Le lendemain, le reste du Salon 1997 marque un considérable progrès. Je révise mon jugement, car j’ai trouvé ce que j’aime en Salon. Ce vin mérite une ouverture quelques heures avant de le servir, car il y trouvera une plénitude plus grande.
un beau repas avec deux vignerons amis vendredi, 14 août 2009
Il y a dix-huit mois, nous avions été invités dans leur maison du Vaucluse par Anne-Françoise Gros et François Parent avec le cousin que nous logeons cet été, pour une mémorable dégustation verticale de onze millésimes du Pommard Epenots Domaine Parent depuis 1886, avec des millésimes légendaires comme 1904, 1915, 1928, 1933, 1947, 1959. La générosité et l’amitié de ces deux vignerons nécessitaient une réciproque. Nous les recevons dans le sud. Pas question bien sûr de leur faire boire leurs propres vins. Le choix se fait avec mon gendre dans les stocks dont nous disposons. J’ai demandé à Yvan Roux de nous faire un agneau de sept heures, car il n’y a pas de meilleur ami des vins rouges. Le menu n’est pas franchement d’été, mais les vins priment.
Sur de fines tranches d’une poutargue très moelleuse, le Champagne Henriot 1996 montre son caractère joyeux. C’est un beau champagne coloré, clair à lire, qui est même un champagne de soif tant on le boit facilement. J’ouvre ensuite un magnum de champagne Salon 1997 pour la poutargue et aussi des tranches tartinées de foie gras. Les conversations vont bon train. Le champagne est blanc clair quand l’Henriot était légèrement doré. Alors qu’un an sépare les deux champagnes, l’Henriot semble mature quand le Salon fait gamin. La structure du Salon est plus forte, ses promesses sont plus grandes, mais je resterai un peu sur ma faim, tandis que les vignerons et mon cousin préfèreront le Salon au Henriot.
Sur l’agneau de sept heures, ma femme a préparé un pressé de pommes de terre à l’ail doux confit. Le Rimauresq Côtes-de-Provence 1990 dont le nez à l’ouverture était absolument envahissant de générosités provençales est un exemple parfait de l’achèvement que peut atteindre un Côtes-de-Provence, quand on donne du temps au temps. Mon cousin déclare avec force que ce 1990 est très nettement au dessus du 1989 de la veille. Je n’ai pas cette analyse. Car le 1990 est extrêmement rond, charmeur, presque doucereux, alors que le 1989 avait l’amertume et la râpe qui signent classiquement les Côtes de Provence. J’aime donc les deux, le 1989 pour son authenticité provençale et le 1990 pour son accomplissement généreux.
Mon cousin qui vit dans le Vaucluse tête depuis sa plus grande enfance les Chateauneuf-du-Pape comme Obélix tétait la potion magique. Nous le voyons sonné, groggy, presque K.O. tant il est subjugué par le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1989. Ce vin est absolument parfait. A l’ouverture, son nez était le plus discret des trois rouges. Il s’est rattrapé depuis. Ce vin est d’une rare élégance. Alors qu’il fait chaud dans le calme du soir, ce vin n’impose aucune trace alcoolique. Il est élégant, raffiné, d’une structure élégante. Mon cousin me dit : « je me demandais pourquoi dans tes bulletins tu es si laudatif pour le Domaine Beaucastel, maintenant je comprends pourquoi, car c’est le plus grand Chateauneuf-du-Pape que je bois ce soir ». Ce vin offert par mon gendre est effectivement un grand moment. A l’ouverture, le troisième vin était une bombe olfactive. Alors que sept ans seulement le séparent du rouge précédent, la Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 est un monde de différence. Le Beaucastel fait vin classique, à l’ancienne, alors que La Mouline est résolument un vin moderne. Mais quel vin ! Il allie une puissance dévastatrice à une fraîcheur mentholée invraisemblable. Mon cousin tient à dire que le Beaucastel est notablement au dessus mais je ne vois pas les choses comme cela. Ce sont deux directions très différentes qui sont explorées, le Beaucastel dans l’élégance et la finesse, La Mouline dans le modernisme, dans la puissance et la fraîcheur. La Mouline va progresser considérablement dans les vingt à trente ans à venir, alors que le Beaucastel est à un sommet de son art qui ne sera pas dépassé dans les vingt ans qui viennent.
Nous discutons beaucoup et nous nous enrichissons des commentaires pertinents des vignerons amis. Il faut être fou pour prévoir un moelleux au chocolat avec une crème au caramel salé. Car ce n’est pas franchement le plat pour une lourde nuit d’été. Mais autour de la table les appétits sont solides. Le Maury Mas Amiel Quinze ans d’âge que j’ai acheté il y a plus de quinze ans est un miracle pour le chocolat fondu. Evoquant les pruneaux et les prunes sur le chocolat, il arrive en caméléon à se faire caramel sur le caramel, avec des petites touches de noisettes.
Nous parlons vin bien sûr et quelqu’un lance le rituel du vote. A ma grande surprise François Parent, qui annonce que son vote est celui d’un vigneron, met en premier le Rimauresq ce qui est un bel hommage pour ce Côtes de Provence. Les ordres ensuite, que je n’ai pas notés, se ressemblent entre les convives. Ils mettent Salon avant Henriot ce qui ne sera pas mon cas. Mon vote est le suivant : 1 – Beaucastel 1989, 2 – La Mouline 1996, 3 – Maury de 30 ans environ, 4 – Henriot 1996, 5 – Salon 1997 et 6 – Rimauresq 1990. Mon dernier est le premier de François Parent (Anne-Françoise rejoignant son mari sur ce vote). Cela provient des critères de choix. Les vignerons ont jugé en vignerons. Si le Rimauresq avait été seul, je l’aurais adoré. C’est la présence de deux rouges que je trouve immenses qui a fait reculer le Rimauresq dans mon classement.
La pertinence de l’ordre des vins et des accords a ravi tout le monde. Nos amis vignerons ont été heureux de ce repas. C’est ce que nous souhaitions.
Les Côtes-de-Provence se bonifient en vieillissant jeudi, 13 août 2009
Un Rimauresq Côtes-de-Provence 1989 trône sur notre table. Ce vin est d’un charme extrême. Il a la râpe que l’on a dans les jeunes Côtes de Provence et l’amplitude que donnent vingt ans. Le poulet au curry et au riz n’est pas forcément le meilleur compagnon, mais je retiens la chaude sympathie que suscite ce beau vin du sud.
cannellonis et cigarettes russes mercredi, 12 août 2009
Mon gendre invite des amis avec leurs enfants. Le champ de bataille crépite des rires, des joies et des pleurs d’une ribambelle d’enfants montés sur pile. En fin de journée le vent se calme, et le couteau aiguisé comme une lame de rasoir débite des tranches de jambon Serrano. Pour chacun, la première gorgée du Champagne Laurent Perrier Grand-Siècle en magnum non millésimé fait claquer la langue, avec ce commentaire : « ah, c’est bon ». Car ce champagne de soif capture nos envies. Le couteau tranche et tranche, mon poignet se plie et se plie pour remplir les verres.
Ma femme crie : « à table » et d’immenses plats de cannellonis nous attendent. L’un est nature, l’autre au comté et le troisième au parmesan. C’est le comté qui gagne sur un Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005. Riche, chaud car la température ambiante est forte, ce vin puissant et lourd est porteur de grandes promesses. Les cannellonis sont des accompagnateurs parfaits du vin rouge.
La transition avec le Chateauneuf-du-Pape Beaucastel 1994 est saisissante. On grimpe sur l’échelle des saveurs, des complexités et du charme. 1994 est une année qui correspond mieux aux chaleurs estivales, car l’alcool n’est pas étouffant. Ce vin est très subtil, complexe et raffiné. Comme malgré tout on le boit plus chaud qu’on ne le devrait, on trouve des similitudes avec les Bandol et Côtes de Provence, car l’alcool, même discret, monte plus aisément sur le devant de la scène.
Ma fille, gourmande comme moi, a acheté des cigarettes russes Delacre. Elle propose d’en ouvrir. Je crie : « ah, non ! », car je sais que je succomberais. Le paquet est ouvert. Au mépris de toute éducation je m’empare d’une Delacre et, l’utilisant comme une paille, je me mets à aspirer le jus de pamplemousses roses de ma coupelle, avec des bruits d’une absence totale de raffinement. Mais le plaisir est là, diabolique, primitif, sauvage et sensuel.
Un été sans cigarette russe est presque impossible à imaginer.
Sur un bœuf carotte, rouge ou blanc ? Le match n’a pas eu lieu ! mardi, 11 août 2009
Il fait très chaud dans le sud. Yvan Roux a pris la direction des opérations de notre cuisine d’été. Fort curieusement le plat de ce soir sera un bœuf aux carottes. Ce n’est pas un plat régional et pas un plat d’été. Saisissons l’occasion pour vérifier si ce plat accepte du vin rouge ou du vin blanc.
Sur le ring (la table), à ma gauche, dans le coin bleu, un Saint-Véran blanc Maison Bichot 1989. A ma droite, dans le coin rouge, un Terrebrune Bandol rouge 1997. Ce championnat sera arbitré par la famille. Il n’y aura pas de compte debout et trois knock-down dans le même round feront perdre la partie.
La viande est assez ferme, les carottes goûteuses et peu croquantes. Le Saint-Véran se présente le premier sur le ring. Sa couleur est d’un jaune légèrement ambré, son parfum est délicat. En bouche, je suis déjà conquis par son style car j’ai vu ses précédents combats sur notre table les années précédentes et il m’avait chaque fois ravi. Nettement évolué il a pris des notes fumées qui mettent en valeur son chardonnay comme le font les lourds chardonnays américains. Mais il garde une French Touch de grande délicatesse. L’accord avec la viande aussi bien qu’avec les carottes est très convenable. Rien n’enchante mais rien ne choque. La sauce du plat ne brise en rien les élans du Saint-Véran.
Du coin rouge jaillit le Terrebrune 1997. Cueilli d’un uppercut du droit le Terrebrune s’écroule au premier round. Car si le nez ne trahit aucun goût de bouchon, c’est en bouche que la dégradation est forte. Au bout de dix minutes le goût de bouchon s’estompe, mais le vin reste encore déstructuré.
Le combat n’aura pas eu lieu. Les spectateurs dévissent leurs sièges pour les lancer sur le ring en criant « remboursez », car nous n’aurons pas pu ce soir vérifier si un rouge eût été pertinent. La consolation vient de ce Saint-Véran Bichot 1989 que j’ai déjà complimenté et qui se révèle une nouvelle fois charmant, équilibré, avec une forte persistance aromatique dans des tons de fumé. C’est un bien joli vin dont je pense, hélas, avoir asséché le dernier flacon.
Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995 lundi, 10 août 2009
Notre cuisinier de vacances à créé une brioche pour enserrer le saucisson de Lyon apporté par mon gendre lyonnais. La brioche est un remarquable faire-valoir du saucisson à peine tiède. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995 est confondant de simplicité. C’est le champagne de soif sublimé. On le boit avec facilité, il étanche les soifs, et l’on a envie d’en reprendre, ce qui est un compliment pour un champagne. Brioche, saucisson et champagne cohabitent divinement bien, dans la fraîcheur du soir qui succède à une chaleur lourde apportée par un fort vent de mer.
23 bourgognes historiques au restaurant Spago Beverly Hills lundi, 10 août 2009
Le dernier repas, un déjeuner, se tient au restaurant Spago, comme le premier repas. Les hors d’œuvre se dégustent sur un champagne Laurent Perrier que j’apprécie plus que le premier jour, alors que c’est le même : hamachi ceviche with chili and yuzu citrus / duck liver mousse on pear and golden raisin tartelette / crouton with sturgeon mousse and Santa Barbara zea urchin / prosciutto di Parma pizza.
Le menu composé par Wolfgang Puck et son équipe est le suivant : Wild Alaskan salmon, braised cabbage, confit bacon, pinot reduction and wild huckleberries / Risotto, first of the season white truffles / wood oven roasted breats of Scottish pheasant, duxelle of porcini mushrooms and black walnuts, shepherd’s pie with braised leg and parsnip puree / selection of artisanal cheeses, toasted walnut bread / sweet potato sticky bun, candied walnuts and bliss maple syrup sorbet.
La première série démarre fort, car nous avons dix vins devant nous : Clos Vougeot Arnoux 1929, Clos Vougeot Boyer 1929, Clos Vougeot Faiveley 1929, Corton-Bressandes Yard 1929, Charmes-Chambertin Boyer 1929, Corton Grancey Latour 1949, Clos des Cortons Faiveley 1949, Clos de Vougeot Liger-Belair 1949, La Grande Rue Lamarche 1959, Clos Vougeot Bouchard 1959. Comme les vins ont – c’est une constante – été ouverts beaucoup trop tard, je vais progresser dans la connaissance de ces vins qui évoluent en permanence. Ces notes montrent mon cheminement.
Les nez des cinq vins de 1929 sont tous très engageants. Je goûte les vins sans plat. Le Clos Vougeot Arnoux 1929 est incroyablement fruité et délicat, très pêche de vigne. Le final est épicé. C’est un très grand vin qui parait fatigué mais ne l’est pas. Il vient juste d’être réveillé. Le Clos Vougeot Boyer 1929 a une attaque plus fatiguée et un final un peu amer tendant vers le thé. Le Clos Vougeot Faiveley 1929 fait âgé, mais il exprime quand même ce qu’est un grand vin. Le Corton-Bressandes Yard 1929 est très riche, plus plein. C’est un grand vin, pur, strict, très peu fruité, doté d’un beau final. Le Charmes-Chambertin Boyer 1929 est beaucoup plus doux que les autres. Il est charmant. Il a peu d’ampleur mais un final passionnant. C’est un très grand vin. Le Corton Grancey Latour 1949 a une attaque moyenne mais se place bien en bouche. On ne sent pas qu’il est de vingt ans plus jeune, ce qui est tout à l’honneur des 1929. Son final est poivré. Le Clos des Cortons Faiveley 1949 est bouchonné et déstructuré. Quelle ne sera pas ma surprise quand certains diront l’avoir aimé ! Le Clos de Vougeot Liger-Belair 1949 a un nez superbe. En bouche il est acide, amer, ce qui masque le message du vin fatigué. Il faut évidemment que je me méfie, car ces vins sont en phase de retour à la vie. La Grande Rue Lamarche 1959 est très doucereux, au final amer. Le vin est assez simple, et assez plaisant à boire. Le Clos Vougeot Bouchard 1959 a la plus jeune des couleurs. Son attaque paraît un peu fatiguée, mais il a une très belle trame. C’est le plus vivace de tous.
Je refais un tour. Le Clos Vougeot Arnoux 1929 est adorable malgré ses signes d’âge. On sent la framboise, signe d’évolution, mais c’est un bon vin. Le Clos Vougeot Boyer 1929 est un très bon vin, riche, jeune, au-delà de ses traces d’âge. Le Clos Vougeot Faiveley 1929 est assez fatigué, vin moyen. Le Corton-Bressandes Yard 1929 est vivant et très agréable. Le Charmes-Chambertin Boyer 1929 est pur, clair, c’est un grand vin, peut-être le plus jeune des 1929. C’est alors que le plat arrive, qui va évidemment donner un coup de fouet aux vins. Le Corton Grancey Latour 1949 devient donc charmant. Le Clos des Cortons Faiveley 1949 est toujours mort. Le Clos de Vougeot Liger-Belair 1949 n’est pas parfait, un peu fluide.
Les 1929 sont nettement meilleurs que les 1949. La Grande Rue Lamarche 1959 est nettement meilleur avec le temps et avec le plat. C’est un grand vin même s’il n’a pas une trame extrême. Il est très séducteur et velouté. Le Clos Vougeot Bouchard 1959 est meilleur que La Grande Rue Lamarche 1959. C’est le vin le plus fringant et joyeux.
Je commence à classer, mais je change tout le temps car les vins s’éveillent. Ça commence par Le Clos Vougeot Bouchard 1959, Le Charmes-Chambertin Boyer 1929, Le Corton-Bressandes Yard 1929, La Grande Rue Lamarche 1959, Le Corton Grancey Latour 1949, Le Clos Vougeot Boyer 1929 et Le Clos Vougeot Arnoux 1929. Puis je change les quatre premiers, mais j’y reviens. Le Corton Grancey Latour 1949 passe devant La Grande Rue Lamarche 1959. Au final j’intervertirai les deux premiers pour classer ainsi : 1 – Le Charmes-Chambertin Boyer 1929, 2 – Le Clos Vougeot Bouchard 1959, 3 – Le Corton-Bressandes Yard 1929, 4 – Le Corton Grancey Latour 1949, 5 – La Grande Rue Lamarche 1959, 6 – Le Clos Vougeot Boyer 1929, 7 – Le Clos de Vougeot Liger-Belair 1949 et 8 – Le Clos Vougeot Arnoux 1929. Ce classement est forcément indécis car les vins changent tout le temps. Le Corton Grancey 1949 ne cesse de s’améliorer. Pour cette session, les Boyer se comportent nettement mieux que les Liger-Belair. Mais on n’en fera pas une règle. Le Bouchard semble se fatiguer, le Yard s’améliore. Bipin m’indique que le Louis Latour a été pasteurisé et que le Bouchard a été reconditionné. Ce qu’il faut retenir, c’est la belle leçon que donnent les 1929, qui sont souvent apparus plus jeunes que les 1949 et les 1959. Quelle chance que d’avoir eu ces vins à déguster ! L’accord de tous les vins avec le saumon a été parfait.
La deuxième série contient du lourd. Il y a « seulement » cinq vins, tous de 1959, mais quels vins ! La Tâche DRC 1959, Musigny Leroy 1959, Musigny Voguë 1959, Bonnes-Mares Roumier 1959, Chambertin Leroy 1959. La couleur la plus jeune est celle du Voguë et la plus tuilée celle de La Tâche. Il est illusoire de juger des parfums des vins qui viennent d’être ouverts il y a moins de dix minutes. Les plus beaux nez sont à ce stade ceux du Roumier et du Musigny Leroy. L’examen commence sans plat.
Le Chambertin Leroy 1959 est un peu fatigué. L’alcool ressort. Il y a une belle épice. Le final est un peu coincé mais complexe. Le Bonnes-Mares Roumier 1959 est un vin qui me fait dire : « wow ». Quel vin ! Si l’on me disait qu’il est de 1990, je le croirais. Il est d’une pureté rare. Epicé, charnu, fruité, il a un final un peu serré et moins brillant que son attaque. Le Musigny Comte de Voguë 1959 est lui aussi un vin immense. C’est la pureté absolue. On est dans le grandiose. Son final est meilleur que celui du Roumier. C’est un bourgogne parfait.
La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1959 est le plus complexe de tous. Il est plus interlope, plus interpellant. Pour mon palais il a un côté canaille et salin que j’adore dans les vins de la Romanée-Conti. Le Musigny Leroy 1959 me fait penser que l’on va de mieux en mieux, car ce vin est d’une richesse et d’une perfection absolues. Comment différencier des vins aussi beaux ? Je classe en fait les vins dans l’ordre inverse de leur dégustation. Est-ce l’effet de l’épanouissement dans le verre de vins ouverts au dernier moment ? Pas seulement. Je reviens à chaque vin et Le Musigny Leroy confirme son équilibre, sa générosité et une perfection absolue. Le Musigny Voguë est d’une précision parfaite, un peu moins ample que le Leroy. La Tâche évolue vers un goût de Porto qui me déplait. Le Bonnes Marres a le plus beau fruité. J’hésite longtemps entre le 5ème dégusté et le 2ème pour finir ainsi : 1 – Bonnes-Mares Roumier 1959, 2 – Musigny Leroy 1959, 3 – Musigny Comte de Voguë 1959, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1959, 5 – Chambertin Leroy 1959. Mais les vins continuent à évoluer dans leurs verres. Quand j’ai entendu que certains mettaient le Chambertin Leroy en premier, je n’arrivais pas à y croire.
La troisième série comprend six vins de 1949 : Chambertin Leroy 1949, La Romanée Liger-Belair 1949, La Tache DRC 1949, Musigny Liger-Belair 1949, Musigny Leroy 1949 et Musigny Voguë 1949.
Le nez de La Tâche est parfait. Va-t-il tenir ? Je commence par goûter ceux dont les nez sont difficiles. Le Chambertin Leroy 1949 a un léger parfum de gibier. En bouche, l’attaque est agréable, mais le final où se retrouve un goût de gibier limite le plaisir. C’est un vin moyen. Le Musigny Comte de Voguë 1949 a un nez fatigué. La bouche est agréable. Il n’a aucun fruit. C’est un vin simplifié mais dont le final est agréable. Je dirais que c’est un vin vieux, la limite de mes remarques étant liée à cette malheureuse ouverture tardive. Le Musigny Liger-Belair 1949 est riche et bien épanoui. Son final est intéressant, avec une amertume bourguignonne que j’adore. La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1949 a un palais assez peu équilibré. Le vin n’est pas ouvert mais on sent sa promesse et sa grande race. Le Musigny Leroy 1949 a une bouche normale, sans réelle tendance marquée. On sent légèrement son alcool. Le final est très élégant de fruit et de rose fanée. La Romanée Liger-Belair 1949 est très riche. S’il y a un léger défaut, cela n’enlève rien à son plaisir et à son final bien solide. Malgré tout, il ne donne pas encore beaucoup d’émotion.
J’ai l’impression que le match va se jouer entre La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1949 et le Musigny Liger-Belair 1949 qui ont des similitudes dans leurs amertumes bourguignonnes. La Tâche commençant à évoluer vers le Porto comme l’avait fait le 1959, c’est le Liger Belair qui va gagner. Mais le plat arrive et redistribue les cartes. Le Voguë s’épanouit, La Tâche développe des arômes de roses, la Romanée se structure de façon spectaculaire. Mon classement bouge encore pour se fixer à : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1949, 2 – La Romanée Liger-Belair 1949, 3 – Musigny Leroy 1949, 4 – Musigny Liger-Belair 1949, 5 – Musigny Voguë 1949, 6 – Chambertin Leroy 1949.
Je me suis amusé à comparer les deux Chambertin Leroy 1949 et 1959 et les deux La Tâche 1949 et 1959. Dans les deux cas, la typicité du domaine se retrouve quasiment à l’identique et les déviations, des Leroy vers le gibier et des La Tâche vers le porto se reproduisent d’une égale façon.
Nous finissons le repas sur deux vins de majesté : Echézeaux Henri Jayer 1989, La Tache DRC 1989. La couleur a plus belle est chez Jayer. Le plus beau nez est à La Tâche. L’Echézeaux Henri Jayer 1989 est d’une richesse de fruit spectaculaire. Sa pureté est incomparable. La Tâche Domaine de la Romanée-Conti 1989 a la typicité du domaine. L’alcool est là, mais aussi la complexité, la virilité et la salinité. Les deux vins sont très différents, le Jayer très généreux et le DRC moins conventionnel, ce qui me plait plus. Le Jayer est la simplicité naturelle, La Tâche, c’est la complexité terrienne. C’est elle que je préfère est c’est pour moi le plus grand vin de ce jour merveilleux.
Une remarque me tient à cœur. Au repas des Bordeaux rouges, j’ai vu le sommelier vider les fonds de bouteilles dans un verre unique, où ils se mélangent, qui sera mis à l’évier. Une telle attitude me révolte. Aussi le lendemain, avec une diplomatie matoise, je suis allé lui dire que s’il y a des fonds de bouteilles, j’aimerais bien les boire, plutôt que de les voir jetés. Rien n’est venu jusqu’à moi. N’ayant aucune illusion sur la possibilité d’influencer le cours des choses, je regrette que pour beaucoup de vins, nous n’avons goûté, pour des vins sublimes, que la moitié de ce qu’ils ont à dire. Mais la moitié fut si belle que j’ai encore l’émerveillement d’un enfant gâté.
En trois jours, tant de vins historiques, c’est fou.
Champagne Bollinger Grande Année 1989 dimanche, 9 août 2009
Après une journée de sport, Alban le nouveau-né sert de fausse excuse une fois de plus pour ouvrir un Champagne Bollinger Grande Année 1989. Sur des tranches de jambon Serrano, ce champagne expressif est impressionnant. Son empreinte est forte, typée, et son final est raffiné. C’est vraiment un très grand champagne.
la famille est au complet, Salon 95, Mordorée 01 et Dom Ruinart rosé 90 vendredi, 7 août 2009
Par une conjonction aussi rare que les éclipses totales de soleil, mes trois enfants, leurs conjoints et leurs enfants se retrouvent au même moment dans notre maison du sud. La fenêtre de tir sera étroite puisque cela ne se produira qu’un seul jour, ce soir. Nous sommes neuf adultes et six petits-enfants. Le dîner des petits et le coucher des petits, c’est une source de décalages horaires, ou, comme dans le théâtre de boulevard, de portes qui s’ouvrent ou qui se ferment. Au milieu de cette agitation affectueuse et sympathique, j’ouvre un magnum de champagne Salon 1995, tout en tranchant des lamelles de jambon Serrano. La couleur est très jeune, d’un jaune transparent, la bulle est forte, et ce qui frappe immédiatement c’est le charme sans détour de ce champagne. J’ai connu des Salon complexes, intellectualisés. Celui-ci est facile, simple, joyeux et charmant. Et ce qui me frape, c’est l’équilibre des composantes. Car ce champagne charmeur est totalement solide. On l’aimerait peut-être un peu plus complexe. Mais sa générosité spontanée efface toute interrogation. Sur de petites lamelles de thon rouge, juste grillées, avec un filet de citron vert, le champagne Salon est divin, car il épouse la subtilité du thon.
Le lecteur fidèle de mes bulletins sait que dans ma famille il y a les « Ginette », club regroupant ceux qui aiment les vins modernes et faciles. Nous commençons donc par Chateauneuf-du-Pape La Janasse 2006, petite bombe de 15,5° sur la bascule. C’est du jus de cassis pressé assis sur une grenade dégoupillée. Ce vin sert de faire-valoir à un vin que je voulais absolument essayer, « Ginette compatible » comme on dit en anglais. Ce vin, c’est La Mordorée Chateauneuf-du-Pape magnum 2001. Le nez est puissant et d’une très grande précision. En bouche, du fait de la chaleur ambiante, l’alcool (14,5°) ressort fortement. Mais on sent qu’il y a dans ce vin puissant une trame énorme. Cassis et fruits noirs sont évidemment présents, mais il n’y a pas que cela. Ce vin est très équilibré, remarquablement fait, et d’un grand plaisir même s’il est encore d’une jeunesse folle. Un indice qui ne trompe pas, c’est que beaucoup plus tard, une heure après le moment prévu pour ce vin, ce qui est resté dans le verre est léger, élégant, et d’une grande subtilité.
Si le modernisme est un peu dérangeant, on ne peut qu’applaudir le travail bien fait et la promesse d’un grand vin. Sur une lotte cuite avec des gousses d’ail confit, avec une galette d’oignons confits et des aubergines farcies, le vin est capable de s’adapter à chaque composante, y compris la chair de la lotte. Il s’exprime plus sur l’ail et sur le lit d’oignons.
Deux interprétations de la pêche blanche accompagnent un magnum de Champagne Dom Ruinart rosé 1990. La couleur d’un rose de nacre intense réjouit les yeux. La bulle est très active et le champagne est d’un charme surhumain. C’est un des plus grands champagnes rosés que l’on puisse imaginer, de la même race que le rosé Dom Pérignon 1990 en magnum lui aussi. Ce champagne a du chien, de la race, et une sensualité raffinée et l’on se demande si ce rosé ne dame pas le pion au Salon 1995. Ce champagne de classe se sirote dans le calme d’une nuit paisible au rythme des conversations interminables.
Je voulais honorer ma descendance avec trois vins atypiques. Chacun des trois fut une belle surprise, la prime de l’originalité allant sans doute au Dom Ruinart, et la prime de la régularité allant au Salon 1995, sublimé par le format du magnum. Les retrouvailles de la famille, toutes générations confondues, ont pétillé autant que ces délicieux champagnes.
deux beaux Bandol très différents mercredi, 5 août 2009
La famille s’annonçant nombreuse au mois d’août, j’eus l’idée d’offrir pour cadeau à mon épouse les services d’un cuisinier pour ce mois. Je posai la question à Yvan Roux : « connais-tu un cuisinier qui puisse venir nous faire une cuisine simple à la maison ? ». Jamais je n’aurais imaginé qu’Yvan prendrait le projet à son compte. La cuisine qu’il nous prépare, essentiellement chez lui au départ, les finitions se faisant chez nous, est calibrée pour des adultes de sa taille, et pour des appétits comme celui qu’il avait lorsqu’il était international de rugby. Les petits kilos que j’avais en un mois gagnés sur la balance sont repris en à peine trois jours. Mais quel charme que sa cuisine de grand talent.
Sa cuisine appelle le vin. Mon gendre ouvre de sa réserve personnelle deux Bandol. Le Château de Pibarnon Bandol 2004 est la démonstration que les Bandol sont de grands vins. Il titre 14° mais grâce à une râpe fort agréable, cet alcool est bien intégré. Le vin est grand, expressif. C’est la définition du grand Bandol.
A côté de lui, le Château Pradeaux Bandol 2003 fait beaucoup plus doucereux, charmeur, enjôleur. Je préfère le Pibarnon, plus sauvage et austère et j’entends mon cousin qui déclare : « on voit bien que le Pradeaux est un plus grand vin ». Cela montre que les avis sur les vins sont très variés, car malgré l’année 2004, je trouve plus d’authenticité de Bandol dans le Pibarnon que dans le Pradeaux.
Dans le verre le Pradeaux s’épanouit et devient un vin d’un grand raffinement, d’une belle longueur. Le pressentiment de mon cousin n’était pas mauvais du tout, mais je continue, malgré l’élégant développement du Pradeaux à aimer le goût sans concession du Pibarnon.