un chat au Bristol lundi, 14 novembre 2011

Un chat a pris la direction du Bristol, et j’ai bien l’impression que nul ne s’aviserait de le déranger. Lorsqu’on s’approche, on voit que le chat semble relié à un cable électrique d’où il tirerait son énergie poue somnoler. En fait, on voit bien qu’il joue au chat et à la souris !

plus près

qui protège qui ? Le chat ou la souris ?

Dîner à l’Agapé Substance dimanche, 13 novembre 2011

Jean-Philippe m’envoie un texto : « table réservée pour quatre à Agapé Substance. Est-ce que tu viens ? ». J’avais été conquis par la cuisine de David Toutain et sur des forums, j’avais pu constater que ce restaurant ne faisait pas l’unanimité. Je n’avais qu’une envie, c’est de retourner pour vérifier si ma première impression était la bonne. Un deuxième texto me dit : « nous pouvons apporter nos vins ». Je descends dans la cave de mon domicile et mon œil est attiré par un Nuits Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1961. Son niveau et sa couleur sont engageants. Ma main se porte ensuite sur un Chambolle-Musigny Louis Grivot 1947 mais hélas le bouchon est tombé dans le liquide. Mort pour mort, autant le vérifier ce soir. Pour que mon apport soit de deux vins, je prends un Château Ausone 1979 dont je me souviens que nous l’avions aimé à Casadelmar.

A 19 heures, je me présente au restaurant Agapé Substance où toute l’équipe travaille à préparer le dîner. Guillaume, le sommelier ami de Tomo me prépare l’endroit où j’ouvre mes vins. Le Nuits-Saint-Georges a une odeur prometteuse. L’Ausone sera superbe et à ma grande surprise, le Chambolle-Musigny a une odeur très pure, où rien ne permet de penser que le bouchon ou la capsule aurait rendu le vin impropre à être consommé. La question se pose de carafer, mais le parfum du vin étant sympathique, la solution choisie est de reboucher avec un bouchon neutre pour ne pas créer une évolution trop rapide du vin.

Ayant terminé assez vite, Guillaume me suggère d’aller à la « Compagnie des Vins Surnaturels« , (voir sujet sur ce bar à vins).

Jean-Philippe est arrivé à l’Agapé Substance et deux autres amis arrivent peu après. A la longue table unique – à l’exception de quelques petites tables pour deux – un couple qui avait réservé s’attable cinq minutes puis s’en va. Deux places étant libérées, j’appelle Tomo pour qu’il nous rejoigne avec son épouse. Il arrive, seul, très peu de temps après.

Le menu préparé par David Toutain, dont les intitulés ont été écrits par l’un des amis est : pastèque en gelée / berce : gelée de berce au yuzu, mousse et toast / tourteau et consommé / topinambour crevette et condiment pamplemousse / topinambour, chips vapeur, purée, râpé de chou-fleur, noisette et échalotes de champagne / onsen tamago (œuf poché) oseille sauvage / cèpes persil parmesan et éclats de noisette / cèpes crus, purée de panais, chips châtaigne, purée échalotes / foie gras, gnocchi, pommes de terre, consommée de peau de pomme de terre / panais chocolat blanc, crème de lait / risotto de céleri et châtaigne / oursin courge et mélisse / truite de banka (sur l’Adour) avocat, radis, red meat / langoustine et chocolat blanc réduction de citron vert et citronnelle / chou romanesco caramélisé, curry de Madras langoustine / encornet chorizo et salsifis / carottes jaune sésame galanga (gingembre thaï) / champignons pieds bleus, girolles, benoîte urbaine, crumble noisette / ormeaux, tomate, caviar végétal / ris de veau réglisse salsifis / pattes de perdreaux, sauce au foie gras, chapelure de noisette / perdreau, orgeat, hibiscus, betterave, potiron, farine de sarrasin / riz pour saké, peanut, grapefruit / chocolat gâteau, crème gelée, crème pralin, feuille de chocolat croustillante.

Disons-le tout de suite, ces vingt-trois plats (environ) sont un pur enchantement. La créativité de David Toutain est extrême. Les plats sont cohérents, goûteux, et font voyager dans des saveurs intelligentes. Mon enthousiasme de la première visite ici n’a pas faibli, au contraire, il s’est renforcé. Certains plats sont des merveilles. L’œuf poché, l’oursin, la langoustine, le foie gras, l’ormeau et le perdreau sont de très grands plats, les vainqueurs étant pour moi le foie gras et l’œuf. Ce chef a un talent immense.

L’autre bonne nouvelle, c’est que l’endroit m’a moins gêné, et les tabourets se supportent bien. Cette forme de gastronomie me plait beaucoup. Ce voyage dans des saveurs me plait, et la proximité avec le déjeuner au restaurant Guy Savoy me montre que j’aime autant ces deux formes de repas et ces deux gastronomies.

Nous avons commencé par un Champagne Drappier Brut nature, pinot noir zéro dosage dégorgé en 2011. Le champagne est très plaisant, même sans dosage, et semble très pur. Mais il manque un peu de sentiment et sert de faire-valoir au Champagne Krug 1998 très riche, follement complexe, mais encore beaucoup trop jeune.

Nous buvons ensuite un Meursault-Perrières Domaine des Comtes Lafon 1996. C’est un superbe blanc sans histoire, de grande complexité et de belle mâche. Sa longueur est une composante du plaisir qu’il procure.

Comme il n’est pas encore temps de passer aux rouges, nous commandons un Champagne Billecart -Salmon Cuvée François Billecart 1998. Ce champagne est très plaisant et s’accorde très bien aux délicieux plats qui retiennent toute mon attention. J’aime beaucoup la facilité avec laquelle il se boit.

Le Nuits Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1961 n’est pas un vin très complexe, mais il profite à fond de l’année 1961 qui lui donne équilibre, richesse et profondeur. Il évoque la truffe noire tout en restant élégant. Il se marie avec beaucoup de plats de façon très convaincante.

Le Château Ausone 1979 est un beau saint-émilion qui semble d’une année meilleure que 1979, car il a une richesse et une présence supérieures à l’image de cette année. Il donne l’impression de ne pas avoir d’âge. On est loin des Ausone de la période moderne du 21ème siècle.

Oserais-je le confesser, j’ai presque une larme à l’œil en goûtant le Chambolle-Musigny Louis Grivot 1947. Je me bats pour que les vins soient bus avant que la mort ne les décime, et ce vin au bouchon tombé avait tout pour être mauvais. Or je ne lui trouve aucun défaut, ce qui est presque incroyable, car évidemment, je ne sais pas quand le bouchon est sorti de sa position. Alors, ce petit miracle me remplit d’émotion. Le vin est vivant, subtil, délicat, plein de la grâce que lui confère le millésime mythique. Je suis heureux comme un bénévole qui sauve quelqu’un de la noyade. Ce qui décuple mon plaisir de le boire ce beau Chambolle auquel je pardonne les éventuels défauts. Mais il n’en a pas.

Nous finissons notre périple qui nous a conduits au-delà d’une heure du matin avec le Champagne Roses de Jeanne Cédric Bouchard 2006, pinot noir dégorgé en 2010 apporté par Tomo. Il est délicat, colle bien aux desserts, mais j’avoue volontiers que mes capacités analytiques sont bien émoussées.

Cette table est une des plus originales de Paris.

Les vins

ça chauffe en cuisine !

les plats

les bouteilles, sauf le dernier champagne

Compagnie des Vins Surnaturels, bar à vins dimanche, 13 novembre 2011

Ayant terminé assez vite d’ouvrir les vins d’un dîner à l’Agapé Substance, Guillaume me suggère d’aller à la « Compagnie des Vins Surnaturels« , un bar à vins situé 7 rue Lobineau dans le 6ème arrondissement. Ce bar a été ouvert il y a deux mois et propose des vins au verre ou en bouteilles avec certains prix qui sont de belles affaires.

Il y a des coefficients inférieurs à deux, et quelques prix très proches de ceux que je peux obtenir.

Je m’assieds au comptoir et commande un verre de Gaia Sperss 1999. Ce vin, un nebbiolo, est un des Barbarescos les plus prisés d’Italie. Pour l’accompagner, je grignote une assiette de jambon à la truffe fort sympathique.

C’est un endroit où revenir pour faire de bonnes pioches et grignoter des snacks goûteux.

déjeuner au restaurant Guy Savoy dimanche, 13 novembre 2011

Aller déjeuner au restaurant Guy Savoy, c’est toujours un plaisir. L’accueil est souriant, motivé, concerné. J’ai le temps de jeter un œil sur la carte des vins avant que mon ami conscrit n’arrive. Nous buvons un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 2000 extrêmement vineux, riche, plein, d’une forte personnalité. Arrivé légèrement trop chaud, il trouve sa vraie vigueur quand il est frappé.

Notre menu commun est : la mer en « bouillon-gelée » / pintade pochée entière, riz Basmati, sauce Albufera. Mais des oreilles attentives ayant peut-être intercepté les hésitations du choix de l’entrée, nous aurons la chance d’avoir une petite entrée supplémentaire, la légendaire soupe d’artichaut à la truffe et sa brioche feuilletée, plat que j’adore car son dosage est exceptionnel.

Sylvain, le sommelier avec lequel j’ai géré plusieurs dîners de wine-dinners me conseille un vin blanc qu’il trouve brillant : un Puligny-Montrachet Le Cailleret Jacques Arbon 2002. Ce vin est élaboré par la famille de Montille et Sylvain a bien raison : ce Puligny joue dans la cour des grands. Le nez est d’une rare élégance. Ce vin est très féminin, tout en grâce. Sa complexité est extrême. C’est un vin plaisant avec une belle acidité citronnée, à la belle longueur élégante, et qui boxe à un niveau qui dépasse celui des Puligny. C’est sa complexité qui me conquiert. Sur la pintade d’une tendreté invraisemblable, le blanc crée un bel accord. Mais l’accord est encore plus beau avec le Clos des Goisses, car le champagne ne prend pas le dessus, alors que le blanc est trop dominateur dans l’accord.

Avec un mâle courage j’avais annoncé au truculent maître d’hôtel au délicieux accent germanique que je ne prendrais pas de dessert. Mais lorsqu’à la table voisine on sert un millefeuille, je succombe avec un millefeuille « minute » à la gousse de vanille. On se sent bien dans ce restaurant au service enjoué et à la cuisine talentueuse et rassurante.

Jury du prix Edmond de Rothschild samedi, 12 novembre 2011

Le 26 octobre, le jury s’était réuni pour une confrontation de nos votes. Après avoir délibéré, nous avons décidé de l’attribution du prix « Edmond » et du prix « Nadine » de Rothschild.

La remise des prix sera faite le 14 novembre.

Ce matin, par hasard, je feuillette Le Point du 3 novembre.

Quelle n’est pas ma surprise de voir ceci :

A quoi sert la remise des prix si on a vendu la mèche ? Où est le suspense ?

Je ne féliciterai le récipiendaire que lorsque la remise des prix aura eu lieu. Il mérite d’être félicité pour son magnifique travail. Mais en son temps !

Récolter trop tôt, ce n’est pas une bonne vendange.

oh temps, suspends ton vol vendredi, 11 novembre 2011

Il fallait être ponctuel pour surprendre le 11h11mn11sec du 11/11/11.

C’est fait :

cette montre m’a été offerte par mon défunt beau-père il y a plus de 20 ans. Elle est reliée à un satellite et donne donc l’heure la plus précise qui soit.

Je n’ai changé la pile de cette montre qu’une fois en vingt ans et l’heure s’est toujours ajustée, été comme hiver.

J’ai voulu immortaliser la seconde précise du cataclysme intergalactique annoncé. Raté, pas pour la photo, mais pour le cataclysme.

le lot de six Moët 1911 a été vendu ! jeudi, 10 novembre 2011

Une semaine après le dîner dont la vedette était Moët 1911, la vente a lieu sous la conduite d’Artcurial. Elle est grosse de près de 1400 lots sur deux jours. Le fameux lot de six bouteilles de Moët 1911 est le lot 1076. J’avais confié des ordres pour le premier jour dont aucun n’a atteint sa cible, ce qui prouve que les enchères étaient chaudes. Le prix que j’avais offert pour des Chambertins 1919 a été multiplié par deux et celui pour une Chartreuse du 19ème siècle multiplié par quatre. Cela promet des ambiances animées pour le deuxième jour.

Je me rends en salle, et ce qui devait arriver arrive : dans l’atmosphère d’une vente, j’enchéris. Mon compteur se met à tourner. Les achats servent aussi à calmer ma fébrilité car le lot 1076 approche. J’avais donné rendez-vous à un journaliste en salle, car il voulait faire un sujet sur les faux qui polluent le monde du vin. La vente du lot sera filmée.

Jusqu’à présent, les batailles sur les lots se passaient entre la salle et des enchérisseurs invisibles, présents au téléphone ou sur internet et relayés par des agents d’Artcurial. Difficile de sentir la concurrence. Le lot vedette démarre à 80% de l’estimation. Je suis en bagarre avec un téléphone qui abandonne assez vite. La bataille se poursuit dans la salle. Etant au premier rang, je veux me retourner pour voir contre qui je me bats, mais le commissaire priseur me fait remarquer d’un ton qui ne souffre pas la contradiction que mon adversaire préfère ne pas être vu. Je ne peux sentir sa résistance. On dépasse rapidement la limite que je m’étais fixée, et le cœur se met à battre plus vite.

A chacun de mes paliers, mon invisible concurrent relance sans prendre de temps, alors que j’hésite à suivre chaque nouvelle attaque. Le commissaire priseur, car c’est son rôle, me pousse à devenir fou. On arrive au double de l’estimation et je suis relancé. Je sens que mon adversaire ne cédera pas. Je tente un dernier coup de poker et la réponse est si rapide que je cède. J’abandonne à près du double de la limite que je m’étais fixée. C’est la deuxième fois que je cède sur des enchères lourdes, après celle d’un vin jaune de 1774 lors de la percée du vin jaune. J’ai perdu et bien évidemment c’est un moment de tristesse.

Je me retourne et qui vois-je ! C’est un ami russe qui était venu plusieurs fois à l’académie des vins anciens qui vient d’emporter le lot. Je lui souris, je l’embrasse comme j’avais embrassé mon ami suisse qui avait pris le vin jaune de 1774. Encore une fois je suis heureux, car celui qui a gagné sur moi est un grand amateur de vins. Les bouteilles seront bues et bien bues.

Ma tristesse est atténuée par le fait qu’étant seul en lice contre cet ami, j’ai fait monter les enchères ce qui fera un heureux, l’institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à qui reviendra le produit de la vente.

Le journaliste m’attend pour traiter son sujet, mais je prends le temps de trinquer avec le vainqueur. De longues embrassades ponctuent cette période qui suit de folles batailles, quand la pression et l’excitation ne sont pas encore retombées.

Je suis allé prendre mes lots au magasin d’Artcurial, filmé et questionné par le journaliste. Puis je suis revenu trinquer avec mon ami russe, avec qui nous avons imaginé de folles dégustations à venir.

Cela fait deux fois que je suis le Poulidor de belles ventes. Il va falloir changer de braquet !

L’amour du vin comparé à la plongée sous-marine mardi, 8 novembre 2011

Sur un forum de vins, la passion du vin, mon récit sur le pinot noir du 18ème siècle (ou début 19ème siècle) découvert dans l’abbaye de Saint-Vivant a suscité des commentaires d’une grande faiblesse. Et l’un des administrateurs du forum a eu une réaction de dédain pour ce qu’il a considéré comme du vinaigre. Sa remarque, montrant un manque de curiosité pour ces vins atypiques m’a suscité la comparaison avec le monde sous-marin.

Celui qui boit des vins des 25 dernières années est comme celui qui fait du tuba. Avec masque et tuba, on peut voir dans la mer des choses merveilleuses. De zéro à moins 15 mètres, il y a un monde marin de toute beauté.

Celui qui boit des vins entre 1900 et 1961 (limites pour fixer les idées) est comme le plongeur qui plonge entre moins 20 mètres et moins 60 mètres. Les coraux sont beaucoup plus beaux; les poissons sont plus gros, et des espèces qui ne s’aventurent pas dans les basses surfaces sont visibles. Et la sensation d’entrer dans un monde nouveau est d’une grande plénitude. Ce monde là est quasiment mon quotidien, avec des émotions que la balade en tuba ne peut pas donner.

Et puis, il y a ceux qui prennent un bathyscaphe et vont se promener de moins 100 à moins 500 mètres. Les ignorants disent que ce monde sous-marin est mort, alors qu’il est étonnamment vivant. Bien sûr, il n’y a plus les couleurs chatoyantes des fonds baignés de soleil (le fruit), mais il y a des poissons et des visions qu’aucune des deux approches de la plongée ne peut donner. Et il y a parfois des trésors dans des épaves que nul n’a visitées, comme ces vins de Chypre de 1845 qui sont les plus émouvants de ma vie. Ce monde, c’est celui des vins de plus de cent ans, que j’ai le plaisir et l’honneur de pratiquer.

Alors bien sûr, on peut être heureux d’utiliser son tuba. Mais refuser la plongée bouteille ou la plongée bathyscaphe, c’est un singulier manque de curiosité.

Qu’on dise : « je n’y ai pas accès », je le comprends. Mais qu’on n’en ait pas la curiosité, c’est une erreur. Plus qu’une erreur pour un passionné, une faute.

vin mystère – photos vendredi, 4 novembre 2011

les tessons de bouteilles cassées trouvées à côté du vin mystère

sur le plan de l’abbaye ou voit une cave toute en longueur et très étroite, horizontale sur le plan. La bouteille a été trouvée au fond, sur la gauche, dans cette longue cave étroite, très loin de tout accès.

la bouteille du vin mystère qui a été lustrée et couverte d’une cire récente

la surprise du bouchon

la manipulation de la bouteille dans la housse remplie d’argon ressemble à un accouchement

les couleurs du vin haut de bouteille et fond de bouteille

la Romanée Saint Vivant 1915

le bouchon du 1915 (on a utilisé un bouchon du domaine DRC avec l’inscrition « Marey-Monge », inappropriée dans ce cas)

un vin mystère à la Romanée Conti vendredi, 4 novembre 2011

La nuit fut courte après le mémorable dîner au Plaza avec Moët & Chandon 1911. Car le rendez-vous est à 9 heures à la Romanée Conti. L’histoire qui va suivre est comme un roman policier, avec ses intrigues et ses énigmes.

Vers l’an 900 a été bâtie l’abbaye de Saint-Vivant de Vergy. Sans doute trop délabrée, elle fut reconstruite sur des plans quasi identiques sur la période 1760-1790. Elle perdit sa vocation religieuse quand elle fut vendue à un particulier. Le site étant à l’abandon une association a été créée en 1996 pour essayer de le sauvegarder, y faire des fouilles archéologiques et l’ouvrir ensuite au public. Aubert de Villaine, gérant de la Romanée Conti, est président de cette association.

Au cours des fouilles des gravats de l’une des caves, on a trouvé, au point le plus éloigné de l’entrée des caves, des tessons de plusieurs bouteilles très anciennes et – miracle – une bouteille pleine.

Lorsque j’avais rendu visite à Aubert de Villaine il y a environ six mois, je lui avais raconté la bouteille datée approximativement de 1690 que j’avais goûtée. Il a immédiatement rebondi en me parlant de la bouteille découverte pendant les travaux de l’abbaye de Saint-Vivant et j’ai pu voir dans la cave du domaine cette bouteille de forme bourguignonne ancienne à l’excellent niveau. Aubert de Villaine m’avait alors invité à venir la boire lorsqu’elle serait ouverte, avec des chercheurs de l’université de Dijon, à des fins d’analyse. Le rendez-vous est ce matin.

Lorsque j’arrive, les chercheurs sont déjà là, la presse régionale aussi et l’initiateur du projet scientifique nous explique les circonstances de la découverte. La bouteille ayant été déposée au milieu de gravats et recouverte ensuite d’une grande épaisseur de gravats a été forcément déposée après la construction de la nouvelle abbaye, donc après 1790. Mais on ne peut pas dire si le vin est plus ancien ou plus jeune,. Toutefois les tessons ont déjà été examinés et des bouteilles quasi identiques trouvées en Belgique et datées ont été fabriquées sur la même période que la reconstruction de l’abbaye : 1760 – 1780. Je trouve personnellement la bouteille pleine plus fine et plus noble que ce que suggèrent les tessons. Mais l’idée qu’elle soit de cette période paraît très logique.

Lorsqu’Aubert de Villaine avait reçu cette bouteille au très beau niveau mais au bouchon rétréci, il avait demandé à ses équipes de mettre une légère couche de cire sur le haut de la bouteille, pour la protéger d’une évaporation éventuelle. Pour ouvrir la bouteille, il va falloir casser la cire et tirer le bouchon. Le scientifique voudrait faire ses prélèvements dans une atmosphère à l’argon, avec le moins possible d’air ambiant pour éviter toute oxydation. Il a apporté une sorte de housse transparente en plastique souple que l’on peut gonfler à l’argon et qui dispose de quatre inclusions étanches en forme de mains, permettant à deux personnes de travailler en manipulant ce qui est à l’intérieur de la housse. Aubert m’avait gentiment proposé d’ouvrir la bouteille, mais je me vois mal opérer de l’extérieur au sein de cette housse. Il est donc décidé que je commencerai l’ouverture à l’extérieur de la housse et que le dernier geste d’extraction se fera sous la housse. Aubert de Villaine commence à enlever la cire qui n’a pas trop durci. Je continue à enlever la cire et je fais part à tous de mon étonnement : ce bouchon paraît étonnamment jeune, car le haut du bouchon est blanc, sans aucune rognure sur son contact avec le goulot. J’enfonce mon tirebouchon et la dureté du bouchon m’étonne. Les bouchons très anciens sont souvent meubles. Je commence à tirer et le pourtour du bouchon que je vois est blanc, non imbibé, et d’une folle jeunesse. Arrivé au deux tiers, j’arrête, pour que l’extraction finale, à la main, se fasse sous argon. Nous nous regardons tous, car ce bouchon est totalement neuf. Ça devient tempête sous un crâne, car nous pouvons tout imaginer.

Le scientifique et son assistante tiennent la bouteille mise dans la housse. Le bouchon est extirpé à la main. Le bas du bouchon est presque blanc, à peine rose, et n’a même pas été imbibé. Il a donc été posé récemment. Aubert de Villaine et Jean Charles Cuvelier se regardent. Ils ont tous les deux le souvenir d’un bouchon ancien, recroquevillé. Comment est-ce possible ? L’explication la plus plausible est une mauvaise interprétation des consignes : ceux qui ont été en charge de mettre la cire, ce dont aucun des deux présents n’a été témoin, ont dû penser que mettre de la cire sur un bouchon abîmé serait stupide. Ils ont donc enlevé le bouchon et l’ont remplacé par un bouchon neuf et neutre puis ont ciré. Bien sûr, par ailleurs, on pourrait craindre qu’ils aient été malveillants, au point de remplacer le liquide, mais fort heureusement, nous voyons que l’on remplit à la pipette des petits flacons semblables à ceux utilisés pour des prises de sang, et le liquide est rose pâle. Ouf, c’est sûrement ancien.

L’opération « pipette » dure suffisamment longtemps pour que nous échafaudions toutes les hypothèses possibles. Le doute existe toujours sur l’âge du vin. Lorsque la housse est rangée, nous pouvons sentir le vin. Le nez me paraît ancien. Nous sommes servis et la couleur des premiers verres est rose pâle. Aubert remplit plusieurs verres et la couleur se fonce. Nous goûtons et beaucoup attendent mon verdict.

A mon avis, le vin est très ancien, parce que le côté vinaigré est accompagné d’un léger goût de glycérine que l’on rencontre avec de très vieux vins. Le plus vieux vin rouge de Bourgogne que j’ai bu étant de 1811, je hasarde que ce vin est de la première moitié du 19ème siècle. Peut-il être plus vieux, par exemple de l’année de la fin de la construction, autour de 1790 ? Ce n’est pas à écarter.

Le vin s’épanouissant dans le verre on sent qu’il a gardé du fruit. Il n’est ni déplaisant ni plaisant, témoignage d’il y a un siècle et demi. Est-il bourguignon ? Nous sommes plusieurs à répondre assurément oui. Lorsque la bouteille est vide, on voit que le verre est très foncé, d’un vert brun. Un défaut dans le verre, comme une bulle, dépasse trois centimètres de long et c’est étonnant que la bouteille n’ait pas été détruite par le verrier. Il serait bon de vérifier auprès de verriers ou de musées quelles périodes correspondent à des verres si fumés.

J’avais apporté à toutes fins utiles la bouteille de 1690 dont il reste la moitié, pour soumettre le vin aux mêmes analyses par l’université. Le scientifique en est absolument ravi et fait les mêmes prélèvements à la pipette mais cette fois à l’air libre, puisque la bouteille avait déjà été ouverte. J’ai versé un verre pour que des curieux puissent y goûter. A l’évidence ce vin a cessé de vivre. Je l’ai seulement humé et son odeur de vinaigre est très proche de celle de l’autre bouteille.

Pendant ce temps, le vin de Saint-Vivant est envahi par le goût de vinaigre. Il se meurt. Mais les scientifiques ont filtré le fond de bouteille pour en recueillir la lie et ce qui reste, d’un rose beaucoup plus rouge, a gardé une vivacité suffisante pour que j’y trouve du plaisir. Rêvons un peu car ça ne coûte rien. C’est une bouteille de Romanée Saint-Vivant 1790 mise au fond de la cave en souvenir de l’achèvement des travaux de la reconstruction de l’abbaye de Saint-Vivant. Il y a 99% de chances que ce ne soit pas ça. Cette dénomination ne sera pas la part des anges, car il n’y en avait pas, la bouteille étant d’une niveau presque parfait, mais la part du rêve.

Aubert de Villaine ayant anticipé l’éventualité d’un vin peu plaisant nous présente une jolie bouteille de Romanée Saint-Vivant Gaudemet-Chanut 1915. Je n’ai aucune difficulté à l’ouvrir, car le vin a été rebouché sous vide au domaine de la Romanée Conti en 2009. La couleur est d’un rouge cerise assez soutenu. Le nez est magnifique de grâce. En bouche, le vin est romantique. Il pianote des notes délicates et élégantes. Ce qui est étonnant, c’est son parcours en bouche qui ajoute par petites touches des notes différentes. Le vin est très long avec un fruité remarquable, de la rose et surtout des variations incessantes pendant son parcours en bouche. Tous, nous sommes frappés par la jeunesse de ce vin. Si on disait que c’est un 1969, personne ne contredirait. La réussite de ce vin est extrême et son plaisir est grand. De plus, il conforte l’estimation d’âge de la bouteille objet de notre réunion, car il y a au minimum 70 ans et pourquoi pas plus d’un siècle d’écart entre les goûts de ces deux vins.

Quelle aventure ! Les scientifiques ont pris aussi des échantillons du vin de 1915. La suite du roman sera l’analyse de tous ces échantillons. Y aura-t-il des rebondissements ? Nous nous sommes promis de nous revoir.

Photo Le Bien Public

(photo journal Le Bien Public)

(photo journal Le Bien Public)