant que je suis va surtout obtenir confirmation que ses chouchous sont au rendez-vous. Voici ce que j’ai butiné :

Volnay Champans marquis d’Angerville 2009 charmant et délicat, Corton rouge Bonneau du Martray 2009 dont j’adore l’originalité, Grands Echézeaux Joseph Drouhin 2009 particulièrement réussi, Clos de la Roche Dujac 2009 superbe et racé, Corton Clos des Cortons Faiveley 2009 un solide gaillard imposant, Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 2009 dont j’aime la subtilité, Nuits-Saint-Georges les Vaucrains Henri Gouges 2009 très plaisant et subtil, Clos de Vougeot Méo-Camuzet 2009 de grande facture, Musigny Jacques Frédéric Mugnier 2009 mon chouchou de la journée tant il respire la gourmandise et la perfection, Bonnes Mares Georges Roumier 2009 prometteur de futures délices, Chambertin Armand Rousseau 2009, mon autre chouchou, à la séduction gourmande terriblement tentatrice, Corton Clos du Roi Comte Sénard 2009 d’une grande élégance de style, Latricières Chambertin Trapet 2009 adorable. En bref, que du bon.

Du côté des blancs, mon papillonnage fut plus court : Chablis Valmur Raveneau 2009 une merveille de chablis, Meursault Charmes Comtes Lafon 2009 à la solidité sans faille, Puligny Montrachet les Pucelles domaine Leflaive 2009 d’une puissance inégalable et mon chouchou du jour, le Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 2009, superbe de finesse.

Tant de grands vins rassemblés ainsi, c’est un cadeau pour les professionnels invités.

repas champêtre samedi, 24 mars 2012

Nous allons déjeuner dans la maison de campagne de ma fille cadette. Il fait beau et la forêt n’a pas encore de feuille mais de jolies fleurs fraîches de début de printemps. Mon gendre prépare le repas avec des encornets, des coquilles Saint-Jacques, et deux beaux homards bleus.

J’ouvre un Château Cheval Blanc 1950 d’une bouteille sans étiquette. Le niveau est entre mi-épaule et basse épaule, mais la bouteille semble sympathique. Le bouchon sort entier et confirme 1950. Le premier nez est poussiéreux. C’est difficile de dire si le vin reviendra à la vie, mais pourquoi pas. La gorgée bue juste après l’ouverture a une belle attaque. C’est sans nul doute Cheval Blanc, avec peut-être un goût de truffe un peu forcé. Le vin est torréfié, comme si la bouteille avait eu un coup de chaud. La couleur a encore du rouge. Nous verrons comment il se comportera

Pendant les préparatifs et sur des bulots, nous trinquons avec un Champagne Salon 1996. Après avoir bu il y a peu un Salon 1988 éblouissant, sans doute le meilleur de tous les 1988 de Salon que j’ai bus, c’était intéressant de voir ce que donnerait un 1996. Il est fantastique, avec une pesanteur, une acidité parfaitement contrôlée et une longueur inouïe. Il a une assise extrême, une plénitude en bouche remarquable. Est-ce la saison, est-ce moi, je ne sais pas, mais ce 1996 me semble le meilleur Salon 1996 que j’ai bu, avec exactement la même impression que pour le 1988. On peut dire que le 1988 est plus accompli et a plus de complexité et que le 1996 a plus de vivacité. Sur des feuilles d’huîtres, cette sorte de pourpier qui imite le goût de l’huître, le coup de fouet du Salon est saisissant.

J’ai apporté un Echézeaux Mommessin négociant 1973. L’odeur est sympathique avec une amertume très bourguignonne. En bouche, l’attaque est superbe, chaleureuse, étonnante de joie. En milieu de bouche, une légère acidité apparaît, mais n’est pas gênante. Le final est légèrement plat, mais se supporte bien. Si l’on voulait diviser le parcours en bouche en deux, on dirait : superbe / limité. Sur les coraux de coquilles Saint-Jacques, l’accord est superbe. Sur des pinces de homards bleus, il marche très bien. Et ce qui est intéressant, c’est que plus le temps passe, plus la deuxième partie du parcours du vin s’améliore. Le vin devient fort agréable du début à la fin de chaque gorgée. Je n’attendais rien de ce vin qui ne pouvait être – au mieux – que limité. C’est donc une heureuse surprise que le vin se soit si bien comporté.

Pour le homard, le Château Cheval Blanc 1950 est servi. Le nez est sympathique. L’attaque en bouche est presque honnête. C’est la suite qui est marquée par la mort. Le vin n’a rien qui pourrait esquisser une émotion. Sa couleur est devenue marron. Nous le laissons à son triste sort. Il est mort.

Nous ouvrons un Chapelle Chambertin Domaine Louis Trapet P&F 1982. Ce millésime n’ayant pas une excellente réputation en Bourgogne, je m’attendais à un vin assez strict et plutôt sec. La couleur est belle, d’un rouge sang foncé, le niveau est parfait. Le nez est discret mais très bourguignon. En bouche, c’est un vin très rassurant, sans histoire. Il a la jolie amertume bourguignonne, un fruit assagi mais aucune trace d’évolution. Il est très honnête, bien fait, de bonne soif, mais ne dégage pas une émotion intense. C’est un vin fort agréable, bien balancé mais sans grande persuasion. Il marche très bien avec le homard.

Des tranches d’ananas sont poêlées avec des morceaux de bananes et des kumquats pour le Château Doisy-Daëne Barsac 1953. La magnifique bouteille a un niveau dans le goulot. On comprend mieux quand on lit sur le bouchon le rebouchage en 1999. La couleur est d’un or glorieux. Le vin est puissant, pur, d’une acidité contrôlée, avec des agrumes, de la mangue. Ce qui frappe, c’est son épanouissement. Il est d’une cohérence parfaite. Il boxe dans le camp des plus grands.

Ce repas de printemps fut un beau moment.

Un chef à suivre : Hervé Rodriguez mercredi, 21 mars 2012

Ça commence par un message sibyllin de Jean-Philippe : « Une table secrète, Un dîner privé, Un chef et son second, Nos vins, Hidden hôtel ». Un indice est donné dans le titre « MAnipulateur de SAveurs », ce qui suggère MASA, le nom d’un restaurant. Je ne fais aucune recherche, préférant me faire surprendre et j’annonce mes vins. Le matin du jour dit, je remplis ma musette de quelques flacons que je ne peux pas ajuster à ceux des autres, car je n’ai pas de réponse à ma proposition de vins.

A l’heure prévue je constate à l’adresse indiquée que le Hidden hôtel est bien un hôtel qui ne se cache pas. Sa façade est recouverte de bois de pin. Nous descendons au sous-sol où nous sommes accueillis par Sophie et par Hervé Rodriguez, le chef du MASA, qui a quitté son restaurant sur un différend avec ses commensaux. Il squatte depuis un mois la salle en sous-sol de l’hôtel et la cuisine attenante. C’est ce soir son dernier dîner de squatter, car il va très prochainement s’installer dans un restaurant à Boulogne.

J’ouvre toutes les bouteilles présentes, Jean-Philippe règle avec Hervé les derniers détails du repas. Voici ce que cela donne : Queso manchego et pata negra / Ormeaux beurre noisette, radis daikon, topinambour, racine de capucine, réduction citron-bergamote / Asperges nouvelles, réduction de langues d’oursin, crevettes grises grillées, brunoise chermoula / Fera du lac Léman, poêlée de févettes, poutargue, caramel de réglisse / Risotto d’épeautre à la truffe de Tricastin, pigeonneau, copeaux de gouda millésimé / Abats, émulsion de cardamone noire, cacao / Caille des Dombes, bruccio, framboises / Fraises gariguettes, coulis pomme-persil, sorbet fromage blanc / Déclinaison caramel beurre salé : sponge cake, mousse, fudge, crème glacée réglisse, éclats de noisette.

Nous passons à table. Le Champagne Jacques Selosse dégorgé en décembre 2010 est beaucoup plus avenant que celui dégorgé en 2008 que j’ai bu il y a peu de jours. Il n’y a pas le caractère fumé prononcé du précédent. Celui est clair, fluide, à la bulle altière et à l’amertume bien contrôlée. C’est un bon champagne, qui réagit bien sur le Pata Negra viril et sur le fromage de brebis coupé en fines tranches, mais ne crée pas l’émotion que j’ai déjà ressentie avec ce grand champagne.

Pour se faire la bouche et effacer la lourde trace du Selosse, Jean-Philippe nous fait servir un Bourgogne Blanc Bernard Boisson-Vadot 2009. Simple, sans chichi, ce vin joue le rôle qui lui est confié.

Je n’ai jamais mangé des ormeaux aussi bons que ceux-ci. Ils ont dû être battus et rebattus, car ils sont d’une tendreté exceptionnelle. Accompagnés de topinambours avec leur lourde peau, de racines de capucine et de radis noir, ils forment un plat délicieux. Le Puligny-Montrachet 1er cru Les Perrières Louis Carillon & Fils 2008 est un très joli vin sans histoire et juteux à souhait. Il accompagne de croquantes asperges vertes avec des crevettes grises craquantes et salées. La crème est à se damner.

Le saint-pierre aux févettes est le plat que je classerai premier. Il accompagne un Château Grillet Neyret-Gachet 1990. Que c’est agréable de trouver enfin un Château Grillet au sommet de son art ! Car de précédentes expériences n’ont pas été concluantes, sur des millésimes plus anciens. Ici, ce 1990 est superbe, énigmatique comme il se doit, mais d’un charme rare. On comprend pourquoi Curnonski l’a classé parmi les cinq plus grands vins blancs de France, car il a une personnalité rare, avec une facette citronnée et une immense fluidité. Ce que j’aime, c’est la constance de son parcours en bouche.

Le vin suivant est le Clos Joliette sec Jurançon 1971. Il y a quelques mois, j’avais raté le rendez-vous avec le Clos Joliette car le 1974 ne m’avait pas plu. Celui-ci est impérial. On sent qu’il a été touché par le botrytis, un peu comme le Clos Windsbuhl de ce midi et il est absolument confondant de bonheur, car il est sec mais aussi doucereux, tout en légèreté. Il y a un petit fumé, des fruits jaunes en salade de fruits, et une longueur impressionnante. C’est un très grand vin, solide, carré.

Le risotto à la truffe noire et au copeau de Gouda est remarquable. Le Château Lafleur Pomerol 1964 que j’ai apporté à un nez de truffe. Le vin est truffe, avec un velouté exceptionnel. Cette bouteille au niveau à la base du goulot est une grande bouteille. Le vin est majestueux, n’a pas de signe de vieillissement comme le montre la couleur noire et vivace du vin. C’est un vin impressionnant qui sera plébiscité par tous à la première place. Il dépasse les autres de la tête et des épaules. Son équilibre velouté est une merveille.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1998 est très solide, en pleine possession de ses moyens, très rassurant. J’ai toujours aimé ce millésime de Beaucastel qui est maintenant au sommet de son art. Les abats lui vont bien.

L’Hermitage rouge Chave 2001 est superbe. La caille servie avec des petits fruits rouges l’excite fort à propos. Ce vin est une bombe d’émotions. Sa personnalité est très forte, son fruit est lourd et vivace. C’est un superbe vin à la trace très droite et pure, dont le message est sensiblement plus percutant que celui du Beaucastel.

Dans ma besace, j’avais logé un vin que je n’avais pas annoncé, mais prêt à être utilisé « pour le cas où ». Même si nous sommes déjà repus, le Champagne Salon 1988 est insolent de charme, de conviction, de grandeur. Quel beau champagne ! C’est probablement le meilleur 1988 que j’aie bu de Salon. Il a tout pour lui. Il est terriblement convaincant, avec de multiples facettes mais surtout une évidence : en le buvant, on boit de la grandeur amplifiée par la précision du vin.

Nous finissons le repas sur un Château Mazarin Loupiac 1955 à la couleur d’un or clair splendide. Là aussi ce vin de ma cave a un niveau dans le goulot. Splendide de grâce et de légèreté, il convient au dessert à base de caramel, par son équilibre délicat où le sucré est aérien et par sa trace profonde et élégante. Un Loupiac de ce niveau, c’est un véritable cadeau.

La cuisine d’Hervé Rodriguez est remarquable. Mes préférences vont vers le poisson, l’ormeau et le risotto. Pour les vins, mon classement est : 1 – Château Lafleur Pomerol 1964, 2 – Champagne Salon 1988, 3 – Château Grillet Neyret-Gachet 1990, 4 – Hermitage rouge Chave 2001, 5 – Clos Joliette sec Jurançon 1971.

Nous avons été les derniers à profiter du squat d’Hervé au Hidden hôtel. Nous nous précipiterons dès le début avril à sa nouvelle adresse à Boulogne, car ce chef de grand talent mérite qu’on le suive. Comme dans la chanson : « où tu iras, j’irai ».

déjeuner à l’Astrance mercredi, 21 mars 2012

Nous commençons par un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1997, à la couleur déjà légèrement ambrée. Le champagne est distingué, presque fumé. C’est son élégance qui domine. Il est un peu strict et manque un peu d’ampleur, mais c’est un grand champagne vibrant. Sur le foie gras, il est à son aise et le champignon de Paris lui sert de tremplin. Sa longueur est belle, sa trace fumée est agréable, mais j’attendais un peu plus.

Le Riesling Clos Windsbuhl Zind Umbrecht 1994 est d’une couleur très ambrée. D’une année à botrytis, il combine le caractère sec du riesling avec l’esquisse d’un vin doux. Ce n’est qu’un esquisse, car à aucun moment, même sur la coquille Saint-Jacques presque sucrée, on ne ressent du doucereux. Ce qui me fascine, c’est la précision du riesling. Il a de l’orange amère, du fruit confit, du fumé, mais aussi l’acidité et la fluidité du riesling sec. Sa flexibilité est admirable aussi bien avec l’huître où l’iode excite le vin qu’avec la coquille qui le caresse. Mais c’est avec la crème de l’algue Kombu que le vin frétille. Comme l’occasion se présentait, je suis passé du champagne au vin blanc et j’ai fait le chemin inverse, et c’est fou comme les deux se renforcent. C’est assez saisissant. Et ce qui apparait, c’est la précision du riesling, comme taillée dans le marbre le plus blanc.

Nous risquions de manquer de vin blanc, aussi Alexandre nous ajoute un verre de vin de son invention, qu’il ne nomme pas. La couleur est aussi ambrée, le vin est noble, riche, puissant. C’est un Pouilly-Fuissé Clos de Monsieur Noly Domaine Valette 2000. Sur le tourteau et le coulis d’étrille l’accord est saisissant. Je félicite Alexandre pour ce choix pertinent. Ce vin « cause ». Il s’exprime, vibre sur le plat. S’il n’a pas le caractère ciselé du riesling, il a un coffre, une assise et une présence qui sont adaptées au plat. Fruits jaunes, fruits bruns, salade de fruits bruns, fumé, tout concourt à une impression d’élégante gourmandise.

Pour le Chateauneuf-du-Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 2001, j’ai à peu près autant d’objectivité qu’avec la cuisine de Pascal Barbot. Je n’irais pas jusqu’à déchirer mon tee-shirt et pousser des cris hystériques, mais ce n’est pas loin. Car ce vin, ce n’est pas un Chateauneuf-du-Pape, c’est un monument. Quand on boit ce vin, on boit un désir de vin. C’est exactement ce que l’on souhaite d’un vin de dix ans. Je suis tellement heureux de boire un vin aussi parfait sans être doctrinal que j’en offre un verre à la table voisine. Je saurai plus tard qu’il s’agit de la mère et de l’oncle du pâtissier du restaurant.

Ce vin est pour moi un miracle, subtil, vibrant. Bien malin serait celui qui devine sa région. Je remercie Alexandre de son service du vin en lui donnant mon classement : 1 – Henri Bonneau, 2 – Zind Humbrecht, 3 – Puilly-Fuissé Valette, 4 – Philipponnat. Le mot « Fin » s’écrira avec un Whisky Macallan 1992 percutant de conviction.

La cuisine de Pascal Barbot est un bouquet de création. Son sourire est désarmant. Cette table est un bonheur.

magnifique repas à La Tour d’Argent samedi, 17 mars 2012

On ne peut pas imaginer le nombre d’américains qui connaissent plus de grandes tables européennes que les français. Murray profite de réunions professionnelles en Europe pour ajouter à son tableau de chasse tous les nouveaux trois étoiles. Si le guide Michelin ajoute un chef au firmament, Murray doit s’y rendre avec son groupe de collègues et amis in petto.

Cette semaine, ils ont « fait » deux restaurants phares en Allemagne, puis quatre ou cinq grandes tables de Paris. Hier ils avaient déjeuné à la Tour d’Argent et ce midi, avec mon épouse, nous les retrouvons à déjeuner au restaurant de la Tour d’Argent. S’ils doublent la mise, c’est parce qu’ils estiment que le choix de la carte des vins est unique.

Arrivant en avance, j’ai le temps de regarder la carte des vins et je suis horrifié par les prix. Si l’on est fou à Hong-Kong, faut-il être fou à Paris ? Un vin que j’aime, qui est grand, mais qui n’est pas dans mon Panthéon, peut être trouvé autour de 1.500 €. Il faudrait ajouter un billet de 10.000 € (comptez le nombre de zéros) pour que je puisse le boire ici alors que je l’ai chez moi. Pour les champagnes, c’est de la folie, rendant quasi impossible de goûter des cuvées que je bois habituellement.

Alors bien sûr, il reste de bonnes pioches, mais de plus en plus rares. Les vins que nous allons boire sont loin d’être des seconds couteaux, car à un moment, on décide de se lancer. Les amis arrivent, je discute avec Murray des choix possibles. Notre table, par un hasard que j’apprécie, est celle que gérait un maître d’hôtel historique, Monsieur Aimé. C’était un patient de mon père qui était oto-rhino. Ce détail a encore plus d’importance pour moi, car aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon père, qui aurait fêté ses 103 ans. La table est magnifique et je peux voir bien sûr Notre-Dame, mais aussi la Tour Saint-Jacques, les toits de la mairie de Paris, au loin le Sacré Cœur, et l’île Saint-Louis où j’ai habité avec celle qui allait devenir ma femme il y a 46 ans.

Les serveurs sont en habit, le service est attentif, tout annonce un grand moment. Nous commençons par un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2008. C’est un champagne d’initié. J’ai souvent écrit que c’est un champagne d’ayatollah. Car il faut un palais exercé pour apprécier ce champagne acide, fumé, à l’oxydation forte, sans concession. Mais si l’on entre dans sa sphère, on en découvre toutes les subtilités. Gagnera-t-il en vieillissant, je serais bien incapable de le dire. Mais sur l’instant, j’adore son caractère énigmatique, interrogeant, et ne gratifiant que ceux qui s’ouvrent à lui. Par un hasard extraordinaire, un petit amuse-bouche au haddock avec une sauce crémée a créé un accord magique avec le « Substance ».

Nos menus sont différents. Le mien est : terrine de foie gras aux deux gelées, la quenelle de brochet, le travers de porc, fromages et dessert à la mangue. Pour les deux premiers plats, j’ai fait servir ensemble le Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1983 et le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1992. Car la logique voudrait que le Bâtard vienne après le riesling, mais certains ont pris comme deuxième plat des asperges qui iront mieux avec le riesling.

Quoi de plus différent que ces deux grands blancs ? Le Sainte-Hune est une merveille de précision. Il est droit dans ses bottes, monolithique, mais d’une invraisemblable précision. Alors qu’il est un parfait gentleman, le Bâtard est beaucoup plus canaille jouant sur la séduction. Il a un fruit superbe, une mâche énorme, et si le Sainte Hune joue en longueur ou plutôt en verticalité, le Bâtard joue en largeur. Il est à noter que les deux vins semblent au sommet de ce qu’ils pourraient être, avec un épanouissement certain. Pour la quenelle, c’est le Bâtard qui s’impose, alors que pour l’asperge, c’est le riesling. Avec le foie gras aucun accord n’est parfait, mais le riesling est plus naturel.

Je fais voter la table sur le meilleur des deux, et c’est un vote partagé. Mon sentiment est que le vin de Trimbach est le plus pur, le plus précis, le plus dans une forme de perfection, alors que le plus chaleureux est le Leflaive, avec un épanouissement hors du commun. Mais avec le Bâtard, on peut imaginer qu’il existerait mieux, alors qu’avec le riesling, c’est impossible. Ce riesling est au sommet de son art, sans rival imaginable.

Le plat de porc est un éblouissement. La Tour d’Argent ressuscite la cuisine d’il y a un siècle, et c’est un succès. Lorsqu’on nous a servi le foie gras, c’est à la cuiller. Et les deux gelées, l’une au sauternes et l’autre au porto sont aussi servies à la cuiller. On est au sommet de la cuisine d’antan. Le travers de porc, laqué, fumé est une vraie merveille de gourmandise.

Le Bonnes-Mares Domaine Roumier 1988 qui n’a pas été carafé contrairement aux blancs est à la fois épanoui et timide. Il est follement bourguignon et ce qui me plait le plus, c’est qu’il n’essaie pas de plaire. Il est authentique, naturel, et tout en lui est finesse et discrétion. Murray trouve qu’il a beaucoup de fruit alors que je trouve son fruit discret, sans que cela nuise au message. C’est un beau vin de Côte de Nuits, avec déjà des signes de maturité, des évocations de cendres, un beau caractère vineux, et une longueur au final raffiné. C’est un grand vin plein de distinction.

Comme le bourgogne a été rapidement fini sur la viande gouteuse, que va-ton boire sur le fromage ? Je suggère un Château-Chalon Jean Macle 1991, de l’année la plus vieille sur la carte de ce beau domaine. Ce qui est fou avec ce vin, c’est qu’il est intemporel. Et il est d’une facilité de message extraordinaire. On sait qu’il est Château-Chalon, mais il est accueillant, facile à boire, lisible. Pour un peu, à l’aveugle, on se tromperait de région, tant il est fluide comme un vin de Loire. C’est presque le contraire du Selosse, même si les messages ont des points communs. Et c’est le Comté et lui seul qui fait apparaître de fortes notes de noix. Ce vin est splendide.

Sur la carte des vins, au chapitre de Clos Sainte-Hune, il y a deux vins pour 1989. L’un est un vendanges tardives que j’ai déjà goûté et qui est une réussite invraisemblable, et pour deux fois plus cher, il y a le Clos Sainte-Hune Vendanges Tardives Hors Choix 1989. Tout est dans le « hors choix », qui signe une crème de tête. Ce vin est fou. N’allez pas dire qu’il est d’Henri Maire ! Il est fou parce qu’il est à la fois doux, du fait de la vendange tardive, mais extrêmement sec, les sucres ayant été dissous du fait de ses 23 ans. On retrouve la précision du 1983. Un message délié révèle la cohérence d’un vin à la fois sec et doux. Est-ce cohérent ? quand on est en face de lui, on le comprend. Il y a des notes de mangue, d’orange amère, une belle acidité citronnée mais mesurée et une rondeur folle. Ce vin est diabolique car il est inclassable. Il est hors de tout.

Nous avons voté de façon informelle, et s’il y a une diversité des votes, il y a aussi beaucoup de cohérence. Mon vote est : 1 – Clos Sainte-Hune Vendanges Tardives Hors Choix 1989, 2 – Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1983, 3 – Bonnes-Mares Domaine Roumier 1988. Murray a les mêmes deux premiers et a mis en troisième le Château Chalon, ce que je comprends volontiers.

Nous nous sommes promis de nous revoir à San Francisco pour rejoindre un groupe de solides collectionneurs et faire de nouvelles folies. Que dire de ce repas ? En ressuscitant une cuisine ancestrale, La Tour d’Argent a réussi son coup. Tout était délicieux. Bien sûr, rien ne dit que ce sera aussi parfait un autre jour, mais ce qui est pris est pris. La vue est féerique, le service du vin est très attentionné et notre sommelière a géré intelligemment les vins. Le service des plats est parfait. Comme ma marotte est le prix des vins au restaurant, il faut que La Tour d’Argent revienne à une politique tarifaire raisonnable, car c’est le seul point, mais c’est le bât qui blesse.

Le célèbre canard au sang et Notre-Dame