Michel Chasseuil signe son livre mardi, 18 mai 2010

Michel Chasseuil signe son livre au siège d’Artcurial, dans un immeuble magnifique au rond point des Champs-Élysées qui appartient à la famille Dassault avec laquelle Michel a été lié pendant une grande partie de sa carrière. L’éditeur est Jacques Glénat, grand collectionneur de vins, que j’ai connu lorsque Alexandre de Lur Saluces réunissait les amis d’Yquem. Jacques étant grand amateur de vins, nous sommes traités au Champagne Krug Grande Cuvée, qui se boit avec grand plaisir. Je reconnais beaucoup de personnes du monde du vin, dont Michel Chapoutier et Michel Bettane. J’achète le livre de Michel Chasseuil et je reconnais avec plaisir une de mes bouteilles, un Chypre 1845, que Michel Chasseuil, chasseur tenace de raretés, m’avait persuadé de lui céder contre un de ses vins de paille Bouvret 1893.

L’assistance est nombreuse et une collaboratrice charmante de Jacques m’indique que je suis invité au dîner qui va suivre au restaurant Laurent. Nous nous y retrouvons une dizaine, dont Jacques Glénat, son fils et deux de ses bras droits, Michel Chasseuil et son fils, Laurent Dassault, Michel Bettane, Michel Chapoutier et moi.. Le menu est excellent : saumon sauvage mi-cuit, macédoine de légumes en gelée citronnée / carré et selle d’agneau de lait des Pyrénées, petites poivrades farcies / Saint-nectaire / gaufrette fourrée à la crème de lait d’amandes et fraises des bois.

Le Krug Grande Cuvée continue de nous mettre en bouche. Le Meursault Hospices de Beaune Cuvée de Baherze de Lanlay Joseph Drouhin 1998 est très évolué. Et c’est amusant de voir cette docte assemblée rejeter à hauts cris ce vin trop évolué, alors qu’une heure après, le vin a retrouvé une sérénité agréable. Le Saint-Joseph blanc Les Granits Chapoutier 2006 me semble botrytisé et Michel me dit qu’il l’est à peine. En fait, c’est la Roussane qui donne une impression de fumé et de liqueur de dosage, qui confère à ce blanc jeune une forte densité. Ce vin assez atypique est trop jeune pour moi.

C’est avec L’Ermite Ermitage Chapoutier 2005 que je prends le plus de plaisir. Car ce vin frais, servi à température idéale, est d’une rare élégance. S’il faut boire des vins jeunes, alors, que ce soit celui-là. Le Château Mouton Rothschild 1994 a un nez discret. On sent qu’il a une belle charpente, mais après l’Ermitage, il lui est impossible de briller.

Pour faire échange avec mon vin de Chypre, Michel Chasseuil m’avait tellement dit que son Vin de Paille Bouvret 1893 écrasait les Yquem 1937 que j’avais fini par céder. Celui qui nous buvons est intéressant, évoquant la mangue, l’abricot, avec une grande faiblesse alcoolique et très peu de complexité que si je comprends l’intérêt de la curiosité, je ne comprends pas qu’on puisse comparer à Yquem qui a cent longueurs d’avance en termes de complexité. Le vin est toutefois charmant, doux, tendre, excitant car nul n’a de repères. Mais de là à le déifier, il y a de la marge.

Lors de la présentation à table Jacques Glénat qui avait placé Michel Chasseuil et moi côte à côte nous a présentés comme deux antipodes, celui qui conserve les vins et celui qui les boit. Mais lors de son court speech, Michel Chasseuil a indiqué qu’il avait l’intention de céder sa cave à une fondation qui chaque année ferait un repas d’anthologie, dont les bénéfices iraient à des œuvres d’utilité publique. Si c’est cela, et Michel Bettane m’a dit que l’homme irait jusqu’au bout, son acharnement à constituer une des plus belles caves au monde mérite le respect.

restaurant Laurent – photos mardi, 18 mai 2010

dîner en l’honneur de Michel Chasseuil organisé par Jacques Glénat

Champagne Krug Grande Cuvée

Hospices de Beaune Meursault Charmes 1998

Les Granits Saint-Joseph blanc Chapoutier 2006

L’Ermite Ermitage Chapoutier 2005

Vin de paille Bouvret 1893

les plats

Déjeuner à l’Automobile Club de France lundi, 17 mai 2010

Déjeuner à l’Automobile Club de France avec mon frère et ma sœur, avec une très avenante Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 2000.

Comme quoi il n’y a pas que les « La La » (Mouline, Landonne et Turque) qui peuvent donner du plaisir. C’est le nez qui est spectaculairement dense.

Le Paris-Brest de l’ACF devrait être classé péril national tant il est redoutablement bon et terriblement efficace pour développer les poignets d’amour (est-ce poignets ou poignées, seul mon tailleur le sait).

le Tokay 1819 le lendemain dimanche, 16 mai 2010

Un épilogue se joue le lendemain midi.

Je souhaite que ma femme goûte le Tokay 1819, et je souhaite finir le Bollinger 1945. Le champagne a pris une sale couleur grise, son nez s’est affadi. En bouche, il me rappelle ce qu’il était hier, mais comme une mémoire floue.

Alors que le Tokay est absolument impérial. Le nez évoque le pruneau, la réglisse et le caramel. Ma femme lui trouve des traces anisées. Le vin est irréellement bon et n’a pas bougé. Alors oui, mes amis ont eu raison, le plus grande de ce dîner est de loin l’éternel Tokay 1819 qui restera aussi beau qu’inconnu.

133ème dîner – photos du dîner samedi, 15 mai 2010

Photo des bouteilles présentes au restaurant Laurent. le Cristal Roederer ne sera pas ouvert, ainsi que le Cheval Blanc 1943 d’un autre ami américain qui a dû annuler son voyage

Le beau bouchon du Haut-brion blanc 1945

Bouchon brisé du 1923 et bouchon de La Romanée 1949 avec cette inscription "maison Lafite / vins fins / Bruxelles"

J’enlève la cire du Tokay 1819 et on voit comme le haut du bouchon est sec, comme pour mes vins de Chypre 1845

Langoustines et morilles

Le canard et le millefeuille

Couleurs des deux 1945, le Haut-Brion et le Bollinger

les couleurs finales

133ème dîner – photos des vins samedi, 15 mai 2010

Champagne Salon 1982

Champagne Bollinger 1966

Château Haut-Brion blanc 1945

Château Cos d’Estournel 1921

Château Gruaud Larose 1921

Vougeot Les Cras C. Marey & Comte Liger-Belair 1923

La Romanée C. Marey & Comte Liger-Belair 1949

Tokay 1819

on voit difficilement mais le cul très profond, qui devrait avoir une bulle, mais celle-ci a cassé

Champagne Bollinger 1945 – la présentation de l’étiquette est différente de celle du 1966 ci-dessus

133ème dîner de wine-dinners avec un Tokay 1819 samedi, 15 mai 2010

Nous sommes cinq au restaurant Laurent. Le dîner est organisé pour mon ami Steve, collectionneur américain que je rencontre deux fois par an, une fois chez lui et une fois en France, pour que nous dégustions ensemble les plus belles bouteilles de nos caves. J’ai invité trois amis que je considère comme de vrais amateurs de vins anciens qui savent trouver en eux les richesses extrêmes qu’ils nous offrent. Ayant pris l’habitude de compter les repas avec Steve en France au sein des dîners de wine-dinners, comme je le fais aussi pour les dîners avec Bipin Desai en France, ce dîner sera le 133ème dîner de wine-dinners.

J’avais envisagé d’ouvrir un magnum de champagne Cristal Roederer 1977 car je sais que Steve aime ce vin. Mais ce devait être pour sept personnes, alors que nous sommes cinq. Aussi, avec l’accord que je sollicite de mes amis, nous commençons l’apéritif par un Champagne Salon 1982. J’ai un amour particulier pour cette année de Salon, car elle magnifie les qualités de ce champagne dont je raffole. Il y a en effet une très heureuse et très curieuse combinaison de force et de romantisme. La bouteille que l’on ouvre est exceptionnelle et une fois de plus je m’en veux qu’elle n’ait pas été ouverte une heure plus tôt. Le nez est d’une puissance extrême, combinant les fruits jaunes avec des évocations de fruits confits. En bouche, c’est main de fer dans gant de velours, avec l’image qui me vient : un feu d’artifices. Car il y a tout dans ce champagne, avec des variations instantanées de ce Fregoli gustatif : il part dans toutes les directions. Ce qui domine, ce sont les fruits jaunes et blancs et les parfums de fleurs blanches. Le final est impérieux. Ce champagne dont on est incapable de saisir toutes les nuances tant il change de visage à la vitesse de la lumière, me ravit au plus haut point. C’est un très grand Salon, et les sticks au saumon et toasts de foie gras l’excitent savamment.

Nous passons à table, et dans ce restaurant plein à craquer puisque toutes les tables et tous les salons affichent complets, nous avons la plus jolie table, la table d’apparat. Le menu que j’ai mis au point avec Patrick Lair et créé par Alain Pégouret se présente ainsi : Langoustines croustillantes au basilic / Morilles farcies, écume d’une sauce poulette / Aiguillette de canard, sauce rouennaise, pommes soufflées / Friands de pieds de porc dorés / Voiture de fromages / Millefeuille à la mangue, piments d’Espelette / Café, mignardises et chocolats.

Le Champagne Bollinger 1966 est totalement à l’opposé du champagne précédent. Ici, tout n’est que douceur et élégance. Ce sont des jolies femmes en vertugadins qui jouent de leurs éventails pour cacher les mouches dessinées sur leurs joues, que découvriront leurs futurs amants. Tout dans ce champagne est grâce et volupté. Et les langoustines, délicatement sucrées dans leur habillage croustillant jouent avec le champagne à composer des madrigaux champêtres. C’est le siècle de Louis XV qui ravit nos papilles. Alors, ce sont des couleurs blanches et roses qui viennent évoquer l’empreinte de ce champagne galant. Et le Salon 1982 a permis de mettre encore plus en valeur la grâce de ce beau champagne.

Le Château Haut-Brion blanc 1945 est vraiment curieux. Son nez est celui d’un sauternes discret et en bouche, je dirais volontiers que c’est Climens 1925. Car ce vin de Graves est fortement botrytisé, et nous offre un aspect que le sauternais ne renierait jamais. Steve nous indique qu’il a souvent rencontré cette évolution chez les Haut-Brion blancs de cette période. Le vin est charmant, doucereux, délicat, et les morilles, délicates elles aussi, lui conviennent à merveille. Mais pour moi, ce n’est pas ce que j’attends de Haut-Brion blanc, car j’ai le souvenir d’un magnum de Haut-Brion blanc 1949 que Steve avait ouvert pour moi qui était absolument exceptionnel et totalement Haut-Brion. Alors, bien sûr, je profite comme mes amis de ce grand vin, qui a connu une évolution crédible, mais qui n’est pas dans la ligne de Haut-Brion. La subtilité des morilles est un régal.

Le Cos d’Estournel 1921 a un nez impérieux de framboises. J’explique à l’ami qui l’a apporté que pour moi, ces vins extrêmement typés au nez de framboises ont choisi une direction, qui est une direction parmi d’autres. Ce Cos aurait pu connaître une évolution plus stricte. Mais il a choisi d’aller vers un fruit imposant. Le vin est absolument remarquable, d’une densité de plomb sur une robe d’une rare beauté. Et nous touchons l’un de ces accords parfaits qui font mon bonheur. Car la sauce du canard, lourde elle aussi comme le plomb, crée une fusion avec le vin qui les rend indissociables : qui est la sauce et qui est le vin, nul ne peut le dire tant ils se confondent en une union féerique. Nous avons donc deux vins successifs qui ont pris de belles évolutions qui ne sont pas doctrinales. La preuve m’en est donnée quand on me sert la lie : dans la lie, la rigueur du Saint-Estèphe apparaît enfin et l’on prend conscience qu’il s’agit d’un immense vin, d’une année que je révère.

Une preuve supplémentaire va être apportée par le Château Gruaud Larose 1921 qu’un des amis familier du Laurent commande à Patrick Lair. La bouteille sort tout juste à l’instant de cave. Le niveau est dans le goulot. C’est une bouteille qui a reposé depuis l’origine dans la cave du restaurant. Le vin est servi, frais encore, et son éclosion dans nos verres est un petit miracle. Quelle fraîcheur ! C’est extraordinaire. Et là, on voit bien que ce vin a suivi son évolution naturelle et doctrinale, ce qui ne fut pas le cas de Haut-Brion 1945 et de Cos 1921. Le Gruaud-Larose est moins charpenté que le Cos, a moins de coffre et de race. Mais l’éclosion dont nous suivons l’évolution est un vrai bonheur. La couleur du vin est irréellement jeune, comme s’il était des années 80. Le Gruaud ne s’accorde pas aussi bien avec la sauce et c’est avec la chair délicieuse du canard qu’il se sent le mieux.

Le Vougeot Les Cras C. Marey & Comte Liger-Belair 1923 m’avait fait peur à l’ouverture avec un nez ne promettant pas une résurrection facile. Je m’attendais donc à un vin encore fatigué. Il l’est un peu, mais beaucoup moins que ce que j’imaginais. Il a de la rondeur, de la grâce et une opulence certaine. C’est un vin « assis ». Même s’il est intéressant, notre attention est captivée par le vin qui est servi à sa droite, La Romanée C. Marey & Comte Liger-Belair 1949. Car là, respect, comme on dit dans les banlieues, c’est du grand et même du très grand. Ce vin est authentiquement bourguignon, avec une race folle. On dirait qu’il a tout pour lui. Il a la concentration, la puissance, la richesse, et en même temps un panache bourguignon. Si l’on devait lui faire un petit reproche, c’est qu’il est presque trop parfait. Il lui manque d’être un peu canaille pour être vraiment très émouvant. Sur le pied de porc qui est une institution du lieu, les deux bourgognes sont à leur aise. Ils sont bien.

Jusqu’à présent, tous les accords ont été d’une justesse exemplaire. Je demande lorsque le chariot des fromages arrive qu’on nous donne juste une petite lamelle de comté pour préparer la bouche au Tokay qui arrive. Pendant que l’on nous sert de ce liquide lourd, rouge comme un porto jeune, nous avons tous une pensée pour l’année 1819, année où Napoléon était encore en vie en exil, l’année de la naissance de la reine Victoria, et pour se rendre compte de l’irréalité du moment que nous allons vivre, s’il y avait sur la table un vin de 1929, celui que nous allons boire a cent dix ans de plus !

Le Tokay 1819 nous fait entrer dans l’intemporel et dans l’inconnu. Je fais verser un verre pour que les trois sommeliers du lieu nous donnent des pistes de recherche. Mais ils seront comme nous muets et incapables de trouver. Ce n’est sûrement pas un vin hongrois, car la charge alcoolique est largement plus forte que celle d’un Tokaji, et le doucereux n’est pas du tout le même. Ce ne peut pas être un Tokay alsacien, car rien dans le corps de ce vin ne pousse vers l’Alsace. Nous pensons tous qu’il s’agit d’un vin français, car nous ne retrouvons aucun des exotismes que nous connaissons, sauf peut-être, par bribes, ceux des rives méditerranéennes du sud de l’Espagne. On est assez proches de xérès, mais assez loin aussi. Alors, faute de pistes, concentrons nous sur ce que nous buvons. La charge alcoolique est certaine, le côté sec du vin est là, avec un doucereux bien contenu. Il y a des épices, mais qui jouent piano. Mais surtout et c’est là la constatation la plus importante, c’est que ce vin n’a pas d’âge, n’a pas le moindre signe de vieillissement, et nous nous disons que si ce vin n’était ouvert que dans 400 ans, il serait encore strictement dans ce niveau de perfection. Nous buvons un vin éternel, qui a atteint une forme d’équilibre qui ne pourra plus jamais changer, qui n’a pas le moindre signe du plus minuscule défaut. Alors, l’émotion est à son comble. Je suis comblé bien sûr, mais aussi comme soûlé d’avoir décidé que nous boirions ce vin aujourd’hui. C’était pure folie, mais quel cadeau.

Il me paraît d’une évidence biblique que ce vin devra être le premier de tous les votes et voici qu’apparaît mon autre cadeau, le Champagne Bollinger 1945. Ce champagne est un mythe, et comme pour le Tokay 1819, je n’en ai qu’une ! Et maintenant, je tombe virtuellement à la renverse, je me tasse sur mon siège comme cela arrive quand j’ai un choc gustatif majeur. Dès la première gorgée, je sens que je le tiens : ce sera ce jour le plus grand champagne de ma vie. J’en ai bu beaucoup de très grands, aux noms et aux années plus prestigieux les uns que les autres. Mais là, le choc est total. Ce vin est plus que parfait. L’image qui me vient à l’esprit est celle de la lettre « T » en majuscule : la barre du haut, horizontale, est celle de la fraîcheur. Et cette fraîcheur est infinie. Elle s’étale en bouche au point d’en écarter les joues, tant la fraîcheur explose. La barre verticale est celle de la profondeur. Et la profondeur de ce vin est infinie. C’est irréel. A côte de moi, l’ami qui décrit les vins avec une extrême justesse est un habitué des notations. Je lui dis que si l’on note sur 100, il va bien falloir décerner à ce champagne entre 120 et 140, car il écrase de sa perfection tout ce qui peut être noté à 100 points.

Ce champagne me ravit comme rarement je l’ai été, et je suis furieux, car je ne pourrai pas mettre l’OVNI qu’est le Tokay 1819 en première place, tant ce champagne exauce mes rêves les plus fous. Sa couleur d’un jaune d’or de la plus belle jeunesse, la bulle est présente et bien dosée, la longueur est éternelle et l’impression combinée de fraîcheur unique et de complexité ultime est une récompense comme il en existe peu. Le dessert avait été pensé pour le cristal Roederer. Il ne s’impose pas, tant le Bollinger se boit pour lui-même, me conduisant à une extase absolue, avec, en plus, le fait que le Tokay au goût rémanent a encore plus porté le Bollinger 1945 au firmament.

Nous votons. Les votes se concentrent sur les six derniers vins sur neuf, comme si les deux derniers nous avaient conduits à une amnésie momentanée. Le Tokay a trois votes de premier sur cinq votants, le Bollinger a un vote de premier, comme La Romanée.

Le vote du consensus, qu’un des amis a eu dans le même ordre est : 1 – Tokay 1819, 2 – Champagne Bollinger 1945, 3 – La Romanée C. Marey & Comte Liger-Belair 1949, 4 – Cos d’Estournel 1921.

Mon vote est : 1 – Champagne Bollinger 1945, 2 – Tokay 1819, 3 – La Romanée C. Marey & Comte Liger-Belair 1949, 4 – Château Gruaud Larose 1921.

Je suis convaincu malgré les votes de mes amis que le plus grand vin est le Bollinger 1945, nous portant à un niveau de perfection inatteignable. Le Tokay nous a fait comprendre ce qu’est l’éternité. Les accords ont été parfaits, le restaurant Laurent montrant une fois de plus que sa place légitime est à deux étoiles que le Michelin serait bienvenu de leur accorder vite. L’amitié était chaude ce soir et ce dîner est plus que probablement le plus émouvant de ma vie.

L’ouverture des vins du 133ème dîner de wine-dinners samedi, 15 mai 2010

Depuis ce matin, je suis incroyablement excité. Je ne reste pas en place. Car ce soir, je vais ouvrir une des bouteilles qui me tiennent le plus à cœur. Ce n’est pas la plus chère de ma cave, et de loin, mais c’est peut-être la plus chère à mon cœur. C’est le cadeau d’un ami fait il y a plus de vingt-cinq ans, et à l’époque je n’avais pas le recul pour mesurer sa valeur historique. Mais au moment où j’ai créé sur internet le site de wine-dinners, c’est cette bouteille que j’ai mis sur la page d’accueil, avec un Jurançon 1928, pour montrer que je m’intéresse plus à l’originalité et à l’histoire qu’aux icônes incontournables, même si je les goûte.

J’arrive à 17h30 au restaurant Laurent où les bouteilles de mon ami Steve, d’un autre ami et les miennes reposent depuis plus d’une semaine. J’ouvre d’abord la bouteille de Château Haut-Brion blanc 1945 et c’est incroyable comme l’odeur est celle d’un liquoreux. On dirait un sauternes qui a mangé une partie de son sucre, mais qui en a gardé encore. Le vin est racé, et ne montre pas encore au nez qu’il s’agit d’un Graves sec.

J’ouvre ensuite un Vougeot les Cras C. Marey et Comte Liger-Belair 1923. La bouteille est belle et le niveau est très satisfaisant. Le bouchon éclate en mille morceaux très noirs mais non graisseux. Le nez est fatigué comme celui d’une bouteille qui aurait été stockée au chaud. On peut espérer que le vin se forme à nouveau, mais l’impression torréfiée disparaîtra-t-elle ? La bouteille de La Romanée C. Marey et Comte Liger-Belair 1949 a une capsule que je connais pour l’avoir rencontrée souvent, avec une couronne royale très opulente et très galbée. Le niveau est plus élevé qu’il ne devrait et le verre de la bouteille est très sombre, interdisant que l’on voie la couleur du vin à travers la bouteille, ce qui me rappelle les Clos de Tart Van der Mullen de sombre mémoire.

Le bouchon vient bien et me semble de son année. Sur le bouchon il y a marqué : « Maison Lafite – vins fins – Bruxelles ». Le nez est très délicat et très bourguignon. Voilà un vin qui me semble devoir être très bon. A voir.

Vient maintenant le moment d’ouvrir ma bouteille fétiche. C’est probablement la plus vieille bouteille buvable que j’aie dans ma cave. J’ai des bouteilles plus anciennes mais qui sont des soleras ce qui ne compte pas. Et j’ai une bouteille des années 1730, rescapée d’un bateau échoué en 1739, mais dont le liquide doit être largement post mortem. Celle-ci est ancienne et buvable, j’en suis sûr. La forme de la bouteille est celle usitée au 18ème siècle, très proche des clavelins, les bouteilles jurassiennes de vins jaunes. Sur l’étiquette, on peut lire : Tokay 1819. Que peut-il y avoir dans la bouteille, je ne sais pas, car l’usage du mot « Tokay » avec cette orthographe, et cette forme de bouteille me sont totalement inconnus.

La bouteille a dû être cirée vers 1900, un peu comme mes Chypre 1845. Et l’étiquette joliment calligraphiée doit aussi dater de 1900. Sur l’étiquette, il y a une armoirie avec une couronne de comte. Le blason porte un soleil au dessus d’une montagne sur un fond strié. Cette armoirie est strictement la même que celle d’une bouteille de vin de Chypre qui doit être de 1857 ou 1897, mais je n’exclus pas qu’elle soit de 1817 ce qui serait particulièrement excitant.

Le bouchon vient bien, en se brisant seulement en bas. Il est assez sec, peu imprégné par le liquide. A ce moment, je n’ai pas honte de dire que les larmes ne sont pas loin de venir, car ouvrir l’une des bouteilles que je chéris le plus m’apporte une forte émotion. Et le nez est miraculeux. Là, les larmes ne demanderaient pas grand-chose pour venir. Le nez marie le sec et le doucereux. La première impression qui me vient est celle d’un xérès. Le vin est résolument sec, mais il a un charme indéfinissable. Il n’y a pas de repère pour ce vin. Considérant que charité bien ordonnée commence par soi-même, je me verse un fond de verre. La couleur est d’un rouge intense, comme celui d’un porto, mais plus clairet. C’est une couleur de jus de cerise noire. En bouche, tout ce que j’attends de ma vie actuelle trouve son aboutissement. Car le vin est invraisemblablement équilibré, doux et onctueux avec des accents de blanc sec, et il m’entraîne dans des saveurs totalement inconnues. De quoi s’agit-il ? Je ne serais pas capable de le dire. Il y a du sec, mais rien d’alsacien. Il y a du doux, mais rien de hongrois. Alors, ces accents de xérès viendraient d’où ? Le Jura n’est pas à exclure. Nous verrons lors du repas.

Un ami me rejoint avec ses bouteilles, et je suggère de les garder pour un futur repas car l’abondance est extrême. Un autre ami arrive aussi avec ses bouteilles et j’ouvre le Cos d’Estournel 1921 dont l’odeur de framboise qui rappelle l’odeur des étoupes de bondes de fûts est spectaculaire.

A 20 heures précises, notre groupe de cinq est au complet pour ce qui sera, je crois, le plus grand repas de ma vie.

Je vais ouvrir Tokay 1819 samedi, 15 mai 2010

Je suis tout excité, comme un collégien qui va sortir pour la première fois avec une jeune fille.

Ce n’est pas ce que j’ai bu de plus vieux, mais cette bouteille est très rare. Existe-t-il encore des Tokay 1819 comme celui-ci dans le monde ?

L’idée de boire une bouteille qui n’existe peut-être plus m’excite énormément.

Je constate que de plus en plus, j’ouvre des pièces uniques de ma collection.

La raison est simple : à mon âge, le temps passe vite. Et je voudrais avoir bu certaines bouteilles rares avant que mon palais ne change, car j’ai évidemment peur qu’un jour je n’éprouve plus le même plaisir à boire ces merveilles.

Ce soir, je l’ouvrirai pour Steve, mon ami collectionneur américain qui est toujours généreux.

J’espère qu’entrera dans mon cerveau la mémoire d’un goût rare qui ne sera plus jamais reproduit, car les conditions climatiques et les méthodes de vinification ne seront plus jamais les mêmes.

Qu’y a-t-il dans cette bouteille, je ne sais pas du tout, car que veut dire Tokay écrit ainsi, dans une bouteille de la forme des bouteilles du 18ème siècle ?

Cette incertitude m’excite aussi.

Il y a un blason sur la bouteille, qui est le même que celui d’une bouteille de vin de Chypre qui pourrait être de 1857 ou 1897, c’est difficile à dire. Si elle était de 1817, ce serait encore plus extraordinaire !

Si un passionné d’héraldique peut me donner la réponse, je serai heureux.

dîner au Chateau de Beaune – photos jeudi, 13 mai 2010

Le chateau de Beaune, propriété de la maison Bouchard Père et Fils

Les vins du dîner : Champagne Henriot Cuvée de Enchanteleurs 1996

Avenay 1969, Bourgogne blanc générique de la maison de négoce Leroy

Chablis Village Henri Darviot à Beaune des années 20 à 30

Chevalier Montrachet la Cabotte Bouchard Père & Fils 2001

Beaune Clos de la Mousse Domaine Bouchard Père & Fils 1961

Beaune Teurons Domaine Bouchard Père & Fils 1961

Chateau Trotanoy Pomerol 1961

Château Latour 1934 dont la capsule millésimée est d’une rare beauté

Château Chalon Jean Bourdy 1947

Château Suduiraut 1959 d’une jolie couleur

vin de paille Château Chalon des années 20

Quelques bouchons. A droit celui où il y a marqué "syndicat Chateau Chalon".

Un ami a mis au point des petites épuisettes pour récupérer les débris de bouchons. Il m’en a fait cadeau.

Quelques vins du dîner (il manque le champagne et la Cabotte)

Les vins de 2008 que nous avons dégustés dans le caveau

Les vins avec la Cabotte dans l’orangerie du chateau

Stéphane Follin-Arbelet versant de l’eau, ça se photographie

les jolies couleurs des vins blancs

les langoustines, seul plat que j’ai photographié, car les discussions étaient passionnantes et prenantes

les belles couleurs des vins du repas