deuxième journée gastronomique à Casadelmar samedi, 25 septembre 2010

(pour lire le récit complet du séjour au Casadelmar, il faut commencer par le texte du 22 septembre et remonter)

La pluie tombe toute la nuit. Au matin, le vent est tellement violent que les bateaux que l’on peut louer à l’hôtel sont tous déplacés sur l’autre rive de la baie, de peur qu’ils n’arrachent leurs amarres. Un remorqueur, qui paraît minuscule à côté du bateau de la SNCM qu’il tire, l’empêche de dériver car il offre une prise au vent gigantesque. Dans la salle à manger, Jean-Philippe bavarde avec Davide avec lequel « ils refont le match », commentant les plats et les accords de la veille. Je me joins à la conversation et constate que mes remarques portées sur le blog ont été lues par le chef. On sent que Davide recherche la perfection et est avide de partager les analyses et suggestions. Davide ne pourra pas être avec nous ce soir car il s’est engagé à une partie de pêche nocturne en mer. Il regrette cette absence.

Nous partons tous les sept de notre petit groupe gastronomique admirer les paysages de la Corse du Sud, avec les alignements de mégalithes qui montrent qu’il y a cinq mille ans, les corses travaillaient.

De retour à l’hôtel, une rapide collation me permet d’enchaîner avec l’ouverture des bouteilles. Les odeurs des trois blancs et du Haut-Brion 1950 sont plus que prometteuses, celle du Haut-Brion étant éblouissante. Nous décidons de ne pas ouvrir l’Yquem 1935 sans l’assentiment de l’ami qui l’a apporté, pour éviter une éventuelle extinction de ses feux par une ouverture trop précoce.

Le deuxième dîner gastronomique au Casadelmar commence. Le menu composé par Davide Bisetto est : Foie gras à l’absinthe, gelée cacao, mantecato noix de pecan / Fregola au tourteau frais, écume laurier girofle / Langoustines croustillantes, émulsion poivron-pomelos-menthe / Saint-pierre poché, pois chiches, topping, sauce muscat / Agneau glacé à la moutarde, parfum orange-mandarine, nems de châtaigne / Cannolo pamplemousse ananas / La boule violette.

Pour ne pas démarrer par un Dom Pérignon 1966, nous avons commandé au restaurant un Champagne Bollinger R.D. 1996. Et Davide qui venait de recevoir un gros mérou a décidé que ce champagne se prendrait sur un marinato de mérou, gingembre, huile d’olive vierge sur un pané caraçao. Le mérou est léché d’une trace de poutargue et sa chair crue est parfaite pour le champagne à l’énorme présence. Le caractère japonisant de cette entrée est accentué par un petit bouillon de bonite et de soja très subtil et déroutant. Une sucette à la tomate cerise caramélisée apporte sa petite touche de fête à cet amuse-bouche impromptu. Le champagne est pénétrant. Son final est riche. Le fruit qu’il affiche est insistant. C’est un champagne de forte personnalité.

Le foie gras à l’absinthe, est d’une extrême subtilité et il faut mêler toutes les composantes du plat pour en profiter au mieux. Je vois une coquille sur le menu puisque l’on annonce : Champagne Dom Pérignon 1996 et je signale l’erreur à Jérémie. L’air gêné, il me dit que c’est bien cela. Honte sur moi ! Je croyais offrir à mes amis un 1966 et celui qui est servi est un 1996 ! Je me dissimule sous la nappe, rouge de honte. Et l’explication est simple. Dans les cases de ma cave, ce que l’on voit des bouteilles est le cul. Dans la case où j’ai prélevé cette bouteille, c’est le col qui attendait ma prise. L’année lue rapidement à l’envers m’a poussé à cette inversion de chiffres. Faute de grive, que raconte ce champagne ? Par une chance extrême, il est en phase totale avec l’évocation de cacao. Il colle au plat de façon remarquable. L’absinthe, le cacao, la noix de pécan et la badiane de la brioche trouvent des échos réactifs dans ce merveilleux champagne, très différent du Bollinger. Le premier servi est l’affirmation de soi. Le second est la flexibilité gastronomique absolue. L’accord est merveilleux et le champagne nous enchante, mais quelle honte !

La fregola au tourteau frais est un plat tout en douceur. Chaque saveur est suggérée avec délicatesse. Et la résonance se trouve merveilleusement avec le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 car chaque qualificatif qui convient au plat s’applique aussi au vin : délicat, fin, subtil. Le nez du vin est riche et en bouche, c’est un festival d’élégance, combinant le minéral, le citron sur des fruits jaunes. La persistance du Bonneau est accentuée par le poivre. L’attaque est fraîche et citronnée, le vin prend de l’ampleur avec le poivré et le final garde le citron vert.

La langoustine croustillante est superbe la sauce propulsant ses saveurs à des hauteurs rares. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1998 est un vin imposant, d’une richesse infinie, mais qui garde la capacité de capter les saveurs du plat. J’aime le caractère kaléidoscopique du fruité de ce Montrachet puisqu’il est plus que Chevalier. L’accord est sublime. Faisant remarquer avec humour à Marie-Charlotte au sourire toujours aussi brillant que « ça manque un peu de langoustine », toute l’équipe s’organise pour qu’en un temps record le plat soit doublé, la deuxième version étant encore meilleure que la première, la cuisson de la langoustine étant plus pertinente. Quelle réactivité ! La Cabotte est d’une rare diversité et Jean-Philippe, poète, nous dit qu’il a : « le beurre du chardonnay et le menthol du terroir ».

Le saint-pierre poché est un peu trop cuit. Par un clin d’œil rappelant l’un des dîners de l’an dernier, nous buvons un Domaine Comte Abbatucci Cuvée Général de la Révolution 2007, vin original, au beau fumé et à la grande fraîcheur. Il est imprégnant, solide et frais. Je le trouve très bien fait et très adapté au plat, notamment avec le pois chiche. Le vin est très puissant en milieu de bouche et son final est plus mince. Son caractère fumé est ce qui convient au plat.

Pendant la pause, j’ouvre l’Yquem 1935 à la capsule sans année et très neuve qui indique un rebouchage. Mais le haut du bouchon est très sombre et poussiéreux. Extirpé, il a de sales traces de moisi vert, sauf dans sa partie basse et le nez confirme que rien n’a été altéré dans ce vin. Il n’y a aucune indication d’année de rebouchage. Il n’est pas exclu que l’on ait utilisé le bouchon d’origine au rebouchage.

Nous reprenons le cours du repas avec l’agneau glacé à la moutarde qui est un plat à la cuisson parfaite. La chair est sanguine avec une lourde pellicule de jus réduit. Le Château Haut-Brion 1950 a un nez extraordinaire. Il annonce une richesse hors du commun. Et le vin est en bouche un festival de distinction. C’est un Haut-Brion « pure race », complexe, avec de petites notes d’agrumes qui réagissent à la sauce. Le vineux est extrême. C’est un très grand vin. Et l’accord est merveilleux. C’est le meilleur accord et le meilleur vin de notre séjour. Les notes poivrées du vin et un léger fumé cacaoté sont d’une délicatesse ravissante.

Le Cannolo pamplemousse ananas accompagne le Château d’Yquem 1935. Son nez évoque les Yquem qui n’ont plus de sucre, très fréquents dans les années trente. Il faut donc « lire » ce vin avec les lunettes qui conviennent car les saveurs subtiles où le thé a sa place sont absolument charmantes. C’est sur la subtilité qu’il faut profiter de cette belle évocation d’Yquem.

La boule violette est une création diabolique où se mêlent des saveurs précieuses à base de myrte et de myrtille, dans des tons qui sont ceux de l’hôtel Casadelmar. Nous finissons les dernières gouttes du Porto Niepoort 1957 qui a bien profité d’un jour de plus.

Nous applaudissons une équipe qui a fait un travail remarquable. Ce séjour gastronomique fut un enchantement.

première journée gastronomique photos vendredi, 24 septembre 2010

Breg Gravner, Amphora blanc Italie 2000

le repas du midi

Doc Colli Orientali Friuli « Terre Alte » Rosazzo bianco Livio Felluga 2008

Meursault Charmes Domaine des Comtes Lafon 1989

Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961

Châteauneuf-du-Pape Mont-Olivet 1978

Champagne Krug Collection 1979

Porto Colheita Niepoort & Cie 1957

Le groupe des vins du dîner

les bouchons

notre groupe

Gambas rouge marine, fenouil, huile clémentine, sorbet roquette-lime / Loup de ligne à l’extra-vierge, épi de maïs, algues de rivière / Tortellini d’osso-buco, fondant de castelmagno, extravecchio

Macaron aux foies de volaille, pevarada / Joues de veau au prosecco, ginger, polenta Veneta / fromages

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Fruit noir et basilic / Croquant chocolat, mûre, célero, glace au poivre blanc

première journée gastronomique à Casadelmar vendredi, 24 septembre 2010

Quatre amis nous rejoignent à l’hôtel Casa del Mar sous une pluie battante. Nous voudrions déjeuner au bar, mais aucune table n’est libre. Aussi pour la troisième fois nous prenons place dans la salle à manger. Nous ne prenons qu’un plat, car il faut se ménager, et commandons à la quasi unanimité un risotto d’artichaut et Speck. Du tour de table d’une grande hypocrisie, il s’avère que nous ne voulons boire que de l’eau. Le seul à ne pas avoir pris de risotto, attiré par le spaghetti aux petites tomates dit qu’il aimerait bien prendre un verre de vin pour son déjeuner. C’est à ce moment que Davide Bisetto, le chef, vient nous saluer. Il nous dit : « j’aimerais bien que vous essayiez un vin blanc italien avec le risotto ». Les belles résolutions tombent comme des mouches, car chacun fait remplir son verre du Breg Gravner, Amphora blanc Italie 2000. Ce vin de Venezia Julia élevé en amphore a une couleur fortement ambrée, comme un thé dense. Le nez est enivrant, car le vin titre 13,5° et en bouche, après avoir donné des indications de vin jaune, de vin oxydé, il montre plus volontiers des notes fumées et muscatées. Alors que chacun professait son refus d’imaginer prendre une entrée, arrivent des langoustines, aubergines et courgettes en tempura. Et chacun de constater que l’appétit venant en mangeant, il existe « une petite place » pour ces langoustines. Rien de gras dans ces tempuras bien sèches délicieuses, et le fumé du vin réagit naturellement.

Le risotto est superbe. Un véritable plaisir avec un safran bien dosé, et c’est vrai que le vin semble fait pour ce plat. Jean-Philippe a trouvé dans ce vin plus de complexités que je n’en ai trouvé. Mais c’est un vin puissant, envahissant, qui ne manque pas de caractère. Le choix se justifiait.

J’ouvre les bouteilles du dîner à 16h30, montrant à Jérémie le sommelier comment extirper les bouchons sans que le bas ne reste dans le goulot. Les odeurs semblent sympathiques, surtout celle du porto qui évoque le café et le caramel. Celle du Meursault Charmes est splendide, et celle du Chambolle Musigny est immensément bourguignonne.

A 19h30, notre groupe de sept se forme, pour le premier des deux dîners gastronomiques mis au point avec nos vins et la cuisine du chef Davide Bisetto. Nous avons accepté que ce soit nos vins qui s’adaptent aux plats du chef qui, comme il nous l’a dit, nous a pris comme « cobayes » pour tester ce qui composera sa carte de 2011.

Le menu qu’il a imaginé est celui-ci : Gambas rouge marine, fenouil, huile clémentine, sorbet roquette-lime / Loup de ligne à l’extra-vierge, épi de maïs, algues de rivière / Tortellini d’osso-buco, fondant de castelmagno, extravecchio / Macaron aux foies de volaille, pevarada / Joues de veau au prosecco, ginger, polenta Veneta / Fruit noir et basilic / Croquant chocolat, mûre, célero, glace au poivre blanc.

Tout dans ce menu respire l’intelligence, la créativité, le sens de la pondération des goûts et une sensibilité émotionnelle qui est le couronnement du talent.

Les gambas sont crues et une crème poudreuse au raifort est l’élément qui s’accroche le mieux au Doc Colli Orientali Friuli « Terre Alte » Rosazzo bianco Livio Felluga 2008 qui nous a été suggéré par Davide car il serait, selon le Wine Advocate, le vin blanc couronné numéro un de l’année parmi tous les vins blancs italiens. Le vin, tel qu’il se présente, correspond bien aux canons de cette célèbre revue : un boisé imposant, une attaque en bouche tonitruante, à la californienne, mais il est beaucoup plus faible sur le milieu de bouche et sur le final. Le plat est tellement subtil qu’il arrive à domestiquer le vin qui sait être charmant sur ce plat. L’accord est cohérent.

Le loup de ligne est un plat dont l’équilibre est renversant. La chair du loup, cuite à la perfection, est tendre et typée, très joliment mise en valeur par l’épi de maïs, joli clin d’œil, et l’algue très souple. Sur ce plat, le Meursault Charmes Domaine des Comtes Lafon 1989 est magnifiquement mis en valeur par le vin précédent. Sa précision, sa finesse, sa structure délicate sont largement plus sensibles après le costaud « Terre Alte ». Le Meursault manque un peu de puissance, mais ce n’est pas là qu’il faut le chercher. C’est sur la finesse et l’élégance. Cette affirmation faite à ce stade du repas sera contredite en fin de repas, car le reste du verre, réchauffé par l’atmosphère, affiche alors une puissance extrême qu’il n’avait pas auparavant. Le loup est génial, le Meursault est splendide et l’accord est vibrant.

Le Tortellini d’osso-buco, sorte de ravioli, est d’un goût intense et prégnant. Jean-Philippe nous suggère de ne pas prendre le fondant de castelmagno, fromage aux trois laits, brebis, chèvre et vache, avec le Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961 qui ne supporterait pas le choc. Le vin est absolument exceptionnel. Il développe des saveurs salées et bourguignonnes du plus bel effet. Le vin a la puissance de 1961 et une noblesse qui dépasse celle de son appellation. Son fruité est encore très vivace. L’accord avec le fort goût de Tortellini met en valeur et propulse le Chambolle. Et si l’on veut profiter de la crème au fromage, il suffit d’attendre que le palais se calme, et le Chambolle réveille d’autres accents aussi vibrants. Ce vin est très au dessus de ce que l’on pourrait attendre d’un Chambolle-Musigny 1961.

S’il fallait une nouvelle preuve du talent absolu du chef, ce serait ce macaron diabolique d’inventivité. La sauce lourde est celle que dans le passé, dans la région d’Italie d’où Davide est issu, on utilisait pour accompagner les pintades et leur donner un coup de fouet gustatif. C’est fort, goûteux mais aussi léger et subtil, car la cuisine du chef est très légère. Le beurre est un produit qui n’est jamais utilisé. On pourrait attendre un accord vibrant. Hélas, le Châteauneuf-du-Pape Mont-Olivet 1978 a un léger nez de bouchon qui se confirme légèrement au goût. On sent tout ce qu’il pourrait raconter, mais il se présente avec des habits trop serrés qui ont deux ou trois tailles de moins qu’il ne faudrait. Nous en buvons un peu, nous délectant du plat le plus réussi de ce dîner.

Le repas ayant commencé très vite, nous nous accordons une pause, certains pour fumer et d’autres pour aller sentir les plantes odorantes parsemées dans les allées du jardin de l’hôtel.

Jean-Philippe a apporté un Champagne Krug Collection 1979. Il en est fier à juste titre. Il a donc voulu le confronter à l’accord le plus osé que nous puissions trouver, avec la joue de veau au prosecco et gingembre. Là encore, l’intelligence du chef est redoutable, mais c’est surtout son dosage des saveurs qui est remarquable. Le plat est divin, la mâche de la joue est un délice, et nous jouissons de ce plat sans limite. A côté, le Krug est brillantissime. Sa couleur est jeune, sa bulle est extrêmement active et sa jeunesse est inattendue. Jamais on n’imaginerait que ce champagne a 31 ans, l’âge de Jérémie. Le champagne expose des complexités de façon quasi insolente. Il y a un citronné d’une extrême précision et des fruits qui changent sans cesse, des fruits, jaunes, roses et blancs avec parfois des fleurs blanches et roses qui traversent l’esprit. Mais le plat plus que brillant et le champagne plus que parfait jouent chacun dans leur coin. Aucun n’ajoute à l’autre. J’aurais volontiers imaginé que le vin qui conviendrait au plat eût été le Chevalier Montrachet La Cabotte 1998 qui figure dans nos apports.

Le pré-dessert est de fruits noirs et rouges et du basilic en sorbet, qui rafraîchit le palais. Le vrai dessert est le croquant au chocolat, qui intègre avec une facilité déconcertante des saveurs apparemment peu compatibles comme le céleri ou le poivre blanc. Mais le talent du pâtissier rend tout cela naturel et cohérent. Le Porto Colheita Niepoort & Cie 1957 a complètement changé par rapport à l’ouverture. Alors que nous avions senti le café et le caramel, le nez du porto évoque irrésistiblement un vieux rhum. C’est-à-dire que l’alcool domine, ayant simplifié les arômes et les saveurs. Un ami est triste de ce qu’il considère comme une déviation. Mais il fallait attendre le dessert qui produit un accord savoureux de première grandeur. Le porto renaît et sa déviance vers l’alcool devient pertinente avec le dessert.

Nous sommes assez abasourdis devant le talent d’un chef qui tient dans ses mains le moyen d’organiser des palettes de saveurs que d’autres ne pourraient pas apprivoiser. Il a une dextérité et une intelligence associée à une audace qui méritent d’être signalés. Tous les plats sont intéressants, déroutants et bons. Les accords ont été excitants, à l’exception de celui du Chateauneuf un peu bouchonné et du Krug qui a joué sa partition tout seul. Jérémie nous a aidés de façon efficace, passionné qu’il était par cette expérience. Coralie a présenté les fromages avec une expertise à signaler et Marie Charlotte a illuminé le service de son efficacité et de son sourire naturel et accueillant.

Ce repas est une grande réussite. S’il faut classer les vins, ce sera pour moi : 1 – Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961, qui m’a surpris par sa qualité, 2 – Meursault Charmes Domaine des Comtes Lafon 1989, vin parfait, 3 – Champagne Krug Collection 1979, vin d’un niveau d’exception et 4 – Porto Colheita Niepoort & Cie 1957 au charme indéfinissable.

La barre est mise très haut pour le repas de demain !

choix des plats et des vins pour deux dîners vendredi, 24 septembre 2010

A l’heure de l’apéritif, nous rencontrons Davide, le chef, pour décider de l’affectation des vins aux plats qu’il a conçus puisque nous avons accepté le principe d’adapter nos vins à ses créations et non pas l’inverse. Nous avons apporté tant de vins, onze au total, alors que nous ne sommes que six buveurs, que nos vins seront affectés aux deux dîners. Tant pis pour les vins corses et les vins italiens.

Pendant que nous nous faisons expliquer les contenus des plats aux intitulés italiens, Davide nous fait servir des coupes de Krug Grande Cuvée qui prend un relief particulier après notre ascension aragonaise.

Davide prend un plaisir certain à échafauder le menu avec nous, expliquant, commentant, et écoutant nos remarques à propos des vins. C’est passionnant de construire avec lui. Il nous fait apporter trois petites cuillers pour goûter la sauce aux poivrons, pomelos et menthe qui accompagnera la langoustine, puis deux vinaigres balsamiques l’un de 25 ans d’âge et l’autre de 50 ans d’âge pour que nous découvrions l’écart gustatif considérable que donne un quart de siècle à ce délicieux vinaigre qui va imprégner le foie gras.

Nous avions envisagé de dîner en dehors de l’hôtel pour ne pas avoir quatre fois de suite le même décor. La paresse aidant, nous avions décidé de dîner simplement au bar. Voyant qu’il s’agit de tables basses, j’ai l’envie d’une belle nappe à hauteur convenable. Et donc nous dînons dans la salle à manger gastronomique. Les spaghettis sont bons mais sans créer d’émotion particulière. En revanche les desserts sont d’une rare subtilité et d’une exécution parfaite.

J’avais demandé à Davide de nous suggérer un vin rouge italien pour nos spaghettis. Il recommanda le Barolo Elio Altare 2001. La première impression est très boisée, riche de fruits noirs. Le vin en impose car il titre 14,5°. Il est très plaisant en bouche, lourd comme tous les vins de soleil à l’alcool prégnant. Plus le vin s’épanouit, plus le bois fait place à des fruits noirs sympathiques. Le vin est confortable. On le boit avec plaisir. Au lieu du chariot de fromage, Davide nous a préparé des morceaux de parmesan imprégnés du vinaigre balsamique de cinquante ans. C’est un régal avec le vin.

Nous nous couchons l’esprit heureux, contents de tenir l’esquisse de deux dîners qui promettent de grands moments.

Ce matin au réveil il pleut et rien n’indique que le temps va se lever. Pas de quoi entamer notre enthousiasme.

L’escalier du Roy d’Aragon jeudi, 23 septembre 2010

Ce matin nous quittons l’hôtel Casa del Mar pour aller à Bonifacio.

Après un déjeuner sympathique dans un petit restaurant que nous connaissions déjà et qui ne méritera sans doute pas de visite nouvelle, nous allons descendre et remonter l’escalier du roy d’Aragon, taillé de main d’homme dans la falaise, de 187 marches très hautes et irrégulières, et dont le départ surplombe la mer de 65 mètres.

Je pourrai dire : "je l’ai fait", alors que les aragonais qui voulaient assiéger la ville en 1420 ne l’ont jamais fait !

visite de Bonifacio jeudi, 23 septembre 2010

Bonifacio vue d’un site proche

Une chapelle dans un site de roches imposantes

Un site rocheux dédié à la Vierge Marie

Un rocher pris à pic, n’a-t-il été érigé que par la nature ? La main de l’homme n’a-t-elle rien à voir avec ce sujet ?

Au restaurant, cette bière représente une Colomba. Sa figure expressive ne rappelle-t-elle pas un certain empereur ?

l’escalier aux 187 marches que nous avons descendu puis remonté.

en haut de cette photo on distingue des personnages qui sont si petits qu’on a du mal à les trouver :

Krug à l’hôtel Casa del Mar mercredi, 22 septembre 2010

Jean-Philippe, l’homme qui nous avait fait découvrir le monde fascinant de Marc Veyrat en donnant les explications qui facilitent l’approche du génie du cuisinier, nous avait fait connaître l’an dernier l’hôtel Casa del Mar à Porto-Vecchio où Davide Bisetto, un chef brillant, justifie largement les deux étoiles dont le Michelin l’a gratifié. Jean-Philippe suggère que nous y retournions. Notre petit groupe se forme pour une nouvelle aventure corse.

Jean-Philippe ma femme et moi arrivons largement avant les autres, peut-être pour reconnaître le terrain, mais surtout pour anticiper une grève générale « à la française » (en anglais dans le texte) qui nous priverait de ce week-end.

De la terrasse de notre chambre, nous regardons trois dauphins qui viennent onduler à la surface de l’eau dans la baie de Porto-Vecchio, malgré un trafic maritime assez actif. Le soleil éclaire la mer calme. Après une petite promenade au milieu des plantes odorantes du sud corse, nous accueillons Jean-Philippe que nous n’avions pas vu depuis plus de trois mois. Une jeune serveuse commente un petit jus de fruit offert en guise d’avant apéritif, mais je lui coupe la parole : « Krug Grande Cuvée ». Car des retrouvailles, ça s’arrose. Nous faisons connaissance avec Jérôme, le nouveau sommelier, qui remplace la belle Aurore, si efficace naguère quand elle avait organisé avec Davide un merveilleux dîner sur le thème des vins corses.

Nous avons envie de recommencer cette expérience : un dîner avec les vins que nous apportons et un dîner avec des vins corses. Davide vient nous saluer. Il est heureux, tout se passe bien à cet hôtel qui connaît le succès et il nous annonce deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne c’est qu’il prépare la carte de l’an prochain et va nous faire essayer des recettes inédites. Il a en effet regardé les plats qu’il avait composés pour nous l’an dernier et a envie de nous faire des surprises. La mauvaise, c’est que la saison de la truffe blanche ne commence que la semaine prochaine. Nous n’en aurons donc pas. Davide nous parle des plats qu’il aimerait nous faire essayer, et nous suggère de mêler des vins italiens aux vins corses du deuxième dîner, puisqu’il en a déniché de beaux spécimens.

Pendant que nous bavardons avec un Davide Bisetto chaleureux, notre Krug est accompagné de jambon, de sushi et de petits toasts au foie gras recouvert d’une goutte de vinaigre balsamique. Nous sentons un chef enthousiaste, heureux de vivre, et en pleine période inventive. Il décrit des choix de plats qui nous donnent l’appétit.

Nous passons à table et nos choix sont différents. Le mien est : saint-pierre fumé minute au bois de genévrier, salsifis, extraits d’estragon, sabayon muscat / pigeon Mieral, suprême fumé, cuisse à la milanaise. Nous avions déjà goûté ce saint-pierre extraordinaire et Jean-Philippe qui l’a pris comme moi en avait gardé un souvenir ému. La même émotion se produit ce soir.

Le champagne s’étant asséché pendant l’apéritif, Jérôme me tend la carte des vins qui présente relativement peu de variété. Si Davide veut atteindre la troisième étoile, il achoppera sur ce point. La diversité des plats me conduit à commander un Champagne Krug 1990. Le saut qualitatif est impressionnant. Ce champagne est mis en valeur par le précédent que nous avons trouvé très plaisant dans sa jeunesse. Il n’a pas l’assise qu’il gagnerait avec cinq ans de plus, mais il se boit avec grand bonheur. Avec le Krug 1990, c’est tout autre chose. Car sa personnalité est dévastatrice. Il en impose. Il y a une fraîcheur citronnée qui promet d’accompagner tous les plats, même les plus osés, il y a des fruits confits qui assoient la structure vineuse, mais il y a surtout cette force et cet équilibre qui ne souffrent pas la contradiction. C’est un très grand champagne.

Les plats sont délicieux, pertinents, et l’on peut décrypter l’intelligence des choix d’ingrédients. Davide nous avait suggéré de goûter quelques fromages corses et italiens intelligents. C’est un joli petit bout de femme d’une vingtaine d’années qui est venue nous les présenter. Sa compétence, son intelligence de présentation donneraient des leçons à bien des maîtres d’hôtel chenus. Sa prestation mérite un grand coup de chapeau.

Des desserts légers et d’une grande dextérité ont conclu un merveilleux repas où le talent d’un grand chef se mesure avec plaisir. Nous avons quatre soirs à passer ici. Tiendrons-nous le rythme si cela démarre aussi bien ?

Un 1900 inattendu lors d’une conférence dégustation lundi, 20 septembre 2010

Un ami de l’académie des vins anciens me demande si je peux faire une conférence dégustation devant son Rotary Club. Pour lui faire plaisir, je dis oui. Prélever des vins en cave est toujours un grand plaisir. Pourquoi mes yeux accrochent-ils telle bouteille, telle couleur, j’ai tendance à penser qu’un ange ou le hasard guide ma déambulation pédestre et oculaire.

Dans une case, je repère un ensemble de bouteilles emballées dans un fin papier de soie dont la couleur isabelle évoque ces papiers de cuisine sur lesquels ma mère, il y a fort longtemps, coulait des meringues. Je prélève une bouteille et défais le papier qui crisse. La bouteille est très ancienne, soufflée et au cul très profond. Il n’y a aucune étiquette et la cire qui coiffe un bouchon neutre sans aucun marquage est très ancienne. Une petite étiquette manuscrite est collée comme un post-it et indique : « Fouguerolles 1900 ». L’idée de faire goûter une bouteille de 1900 à des gens qui s’attendent à tout sauf à cela est assez excitante.

Internet ne donne aucune indication sur ce que pourrait être ce vin. Une commune près de Sainte-Foy-la-Grande s’appelle Fougueyrolles. Est-ce une piste ? La couleur évoque un joli sauternes et faute de renseignement plus précis je partirai sur un liquoreux du bordelais.

Sont ajoutés à mes emplettes un Château Chalon de la Fruitière Viticole de Voiteur 1966 et un Maury La Coume du Roy, de Volontat 1925. Je m’imagine bien volontiers qu’on ne s’attend pas à un échantillonnage de cette ancienneté.

Le jour dit, j’arrive dans le hall d’un Novotel où l’accueil est aux abonnés absents. On est bien loin du Métropole de Monaco ! Les sous-sols sont aménagés en salles de réunion à l’absence totale de décor. Pas le moindre petit tableau que renierait un peintre de Montmartre. Etant arrivé une heure et demie avant la réunion, j’ouvre tranquillement les bouteilles. Ne sachant pas qu’il y aurait un dîner, un sandwich jambon et emmental satisfait mon principe de précaution. On pourrait faire un match entre ce sandwich et celui de certains halls de gare. La palme de l’insipidité n’est acquise d’avance à aucun des candidats.

Mon esprit vagabonde en attendant les participants lorsque le maître d’hôtel vient verser une crème de cassis dans de petites coupes de champagne. Les yeux exorbités d’effroi, je lui demande : « que faites-vous ? ». Il me dit que selon son habitude, le Rotary Club commence sa séance par un vin au cassis. Moi : « mais qu’allez-vous mettre dans les verres ? ». Lui : « un Touraine blanc 2009 ». La cocasserie du quiproquo m’arrache un sourire. Je m’imagine servant à des personnes respectables un liquoreux de 1900 après qu’elles se sont préparé le palais au Touraine blanc cassis. Même dans mes rêves les plus fous, un tel anachronisme esthétique ne serait jamais apparu.

Comme un ange veille sur tous ces événements, sans que je n’intervienne en quoi que ce soit, personne n’a touché à ces verres d’apéritif. On dit souvent : « que fait la police ? ». Elle était là. Merci mon ange !

A l’arrivée des dix-sept membres du club, je commence à parler de vins anciens. Puis arrive le temps des dégustations. Mon ami a déniché un comté de dix-huit mois délicieux. Sur le Château Chalon de la Fruitière Viticole de Voiteur 1966 se produit une véritable fusion. On sent que sans le comté, le vin n’aurait pas la même pertinence. Il est d’un fort alcool, puissant, mais avec une profondeur assez légère. C’est toujours un régal de boire un vin jaune de ce niveau de qualité.

Nous calibrons le palais avec des cigarettes russes Delacre et je sers le Fouguerolles 1900. A l’ouverture le nez était résolument sauternes. Maintenant, le vin est assez léger, il a mangé sons sucre. Son message en milieu de bouche est assez plat, mais il a un joli citronné et des fruits confits délicats. Ce qui frappe, c’est sa rémanence. Sa trace ne s’efface pas. Le vin n’a pas d’âge. Il est extrêmement plaisant et réagirait bien à une gastronomie audacieuse, poisson de rivière, volaille blanche par exemple. Il doit s’agir d’un équivalent de premières Côtes de Bordeaux moelleux, qui flirte avec le goût d’un gentil sauternes.

Il me paraît opportun de reporter la dégustation du Maury à la fin du repas. Le repas est sans prétention mais sans erreur, sur un bordeaux ordinaire de 2008 qui a autant d’émotion que la décoration du sous-sol. Mon ami ayant eu l’heureuse idée d’apporter des chocolats de grande qualité, du meilleur chocolatier de Béziers, l’accord avec le Maury La Coume du Roy, de Volontat 1925 est d’une évidence à la Marguerite Duras : « forcément génial ». Le Maury joue le rôle de la griotte dans l’accouplement au chocolat. Cette mise en valeur est appréciée de tous.

Beaucoup de participants ont préféré le Maury à l’accord plus naturel. Un amateur a vibré sur le liquoreux de 1900. Le fait que ce vin de cent dix ans ait eu cette délicatesse est un enchantement.

Petit Verdot – photos mercredi, 15 septembre 2010

Les deux Laurent Perrier Grand Siècle, le nouveau et l’ancien

Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1986

Château Margaux 1985

Château Haut-Brion 1985

Château Lafite Rothschild 1943

Richebourg Mongeard Mugneret 1990

Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 1998

Chateau Filhot 1942

Le Monbazillac probablement vers 1890, d’une bouteille de faible contenance (55 cl ?) et en verre soufflé

Photos de groupe

Un observateur attentif pourrait remarquer que les tables ne sont pas les mêmes avant et pendant. C’est qu’un des membres du groupe a pesé de tout son poids pour écrouler la pauvre table ronde du premier plan

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Les plats

Les rhums, le JM 94 et La favorite de la Flibuste