déjeuner du 25 décembre – les photos vendredi, 25 décembre 2009

Le Dom Pérignon 1962 a retrouvé une belle couleur et il devient absolument charmant après 16 heures d’oxygène

Champagne Krug Collection 1982 (le sapin et le feu de cheminée forment avec le Krug un décor évocateur de Noël)

Les deux demi-bouteilles de Château Haut-Brion blanc 1992. A noter « absolument », le cachet de la cave de la Tour d’argent !

Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1999. On note sur la capsule deux points, l’un sous le « de » et l’autre sous le « co » de Conti. Pourquoi ? On constate, une fois la capsule enlevée, qu’un de ces points est le départ d’un possible pourrissement du bouchon, très net sur la photo de droite.

Autre énigme : que veulent dire ce « V » et ce « S » ?

Le beau bouchon. On voit sur la droite qu’il a un renflement au niveau du nom « Romanée Conti » puis un creux.

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974. On voit que le bouchon mentionne « Marey-Monge ». Le bouchon est très beau. Sur la capsule, il n’y a pas les deux petits points de la capsule du Montrachet.

Hermitage Chave 1988

Vega Sicilia Unico Reserva Especial qui a donné lieu à 5.500 bouteilles.

le verre est gravé

Domaine de la Forêt Haut-Preignac 1920. C’est très curieux que la capsule ne comporte que le mot « Preignac », alors que bouchon indique bien « Forêt », avec le nom du propriétaire.

Quelle belle bouteille :

le filet de boeuf en croûte avec sa purée

la mangue avec ses grains de fruits de la passion (j’ai déjà mangé un peu avant de prendre la photo)

la merveilleuse couleur du Madère situé vers 1828

Bons vins, bonne chère, feu de cheminée. Même les plus braves succombent!

déjeuner de Noël en famille vendredi, 25 décembre 2009

La famille est au complet pour le déjeuner du 25 décembre. Le Champagne Dom Pérignon 1962 est resté toute la nuit dehors. Une petite amertume subsiste encore, mais le champagne a vraiment reconquis son statut. C’est un grand champagne, qui évoque le zeste de citron, riche d’une belle complexité aux saveurs oranges, devenu plus doux. Les petits toasts de foie gras sont du velours pour mettre en valeur sa délicatesse.

Le Champagne Krug Collection 1982 est un monument. Tout en lui est d’une délicatesse et d’une noblesse de fond. Rien n’est excessif et tout est parfait. Nous avons en bouche la définition du champagne parfait sans le moindre excès, où l’équilibre le plus pur est recherché. Alors, bien sûr, selon ses goûts, on penche vers l’un ou vers l’autre. Mon fils préfère le Dom Pérignon. Ayant encore le souvenir des blessures de la veille, mon cœur penche vers le Krug Collection 1982.

A table, nous commençons par des coquilles Saint-Jacques juste poêlées. Le Château Haut-Brion blanc en ½ 1992 de la Tour d’Argent (d’un achat récent) est absolument exceptionnel, avec des évocations citronnées d’une rare élégance. A côté de lui, un symbole de l’excellence du vignoble français. Quand on veut offrir aux siens un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, ce n’est pas par hasard. Bien évidemment, on s’attend à ce que le Montrachet domine le Graves. L’opulence en bouche et le final inextinguible et puissant indiquent que le combat sera sans égal. Or lorsque j’observe mes deux verres, celui qui se vide le plus vite est celui du Haut-Brion. Et je repense à la critique assassine qu’avait faite Aubert de Villaine lorsqu’il avait bu Haut-Brion blanc 1966 qu’il avait éreinté. Ici, celui qui me plaît le plus, c’est le Haut-Brion, même si le Montrachet est immense. Le montrachet, c’est la puissance, l’explosion gustative et le final en trompette. Le Haut-Brion, c’est l’acidité ciselée et une finesse de trame hors du commun. Voir que le vin le moins célèbre, qui plus est d’une année sans panache, se pousse du col au dessus de l’icône, cela me fait plaisir.

Pour la pièce de bœuf en croûte, fourrée au foie gras, nous avons cinq vins. Les trois ouverts la veille et les deux que j’ai ouverts ce matin. Pour respecter l’ordre des puissances, nous allons goûter une première série de trois vins. La Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974 est l’expression pure et simple du génie bourguignon, et, plus précisément, du génie de la Romanée Conti. Ce vin aux accents salins, de coquille d’huître, est une pure merveille. A se damner.

A côté, l’Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1967 a fait beaucoup de progrès par rapport à la veille. Il s’est épanoui, élargi, et mon gendre constate comme je l’avais fait hier, l’étonnant aspect bourguignon de ce délicieux Hermitage. En troisième, l’Hermitage Chave rouge 1988 joue comme hier le rôle de l’étalon, qui montre la pureté que peut atteindre l’Hermitage, sans toutefois enflammer les foules. On revient, on revient sans cesse vers la Romanée Saint-Vivant, diablesse tentatrice au goût inénarrable.

La deuxième série des vins rouges sur le plat met en confrontation la Côte-Rôtie La Turque Guigal 1995 qui a bien profité de sa nuit d’oxygénation et le Vega Sicilia Unico Reserva Especial très vieux. Je serais bien incapable de dater le Vega Sicilia, mais sa couleur très pâle, très café clair, indique qu’il doit être vraiment très vieux. Disons dans les années cinquante. Il est fort en alcool, alors que l’étiquette n’indique modestement que 13,8°, et s’amuse à jouer les portos qui flirteraient avec du café. Ce vin est déroutant, atypique, hors norme, mais sacrément intéressant. La Côte Rôtie, élargie par sa nuit blanche, est devenue parfaite, exacte définition de ce qu’une Turque doit être. Mais, qu’on le veuille ou non, on revient au Marey-Monge, petite pépite de la Romanée Conti.

Les rouges s’amusent avec les deux camemberts de la veille, sans qu’aucune répulsion ne se manifeste.

Ma femme a prévu des mangues en tranches avec quelques grains de fruits de la passion. C’est idéal pour le Domaine de la Forêt Haut-Preignac 1920, sauternes à la couleur merveilleuse, dont le bouchon indiquait bien l’origine ainsi que le nom du propriétaire, un monsieur Mathieu. Le vin est remarquable. On pourrait lui appliquer les slogans publicitaires : « il a tout d’un grand », voire : « pas assez cher, mon fils », car ce sauternes dont je n’ai aucune idée de l’origine dans ma cave joue en première division. Les notes d’agrumes sont parfaites, l’équilibre général est étonnant tant il joue haut. C’est un grand vin.

Pour finir, j’ai servi le Brown Madeira 1828 dont il restait une bonne part après le dîner chez Jean-Philippe Durand. Il est certain que ce vin sublime est tellement hors norme qu’il éclabousse tous les autres. On est au niveau de la perfection la plus absolue.

Alors s’il faut voter, ce sera : 1 – Brown Madeira 1828, 2 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974, 3 – Château Haut-Brion blanc en ½ 1992, 4 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, 5 – Krug Collection 1982. Sans que je cherche d’une quelconque façon à déboulonner les icônes, car je n’y vois aucune gratification, je ne suis pas mécontent que des vins inattendus prennent les premières places. Car sur le papier, c’est le Montrachet et le Krug qui seraient les leaders. Ils furent grands. Mais de belles surprises ont ravi nos âmes.

Dans une atmosphère de joie familiale, des vins se sont montrés immenses. C’est un cadeau de Noël de plus.

réveillon du 24 décembre – photos jeudi, 24 décembre 2009

Champagne Krug 1988

Champagne Dom Pérignon 1962 (le bouchon est apparu noir, sale, et l’odeur a mis plusieurs heures à se reconstituer)

Hermitage Rochefine Jaboulet-Vercherre 1967 (on remarque que cette bouteille a dû être entourée d’un fil métallique croisé, comme cela se faisait)

Côte Rôtie La Turque Guigal 1995

N’oublions pas que c’est quand même pour elles que Noël se fête !

La tarte au citron légendaire de mon épouse, demandée par ma fille qui l’adore

Le prélude à de beaux rêves, une Tarragone du début du siècle dernier

dîner de Noël en famille réduite jeudi, 24 décembre 2009

Ma femme reçoit pour le premier repas de Noël notre fille aînée, son conjoint et nos deux petites filles. L’apéritif est fait de fines tranches de jambon espagnol qui accompagnent un Champagne Krug 1988. Très précis, riche d’expression, ce champagne est en pleine possession de sa maturité. Les cadeaux s’échangent, toujours nombreux et généreux, entraînant des « oh » et des « ah », dont la durée de vie est éphémère tant le cadeau suivant captive instantanément. Nous passons à table et sur deux terrines de foie gras, j’ai prévu un Champagne Dom Pérignon 1962. Hélas à l’ouverture, ce champagne dont le bouchon est gras est noir, a une odeur désagréable. Je décide de le laisser s’épanouir à l’air frais du dehors. Nous goûtons dès à présent l’Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1967 de l’année de naissance de ma fille. A l’ouverture, l’odeur m’était apparue subtile. Le vin confirme et c’est un Hermitage délicat, délicieusement bourguignon, avec un fruit aimable. Peu de temps après, c’est une impression poussiéreuse, de cendre de cheminée qui s’impose à nos palais. Je décide d’ouvrir un Hermitage Chave rouge 1988 qui a la beauté de construction des vins de Jean-Louis Chave, et une discrétion propre à l’année. C’est assez amusant de voir les similitudes de ces deux Hermitage et de constater que les deux développent des amertumes bourguignonnes. Comme le Jaboulet s’est à nouveau réveillé, nous profitons de deux Hermitage délicats, à la puissance faible mais à l’évocation aimable.

Sur le canard au miel et aux pommes de terre en robe des champs, c’est l’heure de la Côte-Rôtie La Turque Guigal 1995. Le nez à l’ouverture était une bombe de cerises noires et cassis. On retrouve cette générosité immense dès les premières gorgées. Ce vin généreux est porteur de plaisir. Il est fondamentalement différent de la Landonne 1991. Ce 1995 est encore d’une folle jeunesse alors que le 1991 avait atteint la sérénité. Le match entre deux camemberts, Réo et Lanquetot est gagné par K.O. par le Réo, magnifique fromage et les vins du Rhône ne sont pas du tout inappropriés à leur contact.

Le Dom Pérignon 1962 s’est débarrassé de presque tous ses défauts même s’il reste encore une amertume qui limite le message. On sent l’immensité de la complexité de ce champagne limitée par l’imperfection du bouchon. La tarte au citron meringuée était le désir de ma fille. Aucun vin ne lui convient. Aussi, juste avant d’aller dormir, un petit verre d’une miraculeuse Tarragone est le plus beau viatique pour prolonger dans les rêves la magie de Noël.

des vins « hors piste » et une conquérante Landonne mardi, 22 décembre 2009

La semaine dernière, il y avait eu le dîner chez Jean-Philippe, où Luc était présent, et le casual Friday auquel assistait Juan-Carlos. Luc et Juan-Carlos se connaissent de longue date. Luc étant rarement en France et Juan-Carlos devant quitter la France pour les Amériques, ils avaient envie de fêter à deux leur dernière rencontre à Paris. Jean-Philippe l’apprenant voulut se joindre à eux. Juan-Carlos arrive à mon bureau pour m’apporter deux bouteilles du 19ème siècle que je lui achète. Il me dit : « ce soir, je dîne avec Luc et Jean-Philippe ». L’envie de partager des vins avec ces trois amis est trop forte. J’appelle vite ma femme pour la prier de se joindre à nous. Elle me répond : « vous allez encore parler de vin. Ça sera sans moi ». Elle eut raison puisque nous avons parlé de vins. Mais elle eut tort, puisque sa présence nous en eût dissuadés.

Le rendez-vous est pris au restaurant Laurent et je m’y présente une heure avant pour ouvrir deux des quatre vins que j’ai dans ma musette. Les amis arrivent et nous commençons par un Champagne Laurent Perrier 1973. Dès la première gorgée, j’ai un choc gustatif majeur. L’image que donne ce champagne est celui d’une descente. Car on peut analyser, presque comme dans un film au ralenti, la superbe évolution du champagne en bouche, en un parcours quasi infini. Et l’image de la descente est la plus pertinente. J’évoque à mes amis les films musicaux américains des années quarante où la meneuse de revue, richement déshabillée, descend les marches blanches avec des déhanchements lascifs. C’est l’impression que donne ce champagne au final ondulant infini. Quelle grâce ! Et ce qui est intéressant, c’est que le champagne est sec. Dans la majorité des cas, l’âge adoucit le goût, alors qu’avec ce Laurent Perrier le caractère sec s’est renforcé. Lorsque le champagne s’est épanoui, l’image qui m’est venue est celle d’une orchidée blanche zébrée d’un trait de violet. Il y a cette élégance dans ce beau champagne.

Nous passons à table, et faute d’oursins et de lièvre à la royale, nous prendrons des langoustines, des coquilles Saint-Jacques juste poêlées avec des petits champignons et le classique plat de pieds de porc à la purée de pomme de terre.

Le Chevalier-Montrachet Domaine Chartron 1992 devrait nous combler d’aise. Mais je suis le premier à refroidir l’enthousiasme en déclarant que le vin est anormalement court. Comme il est servi froid, nous le réchauffons, et il s’obstine à n’offrir ni largeur ni opulence. Il reste coincé, étriqué et âpre. Luc attend de son chouchou qu’il s’épanouisse au fil du temps, mais le vin restera coincé et absent tout au long du repas.

Le vin que j’ai ouvert est présenté à l’aveugle. J’avais juste dit que ce n’est pas un rouge. Le liquide clairet que nous avons dans le verre est-il un blanc ou un rosé ? Le nez est extrêmement puissant. En bouche c’est l’invasion des Sarrasins à Poitiers qu’aucun Charles Martel ne semble de taille à contenir. Le vin est beau. Jean-Philippe cherche dans la direction des maisons de Sauternes qui font des blancs secs. Luc n’a aucun repère mais évoque le goût des Condrieu. Tous, nous savourons un vin à l’incroyable personnalité, riche, puissant, fumé, à la solidité imperturbable. Et tout-à-coup, Juan-Carlos lance : « vin d’Algérie ». Chapeau bas, car c’est un Kébir-Rosé Frédéric Lung Algérie 1945. Ce vin est immense et continuera de nous étonner lorsqu’après les coquilles nous le confronterons aux pieds de porc sur lesquels il atteint de nouveaux sommets.

Le vin que j’ai ouvert il y a plus de trois heures est un monument absolu. C’est la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991. Ce vin, c’est la Vénus de Milo avec des bras. C’est Grace Kelly, Gisele Bundchen, ou toute autre symbolisation de la beauté parfaite. Le nez est un parfum pur, enivrant, qui donne l’image de la perfection. En bouche, c’est le plaisir total où chaque instant du parcours en bouche est un sans faute. C’est le parcours de sauts d’obstacles d’un Pierre Jonquères d’Oriola ou d’un Nelson Pessoa sans aucune barrière même effleurée. Car à aucun moment le goût de ce vin ne quitte la perfection la plus accomplie. J’avouerais volontiers que ce vin surpasse La Mouline 1990 qui est pourtant mon étalon de la perfection des vins actuels. Inutile de dire que nous nous trémoussons sur nos sièges, nous gloussons presque, tant le contentement qu’apporte ce vin est orgasmique.

J’attendais que Luc ouvre son Tirecul la Gravière Cuvée Madame 1996 annoncé, mais le perfide me dit : « j’ai senti au téléphone lorsque je te l’ai nommé que tu faisais la moue ». Mensonge et perfidie. Il ne me reste plus qu’à ouvrir un de mes vins, le Niersteiner Königskerze Rheinhessen 1949. J’aurais imaginé un vin doux du Rhin, mais en fait ce vin est sec voire un peu perlant. Chacun des amis est conquis. Comme avec le vin d’Algérie, il n’y a pas de repère. Et c’est très agréable de découvrir un goût pur, original, déroutant, dérangeant mais diablement passionnant. J’aime mettre mes amis face à l’inattendu, après les avoir conduits à la perfection d’une Landonne. Sur un reblochon, ce vin sec et complexe, se montre excitant.

Juan-Carlos nous offre un Château d’Yquem 1985 sur un soufflé délicat et neutre aux essences de pin. Comme on pouvait l’imaginer, le vin est rassurant parce que sa signature est celle d’Yquem, que l’on retrouve à chaque instant. Mais le vin fait « service minimum pendant la grève ». Car il ne cherche pas à délivrer une émotion où un étonnement qui provoquerait un ravissement. C’est le petit doigt sur la couture du pantalon que cet Yquem nous joue le minimum syndical.

Patrick Lair souriant est venu nous féliciter de l’atmosphère joyeuse que nous créons par nos propos enflammés et enthousiastes. Je suis assez fier de mettre mes amis au contact de saveurs hors des sentiers battus. Nous n’avons pas formellement voté mais mon vote a été assez largement approuvé : 1 – Kébir-Rosé Frédéric Lung Algerie 1945, 2 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991, 3 – Champagne Laurent Perrier 1973.

Juan-Carlos va nous quitter. Nous avons voulu l’honorer. Nos rires résonneront certainement encore longtemps dans ses nouvelles terres américaines. Il reste encore un vin dans ma musette, un Fleurie de 1967. Nous trouverons bien un prétexte pour recommencer…

déjeuner au restaurant Gérard Besson – les vins vendredi, 18 décembre 2009

Château Beychevelle 1982

Clos de Gamot Cahors 1929

Château La Haye Saint-Estèphe 1929

Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966

Vin inconnu doux 19ème siècle

Madère vers 1870

Château Respide Graves Supérieures 1960

les mentions en haut de la bouteille sont intéressantes :

"qualité Graves sec" et " 1960 garantie par le syndicat viticole des Graves – Graves Supérieures"

les vins ouverts par le sommelier avant mon arrivée

d’incroyables surprises lors d’un « casual Friday » vendredi, 18 décembre 2009

Ce sera le dernier « Casual Friday » de cette année. Le Casual Friday est né il y a deux ans à la suite de l’achat d’une cave murée. J’avais acquis des bouteilles de présentations hasardeuses, aux contenus incertains, dans lesquelles de bonnes pioches pouvaient apparaître aussi bien que des échecs. L’idée de faire profiter de ces hasards quelques amis fidèles à l’occasion de repas informels s’est imposée. Elle a évolué vers un concept d’un fonctionnement simple qui est en fait une micro-réunion de l’académie des vins anciens. Apporte du vin qui veut, et j’essaie de coordonner les vins avec le menu d’un chef ami.

Nous sommes sept, tous des habitués de mes dîners ou de l’académie des vins anciens. Nous ne sommes que deux à apporter des vins, l’un des plus fidèles de mes dîners et moi. C’est cet ami qui nous invite tous. Le déjeuner se passe au restaurant de Gérard Besson.

L’apéritif débute sur un Champagne Bollinger R.D. 1996 dégorgé en septembre 2006. C’est vraiment un champagne agréable, confortable et racé. On se sent bien avec ses saveurs attendues et orthodoxes, finement traitées. Sur les amuse-bouche où la truffe abonde, l’entrée en matières est appétissante.

Avec le Champagne Dom Pérignon 1969, on entre dans un autre monde. C’est une porte qui s’ouvre sur les bains turcs lascifs où de callipyges odalisques exsudent les parfums les plus lourds. Car on a quitté le monde des champagnes pour celui de la luxure, de l’encens, des fragrances perverses. D’un or de miel, ce champagne décrit des pages de parfums et de saveurs dont la douceur est la clef.

Après ces deux champagnes connus vont se succéder des vins inconnus pour la quasi-totalité : sept inconnus sur neuf vins. Ai-je aujourd’hui le palais particulièrement accueillant ou s’agit-il de bonnes pioches miraculeuses, je ne sais, mais ce fut spectaculaire.

Le Sancerre Comte Lafond Ladoucette 1979 m’a fait découvrir que le baron de Ladoucette est un héritier de Comtes Lafond qui sont bien réels et non pas une de ces fréquentes tricheries à l’homonymie de domaines célèbres. Son Sancerre est une petite merveille. L’or est clair, le nez est aguichant et précis et ce qui me frappe au-delà de la jeunesse certaine, c’est la précision citronnée de ce vin au beau final. Jamais je n’aurais attendu une telle générosité d’un Sancerre de trente ans. Avec l’huître chaude, toute en douceur, l’accord se trouve naturellement.

Le Château Respide Graves Supérieures 1960 accompagne divinement le damier de foie gras et magrets de canard. J’adore ces vins simples, au message d’une lisibilité évidente mais qui jouent pleinement leur rôle : apporter une douce fraîcheur. Ce vin joliment citronné à qui l’on ne donnerait jamais 49 ans mais au plus quinze est d’un grand plaisir.

J’avouerai à ma grande honte que l’oreille de veau panée est un plat dont l’esthétisme m’échappe. Gratouiller dans l’oreille d’un veau n’est pas l’un de mes phantasmes. Je lui ai pourtant associé deux beaux vins. Le Château La Haye Saint-Estèphe 1929, est pour moi une première et même une grande première. Car ce vin à la couleur presque noire tant il est riche et dense est une divine surprise. Comment un cru bourgeois peut-il avoir cette richesse de trame ? Le vin est dense, profond, d’une belle plénitude. Et même s’il n’a pas une longueur infinie, il dégage un plaisir très inattendu.

Son compagnon sur le plat, le Clos de Gamot Cahors 1929 va être l’objet de controverse. Le sommelier avait détecté avant moi le nez de bouchon, bien réel au moment où on le sert. Mais ce nez désagréable ne dévie en rien le goût assez exceptionnel de ce Cahors à la richesse structurelle beaucoup plus affirmée que celle du bordeaux. Ce vin clair par rapport à son congénère est d’une race certaine. Alors, abîmé ou non abîmé ? Quand on sait que ce Cahors sera voté premier par deux d’entre nous, on peut comprendre que la bouche n’a réellement pas été affectée par le nez repoussant.

L’oiseau au long bec est traité par Gérard Besson avec un grand art. Il est associé à Château Beychevelle 1982 qui est au sommet de son art. Je le trouve parfait. Suis-je lyrique, suis-je devenu cool, ultra-cool, je trouve que tous ces vins sont absolument remarquables. L’équilibre du Beychevelle qui semble à pleine maturité, qu’il ne quittera pas de sitôt, est confondant. Le volatile et le Beychevelle volent de conserve.

Ça y est, ça me reprend ! Je m’amourache de ce gentil Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966 qui est une belle expression d’une Bourgogne calme et précise. Il faut dire que ce vin est l’introduction sur le très orthodoxe lièvre à la royale du chef. Il laisse maintenant la place à deux vins inconnus que j’ai apportés, fruits de cette cave murée. Le Vin inconnu 19ème siècle placé en premier est d’une fiole très classique, neutre, qui ne donne aucune indication de région. J’avais pu penser à un Constantia d’Afrique du Sud car il y en avait dans l’inventaire de ce que j’ai acheté. Mais le goût indique que ce n’est sûrement pas le cas. Ce vin est doux. Il n’est pas fortifié car il n’y a aucune lourdeur alcoolique. D’une subtilité raffinée, il est d’une élégance légère. Il n’y a aucune épice et aucun poivre, ce qui exclut beaucoup de vins des îles méditerranéennes. Alors, n’ayant aucune envie d’attribuer des étiquettes à des vins quand les indices sont trop faibles, ce vin restera « Vin doux inconnu 19ème siècle », car la seule certitude que l’on a est sur son âge qui dépasse largement les cent ans. Je suis émerveillé par la précision gracile de cette douceur extrêmement complexe, qui se marie à ravir au gibier coureur.

C’est un de nos amis qui est péremptoire sur l’origine du vin de bouteille illisible que nous buvons maintenant : « c’est un Madère ». C’est vrai. C’est un Madère vers 1870 car aussi bien l’état de la bouteille que ce goût inégalables nous conduisent à cette période. Le vin est beaucoup plus riche et plus fort que le vin précédent, d’un beau rouge noir dans le verre. Le vin glorieux et envoûtant est-il plus noble que le précédent ? Nos avis seront partagés. Même si je trouve le madère parfait, j’ai un petit faible pour le précédent soldat inconnu au message plus en douceur et en discrétion.

Sur la fourme et sur la traditionnelle tourte aux poires, pommes et amandes, le Château Guiraud 1943 à la couleur caramel foncé brille de mille feux. Alors que j’avais prévu que nous reprendrions du Dom Pérignon 1969 pour adoucir le feu du madère avant le Guiraud, dans l’action nous avons pris le raccourci ce qui évidemment désavantage la lecture du beau message du Guiraud. Ce sauternes combine élégamment les agrumes et le caramel. Il n’a pas aujourd’hui la longueur qu’il pourrait avoir, mais c’est la faute des deux liquoreux qui le précèdent, qu’il fallait absolument associer au lièvre.

La cuisine de Gérard Besson est traditionnelle, rassurante par sa perpétuation de recettes historiques. Alors que je suis volontiers bavard, je n’arrivais quasiment pas à placer un mot tant l’ambiance était à la décontraction et à la gaminerie des propos. Que tant de vins inconnus ou quasi inconnus brillent autant est un message à retenir : il existe dans le patrimoine des vins anciens de belles découvertes à faire, à des budgets qui sont loin du maelstrom que constitue l’achat des vins actuels, beaucoup plus chers.

Nous avons voté de façon informelle. L’hésitation était entre le Madère et le vin inconnu mais deux ont préféré chouchouter le Cahors. Mon vote serait : 1 – vin inconnu, 2 – Sancerre, 3 – La Haye, 4 – madère. Mais ce vote n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui en a plus, c’est l’accumulation de tant de grandes surprises.

dîner avec des vins énigmatiques chez un ami – les photos mercredi, 16 décembre 2009

les vins que j’ai apportés : Ausone 1900, deux 1/2 Haut-Brion 1992, un Tokaji Aszu probable avant 1910, un probable Madère d’avant 1850 et le reste d’un Bourbon ex cave du duc de Windsor

le Tokaji

l’Ausone 1900 (ou supposé tel, avant qu’on ne ne boive)

photos des plats

le champagne Dom Pérignon 1978 à la belle couleur dorée

la suite des plats (voir intitulés dans le compte-rendu)

la couleur de l’Ausone 1900

le Stilton est déjà à moitié dévoré !

L’ensemble des vins dans l’ordre de service

merci à Jean-Philippe Durand pour sa merveilleuse cuisine.