151ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 6 octobre 2011

Le diner de wine-dinners de ce soir devrait être le 150ème, mais ce numéro est déjà réservé pour un dîner qui se tiendra au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët & Chandon, qui avait accueilli naguère le 100ème dîner. Alors, nommons-le 151ème, avec cette vertu arithmétique d’une logique relativiste.

Un journaliste espagnol qui est spécialisé dans la gastronomie et le vin m’avait demandé de filmer ce repas qui se tient au restaurant Ledoyen. Nous sommes installés dans le grand salon « Cariatides II » du premier étage dont la terrasse est gardée par quatre cariatides imposantes qui regardent vers une fontaine dont le centre est occupé par une Vénus à la pose lascive et vers un kiosque à musique caché dans la perspective du jardin. Le pavillon Ledoyen est une bonbonnière nichée dans le cadre le plus beau de Paris, dans un petit bois reliant le Grand Palais à la place de la Concorde.

En attendant les journalistes, je range les douze bouteilles du dîner. Quand ils arrivent, j’officie, et malgré la diversités des situations des bouchons, aucun ne me pose de problème, même celui du vin de 1918 qui tombe en miettes. Je montre au journaliste un fait étonnant : à l’ouverture, le vin de 1918 senti au goulot n’est que de la terre, une terre forte et dense. Une minute plus tard, la terre est moins sensible et le vin, muet jusqu’alors, commence à parler. Deux minutes plus tard, l’odeur du vin chasse celle de la terre. Nous verrons comment se poursuivra cette évolution. Le Guiraud 1959 est intense, d’une richesse de fruit rare, et le Massandra 1936 est à se damner. Je mourrais pour de tels parfums marqués au citron vert et aux fruits capiteux. Tout semble se dessiner au mieux, même si le sûr n’est jamais sûr.

Pour encourager les journalistes, je demande à Géraud un bon champagne en demi-bouteille et il me suggère un Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas-François Billecart 1997. Quel bon champagne ! Je suis très agréablement surpris par la qualité, l’audace et l’allant de ce beau brut. Voilà un beau départ et une façon aimable d’attendre les convives.

Nous sommes onze, dont trois femmes, et les habitués des dîners sont huit, trois nouveaux venant tenter l’aventure de ces dîners. Après les traditionnelles recommandations, nous passons à table sans avoir trinqué debout, car le menu prévoit deux amuse-bouche dès le premier champagne.

Le menu créé par Christian Le Squer est ainsi rédigé : Foie gras passion – Sardines à cru, en amuse bouche / Pâté en croûte, fine gelée de cuisson / Bouquet du jardinier aux saveurs marines / Cèpes de châtaignier crus et cuits et marmelade d’aubergine / Sole de ligne étuvée aux senteurs des bois / Pièce d’agneau rôtie / Pigeon poudré de noix : jus de poire – cresson / Stilton / Ananas et mangues , givré de citron / Mignardises.

Le Champagne Dom Pérignon 1992 est une joyeuse surprise, avec sa couleur blonde comme des blés de printemps. Lorsque 1992 est inclus dans une dégustation verticale de Dom Pérignon, on constate qu’il est moins charpenté que les années brillantes. Mais là, seul en représentation, il est tout simplement charmant, joyeux, plein en bouche comme un grand Dom Pérignon. Je suis heureux qu’il se comporte aussi bien, l’âge lui ayant donné une maturité sereine.

Avec le Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 nous entrons dans le monde des champagnes anciens. La bulle a presque disparu mais le pétillant est bien présent. La couleur est d’un abricot léger. Le goût de ce champagne est confondant, car il aligne les complexités. Et le pâté en croûte, le plat le plus goûteux du repas lui donne un coup de fouet de première grandeur. Ces champagnes anciens sont des régals.

A l’ouverture, le parfum du Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 était spectaculairement riche. Quelques heures plus tard, il n’a rien perdu de cette force. Il évoque les fruits jaunes, comme la belle couleur de sa robe. En bouche, c’est un beau vin riche, un peu simple mais extrêmement plaisant. J’imagine volontiers que le négociant qui a embouteillé ce vin n’imaginait jamais qu’il puisse devenir aussi voluptueux. La délicieuse gelée du plat de poisson cru est un régal avec le vin.

Nous allons maintenant goûter quatre bordeaux d’années que je chéris, par séries de deux sur les deux plats qui suivent. Le Château Calon Montagne Saint-Emilion 1961 surprend tout le monde par sa richesse, sa densité, et son accomplissement lié à son millésime légendaire. Il faut fait dire que les cèpes arrivent à exhausser le goût du vin comme un haut-parleur réglé sur le maximum. Les votes vont couronner cette divine surprise.

Le Château Pavie-Decesses Saint-Emilion 1945 est plus assis, plus construit, avec la densité d’un Saint-Emilion. C’est un vin rassurant qui n’a pas pris une seule ride et 1945 est une année accomplie. On aime les deux vins bus sur les cèpes et le Montagne Saint-Emilion ne souffre en aucun cas de la juxtaposition.

J’ai un amour particulier pour l’année 1955 aussi suis-je conquis par l’élégance du Château Pontet Saint-Emilion 1955. Il est romantique, délicat, féminin et je succombe à son charme.

Il fallait que le quatrième bordeaux change de rive et j’ai voulu mettre à ce dîner le Carruades de Château Lafite 1929 pour faire un petit clin d’œil. Dans la folie tarifaire qui a propulsé le Château Lafite-Rothschild au sommet des prix, le Carruades de Château Lafite a suivi dans son sillage à des prix que ne justifie pas sa valeur gustative. Alors, pour prouver que ce vin se boit aussi, j’ai voulu ouvrir le 1929 qui atteindrait des sommets en salle de vente. L’intitulé de l’étiquette est le suivant : « Grand Cru des Carruades / près Lafite-Rothschild / Pauillac (Médoc) / 1929 / G. Bonnefous propriétaire« . Il faut bien noter ce « près ». Le vin ne peut pas cacher son âge mais comme c’est un 1929, il a du répondant. Velouté, il est relativement peu structuré mais nous délivre un discours charmant. La sole aux senteurs de bois lui convient parfaitement. Encore une fois, la juxtaposition de deux vins d’âges différents ne nuit à aucun des deux.

Le Grand Chambertin Sosthène de Grésigny Jules Régnier 1918 fait partie des bouteilles que je chéris. Le bouchon noir s’était déchiré en mille morceaux. L’odeur première, de terre, aurait fait rejeter ce vin par un amateur peu averti. Maintenant, près de cinq heures après l’ouverture, l’odeur est claire, précise et sans défaut. Et en bouche ce vin récite tout le dictionnaire des arômes de Bourgogne, dont celui des pétales de rose qui sont si caractéristiques. Bien vivant même s’il ne triche pas sur son âge, il est doucereux, joyeux et follement bourguignon. Ce sont des récompenses, car j’ai fait confiance à ce vin. L’agneau très simple est délicieux et lui va bien.

Par caprice, j’ai voulu mettre maintenant deux vins de quatre-vingts ans plus jeunes, qui plus est, de deux régions distinctes, sur le pigeon goûteux. Et là encore cela fonctionne, comme on dit en langage managérial, sans qu’aucun vin n’en souffre. Il faut dire que les deux 1998 sont des aristocrates polis.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998 est dans un état de jeunesse enthousiasmant. On sait mon amour pour les vins du Domaine et en particulier pour la Romanée Saint-Vivant, romantique et délicate, ciselée, précise et charmante. J’adore le sel et la rose, même s’ils ne sont qu’en filigrane, tant le fruit est prégnant. C’est un très grand vin qui cohabite à la perfection avec son conscrit plus au sud, la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998, monument de fraîcheur, de rectitude et de jouissance. Le pigeon est fait pour ces deux vins charnus et joyeux, qui n’écrasent en rien les aînés qui les ont précédés.

Le Château Guiraud Sauternes 1959 m’avait surpris par la force de son parfum. Il l’a toujours. Dans les mangues mais plus encore sur les agrumes, il est dans une plénitude absolue. C’est un sauternes équilibré, solide et convaincant. Un grand Guiraud, même si mon cœur va plutôt vers ceux qui ont cinquante ans de plus. Le Stilton est exactement ce qu’il fallait pour mettre en valeur les agrumes du vin.

Le Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936 m’avait tétanisé par son parfum à l’ouverture. Il y avait du citron vert avec du poivre sur un fond de fruits confits. Et là, la magie opère, car la complexité est infinie. Il est doucereux comme une liqueur, fringant comme un porto, et par certains côtés, son poivré m’évoque mes chouchous, mes vins de Chypre de 1845. Alors, on comprendra que mon vote ait penché de ce côté-là.

Drame dans la vie d’un homme, j’ai perdu la feuille sur laquelle j’ai consigné les votes des onze convives. Grâce à leur aide du lendemain, j’ai pu reconstituer la majeure partie des votes, mais ce n’est pas pareil. Sur douze vins, dix figurent sur au moins l’une des feuilles de vote, ce qui évidemment plaisant.

Six vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui aussi excite ma fierté car six vins préférés par au moins l’un des convives est une preuve de qualité. Mais cela montre aussi la diversité des goûts, ce qui me ravit.

L’ordre des votes montre que mes convives ne se sont pas laissé éblouir par les vins dits d’étiquette.

Le vote du consensus est : 1 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 2 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 3 – Château Calon Montagne Saint Emilion 1961, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959, 5 – Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945.

Mon vote est : 1 – Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936, 2 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918, 3 – Château Pontet Saint Emilion 1955, 4 – Château Guiraud Sauternes 1959.

Les journalistes qui ont filmé le dîner n’ont en aucun cas bridé nos discussions enjouées, riantes, amicales. Christian Le Squer a fait une cuisine absolument idéale pour ce repas. Les plats qui ont mis en valeur les vins de la façon la plus spectaculaire sont le pâté en croûte et les cèpes. Tous les autres plats ont été d’une justesse remarquée. Le service fut parfait. Grâce aux rires et la bonne humeur de tous, mais aussi grâce aux vins, ce fut un grand repas. Cent-cinquantième ou non, il prend date dans l’histoire des dîners de wine-dinners.

151ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 6 octobre 2011

Notre salon du restaurant Ledoyen vu du jardin (semblant collés à la toiture, des pignons du Grand Palais)

notre salon est protégé par des cariatides – l’une des cariatides me fait penser à Cameron Diaz

la Vénus de la fontaine du parc (qui est peut-être une Diane) a un déhanchement assez lascif

le kiosque de musique dans la perspective du jardin

dans le salon, notre table

les vin, disposés avant l’ouverture

je sens le parfum envoûtant du vin de Massandra 1936

Les vins et les bouchons

dans l’ordre des photos, les bouchons du Carruades 1929, du Pavie Decesses 1945, du Massandra 1936, puis, Guiraud 1959, Chambertin 1918, Pontet 1955, Corton Charlemagne 1959, Calon 1961, les deux 1998, Romanée Saint-Vivant et La Landonne

tous les bouchons

le Champagne Billecart Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1997 bu avec les journalistes

les plats du dîner

la table en fin de repas

151ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 6 octobre 2011

Champagne Dom Pérignon 1992

Champagne Charles Heidsieck Royal 1969

Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 (la marque de l’année en lettres jaunes sur fond blanc est devenue illisible)

Château Calon Montagne Saint Emilion 1961

Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945

Château Pontet Saint Emilion 1955

Carruades de Château Lafite 1929

Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918

Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998

Château Guiraud Sauternes 1959

Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936

J’ai bu un vin parfait, un vin éternel mardi, 4 octobre 2011

J’ai bu un vin parfait, un vin éternel, tel devrait être le titre de ce récit. Mon fils vit aujourd’hui en Floride. Il est toujours le gérant de mes affaires, aussi est-il chaque mois en France pour gérer les affaires dites courantes. Une fenêtre de tir s’ouvre pour un dîner à la maison. J’ai envie d’ouvrir du lourd, un vin dont on se souvient pour longtemps. Je me fie à mon nez, à ma chance, à ce je ne sais quoi qui fait que je trouve de bonnes pioches. Dans la cave, j’arpente les allées, et une cuvée Cathelin me paraît une bonne pioche. Mais soudain, sur une étagère où il y a des bouteilles d’alcool qui sont debout, je repère une bouteille de vin debout. Dans ma cave, les bouteilles debout sont celles qui ont une baisse anormale de niveau. Pourquoi celle-ci, qui a un niveau superbe est-elle debout ? Elle n’a pas d’étiquette et la capsule m’apprend qu’il s’agit d’Audibert et Delas. Je regarde dans la case la plus proche et je vois qu’il existe une bouteille d’un Hermitage Audibert & Delas, Cuvée Marquise de la Tourette 1929. En comparant les deux bouteilles, on voit que le verre est identique, le cul étant profond et de la même forme. La bouteille sans étiquette a une capsule qui paraît plus vieille que l’autre. Mais le niveau de la bouteille incertaine est dans le goulot, si l’on peut dire pour une bouteille de forme bourguignonne, quand la 1929 a perdu de son volume. J’éclaire la bouteille pour constater que la couleur est belle et me fiant à mon étoile, je décide que ce sera celle-là.

Revenu chez moi, je cherche un champagne qui pourrait convenir à ce repas intime. Coup de chance supplémentaire, j’ai mis au frais une bouteille de Salon 1982. Le scénario est clair.

J’ouvre la bouteille inconnue et le bouchon est totalement collé au verre. Quand le tirebouchon remonte, le liège reste collé aux parois. Avec un couteau et avec le tirebouchon, j’extirpe des lambeaux de bouchon, et au bout de quelques minutes, tout est extrait. Le parfum du vin est chaleureux, flamboyant. Une perfection se dessine.

Mon fils arrive et j’ouvre le Champagne Salon 1982. Le bouchon s’extirpe sans explosion. La bulle s’active dans la bouteille et le vin qui est versé est pétillant, fortement ambré. Le nez du vin est intense, mais tout se joue en bouche. Ce champagne déjà évolué mais très jeune est structuré. Il a l’expression d’un champagne ancien, mais avec un équilibre invraisemblable. Boire ce champagne, c’est s’allonger dans un canapé moelleux. Impossible de le définir, tant il est équilibré. C’est, ce jour, le plus grand Salon que j’aie jamais goûté, car l’année 1982, romantique, est au sommet de son art. Avec mon fils nous constatons qu’aucun autre champagne ne pourrait donner ce sentiment de plénitude et d’accomplissement. Nous le buvons sur des copeaux de foie de morue, sur des tulipes de betterave et il s’adapte, tout en gardant la noblesse de son message profond. Ce champagne est un bonheur absolu et il est inconcevable qu’un autre champagne puisse avoir cet équilibre, cette rondeur et cette cohérence. Il est long, caressant, profond. Il a un goût à se souvenir à jamais.

Nous passons à table et je verse le vin inconnu. La couleur est belle, rubis, sans trace de tuilé. Le parfum est dense et profond. En bouche, le miracle se produit. Mon fils et moi nous sentons que nous buvons un vin parfait, un vin éternel, ce type de vin qui envahit l’âme. Nous cherchons d’abord à savoir si c’est bien un Hermitage 1929. La force alcoolique suggère plutôt 1947, mais la capsule étant plus âgée que celle du 1929 et le bouchon ayant éclaté en mille morceaux suggèrent que 1929 est raisonnable. Le vin est velouté, avec une force alcoolique certaine et un équilibre indescriptible. C’est un vin du Rhône assurément, avec une rondeur et une longueur inégalables. A mon fils comme à moi viennent en mémoire l’Hermitage La Chapelle Jaboulet 1961 que nous avons eu la chance de goûter. Non seulement le vin que nous buvons lui ressemble en mille aspects, mais, osons le dire, celui-ci est plus grand encore. C’est un vin éternel car il n’a ni âge ni défaut. Il représente le plaisir absolu qu’un vin puisse donner. Alors, nous nous le racontons ce plaisir, sur du poulet, sur des patates douces, puis sur un Saint-Félicien de compétition.

Je suis tellement fier que ce vin sans étiquette, prélevé « à l’instinct » dans ma cave soit un vin parfait. Nous finissons le Salon 1982, champagne d’une plénitude absolue qui montre à l’évidence que l’Hermitage est cent coudées au dessus, car il n’a ni rides ni défaut.

Pour que le plaisir ne finisse jamais, je verse un petit verre d’Une Tarragone des années dix sans doute. Cet élixir est un poison de bonheur qui conclut un dîner impromptu où nous avons goûté l’un des plus grands vins de notre vie.

deuxième repas gastronomique au Casadelmar samedi, 1 octobre 2011

Le lendemain matin après des longueurs de piscine dès potron-minet, branlebas de combat. Je suis le capitaine d’un grand semi-rigide au moteur puissant. Je vais réaliser un rêve. C’était une utopie, tant j’imaginais que sans doute ma vie se passerait sans que cela n’arrive. Nous irons par la mer à Bonifacio, contemplant les falaises et les maisons en équilibre « par en dessous ». Quel bonheur ! Le site de Bonifacio, côté mer ou par l’entrée au port est un spectacle inouï.

Nous avons prévu de déjeuner à Marina di Cavu, un hôtel qui appartient à une chaîne « Chateaux et Hôtels Collection » dont fait aussi partie Casadelmar. Nous accostons à un embarcadère et un taxi nous attend pour nous y conduire. Un monsieur se présente. Je lui serre la main et il me dit : « je suis le propriétaire de Marina di Cavu, je vous emmène. Vos amis prennent le taxi, venez avec moi ». Et sur le trajet, Jacques Bertin me raconte sa vie, ses ambitions en matière d’hôtellerie et de restauration.

Le chef Julien Diaz a travaillé cinq ans avec Davide Bisetto et sa cuisine est naturellement imprégnée des idées de son mentor. Nous avons très correctement déjeuné dans un cadre qui pousse à la paix de l’âme.

De retour à l’hôtel, sieste puis ouverture des vins du soir. Davide le chef est à nos côtés pour l’apéritif et l’on sent bien l’amitié qui se renforce, fondée sur la recherche de l’excellence culinaire et des accords mets et vins. Davide est en quête permanente de perfection, en s’appuyant sur des recettes locales et ancestrales et en les revisitant. C’est un bonheur de l’écouter expliquer ses cheminements.

Les canapés sont copieux et le champagne Jacques Lassaigne Le Cotet est toujours aussi agréable dans une construction de bon aloi. Il est précis, net, et met naturellement en valeur le Champagne Bollinger R.D. 1979 qui est très jeune, à la bulle discrète, de belle structure. Ce champagne racé est bien excité par les anchois, et surtout par les beignets d’anémones de mer.

Le menu composé par Davide Bisetto pour nos vins est ainsi rédigé : seiches comme des pibales, enokis / fenouil- palourdes – mandarine – corail d’oursin / affogato de cannocchie, langoustine-tourteau / saint-pierre, eau de pistache, ormeaux, salsifis a la colature d’anchois / « pasticcio » de pigeon et cèpes / agneau rôti au piment, miel et charbon végétal / fromages corses / mûre-zola / boule kaki.

Le Château Laville-Haut-Brion 1979 a une belle couleur. Le nez est fermé, d’alcool et de glycérine. Il est un peu amer et ce n’est qu’après quelques gorgées que l’on ressent que la gêne vient d’un goût de bouchon. Heureusement la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1979 va nous combler d’aise. Son nez est de pierre à fusil. En bouche, il est beau, fruité, joyeux, rond. Chose amusante, le Savennières met en valeur le Laville et le rend plus structuré, presque buvable. Le vin de Nicolas Joly ne va pas du tout avec le plat de seiches. Il n’est brillant que seul, alors qu’on sent que le Laville pourrait être parfait. Il ne fait pas de doute que pour cette étape, c’est le plat qui est le gagnant.

Le plat de palourdes est extrêmement iodé. Le Corton-Charlemagne Domaine Bonneau du Martray magnum 1992 est d’une élégance exceptionnelle. Je sens de la brioche et des agrumes. Le vin est racé et l’accord est vibrant. Le fenouil est magistral. Par une formule dont on excusera le côté corps de gardes, je note : « le plat est couillu mais c’est le vin le mâle dominant ». Le vin est capable de capter aussi bien l’iode que le fenouil, les agrumes ou l’huile. Il capte tout et prend une longueur extrême. Je le trouve chaleureux. Quand le palais s’apaise la mémoire garde la palourde, le côté pâtissier du vin, la clémentine et le fenouil.

Le deuxième plat associé au magnum est très fort. Le romarin est prégnant et la sauce est forte, ce qui éteint le vin qui devient plus étriqué, même s’il exprime de la menthe et de la réglisse. Le plat est classique et très goûteux. Le vin ne redevient lui-même que quand l’assiette est retirée.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Ramonet 1992 me donne un coup de poing au cœur, comme chaque fois que je ressens un vin parfait, un 100/100 dans l’échelle parkérienne. Sa richesse gustative est infinie et il pianote sur tous les arpèges. Il est hors norme, indescriptible tant il est au dessus de tout. Le délicieux saint-pierre met en valeur le Corton-Charlemagne, car ce Bâtard n’a besoin d’aucun plat. La sauce et les ormeaux sont magiques, le salsifis est judicieux. La Coulée de Serrant réagit bien sur la sauce.

Pauline, ravissante serveuse, passe devant nos yeux et nos nez un plat à gratin qui est l’interprétation du chef du pigeon. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise. Et le Château Margaux 1979 est le vin le plus noble et le plus raffiné qui soit. Noblesse et bourgeoisie. Le plat est fou tant il est si spontanément goûteux. Et le Margaux tout en noblesse finesse et race. Il transcende son millésime.

Le Vosne-Romanée 1er Cru Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1997 est éblouissant. Il est café, moka, chocolat sur la première gorgée. Puis, il montre à quel point il est sauvage, avec une râpe qui fait le bonheur des vins bourguignons. Quel talent ! Il y a un lien très net avec les vins d’Henri Jayer dont le Nuits-Saint-Georges bu la veille. Le vin est sublime mais le plat est trop fort. Le charbon alimentaire me gêne et m’empêche d’aimer l’agneau. Pour finir le vin nous demandons des fromages corses présentés de façon très compétente par l’un des serveurs, ce qui permet de continuer de profiter du vin d’Emmanuel Rouget qui m’émeut et me transporte de joie.

Contrairement à mes amis, je ne vibre ni pour le dessert, ni pour le Château d’Yquem 1975 qui est trop sur des notes de thé et manque de flamboyant. Mais je n’exclus pas la saturation de mon palais.

C’est le pigeon qui a illuminé ce repas, et le Bâtard-Montrachet Ramonet est de loin la star de ce repas et aussi, à mon avis, du séjour. Les deux repas ont été éblouissants d’inventivité culinaire, de pertinence des goûts. Nos vins nous ont permis d’explorer le meilleur de plusieurs régions. Les accords ont été riches et subtils. Davide nous traite en amis, partenaires de recherches, et l’équipe du service en salle, jeune, dynamique et motivée a cherché à nous satisfaire dans tous nos désirs.

Le lendemain midi sur un risotto aux cèpes, nous avons ouvert un des vins de réserve, le Château Gazin 1979 parfait pomerol pour le risotto.

A l’aéroport de Figari puis à Orly en attendant nos valises nous nous sommes gavés de macarons d’Anne Marchetti, divins macarons d’une talentueuse créatrice de Porto-Vecchio. Ce week-end gastronomique fut un festival. Il devient un rite.

Casa Del Mar – deuxième dîner gastronomique samedi, 1 octobre 2011

Les vins : Champagne Bollinger R.D. 1979 et Château Laville Haut-Brion 1979

Champagne Le Cotet Jacques Lassaigne

Bâtard-Montrachet Domaine Ramonet 1992

Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1992 et Chateau Margaux 1979

Vosne-Romanée 1er Cru Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1997

Les bouchons et Chateau d’Yquem 1975

l’apéritif

le dîner