déjeuner de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 9 mars 2011

Un de nos amis, armateur grec (tous les écossais sont roux et tous les grecs sont armateurs) nous invite au Yacht Club de France. Par une saine émulation, le directeur de la restauration cherche à nous faire plaisir. Après un apéritif au Champagne Laurent Perrier sans année fort agréable, c’est un plateau de fruits de mer pantagruélique qui nous accueille avec des produits d’une fraîcheur à signaler : praires, vernis, bigorneaux, bulots, crabe royal, langoustines et huîtres. Pour les produits où l’iode domine, c’est le champagne qui convient à merveille. Pour les crustacés, c’est un Meursault Cœur de Roches Frédéric Magnien 2007 bien juteux qui joue son rôle d’accompagnement.

La pièce de bœuf est impressionnante avec ses os à moelle et des asperges blanches de Monteux. Le Château Beychevelle 1998 est solide, avec des tannins affirmés, et une belle personnalité. Il se boit avec plaisir parce qu’on est rassuré par un goût franc. Le Château Rauzan Gassies 1998 est plus timide, plus réservé et aura besoin de quelques années pour trouver sa voie. A ce stade, c’est le Saint-Julien qui emporte notre adhésion. Les événements qui agitent le monde sont tellement erratiques que notre machine à fabriquer du "café du commerce" fonctionne à fond. Une discussion qui n’est pas enflammée n’est pas une discussion.

dîner avec notre fils samedi, 5 mars 2011

La soirée démarre. J’ouvre le champagne. Force est de constater que le papier doré qui entoure la bouteille, la cape dorée, ça crée une ambiance. Le bouchon vient facilement, poussé par un gaz qui ne demande qu’à s’exprimer. Dès le premier contact; on sent que le Champagne Cristal Roederer 1990 a quelque chose de magique. Je n’ai jamais mordu à l’expression "toucher de bouche", car elle évoque un concept qui en affadit la noblesse, qui est le "toucher de balle". Mais jamais je n’ai ressenti avec tant d’acuité la pertinence du toucher de bouche de ce champagne. D’emblée, on sait qu’il est à l’opposé des Krug et des Salon. S’il est vineux, il ne veut pas l’être, car l’épaisseur de son fruit est extrême. Son fruit est gras, genre kaki, mais ce qui frappe, c’est sa présence. Il s’affirme, balaie tout sur son passage, et chaque gorgée est d’une intensité très rare. Il se trouve que je n’ai pas le style Cristal, aussi n’en ai-je acheté qu’avec parcimonie. Mais je dois constater que ce soir, c’est un champagne immense et diabolique que je bois.

Nous passons à table, et sur un grenadin de veau basse température, nous commençons par goûter Château Lafite-Rothschild 1969. Et là, on dit chapeau. Il ya au début un léger goût de poussière, qui disparaîtra très vite, et ce qui reste, c’est un Lafite riche, plein, sans la faiblesse de l’année, avec une richesse et une noblesse qui entraînent mon adhésion.

Alors que j’avais senti deux vins quasiment identiques au nez, le temps a rendu justice à la bouteille dont le bouchon était intact. Le plus faible des deux Château Léoville Barton 1926 a une belle attaque, une personnalité agréable en début de bouche, mais l’acidité envahit le palais, limitant le plaisir. En revanche, l’autre Léoville au bouchon intact a une belle attaque veloutée, mais même s’il finit sur une acidité réduite, force est de constater que l’on boit ces deux 1926 au moins vingt ans trop tard.

Comme nous n’avons pas le temps pour de l’à-peu-près, j’envoie mon fils en cave chercher un Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984. Le vin sortant de cave est froid, aussi faut-il attendre. La bouteille est marquée par de lourds dépôts qui collent au verre.

Et nous allons assister maintenant à un phénomène particulièrement étrange. Alors que nous voulions nous baigner de jeunesse avec La Landonne, c’est une "vieille" Landonne qui s’offre à nos palais. Rien dans ce vin ne m’excite. Et à côté de cela, les deux 1926 se réveillent. Le plus faible arrondit son acidité, et le meilleur, lorsqu’on arrive à la lie, devient d’une jeunesse extrême. Voilà deux 1926 que l’on aurait volontiers jetés, qui se réveillent, comme pour sauver le round.

Pendant ce temps, le Lafite, impérial, poursuit sa route sans jamais connaître le moindre passage à vide.

Tout cela est étrange et montre à quel point il faut être humble quand on goûte des vins.

Mon fils aura le même classement que moi : 1 – Champagne Cristal Roederer 1990 éblouissant et qui me réconcilie avec Cristal, 2 – Château Lafite-Rothschild 1969, constant tout le long du repas, 3 – le premier Château Léoville Barton 1926, 4 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 dont j’attendais nettement mieux, 5 – le deuxième Château Léoville Barton 1926.

Les points marquants de ce repas sont la magnifique prestation du champagne et la constance du Lafite d’une petite année. Mais c’est bien sûr l’amour partagé avec notre fils qui est notre récompense.

préparatifs d’un dîner avec mon fils samedi, 5 mars 2011

J’adore l’excitation qui précède un repas. Mon fils s’est exilé aux USA. Le plaisir de l’avoir chez nous, ça ne doit pas se mesurer. Je lui demande de descendre avec moi dans la cave de la maison. Cette cave est maintenant très marginale par rapport à la cave principale, mais elle comporte les achats les plus anciens que j’ai faits. Mon fils est né en 1969. Aussi, lors d’une vente aux enchères, lorsque se sont présentées des caisses de demi-bouteilles de Lafite 1969, le souvenir que j’en ai est que personne ne se bousculait pour enchérir. J’ai donc acheté à l’époque quatre caisses de douze demi-bouteilles pour un prix qui ne devait pas dépasser 50 F par flacon. A ce jour, les deux tiers ont été bus et je ne me souviens que d’une ou deux déceptions, les autres bouteilles ayant donné un vin très au dessus des canons de cette année faible.

Nous farfouillons, et je vois que deux demi-bouteilles de Léoville-Barton 1926 ont un niveau bas. Je cherchais depuis longtemps une occasion de les ouvrir, car ces flacons sont d’une grande beauté. Il est plus que temps de les boire. Nous les boirons. Pour mon fils, il faut du grand pour démarrer le repas avant les rouges. Je choisis une bouteille de Cristal Roederer 1990 que je mets au frais.

Les trois demi-bouteilles sont portées dans la cuisine. Le bouchon du Lafite est beau et souple. Il remonte entier et libère le parfum d’un Lafite riche et joyeux, beaucoup plus profond que ce qu’on attendrait. Les notes de truffes sont très belles.

La première demi-bouteille de Léoville-Barton 1926 est à cinq millimètres au dessus de la basse épaule. Le haut du bouchon est surmonté de poussière terreuse noire en abondance mais aucune odeur désagréable n’apparaît. Le bouchon s’extrait entier, et le bas du bouchon est d’une belle souplesse. L’odeur est agréable. Le vin semble délicat, velouté, sans aucun défaut apparent. Il est prometteur.

Le niveau de la seconde demi-bouteille est au point de basse épaule, là où la partie sphérique rejoint la partie cylindrique du verre. Il y a la même poussière terreuse inodore sur le haut du bouchon qui se révèle très différent du premier : il se casse en trois morceaux en remontant, et tout le bouchon est gras et noir, ayant souffert. Tout oppose ces deux bouchons. Or, on constate que la différence des niveaux est infime et que la différence des parfums l’est aussi. Ce deuxième vin serait presque un peu plus expressif que le premier.

Les trois demi-bouteilles promettent. J’espère que nous passerons une bonne soirée pour fêter l’exilé.

"fide et fortitudine" ainsi que "honneur et patrie"

la différence entre les bouchons des deux 1926 est sspectaculaire

on remarque la magnifique souplesse d’un des bouchons du 1926

éblouissant déjeuner à l’Arpège jeudi, 3 mars 2011

J’avais devant moi une semaine sans repas. Ouf ! Le mercredi, Tomo m’appelle : "êtes-vous libre à déjeuner jeudi ?". Je le suis. Je demande ce que Tomo prévoit et lorsqu’il me dit que c’est pour déjeuner au restaurant Arpège, je suis "forcément" libre. Nous devons être trois et comme Tomo me dit qu’il va apporter trois vins, il est inutile que j’en rajoute.

Etant un peu en avance, j’ai le temps de regarder la carte des vins où les prix ne manquent pas d’oxygène. Tomo arrive avec ses trois vins. Il commence à faire soif. Comme le vin blanc pourrait être liquoreux, je demande à Gaylord de nous servir un des deux rouges, mais il précise que le vin en vendanges tardives s’est assagi et peut débuter le repas.

Nous buvons un Riesling Clos Sainte Hune Vendanges Tardives 1989 qui titre 14° qui s’est assagi et peut effectivement être un point de départ. Sa flexibilité pour les premiers pas du repas est assez spectaculaire. Etant habitués aux caprices créatifs du chef, nous décidons de nous laisser bercer. Lançons la gondole et laissons le gondolier nous chanter un "o sole moi" gustatif. Ce fut un parcours inouï dans le jardin créatif d’Alain Passard. Au moment de quitter la gondole, nous avions quinze plats au compteur. Une pure folie, à la sauce d’un vrai génie.

Nous commençons par trois petites barquettes avec des saveurs légumières. Quand on annonce trois préparations, mon cerveau ne capte pas les informations, aussi est-ce en aveugle que je déguste ces délicieux amuse-bouche. L’un des trois a du miel et provoque un accord vibrant avec le Clos Saint Hune que je trouve un peu plus évolué qu’il ne devrait l’être. Il est doré, au nez délicat, et sa bouche est agréable, fraîche, sans trace de sucre. Un vrai délice.

Le plat suivant est "l’œuf parfait à la truffe noire, Parmiggiano reggiano", et contre toute attente, puisque l’œuf n’est pas un ami des vins, l’accord est probablement le plus génial de ce repas. Il y a dans l’œuf un fumé de feu de cheminée qui capte les saveurs carrées du riesling langoureux.

A une table voisine, un couple s’installe et une jeune femme d’une invraisemblable beauté est en biais sur ma gauche. Cette situation me rappelle les nombreuses remontrances de mon épouse lorsqu’une jolie femme est assise à une table voisine. La question "es-tu toujours là ?" fuse souvent. J’imagine volontiers que Tomo qui me fait face a dû se demander pourquoi je le regardais de biais. Lorsque j’ai entendu que l’on parlait russe à cette table, je me suis dit que le caviar n’est pas le seul produit de luxe de ce merveilleux pays.

Le sushi de légumes au bœuf séché est d’une grande originalité. Ça japonise, mais ça traditionnalise aussi. Et le Sainte-Hune aime ça. Nous constatons la flexibilité de ce vin. Vient ensuite un carpaccio de coquilles Saint-Jacques et radis "Green Meat’ au thé vert matcha. Sur ce plat, on sent que le chef crée sans penser au vin. Le radis est ferme et amer, et c’est avec la coquille seule, ointe de thé vert, que l’accord est possible sans réveiller le vin.

Nous commençons à goûter les fines ravioles de canard au beurre noisette avec le vin blanc, un riesling éblouissant de flexibilité, mais il apparaît très vite qu’il faut aller vers le vin rouge.

Le Vosne Romanée Les Beaux Monts domaine Leroy 1998 me frappe instantanément par deux aspects. D’une part il est incroyablement velouté et soyeux et de l’autre, il est beaucoup plus évolué que son âge. On me dirait 1978, je ne refuserais pas l’idée. Nous avons envie de goûter l’autre rouge, mais nous avions vu que Gaylord faisait la grimace quand il l’a ouvert. Le Vosne Romanée Les Beaumonts domaine Charles Noëllat 1983 a hélas un nez lourdement imprégné de bouchon, et même si en bouche il est acceptable, sa signature sèche interdit qu’on s’y intéresse. Tomo nous avait annoncé que les deux vins sont de la même appellation. L’analyse orthographique montre que les beaux monts ne sont pas les mêmes pour les deux.

Comme il faut bien deux vins rouges pour suivre le parcours culinaire, je choisis sur la carte un Chambolle Musigny "les Amoureuses" Domaine Comte Georges de Vogüé 2001. Il n’y a pas plus dissemblables que les deux rouges qui restent en lice. Le Vosne est dans le velours. Le Chambolle est dans la folle acné de l’impubère. Il est jeune, tout boutonneux, mais il promet beaucoup. Et selon les plats, il saura tenir sa place de jeune fou délicieux. Sur la raviole, c’est le velouté du Vosne qui tient la rampe.

Le sabayon fumé velouté de topinambour et cacahuètes est un exercice de style charmant. Aucun des vins ne s’émeut. La salade de poulpe à la vanille, en revanche, est capable d’exciter le Chambolle, si l’on met de côté la betterave rouge, repoussoir de tous les vins.

Le soufflé de pommes de terre au corail de homard est un plat transcendantal. Voilà de la cuisine de génie et les deux vins rouges y trouvent leur compte, surtout le Chambolle.

Qui parierait un kopeck – disons un rouble en pensant à la beauté de la table voisine – sur un accord possible d’encornets et cochon, grillés au consommé radis et pomme, avec les vins rouges. Eh bien, changeons de manuel, car c’est le consommé absolument génial qui va tirer des deux vins rouges des accents de génie. C’est du grand art, sans doute involontaire, puisque le chef crée sans penser au vin, mais j’ai trouvé dans ce consommé un excitant des vins de première grandeur.

Le plat suivant est un homard des îles Chausey au corail, pommes de terre fumées, qui est absolument divin. Il se suffit à lui-même tant il est délicat. La sauce crémée est remarquable. C’est ainsi que l’on prend conscience de ce que c’est qu’être un chef trois étoiles.

Vient ensuite une Robe des champs multicolores, "Arlequin", et fine semoule à l’huile d’argan. C’est paradoxalement la semoule qui excite le Chambolle. Comme il fait soif, tant la perspective de la fin du voyage paraît reculée, je commande un Champagne Krug 1998. L’hésitation de Tomo me pousse à dire que j’offrirai ce champagne car je ne veux pas provoquer de regrets.

Avec le saint-pierre grillé entier et Lime, avec une crème de carottes fumées au feu de bois, le champagne se montre plus généreux que ce que j’aurais imaginé. Il a une maturité que je ne lui connaissais pas. Le poisson est délicieux et charmant. La pintade aux choux cuite à l’étouffée est accompagnée de choucroute qui s’harmonise bien au Krug.

L’accumulation des bouteilles et des verres, puisque je forme un rempart de mon corps pour qu’aucun verre ne quitte la table fait de nous la risée des charmantes serveuses de ce restaurant. L’une d’entre elles vient découper de fines lamelles d’un Comté millésimé 2007 et d’un salers de belle taille qui se marient divinement au champagne à la bulle forte qui profite bien d’avoir été décanté.

Un millefeuille aussi long qu’un TGV trônant sur une table, il est exclu que nous ne prenions pas le train en marche. Il est tout simplement divin. Des marrons chauds, choux à la crème de marron, chantilly et raifort mettent une touche finale à notre excès.

Alain Passard est un créatif. Il nous a emmenés "à l’aveugle" dans un parcours dont nous ne savions rien. J’adore quand la gondole serpente ainsi sur des saveurs osées. Il est clair que plus de la moitié des plats n’acceptent pas de vins. Il suffit que les autres sachent vibrer pour que le plaisir soit total. Le service est aérien, jeune et enjoué. Alain est un homme chaleureux. Quand nous avons constaté sur nos additions que le repas avait été offert par lui, que dire de plus, sinon merci ?

chez mon ami Tomo, préparatifs d’un grand dîner dimanche, 27 février 2011

Mon ami Jean-Philippe cuisine comme un chef trois étoiles. Mon ami Tomo cuisine de façon très délicate. L’idée d’organiser un dîner mettant en commun les talents de mes deux amis est excitante. Si c’est l’occasion de sortir de beaux vins, le plaisir sera encore plus grand. La date est choisie. Ce sera chez Tomo.

Les ouvriers ont besoin de savoir s’ils utilisent les bons outils, aussi semble-t-il nécessaire que Jean-Philippe vérifie les équipements de Tomo. Si Jean-Philippe va visiter Tomo, pourquoi ne pas déjeuner sur le pouce ? Et si cette expédition se fait, pourquoi ne pas en profiter pour visiter ma cave ?

A 11 heures, un dimanche, Tomo et son épouse ainsi que Jean-Philippe se retrouvent dans ma cave. Ils sont comme des gamins dans une confiserie, s’émerveillant des pépites qu’on y trouve. Ma femme non présente nous a préparé un foie gras. Nous l’étalons sur des tartines de pain dans l’une des pièces de la cave. Repérant une bouteille mise de côté pour bas niveau, j’ouvre un Château Margaux en 1/2 bouteille 1970 dont le niveau est mi-épaule, mais au moment où je décapsule la bouteille, le bouchon tombe. Le nez ne traduit aucune déviation, sauf une trace de torréfié. Le goût est possible. On reconnaît un margaux, sans problème, mais le vin est dévié. Il est inutile de poursuivre l’expérience après une ou deux gorgées. J’ouvre Château d’Yquem en 1/2 bouteille 2002. La surprise est belle, car le vin est beaucoup plus généreux que ce qu’on pourrait attendre. C’est un Yquem au bel équilibre, avec de l’ampleur en bouche, porteuse de joie. Les fruits confits sont ordonnés, et ce qui me frappe, c’est l’après de l’arrière-bouche, si l’on peut dire. Après le final, il y a un retour gustatif extrêmement plaisant. Le botrytis est bien présent et cet Yquem a de belles années devant lui.

Je prends vite une bouteille pour le déjeuner et nous arrivons chez Tomo. Pour finir le foie gras, Tomo nous sert à l’aveugle un Bourgogne blanc Domaine Comte Georges de Voguë 2007. A l’aveugle, on est en Bourgogne, mais on n’ose en dire plus, car le vin est très vert et montre une acidité certaine. Dès que l’on découvre ce que nous buvons, nous accueillons avec joie ce vin qui est fait sur une terre de grands crus, et sera appelé Musigny blanc dans quelques années, dès que les vignes replantées il y a de treize à vingt-cinq ans auront les années qui leur permettent d’être appelées "vieilles vignes". Le vin s’ouvre progressivement, et ce qui frappe, c’est sa précision. Il est encore vert bien sûr mais il va s’étoffer avec quelques années de plus. Citronné, bien construit, il promet.

Tomo a tellement envie de nous faire plaisir qu’il va chercher dans sa cave des vins blancs plus intéressants les uns que les autres. On me demande d’en choisir un pour accompagner les coquilles Saint-Jacques, et mon doigt pointe le Meursault Désirée domaine des Comtes Lafon 1979. Ce vin, qui n’est pas un premier cru, a tous les attributs d’un grand cru. Sa couleur est d’un bel or glorieux. Le nez est puissant et expressif. En bouche, c’est un vin d’une belle complexité et d’un grand plaisir. J’adore ce vin qui change en bouche sur des notes citronnées, avec un bel équilibre et une longueur appréciable. Ce vin un peu imprévisible est d’un grand plaisir. Les coquilles Saint-Jacques ont été poêlées à la minute par Jean-Philippe et leur léger sucre résiduel met en valeur le blanc de belle expression.

Jean-Philippe a cuit séparément les coraux des coquilles que nous mangeons avec le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 que j’ai pris en cave. Ce vin est chaque fois une réussite. Il est tout en délicatesse. Il a le charme bourguignon joyeux, naturel, qui n’exclut pas la complexité. Il a une légère amertume bourguignonne qui lui va bien. Les coraux s’ajustent très naturellement à ce vin ainsi que le délicieux pot au feu de volaille réalisé par Tomo.

Pour la tarte douce à l’orange de Philippe Conticini, Tomo nous ouvre un Scharzhofberger Auslese Egon Müller Mosel Wein 2009 qui titre 7°. Le vin est agréable, délicat pour le beau dessert, mais il est vraiment très jeune pour mon palais.

Pendant le repas, nous élaborons le programme des vins du futur dîner et les plats qui iront avec. Ce qui a été vu dans ma cave donne des ambitions. Nous concluons sur un programme assez équilibré. Dans deux semaines, ça va chauffer chez Tomo !

Champagne Krug Collection 1982 vendredi, 25 février 2011

Rentrant chez moi, je trouve peu après ma fille et mon gendre qui viennent chercher notre petite-fille qui vient de passer quelques jours chez nous. Une dinette est rapidement organisée, avec du foie gras et un Champagne Krug Collection 1982. D’emblée, on sent que l’on entre dans un palais sacré. Tout est ici luxe, calme et volupté. Le champagne est délicatement ambré d’un ton rose pâle. La bulle est très active. Le nez est intense, envahissant, de fleurs et de parfums. En bouche la complexité comprend aussi bien du vineux, que des fruits roses, des fruits confits et même des noisettes. Mais à quoi sert de décomposer les saveurs. Laissons-nous emporter dans la folle aventure de ce grand champagne d’une année de grande délicatesse.

Michel Rostang photos vendredi, 25 février 2011

Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006

les vins ajoutés par la table voisine : Montrachet Domaine Ramonet 1999 et Hermitage Les Bessards Delas 1999

avec le vin que j’ai ajouté à leur table : Chateauneuf-du-Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 1999

les plats

déjeuner au restaurant Michel Rostang avec des surprises vendredi, 25 février 2011

Plus ça va, plus j’adore l’imprévu. Et il faut bien convenir que le vin est un vecteur d’imprévu. J’invite à déjeuner un ami au restaurant Michel Rostang. Etant en avance, j’ai le temps de regarder la très riche carte des vins où il y a bien sûr des icônes directement intouchables, mais aussi de beaux vins accessibles. Je choisis un Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006.

Le vin m’est servi par le très compétent sommelier et je dois à la vérité de dire que si je buvais le vin à l’aveugle, je dirais "intéressant", ce qui signifie : "bon alors, où est-il, le message de ce vin?". L’image qui me vient est celle des fantasmatiques mannequins qui présentent les sous-vêtements de Victoria’s Secret. Sous un anorak de ski, leur charme est moins évident. Le Clos de Bèze, pour le moment, c’est ça.

Mon ami arrive, peu après que quatre américains se sont assis à la table voisine. Les petits amuse-bouche sont délicats et réveillent le chambertin. A la table voisine je vois comment l’américain qui me tourne le dos commente les vins avec le sommelier, et je me dis : "voilà une table où l’on aime le vin". Quand arrivent à leur table un Montrachet domaine Ramonet 1999 ainsi qu’un Chassagne Montrachet dont je ne reconnais pas le domaine à cette distance, mon impression se confirme.

L’entrée est une terrine de joue de bœuf tout à fait sympathique mais qui ne sait pas émouvoir le vin de Bourgogne. L’américain, appelons-le Murray, se tourne vers moi et dit : "oh, Armand Rousseau, ça c’est un grand vin". Comme dans une pièce de théâtre dont on connaît les répliques, je lui dis : "Montrachet Ramonet, ce n’est pas mal non plus". Et, sans attendre la prochaine réplique, je lui dis : "je vous ferai porter un verre du Chambertin". La réponse, telle qu’elle est écrite dans le livret est : "si vous voulez goûter le Montrachet, ce sera un plaisir de vous en faire porter aussi". Le français étant facétieux, la suite du dialogue est : "si je vous l’ai proposé, c’est aussi pour susciter cette réciprocité".

Lorsque Murray se lève pour regarder le millésime de l’Armand Rousseau, il me glisse : "vous savez, j’ouvre toutes mes bouteilles avec votre méthode". Je ne suis pas sûr qu’il m’ait spontanément reconnu. Un bon maître d’hôtel, ça sert aussi à ça.

Notre plat de résistance arrive, une poitrine de porc à la sauce réduite, qui propulse le chambertin à des hauteurs insoupçonnées. L’accord est divin, et le vin d’une rare subtilité, d’une couleur rose framboise, d’un parfum délicat, devient un chambertin de première grandeur, traduisant le talent de la vinification d’Eric Rousseau. C’est un bonheur. Il est serein, affirmé, élégant et subtil. On sent qu’il est encore une fleur en bouton, mais il est joliment ingambe. Sa subtilité est confondante et j’adore le style Armand Rousseau.

J’apostrophe Murray, lui disant qu’il est absolument indispensable qu’il goûte une portion de mon plat sur le verre que je lui ai fait porter. Je demande au talentueux et sympathique maître d’hôtel qu’on fasse une petite portion de ce plat pour Murray. Mais la cuisine considère ce porc comme un atome, au sens grec du terme qui veut dire : insécable. C’est donc un plat entier qui arrive devant Murray, alors que son menu a été calibré pour les blancs.

Pendant ce temps, j’essaie le Montrachet domaine Ramonet 1999 sur la poitrine de porc, et l’accord est aussi brillant, même si le plat appelle plutôt le chambertin. Le vin blanc est magistral, riche, moins sans doute que le Montrachet du domaine de la Romanée Conti de la même année, mais il est franchement épanoui et grand. Il diffère du chambertin qui est encore un jeunet impubère. Le Ramonet est déjà un adulte en pleine possession de ses moyens. Le seul qualificatif qui lui convient est : grand.

Murray goûte le chambertin et constate à quel point la poitrine de porc donne une dimension extrême au vin. A la table des quatre américains, arrive un Hermitage Les Bessards Delas 1999. Et, par une reconstitution d’un sympathique D-day, deux verres de l’Hermitage sont parachutés sur notre table. Le vin est comme un quadrupède qui aurait une patte en l’air. Il est intéressant, juteux, mais il manque objectivement d’équilibre.

Le soufflé au chocolat amer est trop lourd pour accompagner des vins, aussi l’écartons-nous. Mon ami s’éclipse assez vite, voyant l’aimantation que représente la table des américains pour moi.

Avant même son départ je m’installe à la table des quatre et je fais ouvrir un Chateauneuf-du-Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 1999. Pour la petite histoire, ayant découvert grâce à un forum un petit film sur Henri Bonneau, j’ai eu la curiosité d’acheter ce vin chez un caviste. Ayant acheté une caisse de douze de ce vin que je ne connais pas, dans cette cuvée et dans cette année, l’occasion fait le larron. Nous trinquons, les quatre américains et moi, et ce vin me conquiert immédiatement. Quel pouvoir de séduction ! J’ai gagné sur deux tableaux : j’ai fait plaisir à ces mordus de vins, et j’ai vérifié qu’en achetant chat en poche, j’avais fait une bonne pioche. Le vin a un équilibre joyeux redoutable. C’est un vin de séduction au charme naturel.

Nous bavardons et bavardons. Le sommelier nous dit au revoir. L’après-midi est largement entamé quand nous nous quittons avec la promesse de nous revoir.

Il n’y a que le vin pour créer de telles amitiés spontanées. La cuisine de Michel Rostang est solide et extrêmement précise. Les plats sont remarquables. Michel n’était pas là mais Caroline sa fille est venue me saluer. Voilà un bien beau repas, riche d’imprévu.