Accord fusionnel entre des bières de trente ans et un Château Chalon jeudi, 18 mars 2010

Un journaliste m’avait contacté pour un reportage sur la Percée du Vin Jaune qu’il devait réaliser pour France Culture. Ce reportage passera sur l’antenne en mai 2010. Pour préparer notre rencontre à Poligny, siège de la Percée, nous avions bavardé autour d’un Côtes du Jura 1934. Au hasard des discussions, nous avons évoqué les bières et Olivier m’a demandé si j’ai bu des bières anciennes. J’ai dit non.

Deux mois plus tard, nous nous retrouvons à Anderlecht au siège de la brasserie Cantillon qui est en même temps un musée de la Gueuze. Jean Cantillon, dirigeant de la quatrième génération nous fait visiter la brasserie. Les équipements sont bien ceux d’un musée, car les cuves et les machineries datent de 1900. Jean nous explique les phases du processus de fabrication de ses bières. Le lambic est le produit de base, qui peut vieillir en fût pendant trois ans. Et la gueuze est un assemblage de lambics de trois années différentes. Jean n’utilise jamais de fûts neufs et le goût de ses lambics est influencé par la provenance des fûts. Il a tout essayé, fûts de vins rouges, de vins blancs, de cognacs et de vins espagnols. Son rêve serait d’essayer des fûts de vins jaunes, car le lambic est une bière dont le mode de maturation est oxydatif.

Jean est passionnant à écouter. Je suis impressionné par ce qui s’appelle « la chapelle », un grenier où une cuve, plutôt un bac, en cuivre peut contenir 7.000 litres de jus, pour son refroidissement nocturne et son ensemencement.

Nous commençons à boire un lambic sur fût, qui doit avoir environ un an. C’est une grande surprise, car le nez est expressif, l’acidité est intense, et le goût évoque le foin doré de fin d’été. Nous remontons et Jean nous fait goûter une gueuze d’un an, qui comprend des lambics de deux à quatre ans. Je jubile, car nous mettons un pied dans l’inconnu. Cette bière ne ressemble à rien d’habituel. L’acidité est forte, mais l’étrangeté me ravit. J’adore pénétrer dans des mondes inconnus. Nous goûtons ensuite un lambic de trois ans. Ce qui me frappe, c’est le caractère vineux de cette bière sans bulle. Je m’imagine que si on glissait ce lambic dans une dégustation à l’aveugle de vins à forte tendance acide, j’hésiterais avant de dire que ce n’est pas du vin. Toutes les bières Cantillon titrent 5°, mais elles paraissent en avoir plus. Vient ensuite une gueuze de 1996, qui renferme des jus dont l’année moyenne est 1994. Je lui trouve un petit défaut dont nous discutons avec Jean, qui est impressionné que je puisse mettre le doigt sur un écart dont je ne suis normalement pas spécialiste. Mettons cela sur le compte de la chance du néophyte. Le petit défaut s’estompe au réchauffement du verre et cette bière se révèle très intéressante, avec toujours une grande acidité, et un charme qui naît de saveurs inhabituelles. L’étrangeté me séduit et je pense immanquablement aux champagnes Jacques Selosse qui ont une approche tout aussi originale.

Nous allons déjeuner au restaurant le Bistro de la Poste sur la chaussée Waterloo. Jean nous ouvre trois bières : une gueuze 2006, un lambic 1983, mis en bouteille en 1986, et une gueuze d’avant 1980, qu’il situe entre 1975 et 1978. De mon côté, j’ouvre un Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962. Le repas est simple : rillettes, velouté de carottes, poulet aux pommes de terre et gruyère. C’est parfait pour ce que nous allons faire. J’avais demandé qu’il y ait une jeune gueuze pour le cas où le pont entre bière et Jura ne se ferait pas avec les anciens. C’est à titre de sécurité. Or en fait, l’intérêt se porte sur les deux bières anciennes qui offrent une continuité spectaculaire avec le vin jaune. Jean est impressionné par le prolongement qui se crée, quel que soit l’ordre dans lequel on boit les deux bières et le Château Chalon. Et Jean me demande : comment saviez-vous que ça marcherait alors que vous ne saviez pas que mes bières sont oxydatives ? J’ai répondu que j’avais l’intuition qu’une bière ancienne et un Château Chalon plutôt calme comme celui-ci s’accorderaient bien.

Les lambics perdent normalement leur sucre après peu d’années, et n’ont plus de bulles. Or le lambic 1983 a pété à l’ouverture, signe d’un sucre résiduel qui a produit une nouvelle fermentation. Dans cet état, le lambic me plait beaucoup, car l’âge assagit l’acidité, et la gueuze des années 70 est délicieuse, explorant des saveurs d’aficionados. Car entrer dans ce monde de goûts en rebuterait plus d’un. Aux côtés des bières, le Château Chalon fait presque doucereux, tant l’acidité des bières est prégnante. Max, l’un des associés du bistrot qui partageait nos boissons, buvait du petit lait en écoutant nos discussions qui montrent combien cette association d’un jour entre bière et vin jaune est un grand moment d’émotion.

Alors que bière et jaune faisaient jeu égal, sur le gruyère la suprématie écrasante du Château Chalon nous offre un accord divin sur un vin calmement joyeux, presque doucereux sur sa pointe de noix. Jean, Olivier et moi, nous nous souviendrons à jamais d’un grand moment de communion. Jean fait une bière atypique, exceptionnelle et passionnante, en parle divinement bien.

J’ai ajouté un pont avec un vin qui exprime une recherche d’excellence identique. Jean va rêver plus que jamais de fûts de vins jaunes pour créer de nouvelles bières !

déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 17 mars 2010

C’est un nouveau déjeuner au Yacht Club de France, dans la belle salle de réception. Le directeur est un amoureux de cuisine et de vins, et fait tout pour nous plaire. Le ris de veau n’est pas extraordinaire, mais les filets de sole aux gambas rattrapent largement la mise.

Le Château Talbot 1998 a une belle structure solide. Son nez est profond, typé, de grande expression.

Le Château Rauzan Gassies 1998 est très différent. Il a plus de rondeur, de fruit, de grâce. Il est très Margaux. Le Talbot est plus profond et le Rauzan-Gassies est plus charmeur. Les deux vins sont bons et montrent que 1998, sans exubérance, se boit bien.

Entre les deux rouges, nous avons intercalé un bourgogne blanc, un Vougeot premier cru les Cras domaine Bertagna 2007 qui est une belle surprise, car je ne l’attendais pas si gouleyant.

Comme à chacun de nos repas, les conscrits refont le monde dans l’amitié.

Déjeuner à l’Arpège mardi, 16 mars 2010

Lorsque Cédric est apparu à l’un de mes dîners, son amour du vin, sa compétence, ses envies ont immédiatement enfanté une amitié coup de foudre. Nous avons bâti mille plans pour goûter le plus extrême, le plus subtil et le plus charmant. Un petit pépin de santé a mis un frein à ces projets et Cédric m’a demandé un an de répit. Au terme de sa pause sabbatique, je l’appelle pour des retrouvailles. Il me dit : « rendez-vous chez Alain Passard. Je t’invite et tu apportes le vin ».

Le jour dit, je suis très en avance. J’ai donc le temps de bavarder avec Gaylord, le sommelier qui en d’autres endroits a participé au service du vin lors de certains de mes dîners. Il se souvient que grâce à moi, il a bu Yquem 1907 dont il garde un souvenir impérissable. Cédric arrive et dès les premiers mots, c’est comme si nous nous étions quittés hier. Et avec la même folie et le même enthousiasme, nous bâtissons mille projets, comme s’il fallait absolument rattraper le temps perdu.

Cédric est un habitué du restaurant Arpège, et il a demandé à Alain Passard de mettre les petits plats dans les grands. Le menu impromptu veut voler à Ferran Adria la palme du plus grand nombre de plats. C’est un voyage dans l’univers créatif d’Alain. Sur deux plats je n’ai pas vibré outre mesure : un carpaccio de coquilles Saint-Jacques dont l’acidité de la sauce bride le sucré naturel de la coquille, et une asperge blanche emmitouflée elle aussi dans des saveurs citronnées qui mettent une camisole autour des amertumes naturelles délicieuses de l’asperge. Mais sur tous les autres, ce fut un festival exceptionnel, la palme revenant au pigeon à l’hibiscus et au blini de saumon sauvage.

J’ai apporté deux vins dont Cédric doit choisir un seul. Un Marquès de Riscal Rioja 1992 et un Mission Haut-Brion 1978. Après l’assaut de politesse où chacun dit : « non, c’est toi qui choisis », je fais ouvrir le Mission Haut-Brion 1978. Gaylord n’a pas les outils pour extraire un bouchon qui part en charpie. Je l’aide à finir l’ouverture pour éviter un carafage. Le parfum de ce vin est éblouissant. Au jeu des sept familles, il joue dans la famille Haut-Brion, avec une richesse aromatique rare. En bouche, l’attaque est riche, pleine, solide comme un Graves. Et ce qui est étonnant, c’est que le final au goût précis s’arrête instantanément. Le vin est court tout en étant riche, son temps d’exposition étant réglé sur le minimum.

Selon les plats le vin déploie de nouveaux charmes. Il est impérial sur un plat de foies de poulet. J’aime sa sérénité, son côté très prévisible dans la complexité. Nous parlons, nous parlons, les plats se multiplient, et ce qui devait arriver est arrivé : la marée est devenue basse. Il faut ouvrir le vin espagnol. Alain qui passe à proximité se moque de nous, raillant les simagrées que nous avions faites sur le choix du vin à boire, puisqu’il eût été plus simple d’ouvrir immédiatement les deux. A l’ouverture, nous sommes saisis par le nez du vin espagnol, d’une fraîcheur rare, et par le côté opulent et frais qu’il a en bouche. C’est un vin agréable, qui n’a pas la complexité du bordelais, mais dont la joie de vivre est charmante. Ce que j’aime, c’est que sous la puissance certaine, il y a une expression de fraîcheur et de gracilité.

Cédric est le premier à signaler que le vin se referme. Il aura suffi de moins de dix minutes pour que la fraîcheur aérienne se transforme en rigidité, le vin perdant de son charme, tout en étant un vin qui n’entraînerait que des approbations dans d’autres contextes.

Alain Passard est en pleine forme et sa création s’en ressent. Les plats montrent une belle inventivité sur une structure raisonnée des goûts. Le personnel est joyeux, aimable, créant une atmosphère tonique. C’est un vrai grand restaurant sympathique où l’on mange bien. Les retrouvailles avec un gourmet furent une réussite et appellent des suites.

Déjeuner à l’Arpège – photos mardi, 16 mars 2010

la présentation de la table, et la décoration, que l’on retrouve sur les menus

les vins que j’ai apportés, Maquès de Riscal 1992 et Mission Haut-Brion 1978

l’oeuf traditionnel de l’Arpège et des raviolis

homard et carpaccio de coquilles Saint-Jacques

foies et gésiers

asperge blanche et blini de saumon sauvage

risotto et coquille Saint-Jacques

pigeon à l’hibiscus et Comté de l’année 2006

le millefeuille énorme sur le chariot et énorme sur l’assiette

« Talents du luxe et de la création » à l’hôtel Intercontinental lundi, 15 mars 2010

Richard Geoffroy est l’homme qui crée Dom Pérignon. Nous éprouvons un grand plaisir à goûter ensemble des vins et une amitié particulière est née entre nous. Alors bien sûr, j’aimerais le voir plus souvent. Il est tellement accaparé par sa fonction que les fenêtres de tir pour se rencontrer sont étroites.

Il m’appelle et me dit : « voici une occasion de nous voir. Un dîner de gala est destiné à couronner des créateurs et acteurs des métiers du luxe. J’ai une table avec des gens sympathiques. Veux-tu en être ? ». Je dis oui.

Arrivant en avance, je m’octroie une petite folie, je commande sous la grande verrière de l’hôtel Intercontinental Opéra un whisky Macalan douze ans d’âge. Dix minutes plus tard, je ne vois rien venir. Quand je ne suis pas content, ça se remarque, même dans un espace aussi vaste que le hall de cet hôtel. Il a fallu trois rappels pour que j’obtienne enfin ce délicieux breuvage, au doucereux délicat.

Les participants du dîner arrivent, pour la cérémonie de remise des « Talents du luxe et de la création ». Plus on est créateur, plus il faut le montrer dans sa tenue. Cette extravagance est d’un grand conformisme, comme pour répondre à un code. Pendant le long apéritif je bavarde avec Sandrine Garbay, l’homologue pour la création d’Yquem de Richard Geoffroy qui crée Dom Pérignon.

Nous sommes très serrés dans la salle Opéra construite par Garnier. Je ne me suis jamais senti bien dans cette salle dont la hauteur sous plafond est de plus de dix mètres, aux colonnades chargées entourant de larges miroirs disposés en demi-cercle qui faussent la perspective de la salle à l’acoustique déplaisante.

Les tables sont à touche-touche, les coudes sont serrés contre ceux des voisins. Les remises de prix sont interminables, et l’ambiance ressemble à celle des cérémonies des Molière, des victoires de la Musique ou des Césars, car c’est la loi du genre. Une chose est amusante, c’est qu’à de rares exceptions près, les créateurs primés, étonnés de leur victoire, ne savent dire qu’un mot : « merci », ce qui nous a épargné les listes de gens remerciés, aussi longues que des génériques de films. Alors que pour chacun des treize prix il y avait quatre nominés, un prix particulier est remis sans concurrence : un prix spécial de la continuité historique est remis à Richard Geoffroy porteur de la continuité historique de Dom Pérignon.

Etant assis à côté de Jean-François Piège, je me suis amusé à voir s’il éprouvait la même tristesse que moi devant la qualité des plats. On ne peut pas dire que c’est mauvais, mais on doit dire que ce n’est pas bon. Jean-François s’est lâché au moment du dessert dont le goût évoquait trop ces liquides de lave-vaisselle bon marché. Et le vin dans tout ça ? Vincent, l’adjoint de Richard constate avec amusement que notre dîner est sobre, car les bouteilles d’eau se succèdent à notre table à un rythme soutenu, les vins dissuadant de tout effort de les comprendre. C’est pourquoi je ne les nomme pas.

Si le luxe nous environnait de toute part tant les créateurs de bijoux, de montres, d’objets de décoration, de robes et de chemise étaient nombreux, il avait complètement abandonné la partie culinaire. C’est bien dommage au pays de la gastronomie. Une grande marque d’épicerie de luxe a posé sur la table pour chaque invité des petits sacs à son logo contenant deux mignonnettes à capsules à vis, l’une de sauvignon, l’autre de syrah. France, ton luxe fout le camp !

Des discussions passionnantes ont sauvé la mise. Et j’ai partagé quelques heures avec Richard Geoffroy, toujours riche de mille projets.

Côte Rôtie La Turque 1995 et Charles Heidsieck 1985 samedi, 13 mars 2010

Ma fille aînée, leader du club des Ginette vient déjeuner à la maison avec son compagnon et ses deux filles. Sur des gressins tortillés de saumon, un Champagne Charles Heidsieck 1985 montre que l’âge n’a pas de prise sur lui. La couleur est légèrement dorée, mais jeune encore, la bulle est présente, et le goût est fruité et joyeux. Il est presque sucré tant il est doux, mais cela n’enlève rien à sa race. Le champagne répond mieux sur des gressins au jambon fumé. Il gagne en profondeur. Et c’est surtout sur la poutargue découpée en fines tranches que le champagne trouve l’excitation idéale. Car la salinité des œufs de mulet donne au doucereux du champagne une longueur quasi irréelle. On se sent bien avec ce champagne de 25 ans.

Nous passons à table et l’osso buco aux champignons, où la tomate n’est présente qu’en trace, accueille l’Himalaya du vin de Ginette : une Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. Le nez est une bombe aromatique. En bouche c’est un coulis de fruits rouges et noirs, comme la mûre et la groseille qui prennent possession du palais qui devient l’otage du vin. Il y a une prise de pouvoir, sans possibilité de discussion, d’un vin impérial, impérieux, qui dicte sa loi. Le vin est riche, goûteux, charnu, possessif, et l’on ne peut que suivre son charme, sans échappatoire possible. Ce vin de quinze ans fait comme s’il en avait deux. Il envahit l’espace, et l’on est heureux. Il est la sublimation du vin moderne, en donnant à cette acception un sens positif qu’elle n’a normalement pas.

Il faudrait sans doute qu’il attende une bonne décennie de plus pour adoucir son agressivité juvénile, mais force est de constater que ce vin figure au sommet de l’art du vin du Rhône. C’est un vin immense.

Le camembert fait des signes d’amitié au vin du Rhône, beaucoup plus qu’au reste de champagne. Le dessert n’appelle aucun des deux vins, tarte au chocolat avec une petite salade d’ananas et de mangue. Ce fut un beau déjeuner de famille.

Académie des Vins anciens – 13ème séance du 10 juin 2010 – note d’annonce vendredi, 12 mars 2010

Académie des Vins anciens – 13ème séance du 10 juin 2010 – note d’annonce qui permet de s’inscrire dès à présent

Informations sur la 13ème séance de l’académie des vins anciens du 10 juin 2010 :

>>> l’expérience a montré qu’il est bon de lire entièrement et minutieusement ce qui est indiqué ci-après

Lieu de la réunion : restaurant Macéo 15 r Petits Champs 75001 PARIS 01 42 97 53 85

Date de la réunion : c’est le 10 juin à 19 heures, heure absolument impérative.

Coût de la participation : 120 € pour un académicien qui vient avec une bouteille ancienne. 240 € pour les académiciens sans bouteille. Chèque à adresser dès maintenant à l’ordre de "François Audouze AVA" à l’adresse suivante : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec.

Inscription : par mail à François Audouze

Proposition de vins anciens : indiquer toutes informations sur l’état et le niveau. Toute bouteille proposée doit être agréée par François Audouze.

Nouveautés : il est possible de proposer une bouteille récente de qualité, qui sera remplacée à la réunion par un vin ancien de François Audouze. Et il est possible d’ajouter une bouteille de bas niveau à la bouteille "officielle" qui sera agréée. François Audouze gérera le nombre maximum admissible de bouteilles de bas niveaux.

Dates limites : livrer les bouteilles après approbation avant le 10 mai. Envoyer votre chèque avant le 10 mai, date vraiment limite.

Nota : les chèques reçus avant la séance ne sont pas remis en banque avant la séance. Il n’y a donc aucun avantage à retarder l’envoi.

Livraison des bouteilles : Si vous déposez les bouteilles, faites le au bureau de la maison de champagne Henriot 5 rue la Boétie 75008 PARIS – tél : 01.47.42.18.06. C’est au deuxième étage. Indiquez bien votre nom sur votre paquet, mais surtout, n’écrivez rien sur les bouteilles et ne collez rien sur les bouteilles. Ne mettez pas votre chèque avec la bouteille.

Si vous expédiez les bouteilles, faites le à l’adresse de mon bureau : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec, et je les garderai dans ma cave. Bien indiquer ACIPAR sur l’adresse de livraison

Informations complémentaires : Vous pouvez vous informer sur les précédentes réunions en regardant sur le blog, dans la catégorie « académie des vins anciens ».

Académie des vins anciens 12è séance – le récit vendredi, 12 mars 2010

La douzième séance de l’académie des vins anciens se tient une nouvelle fois au premier étage du restaurant Macéo et j’apprends à cette occasion que la salle est appelée « salle de bal ». Nous sommes deux fois moins nombreux que d’habitude. Nous pouvons innover en formant une table de vingt personnes, ce qui permet des discussions transversales. L’ambiance y a gagné.

Il y a l’équivalent de 29 bouteilles, aussi ai-je organisé deux groupes de dégustation de dix personnes ayant accès à plus de quinze vins puisque certaines bouteilles seront partagées en vingt parts au lieu de dix.

Je suis venu à 17 heures et malgré la présence d’un ami fidèle venu pour m’aider, j’ai ouvert toutes les bouteilles, découvrant parfois des odeurs quasi insupportables comme celles des deux Hospices de Beaune 1929 ou du Gewurztraminer 1959. Le temps faisant son œuvre certaines odeurs ont disparu. Les plus belles odeurs à l’ouverture sont celle du magnum de Léoville Las Cases 1924 au parfum tellement extraordinaire que j’ai vite rebouché pour conserver intacte cette fragrance rare, le vin d’Arbois de 1979 au nez tonitruant, le Chablis 1972 aux senteurs d’anthologie et le Fonplégade 1947 diablement prometteur.

Pour attendre les retardataires, nous partageons deux bouteilles de Champagne Pommery & Gréno Brut Royal. Au vu du bouchon devenu parfaitement cylindrique, on donnerait 25 ans à ce champagne, mais en bouche, on irait volontiers vers trente ans. La bulle est peu active mais la sensation pétillante est intacte, le nez est parfois imprécis. La bouche est plus qu’agréable, avec le charme particulier des champagnes anciens. C’est un régal ponctué de délicieuses gougères.

Le menu conçu par le restaurant Macéo est très agréablement exécuté : Concentré de châtaignes, châtaignes fumées & foie gras / Saint- Jacques d’Erquy marinées et fines betteraves condimentées / Bar sauvage doré sur peau et capuccino de crustacés, topinambours aux herbes / Noisette de quasi de veau fermier, tendres endives et champignons sauvages / Croquant de clémentines & agrumes zestés et Soupe de chocolat intense, crème arabica. A chaque expérience, j’ai l’impression que la qualité de la cuisine s’améliore.

Nous passons à table et le service de Guillaume, habile sommelier, délimite bien les deux groupes. Me trouvant à la limite territoriale des deux groupes, j’ai la chance qu’il y ait des incursions frontalières à mon profit. Je voulais offrir à mes amis académiciens un Champagne Mumm Cordon Rouge magnum 1937. Au moment où je l’ai saisi en cave, je me suis aperçu que deux tiers du liquide s’étaient évaporés, sans que l’étagère où il était stocké ne soit tachée. Le jeter, c’eût été dommage, aussi ai-je ajouté d’autres vins, tout en prévoyant que celui-ci soit goûté. Le nez n’est pas désagréable. Le vin sans bulle est buvable, léger, aqueux, sans trace de fruit. A l’inverse, le Champagne Veuve Clicquot 1953 au niveau très bas, que j’avais demandé à un ami d’ajouter à son apport prévu, s’il a aussi perdu sa bulle, offre un beau fruit jaune joyeux et plaisant. Un vrai plaisir de champagne ancien.

Les Petites Granges, Bordeaux blanc 1955 est une immense surprise. Lorsque je l’avais pris dans ma cave, j’avais été séduit par la beauté de son étiquette. Le niveau était à mi-épaule, et la couleur avenante. Je l’ai posé dans la case prévue pour l’académie, et lorsque j’ai voulu photographier les bouteilles, au moment où je la saisis, quelques semaines après l’avoir sélectionnée, je constate que la capsule s’est ouverte comme la corolle d’une fleur, et le bouchon est remonté dans le goulot de près d’un centimètre. La couleur, quant à elle, s’est ambrée. Au moment où j’ai ouvert le vin avant le dîner, il a suffi que je plante le tirebouchon pour que le bouchon s’expulse avec le bruit d’un bouchon de champagne que l’on fait sauter. Et le vide de la bouteille s’est rempli d’un gaz opaque comme du brouillard. Le vin avait donc déclanché une nouvelle fermentation, à un niveau que j’ai rarement rencontré. Alors, qu’y a-t-il dans le verre qui nous est versé ? C’est une saveur inconnue. On dirait une sorte de ratafia de champagne, comme si l’on avait mélangé un jeune champagne avec de l’eau de vie. Au-delà de la curiosité, ce vin inclassable, même s’il est buvable et bien excité par le velouté, n’apporte pas une franche émotion.

Le Chablis Montée de Tonnerre Raveneau 1972 servi au deuxième groupe est tout à l’opposé. Son odeur est la définition absolue du Chablis parfait. On pourrait s’arrêter à cette seule odeur tant elle est envoûtante, avec une minéralité exacerbée. En bouche le vin est grand, j’oserais dire parfait mais c’est peut-être un peu trop dire, car le goût n’est pas à la hauteur du parfum.

A ce stade, je constate que Guillaume, appliquant un sage principe de précaution, ne verse que la moitié de la bouteille dans les verres du groupe auquel le vin est affecté. Cela me donne une idée : si Guillaume est capable de verser la moitié d’une bouteille à dix personnes, cela veut dire qu’il est capable de verser la bouteille entière à vingt personnes. La décision qui s’impose est immédiatement prise : nous ne formerons plus qu’un groupe et partagerons tous les vins en vingt et pas en vain.

Le Château Bouscaut blanc 1959 a une magnifique couleur dorée. Solide bordeaux blanc, il a une façon de résister aux atteintes du temps qui est remarquable. Rond, puissant, joyeux, il est agréable, sans toutefois la petite once de folie que sa couleur promettait.

Le Château Brane-Cantenac 1959, d’un niveau un peu bas se présente fort joliment. Il n’a pas l’exubérance de son millésime et joue un peu en dedans. Le Château d’Arsac Margaux 1925 est d’une remarquable constance, car ce n’est pas la première fois que nous le goûtons, et chaque fois, c’est une belle surprise, car on ne l’attendrait pas à ce niveau. Avec un léger goût de framboise, il est d’un charme particulier.

Un nouvel académicien nous a fait le plaisir d’apporter trois millésimes d’un même château. Le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1955 est extrêmement plaisant. Son nez est bien formé, la bouche est agréable. Il lui manque un peu de structure et d’imagination, mais le plaisir est là.

Je suis heureux que les académiciens aient apporté autant de 1955, année particulièrement agréable à boire en ce moment. Le Château Clos-Fourtet 1955 est un saint-émilion solide s’il en est. Je prends un grand plaisir – et je ne suis pas le seul – avec ce vin. Le Château de Pez 1955 est une belle surprise. Un académicien dit qu’il verrait bien le Clos Fourtet en rive gauche et le Pez en rive droite, tant ils semblent avoir échangé leurs caractéristiques, mais en goûtant à nouveau le Clos Fourtet, son nez de truffe indique qu’il est vraiment de son appellation.

Le Château Malescot Saint Exupery 1961 nous donne comme un coup de poing qui rappelle opportunément que si 1955 est plaisant, 1961 est à de nombreuses coudées au dessus. Ce vin est d’une facture exemplaire. Il a tout pour lui à ce stade de sa vie où il apparaît éternel. C’est un grand vin. Le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1953 se présente avec un niveau qualitatif beaucoup plus grand que le 1955. Il dépasse même les canons de son appellation. Je prends un grand plaisir avec ce vin bien fait. Hélas, le Château Roudier, Montagne Saint-Émilion Roudier 1943, son aîné de dix ans, est bouchonné. L’académicien qui avait apporté des bouteilles de réserve pour chaque vin suggère que l’on ouvre l’autre 1943. La sagesse, vu notre programme, est de ne pas le faire. Nous saisirons une autre occasion.

Le Château Fonplégade Saint-Émilion 1947 que j’ai apporté est une pure merveille et il dépasse largement le 1961. Nous sommes avec ce vin à des hauteurs gustatives qui justifient l’amour que l’on peut avoir pour les bordeaux. Le vin est grand, pur, plein, parfait, au parfum capiteux.

Le Château La Gaffelière Saint-Émilion 1969 qui est servi en intermède avant le 1924 a bien du mal à succéder au 1947. Plaisant, il est un peu court. A ses côtés, le Château Lynch-Moussas 1970 est beaucoup plus ingambe, d’une jeunesse bien préservée. Je n’ai pas beaucoup de temps pour analyser ces deux vins car arrive un sommet gustatif : le Magnum de Léoville Las Cases 1924. Je prends la parole pour demander à tous mes amis de porter toute leur attention sur un goût qui fait partie des plus belles merveilles que l’on puisse rencontrer. A l’aile gauche de la table, je sens un brouhaha réprobateur. Remettrait-on en cause la parole du président ? Apparemment certains ne vibrent pas comme moi à ce parfum de framboise, signe d’une évolution à la bourguignonne, qui enveloppe délicatement le Saint-Julien élégant. J’adore ce vin et sa petite déviance charmante.

Par hasard, les bourgognes sont aujourd’hui peu nombreux et de niveaux bas. Aussi ai-je peu porté mon attention sur eux, le seul souvenir, puisque je n’ai pas pris de notes, c’est qu’ils n’ont pas entraîné de ma part une réelle émotion. Le Romanée St Vivant Pierre Bourée 1957 a dû connaître des fuites dues à la défaillance du bouchon, et une cire récente a tenté de stopper l’érosion. Le vin a un nez agréable, mais manque de corps. Les deux bouteilles d’Hospices de Beaune Brunet 1929 ont été ajoutées par un académicien à son apport du magnifique Chablis. Les bas niveaux ne se conçoivent en effet « qu’en plus ». A l’ouverture, les odeurs de sous-bois, de champignon, de vieille armoire indiquaient que le retour à la vie serait lent. Malgré un millésime de première grandeur, il n’y eut pas beaucoup plus qu’une esquisse d’intérêt.

Les vins du Jura sont mes chouchous et j’ai développé un amour particulier pour les vins de l’Etoile. Le Château l’Etoile, vin de l’Etoile Vandelle 1967 provient de mes achats récents à la Percée du vin jaune. Qu’on ne me demande pas d’être objectif pour ce vin au parfum fort et inhabituel. Le vin échappe aux normes, mais me donne de vraies sensations de bonheur. Il est fumé, étrange et envoûtant. Le Vin du Jura jaune Rolet 1979 a un nez impérieux. C’est toute la splendeur du vin jaune qui envahit les narines. En bouche le vin est bon, mais n’atteint pas la joliesse de son parfum.

Si le Gewurztraminer Clos Zisser (Klipfel) 1959 avait été ouvert au moment de le boire, la bouteille eût été rejetée. Car le bouchon sentait la terre au-delà de toute raison. Les six heures de repos ont permis au vin de se reconstituer et de devenir un solide Gewurztraminer, d’une belle année.

Lorsque j’avais saisi en cave le Château Guiraud 1971, j’avais été impressionné par son élégante couleur d’un cuivre discret. Dans le verre, cette couleur est encore plus brillante. Le vin est délicat, n’en fait pas trop, mais satisfait par la mise en page mesurée de son message.

Le supposé Madère très vieux vers 1850 est effectivement un madère d’un rare équilibre. Tout en lui est élégant.

Pour étancher une éventuelle soif finale, un Champagne Selosse Brut Initial rafraîchit les papilles qui ont été sollicitées tout au long de la soirée et marque un point final de jeunesse à ce beau dîner de l’académie.

On ne vote pas dans ces séances, mais c’est intéressant de classer le souvenir de ces vins. Voici ce que mon palais a retenu : 1 – Château Fonplégade Saint-Emilion 1947, 2 – Chablis Montée de Tonnerre Raveneau 1972, 3 – Magnum de Léoville Las Cases 1924, 4 – Supposé Madère très vieux # 1850, 5 – Malescot St Exupery 1961, 6 – Château de l’Etoile, vin de l’Etoile Vandelle 1967, 7 – Château d’Arsac Margaux 1925, 8 – Château Roudier, Montagne Saint-Emilion Roudier 1953, 9 – Château Guiraud 1971, 10 – Château Clos-Fourtet 1955, 11 – Château Bouscaut blanc 1959, 12 – Vin du Jura jaune Rolet 1979, 13 – Château de Pez 1955.

Ayant accepté que des académiciens ajoutent à leurs apports des vins de bas niveau, il est légitime que certains vins n’aient pas la qualité que l’on pourrait attendre, mais cela fait partie de la règle acceptée, car à côté d’eux, les vins « légitimes » ont particulièrement brillé. Autour d’une table agencée comme pour un banquet, nous avons passé une excellente soirée, avec des vins qui marqueront nos mémoires.