passionnante dégustation de vins d’Egon Müller mardi, 13 décembre 2011

Les caves Legrand Filles & Fils organisent de belles dégustations. Il n’était pas question que je manque celle des vins d’Egon Müller, présentés par Egon Müller lui-même. Il est à noter que son père s’appelle Egon et que son fils aussi, « ça permet de ne pas changer les étiquettes ».

Les vins de Moselle en Allemagne couvrent 9.000 hectares d’un vignoble qui date de la période romaine. On ne sait pas très bien quels cépages existaient du temps de romains. Les propriétaires des vignobles étaient l’église et la noblesse jusqu’à la fin du 18ème siècle époque où l’on a commencé à introduire massivement le riesling, seul cépage qui permet de faire des grands vins en Moselle. Du fait des successions, les propriétés sont très morcelées et la moyenne est de deux hectares par propriété. Le climat est pluvieux avec des étés froids, aussi les vendanges se font-elles fin octobre et début novembre. Les raisins sont de maturités très variables. Le Beerenauslese n’existe que depuis 1959. La Sarre abrite un dixième de la Moselle et Egon Müller possède 16 hectares sur les 900 du vignoble de la Sarre. L’appellation Scharzhofberg couvre 28 ha et Egon Müller en possède 8,5 ha. C’est ce que nous allons goûter ce soir.

Egon Müller explique les différents niveaux de vins, avec le vin de table, le Qualitäts wein qui correspond au VDQS et le Prädikat qui correspond aux vins d’appellations. Le classement est ensuite fait en fonction de la maturité des raisins. Le Kabinett peut être un vin sec, demi-doux ou doux mais Egon Müller a arrêté de faire des vins secs. Pour lui, l’équilibre se trouve autour de 30 grammes de sucre.

La famille Müller a acheté le domaine en 1797 à l’église. L’acheteur, de la « nième » génération au dessus de notre hôte avait sept enfants. On imagine qu’il avait acheté une belle parcelle de la Moselle. Aujourd’hui le domaine produit autour de 80.000 bouteilles par an, avec des rendements bas. J’ai cru comprendre qu’un année récente n’avait donné que 30.000 bouteilles.

Le « Scharzhof » Egon Müller 2009 est le vin de base dans les rieslings de la Moselle. Egon Müller dit que c’est un grand millésime. Le vin est très clair, à peine jaune. Le nez est très fruité, acidulé, et en bouche il est marqué par une légère fraîcheur perlante. Ce vin a tout du bonbon acidulé. Il est agréable à boire même s’il manque d’ampleur. Il irait bien avec des poissons de rivière. Il évoque des fleurs blanches.

Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 2010 a été mis en bouteille en juin 2011. Il est nettement plus jaune, même s’il est clair. Le nez est beaucoup plus raffiné et cohérent. On sent le doucereux mais discret. La bouche est marquée par un léger perlant. Il y a un peu de poivre. C’est aussi un bonbon acidulé mais plus construit. Le final combine l’acidulé et le sucré. Il est très agréable à boire.

Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 1995 est d’un jaune identique à celui du 2010. Le nez est impressionnant. Il a la puissance et la cohérence. On hume du capiteux, des parfums subtils d’écorce d’orange. En bouche, il est incroyablement parfumé, avec de l’orange, du pomelos. Il est follement complexe et séduisant. On dirait un mariage de la mandarine et du kumquat. La longueur est infinie, très aérienne. Le 2010 est plus riche, mais trop jeune et pas encore intégré.

Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 2010 est fait de raisins en surmaturité. La couleur est jaune clair, le nez est jeune, pas encore assemblé. On imagine le végétal et le sucre. En bouche il est mentholé, frais, plus sucré, gourmand, encore bonbon acidulé. Le sucre est très apparent. La combinaison de l’acidité et du sucre est très belle.

Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 1994 a été choisi car Egon Müller pense que c’est un millésime très proche de 2010. Le jaune est légèrement plus prononcé, le nez est intégré, plein de fraîcheur acidulée. En bouche, il est magnifique de fraîcheur. Il est très intégré. Il a aussi le côté pomelos, frais, de belle longueur. Le sucre est cohérent, le vin est gourmand. Je fais sourire Egon Müller en disant que c’est un vin qui donne soif tellement il se boit bien. On a encore le bonbon acidulé, mais plus noble.

Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 2010 est un vin fait de grains botrytisés triés. Il est jaune clair. Le nez est discret et l’on sent le gras du vin. Son goût est encore perlant. Il a une belle acidité. Le sucre est là, mais on ne le sent pas.

Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 1999 est de la meilleure année des années 90. Le vin est jaune clair, le nez est marqué par la fraîcheur. Ce qui frappe en bouche, c’est la fraîcheur. Il fait très jeune. On avale sa salive en buvant ces vins. Il est gourmand, fluide, marqué surtout par la fraîcheur. Il a une belle acidité finale. On aimerait qu’il ait quelques années de plus. Lorsqu’on demande à Egon Müller quand est la meilleure ancienneté pour boire ces vins, il ne répond pas, s’abritant derrière : « c’est le goût de chacun ».

Le père ou le grand-père d’Egon Müller avaient hiérarchisé les qualités d’Auslese en créant le Fein Auslese et le Feinste Auslese. Comme cette classification ne peut pas exister, on a contourné la difficulté en créant les capsules d’or. Egon Müller nous indique qu’il existe aussi des Lange Goldskapsel, mais qu’il garde pour lui !

Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 2010 titre 7,5°. Il est d’un jaune soutenu. Le nez est très fort, suggérant l’acidité et le sucre non encore intégrés. La bouche est perlante mais on sent l’élégance et la noblesse du fruit, avec un sucre plus élevé. Il y a une fraîcheur acidulée. Le vin est gourmand et frais. La persistance aromatique est folle, avec une acidité très bien dosée.

Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 est un cadeau absolu, car seulement 180 bouteilles ont été mises sur le marché. Le reste, non quantifié, est gardé par Egon Müller pour des dégustations comme celle-ci. La couleur est jaune d’or, le nez est très équilibré et c’est la première fois que je sens du miel. En bouche, tout est équilibré, délicat et fin. Il se boit avec gourmandise et une grande envie d’en reprendre. Le vin est gras, épais, tout en étant fluide. C’est un vin immense et complexe, de miel, de blé mûr, avec très peu d’acidité et un final infini.

Egon Müller nous signale suite à une question que ses vins ne font pas de fermentation malolactique et que s’ils la font, le vin est rejeté.

Le Scharzhofberger Trockenbeerenauslese Egon Müller 2010 titre 5,5°. C’est le vin le plus cher au monde, plus de deux fois plus cher qu’une Romanée Conti. Cela tient à sa rareté. Le vin quand il est versé dans le verre donne à l’œil l’impression qu’il est visqueux, étonnamment gras. Le nez est riche et acidulé. Le vin, même s’il est légèrement perlant du fait de sa jeunesse, se montre gras. Il est très acidulé, de citron et de fruits jaunes. La persistance en bouche est incroyable. C’est un bloc de sucre, mais avec de l’acidité et de la longueur. C’est un vin épais. Comme il est peu probable de susciter des accords culinaires, je dis à Egon Müller que c’est un vin de méditation. Il me répond : « c’est un vin de discussion ». Jolie formule.

Ce vin qui n’existe que depuis 1959 a donné lieu au millésimes suivants : 59, 71, 75, 76, 89, 90, 94, 95, 97, 99, 00, 01, 03, 05, 06, 07, 09, 10, 11. L’accélération des fréquences est liée au réchauffement climatique. Egon Müller nous dit qu’il n’aurait pas dû faire 2000, mais il l’a fait pour son fils né cette année-là et il n’a rien commercialisé.

Ces vins sont dans un registre gustatif à part. Les comparer aux sauternes n’aurait pas de sens. Ils sont précis, complexes, gourmands et d’une pureté extrême. On les boit avec un grand bonheur. Le vin le plus brillant pour moi est le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 surtout à cause de l’effet de l’âge. Egon Müller est un personnage calme, posé, souriant et passionnant. Ce fut une impressionnante dégustation.

un enchanteleur impromptu lundi, 12 décembre 2011

Mon fils vit à Miami. Il vient une fois par mois régler les problèmes de gestion des affaires familiales. Nous dînons ensemble chez moi qui est son chez lui français. Il faut faire light, aussi au menu, c’est Pata Negra et œuf dur. Les retrouvailles, ça s’arrose. Un petit champagne ? C’est la question perfide, car je sais que la réponse sera oui. Je vais chercher un champagne au frais. C’est un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983. La bouteille ne ressemble pas aux Enchanteleurs habituels, car le corps de la bouteille est un vrai cylindre, alors que les bouteilles habituelles sont bombées. Je trouve que celle-ci a plus de classe.

Le bouchon est très serré, et le pschitt lorsqu’il s’extrait est discret. Le champagne est d’un or de blé de juillet. Le nez est engageant. Le goût du champagne est « enchantelant », tant il est charmeur. On est sur des notes un peu fumées, de tabac, de fruit séché, et tout en lui est élégance. A boire, c’est un vrai plaisir. La distinction est extrême, avec des suggestions de palais royaux du 18ème siècle. On se voit réciter des madrigaux charmants en contant fleurette à une baronne parfumée. Nous grignotons de petites choses pour faire durer le plaisir et quand la bouteille est vide, arrive une sensation de manque. Le champagne se boit si facilement qu’il réclame une suite. Nous sommes raisonnables dans notre déraison aussi aucun « bis » ne sera accepté. Reste le souvenir d’un champagne de plaisir, élégant et à maturité, et ce doux sentiment de manque d’un revenez-y.

Nous l’avons comblé avec les restes du Porto Collection Massandra 1947 du 150ème dîner, toujours aussi chatoyant et doucereux, bien riche de complexité, dont la lie se composait de morceaux en fines lamelles, comme les pellicules de vieux films voilés.

Le jour le plus long de mon année de vin samedi, 10 décembre 2011

Aujourd’hui, c’est le jour le plus important de l’année, quand il s’agit de vin. Alors que les aventures se succèdent et que je vais d’émerveillement en émerveillement, j’ai toujours le même enthousiasme et au réveil, mon cœur bat comme pour un premier rendez-vous amoureux. Depuis onze ans, j’organise un dîner annuel de vignerons appelé le dîner des amis de Bipin Desai, célèbre collectionneur américain d’origine indienne. Et, disons-le tout simplement, je suis fier que des vignerons dont je célèbre les vins soient devenus des amis. Le simple énoncé des vins et de ceux qui les apportent montre l’ampleur de l’événement :

Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond qui devait venir mais a eu un empêchement), Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy), Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière), Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin), Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin), Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze), Château Palmer 1964 (François Audouze), Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot), Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin), Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau), Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot), La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair), Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze), Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot), Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange), Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot), Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent).

Le cas de Pierre Lurton mérite d’être signalé. Dès que j’ai lancé les invitations, Pierre savait qu’il ne pourrait venir. Or il a tenu à être présent dans nos pensées en offrant un vin, et pas n’importe lequel.

Entretemps, Bipin Desai a souhaité déjeuner avec moi. Nous allons au restaurant Apicius. La liste ci-dessus est colossale pour douze personnes à table. En rajoutant un déjeuner, comment va se terminer la journée ?

déjeuner au restaurant Apicius vendredi, 9 décembre 2011

Avec Bipin Desai, nous nous retrouvons au restaurant Apicius dont la décoration est chaleureuse, avec des couleurs qui m’évoquent le mouvement Cobra, chatoyantes et distinguées. Tout porte au bien-être. Etant en avance j’ai le temps d’étudier la carte des vins copieuse et intelligente où des prix inabordables du fait de la folie actuelle cohabitent avec de très bonnes pioches. Nous choisissons des menus différents. Le mien est une demi-portion d’une entrée de coquilles Saint-Jacques avec une langoustine crue et de la truffe blanche, l’autre demie que j’ai écartée du fait des autres choix est le yang du yin, la coquille Saint-Jacques en pâtisserie avec de la truffe noire. Ensuite, langoustines bretonnes cuites en coques, thé fumé de crustacés comme une « Miso soupe », puis filets de rougets mijotés « minute » dans l’eau de mer, huître et cresson curry. En amuse-bouche c’est une brandade de morue avec une émulsion de fleurs de courgettes.

Ce qui frappe dans cette cuisine, c’est son élégance. Ici, pas de recherche farfelue conduisant sur des sentiers inexplorés, mais une interprétation sereine de produits connus. Bipin Desai a pris en plat principal le cabillaud demi-sel cuit à la vapeur puis laqué, avec une multitude d’herbes en vinaigrette de soja. Alors qu’avec mes rougets, on est douché par les embruns, tant l’iode domine le débat pour un plat résolument marin – et j’adore, le cabillaud est le plat le plus gourmand que l’on puisse imaginer. Je suis un adorateur de la chair du cabillaud, et là, on s’en repaît.

On nous propose à notre arrivée un petit verre de blanc, un Rully Deux Montille Sœur-frère 2008 blanc. Le nez est charmant, l’attaque est très fruitée. Le vin est très simple, très sec, mais comme il est bien fait, il se boit sans chichi. La bonne pioche, c’est le Corton-Charlemagne Jean François Coche-Dury 2008. On me fait goûter. Je sens et je souris. Car les vins de Coche, ça se reconnaît au nez à cent lieues de distance. Ce vin est « la » perfection du Corton Charlemagne. Son acidité est exemplaire. Il a été carafé et je dois dire qu’il m’enthousiasme dans sa fraîcheur, plus que lorsqu’il est épanoui. Car pour ce vin jeune, le coup de fouet que donne la fraîcheur et son acidité révélée est spectaculaire. Quelle richesse ! Avec une vin de ce calibre, on ne décrit pas, on en jouit.

Comment pouvons-nous être aussi fous, car à 16 heures nous étions encore à table, de festoyer ainsi (nous avons même demandé du fromage pour finir le vin !), alors que dans quatre heures, c’est un vrai marathon qui nous attend.

un dîner de vignerons gargantuesque vendredi, 9 décembre 2011

J’arrive au restaurant Laurent à 16h30 et avec Ghislain, nous rassemblons les bouteilles pour faire la photo de groupe. C’est assez dément, car nous serons douze et il y a dix-sept vins dont quatre magnums, ce qui fait en équivalent bouteilles un total de vingt-et-un. J’ouvre les bouteilles et fort curieusement, il y a de nombreux bouchons ultraserrés. Celui du Corton Charlemagne en magnum me fait souffrir, comme celui du Musigny vieilles vignes 1985. Le bouchon de ce vin a été changé en 2004 et celui de la Romanée 1974 a été changé en 1999. Et curieusement; le Volnay-Caillerets 1959 a son bouchon d’origine, alors que la stratégie de la maison Bouchard est de changer les bouchons beaucoup plus fréquemment. Le bouchon du Clos de Tart 1996 est très serré et se brise à la montée, tant il est sec. Celui du Clos de Tart 1945 à l’inverse, très imbibé et noir, est très peu serré et tourne presque dans le goulot. Deux nez sont particulièrement émouvants : celui de La Romanée Liger Belair 1974 et celui tonitruant de l’Yquem 1967. Il faudrait classer ce parfum au patrimoine mondial de l’Unesco. Le nez incertain est celui du 1945.

Lorsque j’avais rassemblé mes trois apports provenant de la cave de mon domicile, très différente de ma cave principale, j’avais remarqué une demi-bouteille dont le niveau a baissé de moitié. S’il est des gens avec lesquels on peut essayer de la boire, c’est bien avec des vignerons. Il s’agit d’un Corton, Emile Chandessais, négociant à Fontaines, près Mercurey 1929. Je ne l’ai pas encore ouverte. J’attends le dernier moment pour qu’il n’y ait pas d’évanouissement prématuré.

Les amis arrivent, échelonnés dans le temps, et dès que nous sommes en nombre suffisant, j’ouvre le Corton 1929. C’est une demi-bouteille, à moitié pleine. Le bouchon est difficile à extirper, car il s’enfonce à chaque fois que je veux le piquer. Je mets plusieurs minutes avant de trouver un point d’accroche. Le bouchon est noir et le goulot revêtu d’une sale suie. Le verdict olfactif tombe comme un couperet : cet humus, cette puanteur condamnent le vin. Aucun miracle n’est à attendre. Nul de nous ne s’est aventuré à le goûter.

L’apéritif dans la belle salle ronde de l’entrée est le Champagne Salon magnum 1983 qui nous donne l’occasion de trinquer à la santé de Didier Depond qui ne pouvait être avec nous. Ce 1983 conforte mon amour pour Salon. L’année 1983 m’a donné des sentiments divers depuis que j’en bois. Agrément, puis doute, et cette belle bouteille donne un véritable plaisir. Il n’y a aucun signe de vieillissement alors que parfois les Salon « adultes » affichent leur âge. Richard Geoffroy signale les similitudes entre ce Salon très rectiligne et le Dom Pérignon du même millésime. J’aime la belle cohérence de ce champagne avec des traces légères de fruits confits. Les rouelles de pieds de porc forment un accord gourmand.

Nous rejoignons notre table située dans la rotonde, au centre de celle-ci. Notre joyeuse bande est délurée, si, si, je donnerai des noms, les plus gentiment dissipés étant Louis-Michel Liger-Belair qui, avec délicatesse se demande si je pourrais être son père ou son grand-père et Richard Geoffroy, plus taquin que son clone en hologramme d’il y a deux jours.

Le menu préparé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Homard servi dans l’esprit d’une bourride / Œuf à la première truffe noire / Foie gras de canard poêlé et petits haricots « resina » / Pigeon cuit en cocotte, betteraves verjutées, mille-feuille de pommes gaufrettes au chou rouge / Risotto à la truffe blanche d’Alba / Lièvre à la « Royale » cuisiné selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce / Vieux Comté / Mille-feuille à la mangue et au piment d’Espelette / Mignardises et chocolats.

Autant le dire tout de suite, ce fut excellent, d’une justesse permanente. Cette cuisine traditionnelle est sereine. Ajoutons à cela un service parfait et l’équation n’a qu’une solution : c’est la table la plus accueillante et agréable de Paris.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 est l’expression aboutie du charme. Dégorgé en 2004, ce champagne est parfait, d’une maturité absolue. Et ce qui est intéressant c’est qu’on ne sait jamais quelle facette il est en train d’exposer. C’est un Fregoli. Veut-on de l’ampleur, elle est là. Veut-on de la grâce et de la finesse, elle est là. La fluidité aussi et une invraisemblable longueur. Ce champagne est une leçon de choses et l’accord avec l’araignée, plat emblématique du Laurent, est d’une justesse absolue.

Le homard est servi avec deux vins. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 est charmant, délicat et romantique, ce qui est un paradoxe, car il sait être puissant. A côté de lui, le Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 est d’une empreinte plus forte, d’un goût plus prononcé où les fruits confits se retrouvent. On est presque en face d’un couple féminin – masculin, le féminin étant le Corton. Les deux vins sont splendides, d’une précision extrême dans les deux cas.

Le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 est une belle surprise, car ce vin n’a aucun signe d’âge et se signale par une élégance extrême. Il est très au dessus de l’idée que je m’en faisais, qui était une belle idée. Avec Eric Rousseau et Jean-Luc Pépin, nous nous disons que jamais nous ne dirions Châteauneuf en buvant ce vin à l’aveugle. Sa précision et sa finesse sont exemplaires. C’est surtout son attaque qui est envoûtante, car le final est assez court. L’accord avec un nouveau plat, celui de l’œuf, est pertinent et le plat est réussi.

Aucun vigneron bordelais ne figurant à notre table, il fallait bien que j’ajoute des bordeaux pour que la fête ne les oublie pas. Le Château La Gaffelière Naudes 1953 me fait douter à la première gorgée, mais le vin s’assemble peu de temps après. J’adore ce vin qui est un vrai Saint-Emilion dans la plénitude de son charme. Au premier contact, je préférais de loin le Château Palmer 1964 extrêmement précis. Mais de deux coins de la table, si l’on peut dire ainsi d’une table ovale, Bipin Desai et Richard Geoffroy jugent ce vin plutôt sec. Avec Sylvain Pitiot, nous refusons cette analyse. Ce Palmer assez rectiligne me plait énormément. Il est charnu, droit, de grande séduction par son discours direct. J’ai aimé ces deux bordeaux qui ont plu à mes amis, avec des commentaires divers et des appréciations souvent différentes. L’association osée avec le foie gras était justifiée.

Sur le pigeon nous avons trois vins. Le Clos de Tart 1996 est pétulant de jeunesse et de générosité. C’est un vin direct, sans détour, qui emplit la bouche et s’y impose. Un vin racé mais de plaisir. Le Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 est assez incroyable, car il explose de fruit. C’est du fruit rouge de belle mâche et un plaisir premier, même si la complexité existe. La tâche est plus rude pour Eric Rousseau qui a eu le courage de choisir un millésime moins généreux que les deux autres. Mais le Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 a de le ressource. Il fait plus évolué et plus bourguignon, dans l’acception que j’aime, un peu saline. C’est un grand vin subtil, plus discret et moins puissant que les deux autres et très délicat.

Le bœuf est accompagné de deux vins. La Romanée Comte Liger-Belair 1974 avait le nez le plus envoûtant à l’ouverture. Il l’a toujours. J’adore ses impressions salines. On est de plain-pied dans le vin déroutant que j’adore, ultra bourguignon. Ses énigmes folles m’envoûtent. A côte de lui, le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 est d’un plus grand classicisme. Je parlais tellement – et Bipin Desai m’en fera le gentil reproche en disant que je me « bettanise » – que, dans la brume de ce matin, où j’essaie de reconstituer mes impressions sans avoir pris de notes, j’ai du mal à retrouver mon souvenir de ce vin.

Le risotto accueille deux vins. Le Clos de Tart 1945 est trop fatigué pour que son message nous intéresse réellement. Son bouchon avait permis une évaporation qui a torréfié le vin, lui ôtant la splendeur du 1945 que j’avais bu au domaine, que j’avais qualifié d’immense. A côté de lui, le Richebourg Théophile Gavin 1947 est enjôleur. Il a du charme à en revendre, avec de la générosité. Et même si l’on peut supposer qu’il a été un peu hermitagé, il est agréable et épanoui.

Pour résister à la puissance du lièvre à la royale, il fallait un vin aussi puissant que l’Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 riche, équilibré, épanoui et plus grand que celui que j’avais bu au siège de la maison Deutz. Ce vin est un heureux bonheur.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 est « the right man at the right place », car il apporte sa fraîcheur bien nécessaire après les trois blancs et les dix rouges que nous avons bus. J’adore ce champagne clair, lisible, à qui l’année 1959 va comme un gant. C’est un très grand champagne gouleyant, de beaux fruits jaunes.

Nous lançons dans les airs un message d’amitié à Pierre Lurton qui nous a fait cadeau d’un Château d’Yquem 1967. Pour paraphraser Marguerite Duras, ce sauternes est parfait, forcément parfait. Plein, riche en fruit, d’une longueur à se pâmer, il atteint maintenant une sérénité complète, avec une richesse maîtrisée remarquable. Le dessert lui va bien, mais il est en Harley-Davidson, c’est-à-dire, comme le chantait Brigitte Bardot, qu’il n’a besoin de personne pour exprimer son impérial talent.

Je ne pouvais pas regarder les autres tables d’où j’étais, mais il est certain que nos rires, nos éclats ainsi que la forêt invraisemblable de deux cents verres sur table ont dû en impressionner plus d’un. L’ambiance était extrêmement décontractée, volontiers taquine, et nous avons passé une excellente soirée d’amitié. Pour donner une idée des taquineries, lorsque j’ai évoqué le fait que j’avais rencontré des bouchons ultraserrés, je croyais soulever une docte question. La seule réponse qui me fut faite est que j’ai perdu toute force et que je n’arrive plus à extirper les bouchons !

Avec des vignerons présents, il n’est pas question de faire voter pour les vins, mais comme je rangerai le onzième dîner des amis de Bipin Desai dans les dîners de wine-dinners puisque j’en suis l’organisateur, sous le numéro 152, je classe, pour moi, avec la particularité de mon goût, les vins de ce soir : 1 – La Romanée Comte Liger-Belair 1974, 2 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966, 3 – Château d’Yquem 1967, 4 – Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991.

Tous les vins, sauf le Clos de Tart 1945 ont été d’un intérêt extrême et présentés dans les meilleures conditions possibles. L’accord le plus original est celui de l’œuf avec le Beaucastel blanc et le plus juste est celui de l’araignée avec le Dom Pérignon.

Nous nous sommes tous remerciés de nos générosités réciproques, et particulièrement Bipin Desai qui nous avait invités. Dans mes rêves de la nuit, il y avait un grand bonheur d’avoir côtoyé autant d’amitié.

de gauche à droite : Jacques Grange, Jean Pierre Perrin, Jean-Charles de la Morinière, Valérie Pitiot, Joseph Henriot, Bipin Desai, Richard Geoffroy, Eric Rousseau, Jean-Luc Pépin, François Audouze, Sylvain Pitiot, Louis-Michel Liger-Belair

dîner de vignerons – les vins vendredi, 9 décembre 2011

Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond non présent)

Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy)

Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière)

Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin)

Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin)

Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze)

Château Palmer 1964 (François Audouze)

Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot)

Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin)

Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau)

Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot)

La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair)

Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze)

Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot)

Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange)

Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot)

Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent)

pour mémoire, le Corton 1929 complètement mort que j’ai ajouté alors qu’il était plus qu’en vidange

Lancement en fanfare de Dom Pérignon 2003 mercredi, 7 décembre 2011

Quand on s’appelle Dom Pérignon, on doit être dans le hors norme. Ça commence par un mail du genre « save the date », comme cela se passe souvent. Je marque sur mon agenda : « Dom Pérignon« , mais je ne sais ni l’heure ni le lieu. Un peu vague, mon cher Watson. Le temps passant, les choses ont du mal à se préciser. Il faut quémander les informations, mais on arrive à les obtenir. On me propose de venir me chercher en limousine à l’endroit où je suis. Traduction : c’est un événement de happy few. Je décline cette offre et j’arrive dans une petite rue du 13ème arrondissement. Quoi, on deviendrait populaire ? Que nenni. Le « Rosenblum Collection and friends » est tout simplement bluffant. On se sent dans une galerie newyorkaise, avec des hauteurs de plafond invraisemblables. C’est beau, simplement beau. Ces volumes dégagent une envie de vivre dans l’exception. Il y a un « feeling » spécial dans ces murs. Les couleurs sont le noir et le blanc et sur les murs passent en boucle des photos d’Hautvillers, l’église et le cloître. Dans ce décor minimaliste mais envoûtant, une longue table en bois, le long d’une gigantesque photo de l’église d’Hautvillers et de quelques vignes. Il y a déjà des journalistes assis et je m’assieds à leur côté. Il est 15 heures, heure absolument impérative, et la seule boisson proposée est de l’eau. Les gens arrivent lentement puisqu’en France, on n’existe pas si l’on est ponctuel, et on nous sert Champagne Dom Pérignon 2002. C’est qu’il est bon le bougre avec sa vinosité conquérante. Il a un fâcheux goût de revenez-y auquel on succombe. On attend, on parle à ses voisins et l’attente de Richard Geoffroy, le monsieur Dom Pérignon devient pesante. Alors, quand est-ce que ça démarre ? Les esprits s’échauffent, la foule en délire réclame le Johnny du jour. Et, à 15h30, nous sommes appelés au centre d’une pièce. Dans une petite pyramide judicieusement éclairée, un minuscule Richard Geoffroy en hologramme, les mains dans les poches, nous explique le Champagne Dom Pérignon 2003, dont c’est le lancement commercial aujourd’hui. L’image incroyablement vivante de Richard en miniature nous raconte ce vin, d’une année atypique. Et puis, tout s’éteint dans la pyramide. On nous sert le 2003 et tout-à-coup, Richard Geoffroy, le vrai, arrive sous nos applaudissements. On se félicite, on se congratule et sur un mur apparaissent des images de quatre endroits : Hong-Kong, Tokyo, New-York et Londres. Car strictement au même moment, la même cérémonie de lancement du 2003 se déroule dans ces quatre capitales. Comme on est en direct, Richard Geoffroy va dialoguer avec chacune de ces capitales où l’on sent le plaisir ressenti par des amateurs pointus de Dom Pérignon. La question qui revient dans beaucoup de ces échanges est de savoir avec quel millésime le 2003 pourrait se comparer. Souvent, c’est 1976 qui est cité, à cause des comparaisons climatiques. Les liaisons en duplex s’éteignent et nous nous retrouvons « entre nous ». Richard Geoffroy est très fier de son 2003 et aussi de son 2004, et dit que ces deux millésimes ont considérablement soudé les équipes, car ces deux millésimes ont été des aventures. Des canapés judicieux viennent accompagner le nouveau-né, caviar, brouillade d’œufs de perdrix, risotto au safran. Ils soulignent le caractère gastronomique du 2003.

Alors, que dire de ce bébé ? Ce qui frappe, c’est sa solidité. On est sur la puissance, la force intérieure, et s’il n’est pas encore étoffé, on sent que cela va venir. Ce qui vient ensuite, c’est le caractère floral de ce vin, de fleurs blanches si caractéristiques de Dom Pérignon. Ensuite, on est impressionné par l’équilibre, la sérénité et l’aptitude gastronomique que les amuse-bouche révèlent. On sait qu’il sera grand, mais je constate qu’il l’est déjà, avec une force de caractère rare. Il me fait penser à Keira Knightley, cette actrice au charme énigmatique, qui dégage une force de caractère indestructible. Elle n’est pas pulpeuse comme les beautés latinos, mais elle en impose par son charme impérieux. Et ce 2003, c’est cela pour moi. La fleur blanche est ingénue, mais dans un gant en béton armé.

On bavarde, on bavarde, le goût de revenez-y est sans limite. Et je quitte les lieux en me disant que si ce lancement est un peu fou, le bébé célébré fera parler de lui. Et c’est le principal.

Un magnifique voyage dans la gamme de la maison Deutz lundi, 5 décembre 2011

La maison de champagne Deutz m’invite à la visiter. J’arrive à 10h30 au siège, et je découvre la maison bourgeoise de William Deutz, de style Second Empire, avec des décorations chargées mais de grand intérêt. Tout a été gardé dans le respect de cette période fastueuse. Le salon d’apparat, le salon chinois, et plusieurs très jolies pièces nous mettent dans l’atmosphère d’un temps où l’on prenait son temps.

Cette maison de champagne est une des seules où l’on puisse dire : « nous allons monter à la cave ». Car sur la colline, l’entrée des caves est très au dessus de la belle propriété. Dans une grande salle où subsistent d’imposants foudres, primitivement charpentée de bois et restaurée « à la » Eiffel, avec des poutres rivetées et des poteaux en fonte, des présentoirs montrent des documents de plus d’un siècle qui attestent de la vocation exportatrice de ce domaine, sous la houlette d’un William Deutz qui apparait sacrément entreprenant.

Après la visite des installations nous descendons de la cave, ce qui est une expression assez étonnante, et de retour à l’hôtel particulier , dans une salle qui a servi de jardin d’hiver, aux papiers peints sinisants restaurés, je vois sur la table en verre des feuilles imprimées à la date de ce jour, avec des cercles pour poser les verres de dégustation et les noms des champagnes que nous allons boire.

Le Champagne Amour de Deutz 2002 a un nez élégant et un goût joliment fumé et toasté. Très beau et élégant il est agréable à ce moment de sa vie.

Le Champagne Amour de Deutz 2000 a un nez plus marqué. Le vin est plus rond, avec un peu moins d’ampleur. Il est gourmand.

Le Champagne Amour de Deutz 1999 a un nez plus discret. Il est plus strict mais se distingue par un joli floral. Les trois sont marqués par l’élégance. Le 2002 est le plus grand avec de l’ampleur, mais les deux autres, avec des esquisses de noisettes, se tiennent bien dans le verre.

Le Champagne Blanc de Blancs Deutz 1989 a un belle couleur dorée. Le nez est un peu évolué. Il est complexe, surtout dans le final, avec des notes de moka et de pâtisserie. Fabrice Rosset évoque des parfums de fleurs séchées pour ce vin dégorgé en 2004. Le champagne est élégant avec une belle acidité. Il est noble, goûteux et agréable à boire.

Nous passons maintenant à quatre William Deutz qui ont du pinot noir, alors que l’Amour n’est que chardonnay.

Le Champagne Cuvée William Deutz 1996 montre instantanément sa différence avec les Amour. Le vin est riche, solide, complexe, de fruits dorés. La finale acide est très belle. On le sent gastronomique.

Le Champagne Cuvée William Deutz 1990 a un nez très puissant et déjà tertiaire. Il faut accepter son caractère assez inhabituel. Torréfié, avec des fruits compotés, il interpelle, mais on le sent aussi gastronomique.

Le Champagne Cuvée William Deutz 1988 est superbe, magique, et, lui, est totalement intégré. Il a tout pour lui, avec un équilibre parfait. Il est jeune et dans un état de grâce.

Le Champagne Cuvée William Deutz 1985 a un nez très élégant. Il est charmant, féminin, avec une autre forme de perfection, marquée de beurre et de toast. Le 1988 et le 1985 forment un couple masculin – féminin, de grand raffinement. Mon cœur balance en faveur du 1985.

Le Champagne Brut millésimé Deutz 1982 a une couleur presque orangée ce qui est curieux. Le vin est trop évolué et une autre bouteille ouverte semble marquée par le même signe d’évolution.

Le Champagne Brut millésimé Deutz 1975 est fait à 100% de pinot noir. Le nez est magnifique. Le vin est un peu rêche mais plaisant à l’attaque, puis il se montre difficile, manquant de structuration un peu comme ce que j’avais ressenti avec le 1990.

En faisant un nouveau tour de tous les verres maintenant aérés, le 2002 est fringant, le 2000 est brillant, le 1999 plus effacé. Le 1996 est gourmand, le 1990 s’est assemblé et va vers moka et caramel, le 1988 est grand, mais c’est le 1985 qui est exceptionnel. Il a tout pour lui, le charme, la finesse et l’élégance.

Je suis évidemment honoré que trois des dirigeants de ce domaine m’aient consacré autant de temps et aient choisi de si belles bouteilles à déguster. Nous descendons dans une belle salle à manger privée pour le déjeuner à quatre, dont le menu est : langoustines sauce Aurore / lotte sauce champagne et son riz / plateau de fromages / pomme cannelle au four.

En lisant le menu, je me demande à quel moment je pourrais faire intervenir la bouteille que j’ai dans ma musette dont aucun de mes hôtes ne soupçonne l’existence. Il me semble que ce doit être au début, car la sauce Aurore sera plus apte pour l’expérience que j’aimerais faire. J’ouvre ma musette et je montre le Vin de l’Etoile, Coopérative vinicole de l’Etoile 1952 à la magnifique couleur d’un ambre clair. J’ouvre la bouteille avec un tirebouchon normal et le bouchon se brise, mais tout rentre dans l’ordre. Le parfum du vin est magique, d’une rare puissance. Mes hôtes sont évidemment surpris de cette ajoute au programme.

L’idée qui me vient, échafaudée sans avoir bu, est la suivante : goûter la sauce riche des langoustines, boire le Champagne Amour de Deutz 2003 d’une belle délicatesse, goûter la sauce, boire du vin de l’Etoile puis goûter le 2003 et à mon sens, cela doit propulser le champagne Deutz à des hauteurs rares. Nous procédons ainsi et Michel Davesne, l’œnologue de la maison est saisi par la pertinence de cette succession et de l’effet multiplicateur du jurassien sur le champagne.

C’est alors que l’on entend toc-toc. Un visage féminin se montre subrepticement puis s’affirme, puis envahit la place. L’épouse de Fabrice Rosset ainsi que sa fille nous rendent visite. Elles s’assoient, on leur tend des verres des deux vins et elles nous rejoignent pour l’expérience, sans la sauce Aurore. Et madame Rosset, très affirmative, donne son verdict : « je ne trouve pas que le vin du Jura rehausse le 2003 ». Ce que femme veut, Dieu le veut. La messe est dite. Les dames nous laissent continuer notre déjeuner.

Les vins que nous avons bus sont le Champagne Amour de Deutz 2003 délicieux et délicat sur la langoustine, le Champagne Cuvée William Deutz 1999 puissant et serein, très à l’aise sur la lotte, l’Hermitage Les Bessards Delas 1990, le même que celui que nous partagerons dans quelques jours lors d’un dîner de vignerons que j’organise chaque année, riche et convaincant et le Champagne Cuvée William Deutz rosé 2000 qui est un beau rosé gastronomique, à l’aise avec le dessert, mais qui pourrait se confronter à des chairs très viriles. En cours de repas nous avons repris le Champagne Cuvée William Deutz 1985 qui continue d’être exceptionnel.

C’est un honneur extrême que d’être reçu aussi généreusement. J’ai pu explorer cette maison de champagne que je goûte relativement peu, car j’ai d’autres amours, et que je percevais surtout par le champagne Taillevent élaboré par Deutz. L’éblouissant 1985 ne me fera pas oublier que le reste de la gamme est de grand intérêt. Mais tout de même, ce 1985 est un vin immortel de première grandeur.

A l’entrée, le fameux Amour de Deutz

une femme, que l’on suppose légère, veut trinquer au champagne !

le salon de William Deutz

la salle des foudres refaite « à la Eiffel » et une magnifique étiquette de Deutz & Geldermann

le « poste » de dégustation avec les noms des champagnes

mon apport à ce déjeuner

et tout finit par un amour !

Grand Tasting – Master Class « Ornellaia, cru fastueux de la Toscane » et conclusion dimanche, 4 décembre 2011

La dernière Master Class à laquelle j’assiste est « Ornellaia, cru fastueux de la Toscane« . Le Bolgheri Le Serre Nuove dell »Ornellaia rouge 2008 est d’un rouge très foncé. Le nez, très riche, est velouté. La bouche est marquée par l’astringence. C’est un vin strict, généreux en tannins, qui est tout sauf flatteur. Il est d’une belle mâche, mais je le trouve trop strict, sans concession.

Le Bolgheri Superiore rouge Ornellaia 2008 est d’un rouge très noir. C’est un vin qui a été élevé vingt-et-un mois en fûts dont deux tiers de bois neuf. Le nez est discret et très élégant. La bouche est beaucoup plus ronde, le bois est noble. C’est un grand vin, mais il faudrait attendre des années pour qu’il devienne charmant.

Le Bolgheri Superiore rouge Ornellaia 2007 a la même couleur d’un rouge noir. Le nez est très droit, subtil. En bouche il est nettement plus civilisé. La râpe est plus belle, plus acceptable. L’œnologue parle de fraîcheur et de soyeux des tannins. Thierry Desseauve, qu dirige la Master Class m’étonne quand il parle de rondeur et donne des qualificatifs de douceur pour ces vins durs et qui ne deviendront charmants qu’avec l’âge. Car pour moi, ce vin est assez dur, avec seulement des tannins et pas de fruit. Le final est de cassis. Lorsque le 2008 s’ouvre, il est plus exubérant et rond que le 2007.

Le Bolgheri Superiore rouge Ornellaia 1998 est d’un rouge plus tuilé que les autres années. Le nez est beaucoup plus chaleureux et civilisé. La bouche est beaucoup plus arrondie, cohérente, intégrée. Le vin est rond et équilibré. Le bois est très bien dosé.

Il se trouve que je n’avais pas pu rester pour le traditionnel cocktail organisé par idealwine. Entre deux master class, Angélique de Lencquesaing me propose de goûter un verre du Château Haut-Bailly 2000 en jéroboam ouvert hier. Ce vin est élégant, raffiné et dans un état d’accomplissement proche de son sommet historique. Je suis entré dans cette master class avec mon verre et quand je compare les Ornellaia avec le bordelais, il n’y a pas photo, comme on dit, car le soyeux, la douceur, l’équilibre sont du côté de Haut-Bailly. J’ai du mal à imaginer qu’Ornellaia ait pu, sur d’autres millésimes, surclasser les bordelais qui lui étaient opposés à l’aveugle. Ces vins italiens sont bien faits, mais il faut attendre plus de vingt ans si on veut jouir de leurs subtilités.

Entre les master class, je suis allé saluer des vignerons et picorer de-ci-delà quelques beaux vins. Quelques vins qui m’ont plu sont, dans le désordre, les beaujolais de la Villa Ponciago, absolument gourmands et nobles, la Cuvée Winston Churchill 1999 de Pol Roger, le Champagne Pierre Peters Les Chétillons 2004, le vin de paille Château d’Arlay 2006, La Petite Sibérie, Côtes du Roussillon Villages 2009 du domaine Le Clos des Fées d’Hervé Bizeul et beaucoup d’autres encore.

Si je devais retenir trois vins de ce Grand Tasting, ce qui est très réducteur, ce serait : 1 – Château Ausone 2000 en magnum, 2 – Gewurztraminer Grand Cru Mambourg domaine Weinbach Quitessence de Grains Nobles 2008, 3 – Château Haut-Bailly en jéroboam 2000.

Cette édition du Grand Tasting, événement de plus en plus populaire, fut un grand millésime, avec de très grands vins, des rencontres de grands vignerons, et une générosité qui transpire à tous les stands. Une réussite.

Grand Tasting – Master Class « le génie du Vin » dimanche, 4 décembre 2011

La Master Class suivante est « LE » clou du Grand Tasting. Elle a pour nom « le génie du vin« . Le choix des vins correspond au goût de Michel Bettane et Thierry Desseauve.

Le Champagne Joséphine de la maison Joseph Perrier magnum 1998 est d’un jaune d’un or clair. Le nez est discret. La bouche est gourmande, caramel, avec une belle acidité discrète. Il y a une très jolie variation sur les fruits confits. Dégorgé en juin 2008, il a beaucoup de charme. Jean-Claude Fromont dit que 1998 fut une année capricieuse et dit que son vin est très friand, avec du miel et des aspects beurrés. C’est un grand champagne.

L’Hermitage blanc domaine Jean-Louis Chave 1995 est d’un or glorieux. Le nez est racé, intense, presque botrytisé. En bouche, il y a délicatesse et fluidité. Il fait un peu plus évolué que son âge, mais sans que le charme ne s’en trouve affecté. Il a un peu un goût de vin jaune. Il combine des suggestions de sauternes avec d’autres de Château Chalon. Il a des fruits jaunes, un alcool présent mais mesuré. Il est très gastronomique, très épanoui avec une belle patine. Je retrouve peu après le côté « huître » des Hermitage blancs. De grande fraîcheur, c’est un très grand vin.

Le Bourgueil Les Busardières rouge domaine de la Chevalerie 1964 est présenté par un sympathique vigneron qui aura bien du mal à en parler tant Michel Bettane et Thierry Desseauve sont heureux d’avoir inclus ce vin dans leur présentation. Le rouge est un peu clairet. Le nez est très strict, puritain. La bouche est faite de fruits bruns, de prunes. Jamais l’attaque en bouche ne correspondrait au millésime tant le vin semble jeune. Il est très astringent. Il « mange les joues ». Il est d’une grande fraîcheur, délicat et très jeune. Michel Bettane évoque ses nuances d’épices, de réglisse et sa fraîcheur. Même s’il est un peu difficile, c’est un vin très authentique. Une belle expérience.

Le Château Ducru-Beaucaillou 2005 est d’un rouge très noir. Le nez est fort, de cassis, framboise et menthe. Ce nez est assez incroyable et me fait penser à Vega Sicilia Unico. En bouche, c’est de l’anis, de la menthe et de la feuille de cassis que l’on ressent. Il est gourmand comme Vega Sicilia Unico. Il est riche et c’est un vin de gastronomie. Il a un très grand avenir et sera immense dans trente ans, comme le fut son aîné le 1961 légendaire. Dix minutes plus tard, il est gourmand, combinant fruits rouges et fraîcheur mentholée.

Alain Vauthier présente le Château Ausone magnum 2000. Quel cadeau ! Le rouge est très sombre. Le nez est riche et frappe par son élégance. On sent les bois et la truffe, avec de l’élégance de fruits noirs. Le nez est envoûtant. Dès le premier contact, le mot qui s’impose est « wow ». Le deuxième mot est « élégance » et le troisième « équilibre ». C’est un vin de très grande longueur, gourmand mais encore tellement jeune. Le final est immense.

Le Clos de La Roche Grand Cru Vieilles Vignes domaine Ponsot 2007 est présenté par Rose-Marie Ponsot qui gère le domaine avec Laurent Ponsot. Le passage après l’Ausone pourrait sembler difficile, mais en fait cela marche très bien les deux vins ne se neutralisant pas. Le vin est d’un rouge rubis clair. Le nez est incroyablement charmeur. Le vin est élégant et subtil, très bourgogne. Il est tout en nuances. Le fruit apparaît surtout sur le final très marqué. Le vin est très charmant et gourmand. Il y a une belle astringence bourguignonne. Ce vin a été vendangé quinze jours après les autres domaines. C’est un grand vin.

Le Gewurztraminer Grand Cru Mambourg domaine Weinbach Quitessence de Grains Nobles 2008 est d’un or subtil magnifique. Le nez est une bombe. C’est les mille et une nuits. Malgré l’opulence, je vois des notes marines et iodées. En bouche, il est gras, au final très complexe et très riche, avec une grande fraîcheur. S’il est sucré, il est d’une grande pureté. C’est un vin magnifique et noble, gourmand et élégant, à l’extrême fraîcheur.

Le Rivesaltes Cuvée Aimé Cazes vin doux naturel 1963 est présenté par Lionel Lavail qui nous indique que c’est le premier millésime de la cuvée Aimé Cazes. C’est un rivesaltes ambré provenant de vignes centenaires qui a bénéficié d’un élevage de trente ans en foudres sans aucun ouillage. La gestation est si lente que la maison Cazes commercialise le 1978 seulement aujourd’hui. La couleur est de thé, d’ambre roux. Le nez charmeur, typique de rivesaltes, est doucereux mais annonce la rigueur. Le vin est magnifique et gourmand. Pruneau, fruits confits, avec des tonnes d’épices douces. Il est joyeux, charmeur. On en mangerait. Ce vin, mis en bouteilles en 1997, est d’une grande fraîcheur, fait pour la gourmandise et la gastronomie.

De cette éclectique présentation, deux vins émergent pour moi par leur perfection absolue, l’Ausone et le Weinbach. Mais les autres méritent aussi une grande considération. Ce fut une belle dégustation.