déjeuner au restaurant « CUT » de Berverly Hills photos du repas samedi, 7 novembre 2009

Le menu est aussi détaillé que le générique d’un film de Cecil B. de Mille : « surf and turf » :

warm Maine lobster, French black truffle infused vin blanc and crispy Kurobuta pork belly, roasted quince and sun dried cherry compote, Chinese 10 spices

A tasting of beef : snake river farms Kobe style New York sirloin, cognac mustard sauce, 35 days dry aged sirloin, green pepper and Armagnac sauce, roasted bone marrow flan, mushroom marmalade, bordelaise, toasted brioche

The side : roasted Brussels sprouts, smoked bacon, pearl onions

four story hill farms, milk fed veal “tongue and cheek” : braised cheek, celery Bartlett pear puree, roasted chestnut dust, autumn root vegetables, Cotes-du-Rhone black pepper reduction and brioche thyme crusted tongue; black trumpet mushrooms

the side : creamy parmesan polenta, Italian white truffles from Alba

The cheeses, Carmody, red hawk, green hill, grilled fruit and nut bread

(je n’aurais pas mis les à-côtés que je n’ai pas touchés)

Dessert : marjolaine nouveau. Avec un Warre’s Vintage Porto 1997

20 vins rouges au restaurant « CUT » du Willshire hotel Beverly Hills samedi, 7 novembre 2009

Le deuxième repas est un déjeuner au restaurant « CUT », animé par Wolfgang Puck, comme le Spago, mais ici au sein de mon hôtel, le Wilshire Beverly Hills. Il ne me faut donc que deux minutes pour être à pied d’œuvre. Le restaurant joue branché. Une décoration minimaliste, avec d’immenses photos d’une crudité, voir d’une cruauté manifeste. Robert de Niro, Brad Pitt ou Barack Obama ont des têtes de plus d’un mètre de haut, ce qui exacerbe chaque détail du visage. Nous prenons l’apéritif debout sur un champagne Moët & Chandon 2000 plus inspiré que le Laurent Perrier de la veille. Les amuse-bouche sont : USDA prime steak Tartare, Dion, Capers, grilled sourdough / Grilled cheese, white truffle from Alba / sweet potato-amaretto knisch / grilles Kobe sliders, house made pickles, toasted brioche. Présentés par des serveurs stylés, ces amuse-bouche sont goûteux. Inutile de dire que comme la mouette rieuse, je lance mon bec vers les truffes d’Alba infiniment possessives, qui font vibrer le champagne.

Le menu est aussi détaillé que le générique d’un film de Cecil B. de Mille : « surf and turf » : warm Maine lobster, French black truffle infused vin blanc and crispy Kurobuta pork belly, roasted quince and sun dried cherry compote, Chinese 10 spices / A tasting of beef : snake river farms Kobe style New York sirloin, cognac mustard sauce, 35 days dry aged sirloin, green pepper and Armagnac sauce, roasted bone marrow flan, mushroom marmalade, bordelaise, toasted brioche / The side : roasted Brussels sprouts, smoked bacon, pearl onions / four story hill farms, milk fed veal “tongue and cheek” : braised cheek, celery Bartlett pear puree, roasted chestnut dust, autumn root vegetables, Cotes-du-Rhone black pepper reduction and brioche thyme crusted tongue; black trumpet mushrooms / the side : creamy parmesan polenta, Italian white truffles from Alba / The cheeses, Carmody, red hawk, green hill, grilled fruit and nut bread / Dessert : marjolaine nouveau. Il ne fallait pas moins de quatre chefs pour réaliser ce menu, aussi copieux que les intitulés sont longs.

La première série est constituée de bordeaux de 1989 : Haut Brion 1989, La Mission Haut Brion 1989, Lafleur 1989, Le Pin 1989, Pétrus 1989. Le nez du Haut-Brion est superbe et riche, celui du Mission est très profond. Le nez du Pétrus est discret, mais on sent la trame d’un grand vin. Le nez de Le Pin est très discret et celui de Lafleur très neutre. Je commence à goûter les vins sans plat. Le Lafleur est très pur, avec un final marqué par l’alcool. Le Pin est assez neutre et demanderait un plat. Je le trouve réservé. Le premier contact avec Pétrus n’est pas extraordinaire, mais le final révèle plus ce qu’il peut être. On sent que c’est grand, mais objectivement, il faut chercher. Il convient de remarquer que tous les vins sur ces trois jours, sont ouverts au dernier moment. Ils ne trouveront leur valeur que progressivement. La Mission montre une différence sensible avec les pomerols. Il a du café, de la douceur, et beaucoup plus de charme. Sa longueur est plus sensible et le final est fantastique. Le Haut-Brion est grand, rond, facile à comprendre, avec un très beau final. A ce stade je préfère la Mission, plus sauvage. Je classe : Mission, Haut-Brion, Pétrus, Le Pin, Lafleur.

Sur le homard, qui crée un accord délicieux, le Lafleur s’anime mais reste encore fermé. Le Pin est très pur, précis, mais franchement, il n’y a pas de quoi sauter en l’air, sauf que le final est très grand. Le Pétrus a une attaque assez calme, et c’est dans le final que la structure explose. Le temps passe, les vins s’ouvrent et maintenant, je reconnais le Pétrus 1989 tel que je l’aime : il est grand, dense, profond, avec une trace énorme. Après cette progression de Pétrus, Mission fait moins impressionnant, mais le final a un sacré charme. C’est la Mission qui est idéal avec le homard. Le Haut-Brion attaque en douceur, puis il occupe fermement la bouche. Il est grand, au final parfait. A ce stade, grâce au homard et à la truffe blanche, le classement est : Haut-Brion, Pétrus, Mission.

Pendant ce temps, Le Pin se réveille, mais il joue un peu : « programme minimum ». Lafleur passe devant Le Pin. La deuxième partie du plat est du porc. Le Haut-Brion s’y adapte, vin quasiment parfait. Mais je ne lui donnerais pas 100 points Parker. Le Pétrus est maintenant totalement excitant. C’est un vin qui dérange, qui pulse. Lafleur n’est pas mal, mais un peu limité, et Le Pin est charmant, mais n’a pas le caractère extrême que l’on attendrait. Le Mission a un final qui rachète une attaque devenue calme. Mon classement va encore varier au fur et à mesure des évolutions des vins. Je classerai finalement : Pétrus 1989, Mission Haut-Brion 1989, Lafleur 1989, Haut-Brion 1989 et Le Pin 1989.

Je me suis évidemment demandé si mon classement n’est pas influencé par mon amour pour Pétrus 1989. Mais le constat est sans appel : Pétrus a tout pour lui, et l’écart avec Le Pin est spectaculaire. Si les vins avaient été ouverts avant, je suis sûr que Lafleur aurait offert beaucoup plus de plaisir.

Bipin fait s’exprimer les quatre tables, et comme cela se passera tout au long des trois jours, je suis sidéré de voir la divergence des opinions sur les vins.

La deuxième série comprend des vins impressionnants : Latour 1929, La Mission Haut Brion 1929, La Mission Haut Brion 1949, Mouton Rothschild (magnum) 1949, Haut Brion 1959, Lafite 1959, Latour 1959. Le premier examen est celui des parfums. Latour 1959 a un nez très dense, ainsi que le Lafite 1959. Le nez du Haut-brion 1959 est beaucoup plus doux. Celui de Mission 1949 est spectaculaire. Mon verre de Mouton sent le verre, ce qui gêne l’examen. Le nez de Latour 1929 est discret et difficile à lire et celui du Mission 1929 est marqué d’alcool. Il faut attendre avant de juger.

Le premier examen des vins se fait avant l’arrivée du plat. Le Latour 1959 est complexe. Je le sens un peu minéral. Il faut attendre qu’il s’ouvre. Le Lafite 59 n’est pas encore ouvert. Il faut attendre, car à ce stade on ressent l’âge et un éventuel problème de conservation. Le Haut-Brion 59 me gêne, car je ne suis pas habitué de boire de si grands vins ouverts aussi tard. Les trois vins de 1959 sont de belles promesses à qui l’on n’a pas donné de temps. Le Mission 49 est très doux, un peu faible, mais on sent que le charme velouté va apparaître. Le goût du Mouton 49 me rebute un peu. Il promet d’être grand, car son final est long et riche. Le Mission 1929 est un vin énorme de puissance. Il évoque le café. Il faut encore attendre. Le Latour 1929 a une attaque légère mais un très beau final.

Le plat est maintenant servi. Sur la viande, Latour 59 est immense. Il est grand, puissant, viril et répond à la viande comme en un écho. Lafite 1959 est superbement élégant, d’un raffinement incroyable. Il fait partie des grands Lafite qui m’émeuvent. Le Haut-Brion 59 est plus torréfié. La compétition des 59 se fera entre Latour et Lafite. Le Mission 49 a un léger problème, mais c’est un vin très opulent, grand, lourd, au beau final. Le Mouton 49 est très Mouton, c’est-à-dire fantasque. J’aime beaucoup, même s’il n’a pas la rigueur des autres. Le Mission 29 est agréable mais un peu limité. Il est torréfié. Le Latour 1929 a la subtilité des bordeaux de 1929. Il est charmant mais a du mal à lutter avec les 1959. Latour 59 a tout pour lui, il est parfait. Le Lafite 59 donne envie de l’aimer. Je note à la volée sur mon petit carnet : « on aimerait tellement que Lafite soit aimé ». C’est le vin que j’aimerais encourager. J’ai évoqué les 100 points Parker. Pour mon goût, les trois vins de 1959 méritent 100 points.

Le Mouton 1949 me donne l’impression d’un bolide qui n’utiliserait que dix cylindres sur douze. Le Mission 49 est grand, même si une petite amertume me gêne. Mission 29 est meilleur que Mission 1949. Le final fruité du Latour 1929 est unique. Je classe : Latour 59, Lafite 59, Latour 29, Haut-Brion 59, Mission 29, Mission 49 et Mouton 49. C’est intéressant de comparer les Latour de 59 et 29. Le final du 29 est plus pur. Mais le 59 offre – aujourd’hui – beaucoup plus. Le Mouton, s’il était bu tout seul, serait jugé magnifique. Il est d’ailleurs adoré à beaucoup de tables. Le Mission 49 a perdu son petit défaut maintenant que le temps a passé. Les évolutions dans les verres me conduisent à ce classement final : Latour 59, Haut-Brion 59, Lafite 59, Latour 29, Mission 49, Mouton 49 et Mission 29. Les votes diffèrent à chaque table.

La troisième série nous fait changer de région : Hermitage La Chapelle 1949, Hermitage La Chapelle 1959, Hermitage Chave 1989, Côte Rôtie La Landonne 1989, Côte Rôtie La Mouline 1989, Côte Rôtie La Turque 1989. Les nez des vins ouverts tard ne veulent pas dire grand-chose, sauf que le nez de La Chapelle 49 est désagréable alors que celui du 59 est très élégant.

La Mouline est un grand vin, mais après les bordeaux, ça surprend. Le vin est astringent et poivré. La Turque est très grand, plus fin. La Landonne est plus équilibré. Le Chave est plus sauvage, viril, brutal. Il me plait et j’écris : « ça c’est du vin ». En reprenant La Mouline juste après le Chave, le vin de Guigal montre un charme énorme et sacrément efficace. Le nez de La Chapelle 49 ne s’est pas calmé, mais en bouche il est très acceptable. Le 1959 de La Chapelle est charmant, d’un équilibre rare. On sent son alcool, mais c’est un très grand vin. La Turque est très boisée. La Mouline est plus séduisante, mais La Turque est plus typée. La Landonne est la force tranquille, grande, au final imposant. Le Chave fait un peu plus faible maintenant. Comment voter pour les trois Guigal si différents ? La Mouline est parfaite, La Turque plus typée, et La Landonne plus sécurisante.

Le gagnant, ce sera La Chapelle 59 qui a un équilibre charmant malgré la pression alcoolique, et une complexité infinie. Mon classement final sera : Hermitage La Chapelle Jaboulet 1959, Côte Rôtie La Turque 1989, Côte Rôtie La Mouline 1989, Hermitage Chave 1989, Côte Rôtie La Landonne 1989, Hermitage La Chapelle 1949. Il faut admettre qu’à part le 1949 tous ces vins se valent. L’Hermitage 1959 raconte énormément de choses et je l’aime, même si j’imagine volontiers qu’il eût été meilleur quelques années auparavant. Alors que je suis un adorateur de ces vins du Rhône, je n’ai pas eu l’élan de joie que j’attendais car les bordeaux qui précèdent m’ont plus impressionné. Mais cela tient au fait que l’on a bu ces vins du Rhône ouverts depuis moins de dix minutes, ce qui est frustrant.

Comme au dîner des vins blancs il y a deux vedettes américaine, le Chateau Rayas 1989 et le Chateauneuf-du-Pape Hommage à Jacques Perrin 1989. Mais le combat n’aura pas lieu, car le Rayas a un infime bouchon au nez et en bouche.

L’Hommage a un nez très jeune, beaucoup plus jeune que les précédents vins. Le Rayas a un beau goût bien fruité, élégant. Mais le 1% de bouchon limite le plaisir. Le Perrin est tout en générosité. Il est large et ouvert, mais le final n’est pas totalement net. Le fromage accentue le défaut du Rayas, mais on peut clairement imaginer ce qu’il aurait pu être. J’aime beaucoup le Perrin qui malgré son amertume est généreux, joyeux et très beau.

Je m’amuse à classer les vins de toutes les séries et mon classement final est : 1 – Latour 1959, 2 – Pétrus 1989, 3 – Lafite 1959 et Haut-Brion 1959, 5 – Latour 1929, 6 – Hommage à Jacques Perrin 1989. La deuxième série de bordeaux à maturité m’a fortement marqué. Cette expérience montre que les grands bordeaux sont d’un niveau exceptionnel. Le repas se finit sur un dessert au chocolat accompagné d’un Porto Warre’s Vintage 1997 élégant et très « léger », fluide et goûteux.

La cuisine du « Cut » est d’un niveau supérieur à ce que Spago nous a proposé hier. Il est très réconfortant d’avoir pu goûter des bordeaux de 1959 aussi beaux.

shopping à Beverly Hills vendredi, 6 novembre 2009

Aller faire du shopping à Beverly Hills ne ressemble à rien d’autre. Toutes les plus grandes marques mondiales du luxe sont présentes dans de larges avenues où le vrombissement des Ferrari et le feulement de mastodontes dont le son évoque les vieux bateaux de pêche, passent totalement inaperçus. Ici, tout respire le fric, tout exsude l’opulence avec des taux de concentration qui dépassent les seuils admissibles et pourraient être interdits par la loi si l’on était en France. Ici, tout est serein, assumé. J’avoue que venant d’un pays où la réussite n’est pas acceptée et doit être cachée, on se sent bien. Mais on se sent petit, tant l’échelle du pouvoir d’achat paraît atteindre des dimensions inconnues. Le plaisir de se promener dans des allées où les palmiers graciles montent au ciel l’emporte largement.

Bipin Desai, l’organisateur des trois jours de folie ayant prévu d’organiser un dîner informel entre les trois repas officiels m’a demandé de fournir un champagne récent de qualité. Ayant reçu son mail après mon départ en avion, je vais dans une boutique de vins de qualité que j’avais déjà visitée. Le double magnum de Mouton 1929 est toujours là, ainsi que d’impressionnantes collections de grands vins anciens. J’achète un champagne et voulant négocier, le vendeur me dit qu’il faut l’aval de la patronne propriétaire de l’endroit. Nous bavardons, j’achète et elle me dit : « voulez-vous prendre un café ». Et à la terrasse d’une échoppe qui vend des chocolats, nous avons bavardé autour d’un café coupé de chocolat chaud. Il n’y a qu’en Amérique qu’une telle convivialité peut si facilement se nouer.

dîner au Spago Beverly Hills – photos des vins vendredi, 6 novembre 2009

Les verres préparés pour le service

Champagne Laurent Perrier brut LP ss A

Yquem 1929, Yquem 1949, Yquem 1959, Yquem 1989

je n’aime pas qu’ils soient posés sur le la glace, qui gèle le bas alors que le haut reste chaud

des couleurs exceptionnelles

champagne Veuve Clicquot 1949, champagne Bollinger 1969, champagne Krug Vintage 1979

Les séries de vins :

Yquem 1929, Yquem 1949, Yquem 1959, Yquem 1989

champagne Veuve Clicquot 1949, champagne Bollinger 1969, champagne Krug Vintage 1979

Corton Charlemagne (Bonneau du Martray) 1989, Corton Charlemagne (Coche Dury) 1989, Corton Charlemagne (Jadot) 1989, Corton Charlemagne (Leroy) 1989, Meursault Charmes (Lafon) 1989, Meursault Perrieres (Lafon) 1989,

Chevalier Montrachet (Leflaive) 1989, Montrachet (Bouchard) 1989, Montrachet (Jadot) 1989, Montrachet (Lafon) 1989, Montrachet (P. Morey) 1989, Montrachet (Ramonet) 1989, Montrachet Laguiche 1989,

Montrachet (Leflaive) 1999, Montrachet (DRC) 1999

dîner au Spago photos du dîner vendredi, 6 novembre 2009

Le menu conçu par Wolfgang Puck avec Lee Hefter, Thomas Boyce et Sherry Yard est ainsi rédigé :

Duo of foie gras, pastrami in rye crisp with apple-mustard, seared wit apricot chutney, roasted pear and toasted hazelnuts

Osetra caviar, smoked sturgeon croquette with shellfish emulsion

rabbit, pork and veal tortellini in celery apple brood

pan roasted Dover sole, Maryland crab and Japanese Matsutake mushrooms

selection of artisanal cheeses toasted walnut bread

pink lady apple caramel pudding cake.

dîner au restaurant Spago Beverly Hills avec des vins mythiques vendredi, 6 novembre 2009

De temps à autre sur des forums de passionnés de vins revient une discussion sur les buveurs d’étiquette. Elle est fondée sur un postulat : celui qui boit grand boit cher et s’il boit cher, c’est qu’il n’a pas de palais. Car s’il en avait, il boirait les petits vins pas chers qui ont un rapport qualité-prix exceptionnel. Cette querelle n’aura jamais de fin. Elle sert d’introduction au dîner de ce soir, et des deux autres repas qui suivront, où seul le meilleur et le plus renommé aura droit de cité. Alors, serons-nous ce soir influencés par les étiquettes ? C’est un vrai cas d’école, car des étiquettes, il n’y a que ça. Et à ce stade, il n’y a plus d’influence puisque tous les vins sont d’une noblesse consanguine.

Le dîner se tient au restaurant Spago Beverly Hills, dont le chef Wolfgang Puck est un génie du marketing, puisqu’il doit posséder autour de deux cents restaurants dans le monde et appose sa signature sur des produits comme le fait Paul Bocuse. Nous sommes convoqués à 20 heures, mais j’arrive avec une demi-heure d’avance. Je suis contrarié car les Yquem sont dans des seaux à glace remplis de glaçons mais sans eau, ce qui gèle quasiment le bas de la bouteille alors que le haut est beaucoup plus chaud. Les bouteilles seront ouvertes, selon les habitudes de Bipin Desai, l’organisateur du dîner, au dernier moment. Je vois le sommelier Christopher Miller utilisant un ridicule tirebouchon « limonadier » qui brise les bouchons et fait tomber des miettes dans le vin, ce qui m’affole. Il me dit : « je préfère travailler seul », ce que je comprends, mais je lui réponds : « oui, mais il s’agit de mes vins ».

Pendant ce temps, nous prenons un long apéritif sur un champagne Laurent Perrier brut LP sans année, qui n’est pas particulièrement folichon, ne dégageant aucune réelle émotion. Les amuse-bouche sont : spicy tuna tartare in sesame-miso tuile cones / warm Kumomoto oyster in Meyer melon / Japanese Kobe beef « Nigiri » with Asian pear and Shiso / first of the season white truffle pizza.

Nous passons à table. Nous sommes plus d’une vingtaine autour de trois tables. Il n’y a qu’une bouteille par vin, mais l’expérience montre que c’est suffisant. Le menu conçu par Wolfgang Puck avec Lee Hefter, Thomas Boyce et Sherry Yard est ainsi rédigé : Duo of foie gras, pastrami in rye crisp with apple-mustard, seared wit apricot chutney, roasted pear and toasted hazelnuts / Osetra caviar, smoked sturgeon croquette with shellfish emulsion / rabbit, pork and veal tortellini in celery apple brood / pan roasted Dover sole, Maryland crab and Japanese Matsutake mushrooms / selection of artisanal cheeses toasted walnut bread / pink lady apple caramel pudding cake.

Devant nous, quatre verres : Yquem 1989, Yquem 1959, Yquem 1949, Yquem 1929. Les couleurs sont magnifiques. Le 1989 est d’un or très clair. Les deux suivants sont couleur acajou, le 1959 étant le plus foncé. Le 1929 tend vers le chocolat noir ou le caramel foncé. Les parfums sont liés à une ouverture trop récente. Le 1989 est discret, mais l’on pressent sa profondeur. Le nez du 1959 est incroyablement puissant. Celui du 1949 est plus équilibré, tendant vers les fruits jaunes. Le 1929, encore discret évoque le caramel.

Nous buvons les vins sans plat car le service tarde. Le 1989 est très gras en bouche, opulent. Le 1959 semble devenu plus sec, avec un sucre apparemment atténué. Tel qu’il se présente, il est adorable, parfait de construction, magique, avec un final interminable. Le 1949 est lui aussi magique, plein, plus rond que le 1959, plus accompli, mais au final moins impressionnant. Le 1929 est d’une pureté absolue. Il a du caramel légèrement fumé. C’est un vin profond et dense. Il y a dans le caramel une pointe de thé. Les trois anciens se caractérisent par une magnifique acidité. A ce stade, je classe : 29, 59, 49, 89. Le foie gras est un plat beaucoup trop compliqué pour les vins qu’il ne met pas en valeur. Le foie n’est pas assez cuit. Mais sur le plat, le 1989 prend de l’ampleur. J’aime beaucoup plus le 1949 que Bipin Desai qui lui voit un petit défaut. Je ne suis pas d’accord et quatre heures plus tard, le 1949 me donnera raison. Les vins évoluent dans leurs verres et mes sensations aussi. Brusquement, Bipin me demande de commenter les vins. Ayant entendu les remarques à ma table, je commence à dire que les avis sont extrêmement personnels. N’aimant pas trop les Yquem qui tendent vers le caramel, mon classement va défavoriser le 1929 alors qu’il a sans doute la plus belle structure. Et j’ajoute que considérant les 1949 et 1959 que j’ai apportés comme mes enfants, j’ai évidemment pour eux des yeux paternels. Mon classement est : 1959, 1949, 1929 et 1989, ce dernier étant une magnifique promesse, mais désavantagé de se situer avec de telles icônes.

La cuisine se simplifie avec le caviar, qui joue parfaitement son rôle pour les trois champagnes. Le champagne Veuve Clicquot Dry 1949 donne l’impression d’être un peu évolué, mais il est délicieux. Le champagne Bollinger Tradition 1969 est absolument génial, fluide, aqueux, mais d’immense complexité. Pour moi, c’est « love at first sight », alors qu’à ma table le Bollinger ne fait pas recette. Le champagne Krug Vintage 1979 est nettement plus jeune que les deux autres. Sa bulle est forte et insistante. Il est très Krug, sans toutefois l’ampleur qu’il pourrait avoir. A ma première impression, le classement est : 69, 49, 79, mais le Veuve Clicquot s’épanouissant de façon spectaculaire, le classement devient et restera : 1949, 1969 et 1979. La jeunesse et la force de la bulle jouent contre le Krug, ce qui est paradoxal. Il est très précis, très complexe, fruité. C’est un grand champagne, mais les plus anciens présentent plus d’intérêt du fait du développement de leur complexité que donne leur évolution. Le 1949 est un immense champagne.

Avec la troisième série, ça commence à « décoiffer ». Car nous avons en face de nous : Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989, Corton Charlemagne Coche Dury 1989, Corton Charlemagne Jadot 1989, Corton Charlemagne Leroy 1989, Meursault Charmes Comtes Lafon 1989, Meursault Perrières Comtes Lafon 1989.

Le Bonneau du Martray et le Leroy sont les deux vins les plus pâles de cette série aux couleurs très homogènes. Le Bonneau du Martray est très pur, magnifiquement dessiné, et bien fruité. Le Jadot est plus épais, montrant son alcool et je trouve moins fin. Le Leroy est pour moi le plus Corton Charlemagne, plus même que le Bonneau du Martray qui est traditionnellement le « témoin » de l’appellation. Le Coche-Dury est de loin le plus fruité, le « plus » sur tous les compartiments du jeu, mais à mon palais il joue plus Meursault que Corton Charlemagne. Le Perrières est un vin parfait, vin de plaisir absolu. Dans l’échelle des émotions, c’est ce Meursault qui m’émeut le plus. Le Charmes est plus attendu, et dégage moins d’émotion, aussi, quelle ne sera pas ma surprise lorsque des amis se lèveront des deux autres tables pour déclarer que le Charmes est plus grand que le Perrières. C’est absolument étonnant tant l’écart me paraît évident. Autres lieux, autres palais sans doute.

A ce premier stade, je classe le meursault Perrières, le Corton Charlemagne Leroy et le Coche-Dury. Mais les vins évoluent dans les verres. Le Bonneau du Martray explose de noix. C’est envahissant. Le Jadot se domestique mais n’arrive pas à éveiller l’émotion. Le Leroy est impressionnant de précision. Le Coche Dury est maintenant le plus expansif, le plus grand. L’élégance du Perrières est hors du commun. La sauce citronnée et crémée se marie au mieux avec le Perrières. Plus on avance et plus le Coche Dury devient une bombe aromatique et le Bonneau du Martray exprime sa précision. Si je ne le classe pas mieux, c’est à cause de l’insistance de sa saveur de noix. Le Jadot montre trop d’alcool. Le Leroy est magnifique. Quel immense luxe que d’avoir d’aussi grands vins réunis. Le Coche Dury est le plus grand de tous, mais je mettrai en premier celui qui m’a donné le plus d’émotions par ses côtés chantants, joyeux, épanouis et brillants. Mon classement est 1 – Meursault Perrières Comtes Lafon, 2 – Corton Charlemagne Coche Dury, 3 – Corton Charlemagne Leroy, 4 – Corton Charlemagne Bonneau du Martray, 5 – Meursault Charmes Comtes Lafon, 6 – Corton Charlemagne Jadot. Il faut se dire cependant que le classement est lié à l’état des bouteilles. Et chacun de ces vins, s’il était seul dans un repas, serait l’empereur à la barbe fleurie.

Nous pouvions penser avoir atteint un nirvana, mais l’escalier a une marche de plus, et une grande, car arrivent maintenant les poids lourds. Excusez du peu : Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1989, Montrachet Bouchard Père & Fils 1989, Montrachet Jadot 1989, Montrachet Lafon 1989, Montrachet Pierre Morey 1989, Montrachet Ramonet 1989, Montrachet Drouhin Marquis de Laguiche 1989. Si ça décoiffait, maintenant, ça déchire ! Il y a six Montrachet et un Chevalier, accepté au sein de ce groupe car c’est un Leflaive.

Les nez les plus ouverts sont ceux du Lafon, du Leflaive et du Ramonet. Le plus fermé est celui du Bouchard. Le Lafon est fruité, complet, joyeux, plein. Son final est assez court, ce qui me surprend. Le Pierre Morey est plus léger mais plus chantant. Il est aussi joyeux et même s’il est grand, il manque un peu de complexité. Le Ramonet est d’une grande fluidité, plein de grâce et de complexité. Son final est très élégant. Je le trouve très consensuel.

Le Drouhin Laguiche est plus conventionnel. Il manque un peu d’ampleur mais il est très bon, très fruité, avec un beau final. Le Chevalier Leflaive, seul Chevalier-Montrachet, tient bien la comparaison avec les Montrachet. Il a de la noix, du beurre et du miel. Il est coloré et riche. C’est un très grand vin dont le travail m’évoque celui de Coche-Dury. Le Jadot est très précis. Il n’a pas l’ampleur des autres mais il est très joli. J’aime beaucoup ce vin qui, lui aussi, a du beurre et de la noisette, exacerbés par la sole qui est divinement dans la ligne de ces vins. Le Bouchard est un peu faible. Il manque d’ampleur et de complexité par rapport aux autres. C’est très difficile de classer ces vins tous différents, car nous sommes au sommet de la hiérarchie. Le Lafon est assez archétypal mais court, défaut qui ne gêne pas Bipin. Le Ramonet a toutes les qualités, au final exceptionnel. Le Leflaive me gêne un peu par son côté trop noisette beurrée, un peu comme le Bonneau du Martray m’avait gêné par sa noix insistante ou l’Yquem 1929 par son caramel imposant. Le Jadot est élégant et n’en fait pas trop, ce qui me plait assez. Mon classement est : 1 – Montrachet Ramonet, 2 – Montrachet Jadot, 3 – Montrachet Lafon, 4, Montrachet Laguiche, 5 – Chevalier Leflaive, 6 – Montrachet Pierre Morey, 7 – Montrachet Bouchard.

Bipin Desai est toujours plus lent à manger et à boire que chacun d’entre nous. Aussi profite-t-il de l’expansion du Lafon qu’il classe premier. Je vérifie et c’est vrai que sa longueur s’améliore. Pourquoi ces vins ont-ils été ouverts aussi tard ?

La cinquième série est celle des vedettes américaines. Aussi est-il dommage de les associer à des fromages fort bons, mais incapables de révéler la majesté de deux seigneurs : Montrachet Leflaive 1999 et Montrachet Domaine de la Romanée Conti (DRC) 1999. Le Leflaive est d’une rare élégance, d’une définition de même ampleur que celle du Lafon 89. Le DRC a du charme, de la présence, de la puissance et une précision rare. Le Leflaive est plus élégant, du moins au premier contact et le DRC est plus kaléidoscopique. A chaque gorgée une découverte nouvelle. Je préfère le Leflaive, puis je préfère le DRC. En fait mon cœur balance pour ces deux vins parfaits. Malgré les affirmations de Bipin, je confirme que le Lafon 89 n’a pas la longueur qu’il devrait avoir. Le Montrachet DRC 99 est le premier de tous ces blancs, suivi par le couple Leflaive 99 et Ramonet 89. Quel spectacle !

Pendant le temps du dessert associé à un petit muscat perlant sans intérêt, je revisite les Yquem qui sont maintenant au faîte de leur gloire, alors que le Krug s’est acidifié. Mes vins de la soirée sont : 1 – Yquem 1959, 2 – Montrachet DRC 1999, 3 – champagne Veuve Clicquot 1949, 4 – Montrachet Ramonet 1989, 5 – Yquem 1949. 6 – Montrachet Leflaive 1999.

En rentrant à pied à mon hôtel, j’avais le sourire des gens heureux.

Départ à Los Angeles pour trois repas de rêve jeudi, 5 novembre 2009

Lorsque je fais un voyage, j’aime raconter des petites anecdotes sur le service, la considération du client ou du voyageur, petites émotions et tranches de vie, et je me suis demandé pourquoi. Deux éléments m’ont marqué. Ayant moins de dix ans, j’ai assisté au départ en avion de mon frère aîné qui rendait visite tout seul à son parrain en Algérie. L’angoisse de ma mère voyant partir son tout jeune fils était impressionnante. Mon père a garé sa voiture à Orly devant l’avion, le personnel d’accueil a materné mon frère que nous avons vu emprunter l’escalier qui monte dans l’avion dont nous avons suivi l’envol. Il n’y avait aucun bâtiment massif, juste un stand au pied de l’avion. Pas d’attente et une prise en charge conviviale. Ce minimalisme de la prise en charge d’un voyageur dans un aéroport, comparable à ce qui se passe pour les avions privés, m’est toujours apparu comme un idéal. Le deuxième exemple, vingt ans plus tard, c’est le Trans-Europe-Express, le TEE, dans lequel le jeune cadre que j’étais se rendait parfois à Bruxelles. Prendre le TEE pour aller à Bruxelles était une astuce qui faisait rire. Dans ce train, le petit déjeuner servi sur des nappes blanches, par un personnel en gants blancs, avec du vrai beurre et de vraies confitures, c’était le luxe tel que le prodiguait l’Orient Express pour des expéditions plus orientées vers la rêverie ou l’aventure.

Depuis, la massification des déplacements a conduit à ce que l’importance soit donnée au traitement de masse et non plus à la satisfaction individuelle. Il faut « traiter » du nombre. Me rendant à Los Angeles, j’ai deux heures et quart d’avance avant mon départ, en posant le pied à Roissy. Les queues successives au dépôt des bagages, à la douane, au contrôle au scanner des impedimenta, tels que mes chaussures et ma ceinture de pantalon, et à l’accès en cabine, ne m’ont laissé que deux minutes pour un éventuel shopping que je n’ai pas fait tant j’étais lassé de ces queues serpentines.

Le voyage s’est bien passé et l’attention du personnel d’Air France est exemplaire. Une belle invention est de doter chaque place d’un écran où l’on programme soi-même le démarrage du film de son choix. En deux repas et trois films, je n’ai pas vu le temps passer. Ce n’est pas le cas pour le passage en douane à l’arrivée, car selon les théories d’Einstein, 75 minutes de queue, c’est beaucoup plus long qu’onze heures d’avion.

L’arrivée au Beverly Willshire hôtel est assez impressionnante. Je croyais en avoir fini avec les queues. Eh bien non, ça recommence à la réception. Ma chambre est d’un luxe impeccable, et après une courte sieste, je m’apprête à aller porter les bouteilles prévues pour le dîner de demain au restaurant Spago.

Le hall et les abords de l’hôtel ressemblent en cet instant à un vidéo-clip tel qu’on en voit sur Trace TV qui pourrait être rebaptisé Trash TV. Une Rolls Royce décapotable à la plage arrière en bois de teck comme un fringant voilier, des Mercedes toutes plus customisées les unes que les autres, laissent sortir de jeunes blacks, puisque c’est ainsi qu’il faut les nommer. Les garçons sont sapés comme des princes. Pas de casquette, pas de jeans en sacs de pommes de terre. Ils sont apprêtés jusque dans les plus infimes détails, créant des personnages dignes des films sur la vie d’Al Capone. Les filles toutes sculpturales sont moulées dans des robes fourreau dont le bustier est à débordement. Et c’est amusant de les voir tirer sur le tissu de leurs minirobes pour essayer de protéger une intimité que le couturier semble avoir voulu révéler. On ne peut que rester bouche bée devant ce défilé de créatures de rêve, qui semblent indiquer que les clips ne représentent pas que des fantasmes. Le devoir m’appelant je vais au restaurant Spago où je laisse Yquem 1949 et 1959, déclarées à la douane comme de simples échantillons.

Je dîne ensuite à l’hôtel d’une belle pièce de bœuf. De beaux repas m’attendent dans les trois jours à venir.

les préparatifs du 126ème dîner mardi, 3 novembre 2009

Le prochain dîner de wine-dinners se tiendra au restaurant Guy Savoy. Lors du cocktail de signature du livre de Nicolas Rabaudy, j’en ai profité pour discuter de deux ou trois plats avec Guy. Peu de jours après, quelqu’un m’appelle au nom de Guy Savoy, me demandant de passer au restaurant pour mettre au point le menu. Tant qu’à passer chez Guy Savoy, autant y déjeuner. Pour ne pas déjeuner seul, j’y convie Nicolas de Rabaudy. Etant arrivé au restaurant avant que la salle ne se remplisse, nous faisons un tour d’horizon sur les vins et les plats propices. Guy a un sens du vin qui est intuitif. Nous allons droit au but, car nous savons ce qui va fonctionner. Nicolas arrive et Guy nous propose de goûter les plats que nous avons choisis, du moins ceux disponibles aujourd’hui, afin d’en vérifier la pertinence pour mes vins.

Le sommelier, dont l’oreille approuvait les pistes que nous explorions me propose de prendre un Meursault de la même année que le Perrières Comtes Lafon 1992 du futur dîner. Ce sera un Meursault Perrières Robert Ampeau et Fils 1992.

L’entrée au salsifis et noisettes avec une discrète touche de cresson est un plat de première grandeur. La noisette est moelleuse, le salsifis est expressif. C’est goûteusement parfait. A ce stade, le Meursault sortant de cave est encore trop chaud mais prometteur. Son nez est intense, puissant, sa robe est d’un or appuyé.

Le fromage de tête aux foie gras et champignons est un plat de copains. C’est de la tortore de luxe, celle qui appelle les vins francs du collier. Sans aucune gelée, le liant se faisant au champignon, ce plat est un bonheur, et le Meursault l’aime. Il devient charmeur, plus fais, et même s’il n’a pas la précision des plus grands, il compense par une générosité et une joie de vivre qui en font un grand vin.

La coquille Saint-Jacques est panée, car la panure, selon Guy Savoy, répond au chardonnay. C’est vrai, mais je préfèrerais une panure moins appuyée. La truffe blanche est un régal sur le meursault.

La soupe d’artichaut avec sa brioche crémée est un des piliers de la maison. Nicolas n’aime pas l’artichaut, en général. J’ai un faible pour ce légume de patience. Le rouget est un plat de haute dextérité. C’est un régal. Pour le Pétrus, il faudra enlever l’épinard, supprimer la crème, et faire une sauce plus terrienne que marine. Guy, venu pour chaque plat recueillir nos avis, accepte ces modifications.

Le menu du futur repas prévoit un pigeon en deux services. Vais-je le garder après avoir goûté la marmite de gibier à plumes ? La question est posée. Il y a trois filets d’oiseaux. Le faisan a une chair rassurante, connue et sans surprise. Le colvert a un goût plus prononcé, clair et précis. C’est la palombe qui emporte mon cœur, avec une chair intense, virile, changeante selon les bouchées, petit chef-d’œuvre de gibier. Le foie gras sert de liant à ces trois chairs et la sauce éveille tous mes souvenirs d’enfance, de repas dominicaux. Je dis à Nicolas que ce plat est la sublimation de la cuisine bourgeoise.

Si le meursault avait joué son rôle avec une remarquable adaptabilité jusqu’alors, il ne peut le faire sur ce plat, sauf sur le foie gras à la feuille de chou. J’ai été très agréablement surpris par ce vin accompli, riche, équilibré et joyeux.

Ce restaurant est, selon une expression de Guy Savoy appliquée à la haute restauration, un des derniers ilots de civilisation. On est bien. Guy sait élégamment aller à chaque table, le service est parfait, comme celui de neuf différents pains associés intelligemment à chaque plat. Guy a un sens aigu du vin. C’est certainement le restaurant dont j’apprécie le plus l’atmosphère. La marmite et le salsifis aux noisettes sont des plats d’un niveau de justesse extrême. Ce déjeuner de préparation est en soi une merveille.

11ème séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéo jeudi, 29 octobre 2009

La onzième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo, selon ce qui est devenu une coutume. Nous sommes quarante et il y a quarante huit vins, dont vingt proviennent de ma cave. Du fait de l’importance de mon apport, j’ai donné l’occasion à quelques bouteilles douteuses ou en risque d’avoir une chance d’être bues. A seize heures, je me sens bien seul pour ouvrir toutes ces bouteilles, car un seul académicien, un nouveau, puis beaucoup plus tard un ancien, sont venus me donner un coup de main. Du fait de l’ancienneté des vins apportés, ce qui est tout à fait dans le sens des objectifs de l’académie, la table se transforme vite en un champ de bataille, tant les bouchons brisés, éclatés et émiettés maculent la nappe. L’opération prend près de trois heures. Pendant ce temps l’équipe de télévision filme mes gestes, pose des questions à mes amis et moi, au sujet de la possibilité non d’une île mais d’un faux. Cela me fait sourire que l’on imagine de faire un faux d’un vin qui aurait rêvé toute sa vie de se sentir célèbre d’avoir été copié.

Les vins sont répartis en trois groupes, dont voici les ordres de service :

Groupe 1 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Champagne Selosse, Grand Pouilly Latour, Pouilly Fuissé Louis Latour 1937 (curiosité), Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959, Château Latour magnum 1973 (très basse), Château Tertre d’Augay 1970, Château Léoville Barton 1959, "BAGES" Pauillac, Montré & Cie, mi-épaule 1926 , Château Mouton d’Armailac 1934, vin inconnu sans étiquette année inconnue (bon niveau, curiosité), Bonnes-Mares Gérard Peirazeau 1984, Château de Beaucastel rouge 1959, Château Chalon Jean Bourdy 1959, Vouvray le Haut Lieu Domaine Huet 1964, Chateau de Rayne-Vigneau Sauternes 1904 , Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850.

Groupe 2 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Champagne Besserat de Bellefon Brut sans année, Puligny-Montrachet Les Chalumeaux Jean Pascal & Fils 1976, Meursault A. Perdrizet 1948, Château Pichon Baron de Longueville 1904 (curiosité), St Julien Clos St Albert 1900, Château Latour 1925, Château Belair Saint-Emilion 1947 (basse épaule), Coteaux Champenois Bisseuil roge G & G Boyer sans année, Corton Pouget Pierre André 1959, Auxey-Duresses Begin-Colnet 1967, Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971 (magnifique), Riesling – Hochheimer Stielweg Spätlese – Rheingau – W. J. Schäfer 1976, Jurançon caves Nicolas 1929, Cérons, Château Galant 1945 (bas), Maury La Coume du Roy 1925.

Groupe 3 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Château La Louvière blanc 1952, Meursault Louis Chevallier 1953, Château Saint-Vincent Côtes Fronsac 1964, Château Margaux probable 1931, Château Bouscaut 1929, Château Grand La Lagune 1928 (basse), Château Branaire 1934, Château Talbot 1959 , Mercurey Clos L’évêque Château des Etroyes – François Proutheau 1962 , Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966, Château de Beaucastel rouge 1989, Riesling – Leiweiner Laurentiuslay Auslese – Mosel – Stefan Kowerich 1983, Château Suduiraut 1969, Rivesaltes Domaine Bory Andrée Verdeille 1927, Maury La Coume du Roy 1925.

J’ai bu les vins du groupe 1 et parfois des verres m’ont été apportés par d’aimables académiciens des tables voisines.

A l’apéritif, le Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 est un champagne rassurant. Son goût est précis, bien dessiné, et le vin ne donne pas de prise à l’âge. C’est un champagne très agréable, fait par une maison sérieuse.

Le menu composé par le chef Thierry Bourbonnais : Concentré de potiron, coriandre & foie gras / Lamelles de Saint-Jacques marinées chair de crabe, râpé de chou croquant / Tronçon de bar sauvage, petit minestrone de coquillages parfumés / Noisette d’agneau fermier frotté à la sarriette, champignons sauvages & polenta dorée aux herbes / fromages de Quatrehomme / Crème prise chocolat pur caraïbe, sirop passion / Poire rôtie sur fin sablé Breton, lait d’amande glacé / chocolats. Ce repas fut élégant et de très belle exécution.

Le Champagne « Substance » de Selosse, dégorgé en juillet 2009, est beaucoup plus domestiqué et civil que de récentes versions de dégorgements différents. Champagne racé, de grande personnalité, il est beaucoup plus agréable dans cette forme plus douce, le fumé se fondant dans un goût profond et engageant.

Lorsque j’ai saisi des bouteilles dans ma cave pour l’académie, j’ai tiré doucement des bouteilles de leurs casiers. Je tire celui-ci, un Grand Pouilly Latour, Pouilly Fuissé Louis Latour 1937. Et que vois-je ? La couleur de la mort. Jamais un vin blanc de cette couleur de crème de marron ne peut revivre. Mais j’ai voulu lui donner une chance. A l’ouverture, la cause était hélas certaine. Au moment du service la question est de savoir si j’évite cette purge à mes amis. A ma grande surprise ce vin peut être bu sans risque d’en être malade. Mais ne prenons pas de risque, le vin est mort. Par compensation, j’avais prélevé un Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959 à la couleur dorée. Quel beau Puligny, anobli par l’année. D’un jaune d’or qui porte la joie de vivre, d’un parfum riche, ce vin est un grand plaisir, chaud en bouche, avec une belle profondeur. Même si la race du vin n’est pas de première grandeur, ce qui frappe, c’est le plaisir de boire ce vin goûteux et généreux, avec des évocations de beurre et une acidité citronnée délicate.

C’est le papier qui entourait le Château Latour magnum 1973 joliment imprimé de l’emblème du château, une tour très simple graphiquement, qui m’avait alerté. Le vin est atteint d’une dangereuse coulure. Quand j’ai ouvert le vin, j’ai constaté que le bouchon nageait. L’odeur m’indiquait que la glissade a dû se produire pendant le trajet, car rien dans l’odeur ne montre de déviation excessive. Le vin est fatigué bien sûr. Mais la richesse naturelle de Latour, qui ne semble pas affectée par la faiblesse du millésime, aide le vin à se reconstituer dans le verre. Il est torréfié, très café, mais progressivement, il devient Latour, avec une richesse aromatique plus que sympathique.

Le Château Tertre d’Augay 1970 que j’ai aussi apporté, est un vin honnête, bien fait, qui se présente sans défaut. Beau bordeaux à boire, même s’il ne déborde pas d’une imagination farouche, il est très agréable, avec un final élégant.

Le Château Léoville Barton 1959, lui aussi de ma cave, est d’une perfection certaine. Quel grand vin, et quelle grande année. Il est au sommet de sa gloire maintenant. Le vin qui était dans le goulot, n’a pas l’ombre d’un défaut. Mieux encore, il dégage une réelle émotion. Notre table s’extasie devant ce succès absolu.

Le "BAGES" Pauillac, Montré & Cie 1926 avait un niveau à mi-épaule tendant vers basse. Lorsque le vin se développe dans le verre, ce qui me fait penser que ces vins mériteraient d’être versés dans les verres au moins un quart d’heure avant leur service, ce vin évoque toute la brillance d’un millésime de légende. On parle toujours (y compris moi-même) des années 1928 et 1929, mais 1921 et 1926 sont dans la même ligue. Ce Bages est une petite merveille d’évocations de douceurs historiques.

Le Château Mouton d’Armaillac 1934 est intéressant mais souffre d’une petite fatigue. On reconnaît sous le voile pudique la qualité de l’année et la qualité de son terroir. Nous n’avons pas le temps de chercher plus, car j’ai ajouté un vin inconnu sans étiquette et d’année inconnue, de bon niveau dans la bouteille, de forme moderne. Lorsque j’ai ouvert cette bouteille, le bouchon a craquelé en mille morceaux. Notre groupe se compose de deux tables de sept à huit convives. La réaction à ce vin inconnu est assez amusante. L’autre table s’est orientée vers la forme de la bouteille pour pronostiquer un vin des années 70. A ma table, avec Antoine Pétrus sommelier de talent, nous sommes partis dans la décennie 30, car le goût et l’amertume finale ne peuvent appartenir à un vin jeune. Le vin est objectivement de Bordeaux, même si une générosité alcooleuse peut laisser penser à une ajoute rhodanienne. Le vin est agréable à boire. Pour moi c’est un honnête Pauillac du niveau d’un 3ème grand cru, que je situerais dans une année moyenne de la décennie 30. Ai-je raison ? Nul ne le saura.

Le Bonnes-Mares Gérard Peirazeau 1984, saisi aussi dans ma cave est un Bourgogne de grand plaisir. Après tous ces bordeaux parfois canoniques, boire un jeune bourgogne subtil et charmant, pas du tout gêné par l’année 1984, qui n’est pas si faible que cela en Bourgogne, est un plaisir secret, sorte de bonbon que l’on croque en cachette. J’ai aimé son parcours en bouche, discret mais insistant.

Le Domaine de Beaucastel rouge 1959 est une récompense de collectionneur, apportée par mon ami Florent, ce jeune collectionneur fou de vins. Le vin est riche, beau, accompli, au faîte de sa maturité. Il nous donne une leçon d’histoire. Chaque vigneron essaie d’apporter à son domaine une démarche de qualité, de progrès, de constance. Et puis voilà qu’un vin comme ce 1959 est l’aboutissement de ce que peut être un Chateauneuf-du-Pape. Alors, où est le sens de l’histoire ? Cela prouve au moins que le terroir de Beaucastel a des ressources de première grandeur. Le vin est beau riche, accompli, rond en bouche, avec un plaisir de boire rare. Bien qu’il l’ait apporté, Florent convient avec moi que le Léoville-Barton est d’une stature supérieure à ce délicieux Beaucastel.

Merci à mon ami Jean, ouvreur fidèle des bouteilles, qui supporte mes exigences et mes manies, pour ce Château Chalon Jean Bourdy 1959, petit joyau du Jura. Je le trouve moins puissant que les 1959 que j’ai bus, et nettement moins puissant que le 1911 que j’ai ouvert récemment. Mais c’est un vin tellement racé, bien généreux et si délicieusement interpelant que la plaisir est là.

Le Vouvray le Haut Lieu Domaine Huet 1964 a une couleur un peu trop foncée pour son âge et montre une fatigue qu’il ne devrait pas avoir. Lionel, l’ami de toutes les grandes bouteilles lui cherche quelques grandeurs et l’on peut y arriver. Mais quand la vedette arrive, les groupies abandonnent les seconds rôles.

La star, c’est le Chateau Rayne-Vigneau Sauternes 1904 d’une couleur impériale, d’un or impérieux. En bouche, c’est le grand sauternes tel qu’on l’aime, à l’équilibre sensuellement infini, où les notes d’agrumes composent avec le stilton un accord d’anthologie.

Le Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850 est d’une richesse folle. Doux comme des raisins de Corinthe, au final poivré et goudronné, il plombe le palais de bonheur, décuplé par les carrés de chocolat taillés comme des lingots. Apporté par mes fidèles amis japonais, il est d’une fraîcheur remarquable.

Dans un tel parcours, il y a bien sûr des hauts et des bas. Mais qu’importe, quand les hauts s’établissent à des niveaux aussi élevés. Des amis m’ont apporté quelques verres dont j’ai retenu quelques images, fondées sur une gorgée ou un quart de gorgée, ce qui peut faire passer à côté du message réel :

Le Meursault A. Perdrizet 1948 est un très beau meursault, qui a gardé malgré son âge la typicité du beau meursault. Le Château Pichon Baron de Longueville 1904 au niveau bas que j’ai apporté est quasiment mort, alors que j’en ai bu de très bons du même lot. Le Saint Julien Clos St Albert 1900 à la magnifique étiquette est vivant. Faiblement vivant, mais vivant, apportant un témoignage toussotant d’une année historiquement exceptionnelle. Le Château Belair Saint-Emilion 1947 est mort.

Une mention spéciale va au Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971 qui est absolument exceptionnel. Il n’a pas la sérénité du Beaucastel 1959 mais il a plus de fougue. Un vin immense.

Le Château La Louvière blanc 1952, d’une couleur magnifique, d’un nez explosif, est un très grand bordeaux blanc. Le Riesling – Leiweiner Laurentiuslay Auslese – Mosel – Stefan Kowerich 1983 est très pâle mais d’une grande subtilité de vin allemand. C’est un vin que j’aurais dû analyser plus longuement pour en capter tout le message plein de charme.

Nous n’avons pas voté, aussi mon classement est-il fait le lendemain : 1- Château Léoville Barton 1959, 2 – Château de Beaucastel rouge 1959, 3 – Chateau de Rayne-Vigneau Sauternes 1904, 4 – Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971, 5 – Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850, 6 – Château La Louvière blanc 1952, 7 – Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959.

Certains ont vu dans le verre qu’il était à moitié plein ou à moitié vide. Ils ont retenu les vins fatigués quand beaucoup d’autres ont retenu les vins brillants que nous avons partagés. Je considère que cette onzième séance est exactement dans la ligne de ce que doit être l’académie des vins anciens, fondée sur deux piliers : l’un qui est d’ouvrir des vins qui doivent être ouverts, et l’autre la générosité. La qualité des séances de l’académie des vins anciens repose sur la générosité et la qualité des apports. Cette séance en a été une belle démonstration. Quand nous ouvrons ces vins anciens, nous leur donnons enfin la mission que leurs vignerons créateurs leur avaient donnée : être bus par des amateurs, en convivialité parfaite.