En ces périodes de grande chaleur, on ne sait plus très bien comment traiter les vins rouges pour les servir à bonne température. J’avais placé une bouteille de La Courtade Côtes de Provence rouge 1995 dans le compartiment légumes du réfrigérateur. Sorti une heure avant de passer à table, ce beau vin de Porquerolles montre la trace de son passage dans le froid. Le vin est beau, avec un sentiment de râpe terrienne fort agréable, mais ce coup de froid, même léger, gauchit le goût d’un vin de Provence très raffiné.
Le lendemain, nous allons chez des voisins et amis pour dîner. La lune en milieu de premier quartier éclaire la table à travers une forêt de pins majestueux penchés sur une mer dont la houle nous berce de son bruit rythmé. L’apéritif se commence avec un champagne Moët & Chandon non millésimé qui sert de faire-valoir à un magnum de champagne Laurent Perrier Grand Siècle dont la fraîcheur romantique est un plaisir dont nous ne nous lassons pas (c’est le troisième magnum que nous partageons avec ces mêmes amis). Bulots, olives, pignons se grignotent d’un bon appétit.
Par une coïncidence amusante, mon ami ouvre une bouteille de La Courtade Côtes de Provence rouge 2004, qu’il a lui aussi fait passer par le réfrigérateur. Et nous aurons la preuve de l’effet négatif de cette mesure lorsqu’il ouvrira une deuxième bouteille du même vin sortant directement de la cave. L’écart est très sensible.
L’objet du dîner est de comparer deux daurades royales, l’une cuite par la maîtresse de maison et l’autre par le maître de maison. Je sors mon petit manuel virtuel de diplomatie afin de déterminer lequel de nos deux amis doit être flatté. En fait les deux daurades sont excellentes, celle du maître de maison étant plus portée sur la sauge. Et, sous les palmiers dont les troncs sont des piliers de cathédrale, dans l’agréable fraîcheur d’un soir d’été, je suis frappé par l’incroyable évidence que le vin et le poisson collent à la personnalité de cette belle région. Le vin est extrêmement terrien et m’évoque les pins parasols, les truffes encore pleines de terre et les olives noires. La sauge sent les champs et les sous-bois troués par un chaud soleil. Et le poisson, par son goût dont la légère râpe ressemble à celle du vin, consolide l’impression d’une cohérence gustative régionale. Je sens, je respire, je bois et je mange la beauté de la région. Dans la sérénité du soir, ce sentiment me remplit de joie.
Nous nous livrons ensuite à une orgie de glaces de la pâtisserie Ré. J’ai déjà dit que la maison Ré de Hyères donne le « la » des douceurs pâtissières. Glace à la vanille, sorbet abricot et sorbet framboise à profusion flattent la gourmandise, poussés par des gâteaux secs au goût de revenez-y. Le Grand Siècle laisse la vedette aux parfums de glaces et aux conversations d’une belle nuit sous la lune.