Casual Friday chez Gérard Besson vendredi, 5 novembre 2010

Il y avait longtemps que nous n’avions pas fait de Casual Friday, moment fou où entre amis, offre du vin qui veut. Comme au poker, il y a toujours un joueur qui mise fort, décourageant la contradiction. Ce coup-ci, c’est Florent qui a asphyxié la concurrence. Il arrive de Lyon de bon matin au restaurant Gérard Besson, et, par un réflexe d’amitié, je viens le rejoindre pour qu’il ne se sente pas seul. Nous savons que Lionel, professionnel des arrivées tardives, sera en retard comme d’habitude. Aussi, nous bavardons de choses et d’autres, et à midi, il fait soif. Nous choisissons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995. Ce champagne est d’une tension assez extrême. Lorsqu’il s’oxygène, il se domestique, et nous jouissons d’un champagne goûteux. Notre petit groupe se constitue. J’ai oublié mon portable, ce qui me paralyse, aussi est-ce bien tard que je rappelle à l’ordre Cédric qui pensait qu’un Casual Friday était un dîner. Il nous a rejoints rapidement.

Le Champagne Alfred Gratien 1964 est une pure merveille. Il a une couleur abricot, un pétillant actif et son goût est extrême. Je vois des fruits jaunes, des fruits confits, du citron vert et de l’écorce d’agrume. Sur les amuse-bouche, brioche de homard, gougère et tête de veau, c’est cette dernière qui fait vibrer le champagne grâce à son poivre bien dosé. On se sent "confortable" en buvant un champagne "plein", joyeux, riche comme des rêves de mille et une nuits.

Le Château Carbonnieux blanc 1937 est d’un bel ambre et son nez est superbe. Il y a de la poire, du coing, et une élégance rare. Ce vin est dans une forme parfaite. Florent l’avait acheté sur la foi de mes commentaires. Tout se confirme. Denis est un bizut de notre groupe, dont le "passeport" est un Pavillon blanc de Château Margaux 1929. Il est des tickets d’entrée de moindre prestige. Hélas, le "ticket" a un nez un peu incertain. La bouche est un peu déviée, délavée, tendance serpillière. Par comparaison, le Carbonnieux brille d’autant plus. Le 1929 est buvable et Denis le défend, ce qui est légitime. Mais c’est une version faible de ce vin. Le pâté de turbot est un plat de la cuisine de nos enfances, perpétuation des recettes d’antan. Et c’est un vrai bonheur. Le Carbonnieux est magique sur ce plat.

Le Montrachet Diard et Girard 1949 a une sale couleur grise. Il sent le gibier, et n’est pas engageant. Je n’insiste pas même si je sens que quelques heures de plus pourraient réveiller ce moribond. Pour l’instant il est mort. C’est dommage pour le bar qui est superbe.

Pour accompagner la grouse fort typée, le Château Gruaud-Larose 1926 à la couleur d’un rouge de belle jeunesse est idéal. Ce qui me frappe dans ce vin, c’est qu’il est impossible de lui trouver le moindre défaut. Il est parfait, dans une forme absolument accomplie d’un vin intemporel. En bouche, c’est un plaisir parfait. A côté de lui, le Château Haut Brion 1926 qui est ma contribution est d’une couleur noire, indiquant une densité extrême. Quand le Gruaud Larose joue sur le charme, le Haut-Brion joue sur la profondeur. J’ai toujours considéré que 1926 est la plus grande année de Haut-Brion. Celui-ci nous entraîne dans l’extrême. Il n’est pas facile à comprendre pour beaucoup de mes amis, mais je le trouve absolument grand, dans une forme d’une intensité rare. Evidemment mes amis se moquent de moi car je succombe à la densité de ce vin et j’en vante les qualités.

Nous passons maintenant au lièvre à la royale qui est magnifiquement réalisé, tout en finesse, ce qui ne caractérise normalement pas un tel plat. C’est ce qu’il faut pour le Corton Grancey Louis Latour 1959 au nez d’une sensualité bourguignonne. Le vin est "frais", magique, délicat. Il a toute la richesse de la Bourgogne. Des amis pensent que le Corton Grancey est un peu faible à côté du lièvre, et c’est ce que je croyais "sur le papier". Mais en fait l’accord se fait. C’est le Haut-brion 1926 qui crée le plus bel accord avec le lièvre.

Le Chateauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1945 me frappe par sa jeunesse. Je lui trouve des aspects mentholés. Il a de la fraîcheur et un léger manque d’homogénéité. Gérard Besson a ajouté à son menu une assiette de champignons et des pains grillés aux abats qui s’accordent très bien au vin du Rhône.

J’ai choisi, parmi les apports prestigieux proposés, que nous goûtions un Marestel Robson-Missol 1934 proposé par la seule femme de notre déjeuner. L’étiquette indique "Marétel". Le vin à la couleur claire a un goût très pur. Je l’avais aimé à l’ouverture et il va bien sur une tomme de Marie Quatrehomme. Mais il ne peut pas cacher certaines limites de goût, car il est plutôt monolithique et simplifié. Mais je suis ravi de cet essai.

Sur le dessert, chocolat-framboise, le Champagne Moët et Chandon Rosé 1975 à la vilaine couleur est mort, définitivement mort. Aussi l’un d’entre nous commande-t-il un Champagne Dom Ruinart 1996 qui signe un brutal retour sur terre. Nous étions dans un monde de saveurs équilibrées, intégrées et délicates. Ce champagne qui serait bon dans un autre contexte marque un retour brutal au monde des vins d’aujourd’hui.

Gérard Besson va quitter son restaurant fin décembre. Il nous a offert un déjeuner d’une très grande qualité. Nous avons donc pris date pour un nouveau repas, d’adieu cette fois, où l’oreiller de la Belle Aurore, plat emblématique du chef, sera au rendez-vous.

Le vote du consensus de notre groupe de huit est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Corton Grancey Latour 1959, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Champagne Alfred Gratien 1964.

Mon vote est : 1 – Château Gruaud-Larose 1926, 2 – Château Carbonnieux blanc 1937, 3 – Château Haut Brion 1926, 4 – Corton Grancey Latour 1959.

Ce fut un Casual Friday de grande qualité.

Sup de Goût mercredi, 3 novembre 2010

L’Ecole Supérieure du Marketing du Goût remet les diplômes de fin d’étude à des élèves dont les mémoires sur des projets ambitieux ont retenu l’attention de la direction.

Dans ce foisonnement inventif, on note l’intérêt pour le "snacking", pour le bio et pour la Chine.

Ce sont des professionnels de la restauration, du vin ou de la communication qui remettent les diplômes. J’ai l’honneur de remettre un diplôme à un jeune ambitieux qui veut participer à diffuser la connaissance du vin.

La réunion se passe dans l’un des salons prestigieux du Cercle Interallié, suivi d’un buffet qui permet de discuter avec les élèves et avec de grands professionnels qui apportent leur soutien à cette école.

Je retrouve des élèves passionnés que j’avais initiés aux vins anciens lors d’une conférence et ensuite à l’académie des vins anciens.

Il est rafraîchissant de voir des jeunes qui prennent bien en main leur avenir.

repas gastronomique chez des amis du sud lundi, 1 novembre 2010

Des amis de notre villégiature du sud nous invitent à dîner. L’apéritif se grignote sur un Champagne Bollinger 2000 qui est très agréable. Il n’est pas aussi typé que les champagnes de la veille, mais il tient très agréablement son rang de champagne. Il y a un fruité et un fumé qui sont délicatement dosés.

Notre hôtesse a réalisé des recettes complexes puisées dans la mouvance bio, et nous sommes admiratifs de sa dextérité. Un rouleau de poivron rouge bio au potimarron, chèvre frais et aneth, tuiles aux graines de lin, gomasio et paillettes d’algues, crème de spiruline au sésame colle avec une adéquation saisissante au Château de la Nerthe Chateauneuf-du-Pape blanc 2008 qui épouse le poivron miraculeusement. Le vin est profond tout en n’en faisant pas trop, et l’accord est élégant. Je n m’attendais pas à un équilibre aussi délicat de la part de ce jeune Châteauneuf. Voilà un vin blanc de grande tenue.

J’ai apporté deux vins sans connaître le menu. Le plat suivant est une papillote translucide de saumon fondant, girolles, confit d’oignons au miel et vin rouge. Le vin est un Château Canon Saint-Emilion 1971 dont le niveau était dans le goulot. La couleur est belle, intense, d’un rouge joliment noir. Le nez est incisif, et ce qui me marquera tout au long du voyage de ce vin, c’est la profondeur de la trame de ce vin riche. On pense aux tapis les plus nobles dont le nombre de points est quasi infini. On a cette impression avec ce saint-émilion profond aux tannins présents. L’accord avec le saumon se trouve mieux qu’avec les girolles trop imprégnés du jus fort. Ce Château Canon est une petite merveille.

Le plateau de fromage avec un Saint-Félicien bio, avec un époisses et un Livarot n’est peut-être pas le partenaire idéal pour le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2001, mais tout le monde est prêt à se conformer à ce casting. Car le vin de Rousseau est un plaisir majeur, au fruit rose et rouge, à la mâche délicate, et au parcours en bouche charmant. C’est un vin que l’on déguste, essayant de lire tous les sourires qu’il nous propose comme le fait un jeune enfant. Ce vin bien fait, riche, plein et équilibré joue sur un registre de distinction calme. J’adore cette expression tranquille assumée.

Nous finissons sur une crème brûlée recouverte d’une fine couche de chocolat qui réclame de l’eau pour en suivre les subtilités.

Nous avons refait le monde, car la période s’y prête, en ponctuant ce beau repas d’une cuisinière qui a réussi à jouer la complexité avec succès, par des vins de grands niveaux.

Vive le sud !

champagne, suite dans le sud samedi, 30 octobre 2010

Le lendemain, le ciel est à la pluie. Le temps fraîchit, et vers 19 heures, au bord de la mer, le marin a soif.

J’ouvre un Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. C’est la première fois que la vibration de ce champagne m’atteint avec cette intensité. Ce champagne est foncièrement dense. Je le considérais comme un champagne intellectuel et voici qu’il est capable d’émotion. Il prend des intensités de fleurs et fruits roses et blancs, sur une profondeur rare. C’est un vrai plaisir.

Il paraît alors intéressant de voir ce que donne le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2007. Et la complémentarité est évidente. Le champagne de Selosse est plus typé, plus fumé, plus concentré sur des fruits bruns. Mais la densité aromatique est de la même lignée. Voilà deux champagnes qui se caractérisent par leurs densités, et se différencient par des couleurs blanches pour le Bollinger, et brunes pour le Selosse.

Deux grands champagnes assurément, aux longueurs infinies.

retrouvailles du sud ! vendredi, 29 octobre 2010

Nous descendons dans le sud après toutes ces grèves et nous y trouvons ma fille et mon gendre qui nous ont précédés.

Après un alibi sportif sonne l’heure de l’apéritif, car il nous faut reconstruire le monde, dont nous avons les clefs de son renouveau.

Pour philosopher, rien de tel qu’un magnum de Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995.

Un long filet de chorizo va accompagner le champagne qui est le George Clooney du champagne : c’est le gendre idéal. Le champagne est serein, goûteux, avec une petite trace d’un dosage fumé, et il enchante l’âme, avec un goût de revenez-y insistant. Voilà un bien beau champagne, dans une acception rassurante.

La magie du sud, c’est bien sûr la mer, dont les couleurs s’adaptent aux saisons, mais c’est aussi ces champagnes scouts, "toujours prêts" à nous ravir.

restaurant de Jacques Le Divellec jeudi, 28 octobre 2010

Il y a longtemps que je n’étais revenu au restaurant de Jacques Le Divellec. Ayant rencontré un ami que je n’avais pas revu depuis plus de six ans, c’était l’occasion d’une double retrouvaille.

L’ambiance du restaurant est toujours aussi agréable, réglée dans l’intemporalité comme les crêpes Suzette qui mettront un point final à un beau repas.

Olivier le fidèle sommelier me conseille un Beaune Clos des Mouches blanc Joseph Drouhin 2008 et son choix est le bon. Le vin est souriant, avec une belle minéralité et une jolie longueur. Il cohabite bien avec des huîtres qui sont d’une personnalité qui écrase celle des huîtres de Saint-Louis en l’Ile. Le cabillaud est très bien cuit, c’est-à-dire peu. Et les desserts maison en chariot reconstituent dans le plaisir les bourrelets auxquels on ne pense pas quand l’ambiance est amicale à ce point.

Un beau moment.

finest scotch whisky, John Dewar and sons mercredi, 27 octobre 2010

N’est-ce pas la plus belle bouteille que l’on puisse imaginer ?

the finest scotch whisky, very great age, John Dewar and sons ltd, Perth, rs – 1860 # a été bu lors du dîner n° 78 à l’Astrance le 15/11/2006.

Quatre ans après, le reste de la bouteille sent encore la tourbe, comme si la bouteille avait été ouverte hier.

restaurant Le Petit Broc lundi, 25 octobre 2010

Une amie me conseille un restaurant où pourrait se tenir l’académie des vins anciens. De l’extérieur, le restaurant Le Petit Broc ne paie pas de mine. Mais dès que l’on entre dans la salle, la décoration délicate crée une atmosphère sympathique. L’accueil est chaleureux. Les tempuras de grosses langoustines sont croquantes à souhait et la sauce Thaï est d’une douceur qui conviendrait aux vins anciens. Le Gravlax de saumon est goûteux et suffisamment neutre pour que les vins se sentent bien. J’aime les coquilles Saint-Jacques un peu moins cuites que celles qui me sont proposées dans une sauce très convaincante. La salade de pamplemousses est un peu "nature", et conviendra aux liquoreux.

Tout cela est fort sympathique et, quelle que soit l’issue pour l’académie, je ne peux que recommander cette adresse simple où l’on mange fort bien dans un cadre agréable.

A suivre.

Brasserie de Saint-Louis en l’île samedi, 23 octobre 2010

Lorsque nous étions fiancés, ma future femme et moi, nous habitions l’île Saint-Louis, dans ce que l’on peinerait à nommer un studio : la douche était dans le coin cuisine, des toilettes partagées se nichaient entre deux étages et nous couchions sur un matelas. Nous avions une minuscule terrasse qui nous rendait propriétaires du ciel de Paris, et les silhouettes des monuments donnaient une perspective sur la merveilleuse histoire du centre de Paris. Traverser la Seine, c’était quitter notre village et aller "en ville" à Paris. Pour dîner, les Anysetiers du Roy nous paraissaient inaccessibles, aussi allions nous à la Brasserie de Saint-Louis en l’île. L’atmosphère de brasserie à l’ancienne, le service dégourdi d’un virtuose du plateau, cela nous enchantait. Aujourd’hui, après avoir visité la FIAC dans un Grand Palais que l’on n’a jamais vu aussi beau, l’envie de nostalgie nous prend, par un besoin de compensation assez naturel avec cet art moderne qui s’épuise d’avoir trop voulu innover ou provoquer.

La brasserie n’a pas changé d’un iota. Il y a toujours le lion dans une charrette peint sur la vitre extérieure, dont la peinture a sans doute été rafraîchie, la cigogne qui se repose dans la hotte d’un vendangeur. Notre serveur – si on peut l’appeler serveur – est l’opposé de celui de notre souvenir. Ronchon, oubliant ce que nous avons commandé, se plaignant de sa surcharge de travail alors qu’à 15h30 la salle est presque vide, il s’adoucira progressivement mais n’empêchera pas que nous profitions de notre nostalgie.

La fréquentation de grands restaurants a forcément changé mes yeux. Cette nourriture simple, d’huîtres et de choucroute, je ne l’aurais jamais analysée à cette époque. J’aurais planté ma fourchette sans autre forme de procès. Aujourd’hui, je remarque que les goûteuses huîtres de Marennes ont été ouvertes par quelqu’un dont la délicatesse est celle d’un changeur de pneus. La choucroute est assez ordinaire, au légume un peu fade et à la charcutaille un peu commune. Les glaces Bertillon sont parfaites.

Pendant que nous mangeons, six américaines en goguette se font photographier avec un serveur heureux d’être ainsi célèbre. La confrontation du passé et des pensées actuelles est aussi enivrante que l’excellente bière fumée bue dans un pichet de terre. Humer le passé de temps en en temps, c’est bien agréable.