dîner au restaurant Matthias Dandine – photos vendredi, 1 mai 2009

La vue de la terrasse de l’hôtel des Roches, juste au dessus du restaurant (au fond, l’île du Levant)

amuse-bouche et homard bleu en fricassée, purée de fèves et ail nouveau, jus rouge et sucrine snackéee

Saint-pierre avec palourdes gratinées, fricassée de petits pois et fèvettes à la sarriette, sauté de seiche

Pièce de boeuf, ail confit, tapeno et olives, potimarron à l’huile d’olive, oignon paille confit croûte de parmesan

dessert fraises et rhubarbe

Troisième dessert et le Clos Mireille Domaine d’Ott en magnum 2005

Chateauneuf-du-Pape Domaine de la Janasse 1997 – Muntada Côtes du Roussillon Villages Domaine Gauby 2002

Château Vannières Bandol 1995

dîner au restaurant Matthias Dandine au Lavandou Aiguebelle vendredi, 1 mai 2009

Le soir au restaurant Matthias Dandine, j’ai le temps de féliciter le chef de son vin, car le comportement du vin lors du déjeuner a été sans faute. Le fidèle parmi les fidèles est venu avec des amis de la jeune quarantaine et nous commençons par un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1997. Ce champagne fort agréable et frais à boire me plait beaucoup plus que le dernier essai que j’en ai fait au même endroit. Est-ce que le climat marin le bonifie ? Sur de plaisants amuse-bouche, le champagne est à son aise, surtout sur un cromesquis à l’ail et un petit rouleau de sardine.

A table, nous prenons le menu intitulé « sur la Côte Varoise ». Mon ami commande un Clos Mireille Domaine d’Ott en magnum 2005. Le vin arrive trop froid et il faut de longues minutes avant qu’il ne révèle les réelles qualités qu’il possède, dont une mâche et un caractère charnu bien trempé. Le menu consiste en un homard bleu en fricassée, purée de fèves et ail nouveau, jus rouge et sucrine snackée, suivi d’un saint-pierre avec palourdes gratinées, fricassée de petits pois et févettes à la sarriette, sauté de seiche, puis d’une pièce de bœuf, ail confit, tapeno et olives, potimarron à l’huile d’olive, oignon paille confit croûte de parmesan.

Tout est exécuté de façon chaleureuse, et j’ai particulièrement apprécié la chair de bœuf. Le Clos Mireille est généreux, avec un final d’un beau panache. Le Chateauneuf-du-Pape Domaine de la Janasse 1997 est particulièrement plaisant et raffiné. Je l’adore sur le saint-pierre qui sait lui tirer des accents vibrants. Ce vin me plait beaucoup car il ne joue pas sur la force de son soleil mais joue d’un charme sécurisant.

J’ai beaucoup plus de mal avec le Muntada Côtes du Roussillon Villages Domaine Gauby 2002. Même si ce domaine a modéré ses ardeurs de naguère, je ne trouve pas assez de finesse. J’avoue que je pourrais être mauvais juge. Le plateau de fromages est bien composé et un Salers est divinement bon. Il anime un Château Vannières Bandol 1995 très convenable sans être ni tonitruant ni vraiment émouvant. Je l’apprécierais sans doute plus en une autre occasion.

Les desserts sont talentueux et l’un des convives insiste pour avoir un vin de plus. Ce sera un Champagne Gosset fort agréable à boire sur la terrasse, sous un ciel illuminé d’étoiles.

Matthias Dandine est toujours souriant et optimiste. Son équipe fidèle est très motivée avec un sens du service exemplaire. Par une des premières journées réellement belles dans cette région qui a souffert d’un hiver particulièrement arrosé, nous avons passé un excellent dîner.

deux beaux crustacés chez Yvan Roux vendredi, 1 mai 2009

Après avoir fréquenté six étoiles dans la même journée en déjeunant au restaurant Ledoyen et en dînant au restaurant Guy Savoy, il était urgent de faire une pause. Dans le sud, l’ordre du jour est au repos. Mais un ami fidèle ayant choisi la même destination me propose que nous dinions ensemble et j’accepte. A peine ai-je dit oui qu’un message arrive sur mon portable par lequel Yvan Roux m’annonce avoir reçu mes crustacés préférés. Ça ne se refuse pas.

Lorsque j’arrive pour déjeuner à la table d’hôtes d’Yvan Roux, deux cigales sont encore emballées dans un papier journal. Yvan prépare des beignets de calamar avec des violets.

Je m’assieds sur la terrasse et Yvan me dépose une assiette où un pesto va me permettre de faire trempette aux beignets de calamar. Peut-on imaginer goût plus franc et plus généreux ? J’ai apporté avec moi un Château Belle-Brise Pomerol 2002 que Matthias Dandine m’avait offert lors de ma précédente visite à son restaurant en me disant : « goûtez-le et donnez-moi votre avis ».

L’accord du pomerol avec les beignets se fait divinement bien. Ce pomerol très puriste est d’une définition très claire, et ce qui me séduit, c’est le final un peu rêche mais raffiné. Ce vin n’a pas l’ampleur des plus grands, année oblige aussi, mais il tient sa place à un niveau que je n’aurais pas soupçonné.

Yvan me sert la première cigale dont je saurai plus tard qu’il s’agit d’une femelle. En le goûtant, je repense à ce que disait Emma, sommelière à la Grande Cascade à propos du Bollinger Vieilles Vignes Françaises : « c’est un champagne d’initié ». Et la phrase qui s’impose est : « cette cigale a une chair d’initié ». Elle me fait l’effet d’être plus langouste que cigale, et je ne trouve ni la noix ni la noisette que l’on ressent dans la chair de la cigale. Babette me sert un verre de « R » de Rimauresq Côtes de Provence 2001 pour que je puisse comparer les sensations. Il est évident que le vin local est plus ensoleillé, mais il fait simple, et son final boisé s’accorde à la chair subtile beaucoup moins bien que le pomerol.

Le gratin d’aubergines à l’huile de noix, pignons et pesto est d’un goût juste et parfait, mais c’est un peu fort si l’on pense au vin. Vient maintenant le tour de la deuxième cigale, un mâle maintenant. La chair est dix fois plus excitante. Elle est moins typée, moins « initiée », plus doucereuse et incroyablement charmeuse. Comme la première, elle est servie pure, avec son jus de cuisson, sans aucune ajoute. Comme Yvan était venu aimablement me montrer comment manger la quasi-totalité de la tête de la première cigale, la tentation était grande de lui demander une nouvelle démonstration. J’ai préféré lui demander de me préparer la chair de la tête à sa façon, ce qu’il fit avec maîtrise, utilisant certains composants du gratin pour réaliser un mélange où la chair est mise en valeur. Le pomerol est à son aise et rend plus frustre le final du « R ». L’accompagnement de cœurs d’artichauts violets est très astucieux, car il modère et pondère la force de la cigale. Le pomerol s’est vraiment inscrit dans la continuité de la chair, ce qui constitue un test probant pour le Château Belle-Brise.

Après un dessert au chocolat et son sorbet au fruit de la passion, la sieste réparatrice avait un plaisir d’initié.

déjeuner à la table d’hôtes d’Yvan Roux – photos vendredi, 1 mai 2009

Les cigales encore dans leur emballage de papier journal. Yvan Roux fait frire des beignets de calamar avec de pets artichauts violets

La vue de ma table : à gauche l’Almanarre, e face la presqu’île de Giens

Une assiette artistiquement décorée de pesto, pour que j’y trempe calamars et artichauts

Château Belle-Brise Pomerol 2002

La première cigale est une femelle (à gauche, j’ai respecté la consigne "interdit d’en laisser")

La chair de la deuxième cigale est divine. A droite, sa présentation, comme avec des oreilles de lapin

Yvan a préparé la chair de la tête avec des condiments, de l’aubergine et du vinaigre de noix

Le dessert au chocolat et son sorbet au fruit de la passion

Quand on est assis avec cette vue, n’est-ce pas le bonheur ?

 

117ème dîner de wine-dinners au restaurant Guy Savoy mercredi, 29 avril 2009

Après une courte pause dans les jardins du restaurant Ledoyen et une petite marche digestive, je me présente au restaurant Guy Savoy pour ouvrir les vins du 117ème dîner de wine-dinners. Sylvain qui arrange les 132 verres sur la table viendra de temps à autre vérifier les odeurs des vins que je débouche. Il avait envisagé de mettre la Côte Rôtie entre les bordeaux et les bourgognes. Le choix de l’ordre de passage viendra des odeurs mais j’ai ma petite idée. Le test olfactif confirme mon choix de mettre la Côte Rôtie à la fin des rouges. Et j’ai eu raison. Il me faut batailler avec beaucoup de bouchons qui s’émiettent. L’odeur la plus merveilleuse est celle du Pommard 1947 dont je me demande s’il ne va pas damer le pion au Cros Parantoux d’Henri Jayer, vin mythique. Un vin libère une odeur d’entrailles de gibier attaquées par des mouches combinée à une désagréable senteur de petit lait. C’est atroce. Je n’en dis pas plus, pour laisser apparaître la considérable surprise au moment opportun. Le salon où nous dînerons est de l’autre côté de la rue mais dispose d’une mini-cuisine. J’assiste à un balai incessant de jeunes commis qui apportent les ingrédients de notre dîner. Cette noria est impressionnante.

Nous sommes servis par Julien, qui a fait un travail de sommellerie remarquable, par Carole, qui présente les plats avec une féminine assurance et une dévotion pour le chef qui fait plaisir à entendre, et par Emilie au beau sourire qui nous apporte des douceurs comme s’il s’agissait d’hosties consacrées.

Dans la salle à manger privée très étroite, la forme de la table me fait un peu peur pour les conversations qui vont se répartir en trois groupes, mais si cela s’est effectivement produit, l’ambiance fut enjouée, riante, concentrée sur la recherche du plaisir. Autour de la table un ami de longue date avec collaborateurs ou clients, un couple d’amis italiens qui a eu le nez de me téléphoner le matin même pour obtenir de dernière minute de remplacer des défections du dernier instant, un couple de japonais et quelques fidèles. Sur douze personnes, deux seulement participaient à leur premier dîner.

Comme nous sommes plus nombreux que d’habitude j’ai remplacé le champagne Dom Pérignon 1970 prévu en bouteille par un magnum que je venais d’acquérir. La bouteille fuyait un peu dans son emballage de livraison. Je m’en veux de ne pas avoir purement et simplement refusé cette bouteille, car dès la première gorgée, je suis furieux. La couleur est d’un brun gris, la bulle est inexistante, et le goût est fortement vicié par un contact fugace avec le métal de la capsule ou du muselet. Quand je n’aime pas, je n’aime pas et certains amis sont étonnés de me voir si virulent contre un vin somme toute buvable. Nous sommes debout, en train de goûter de délicieux toasts au foie gras et de fines tranches de parmesan de 36 mois. Il me faut agir. Je commande dans l’urgence une bouteille de Champagne Alfred Gratien Blanc de Blancs. Ce champagne à la bulle puissante crée un tel contraste qu’il me paraît impossible de le boire tant le saut « back to the future » est quasi impossible. Alors, je goûte à nouveau le Dom Pérignon qui me devient tout-à-coup agréable, comme s’il avait effacé ses malheurs. Hélas, le mal revient. Nous passons à table car je ne veux pas prolonger l’agonie et je fais servir à la fois l’Alfred Gratien mais surtout le Champagne Cristal Roederer 1978 qui est une bouffée de bonheur après ces malheurs. C’est un grand champagne d’une couleur qui commence à rosir, d’une belle bulle fine et d’une grande jeunesse malgré ses plus de trente ans. C’est un très bel exemple de Cristal Roederer, d’autant plus apprécié que le Dom Pérignon avait fait faux bond. L’amuse-bouche consiste en un flan de foie gras à la truffe noire et d’un gâteau de foie blond au naturel. L’accord du foie blond avec le Cristal Roederer, accord de complémentarité par le jeu des contrastes est confondant de bonheur.

Le menu créé par Guy Savoy : Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin / Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / Suprême de pigeon farci, piqué au radis noir, cuit à la vapeur, cuisse poêlée et betteraves, consommé et jus de pigeon / Ris de veau rissolés, « petits chaussons » de pommes de terre et truffes / Dessert d’Yquem / Fondant chocolat au pralin feuilleté et crème chicorée.

Le rouget accueille deux vins blancs. C’est un mauvais service à rendre au Meursault Auguste Prunier 1959, car ce vin s’il était bu tout seul, sur un plat, serait perçu comme un blanc absolument charmant. Son niveau dans la bouteille était exemplaire. Sa couleur est d’un or magnifique. Il est plaisant même s’il manque un peu de coffre. Mais il ne peut rien à côté du Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1953. J’aurais dû utiliser les services d’un huissier pour qu’il note l’odeur du vin à l’ouverture. Plus putridement épouvantable, je ne connais pas. A fuir. Or Julien me donne à goûter maintenant un vin au parfum splendide, pur, éblouissant. En bouche ce vin est la sacralisation du Corton-Charlemagne. L’année 1953 est une année que je vénère pour ce cru et la démonstration brillante en est faite ici. Plein en bouche, joyeux, coloré d’or fin, ce vin est un pur bonheur apportant des sensations de luxure comme le faisait l’Y de ce midi. Par gentillesse, nous revenons au Meursault pour constater à quel point le sort lui est contraire, car il eût fallu qu’il fût seul pour nous donner son beau message de Meursault, d’une belle année. Il est à noter que lorsque j’ai lu l’étiquette, je m’imaginais qu’il s’agissait du Prunier de la rue Duphot, restaurateur et caviste. Mais c’est un « vrai » propriétaire à Auxey-Duresses et non un négociant que ce Prunier.

La soupe d’artichauts est une institution ‘savoyenne’. La brioche que l’on trempe généreusement se justifie pour le plat seul mais beaucoup moins lorsqu’il y a de grands vins, qui se complaisent à la chaude douceur du brouet. Le Château Bensse Médoc 1936 a une couleur d’une franche jeunesse, car le rouge est d’un beau rubis. Le vin est d’une rare subtilité et jamais l’on ne supposerait qu’un 1936 pût être aussi charmant et épanoui. Il a de la violette. Mais comme précédemment, il est associé sur le plat à l’un des plus extraordinaires Pichon que je n’aie jamais bus. Le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1947 est une merveille de raffinement. En le buvant, je suis ému, car une nouvelle fois en peu de temps, je tiens en mon verre ce qui pourrait constituer un idéal du goût du vin rouge de Bordeaux. Et je constate que ce vin, issu d’un terroir noble, est immensément aidé par une année qui s’installe maintenant sur un sommet. Je me souviens qu’il y a vingt ans, les années 1928 et 1929 représentaient mon idéal. Vingt ans plus tard, je trouve en 1947 l’idéalisation de mes souhaits gustatifs.

Le pigeon est une merveille et va donner lieu à une succession d’accords d’anthologie. Si les paires de vins précédents étaient boiteuses, tant l’un des vins surclassait l’autre, la paire de bourgognes rouges est un festival de perfection. Tout ce qu’on peut adorer en Bourgogne se retrouve en ces deux vins. Le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1986 a un nez de dictionnaire c’est-à-dire que si l’on doit définir le nez idéal bourguignon, on ouvre à la page de ce vin, et c’est ça. En bouche il est parfait avec la salinité affirmée et un plaisir buccal rare. Mais le Pommard F.de Marguery 1947 a beaucoup plus de charme. Le vin d’Henri Jayer est parfait, une définition vivante. Le Pommard est moins universel, mais il a un charme et un romantisme uniques. Et lui aussi me confirme que 1947 est une année miraculeuse. Car jamais on ne pourrait commettre le sacrilège de placer ce Pommard devant un vin d’Henri Jayer s’il n’y avait le choix de cette année. Le bouillon de pigeon avec le Vosne-Romanée est absolument fusionnel. Cet accord sera couronné comme le plus grand du dîner. Un détail intéressant : sur le bouchon du Pommard est écrit : Domaine Roland Thévenin.

Le ris de veau est caramélisé en surface et fondant en son centre. Pour le plaisir du vin, je l’aurais préféré fondant partout. La Côte-Rôtie Audibert & Delas 1949 est elle aussi d’un rouge au beau rubis, ce qui fait que les cinq vins rouges pourtant anciens ont tous présenté des couleurs rouges éblouissantes, sans l’ombre d’une trace de tuilé. Ce qui me plait dans les vins anciens du Rhône, c’est que le message apparemment simplifié par l’âge recouvre une magique complexité. C’est d’un charme de jeune premier. Tout semble facile, mais c’est le fruit de la terre et du travail de l’homme, bonifié par un soleil complice. La chaude lourdeur de ce vin justifie sa place en fin de session des rouges.

Le Château d’Yquem 1980 est indéniablement Yquem et le dessert de Guy Savoy où la mangue et l’ananas se taillent une belle place lui est favorable. Mais j’ai trouvé cet Yquem classique beaucoup plus « en dedans » par rapport à des versions précédentes de la même année. Le Grenache Vieux « Superior Quality » Années 30 sur l’étiquette duquel est inscrit « très recommandé », ce qui est d’un bon enfant charmant, est moins charmant que son intention. Car ce vin qui évoque de stricts portos est assez déstructuré, fade, inconstant. Je suis gêné par des traces de gibier qui semblent ne pas entamer le capital de sympathie que ce vin trouve auprès de mes hôtes.  J’attendais l’originalité. Elle est là, car ce vin est déroutant et même plaisant, mais on est très loin du plaisir qu’il aurait pu donner.

Tout le monde connaît la chanson sur les cheveux d’Eléonore : « quand y en a plus y en a encore ! ». C’est le numéro que nous a joué l’équipe de Guy Savoy, car la sarabande des desserts qui n’en finissent pas tourne presque au théâtre de boulevard. L’image qui me vient est celle de ce prestidigitateur de cirque qui tire de sa bouche un mouchoir coloré, puis un autre qui lui est attaché et défile plus de vingt mètres de mouchoirs dont on se demande comment ils pouvaient être logés dans cette petite bouche. L’avantage de cette profusion est d’être servi par les beaux yeux d’Emilie et les sourires de Carole, mais l’impression d’être gavés tutoie la satiété.

Le vote est particulièrement difficile car il y a eu ce soir des vins éblouissants de perfection. Nous sommes onze sur douze à voter pour onze vins puisque le champagne Alfred Gratien ajouté est hors vote. Dix vins sur onze ont figuré sur les votes, ce qui est magnifique et les onze eussent figuré dans les votes si je n’avais pas fait corriger le vote d’un ami fidèle qui, troublé par mes attaques contre le Dom Pérignon abîmé, voulait lui faire justice. Cinq vins ont eu des votes de premier, ce qui est aussi très plaisant. Le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1953 a eu quatre votes de premier, le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1986 en a eu trois, le Pommard F.de Marguery 1947 en a eu deux et le Champagne Cristal Roederer 1978  ainsi que le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1947 ont reçu un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1953, 2 – Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1986, 3 – Pommard F.de Marguery 1947, 4 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1947.

Mon vote est : 1 – Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1953, 2 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1947, 3 – Pommard F.de Marguery 1947, 4 – Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1986.

J’ai longuement hésité tant j’étais tombé sous le charme des deux bourgognes rouges, mais la performance du Pichon 1947 était tellement exceptionnelle que je lui ai donné la deuxième place. Ce qui est sympathique, c’est que le Meursault, le Bensse, la Côte Rôtie et même le Grenache ont obtenu au moins un vote dans les quatre premiers sur onze vins. La gentillesse des votants mérite d’être signalée. Savoir que le vin qui arrive premier aurait été irrémédiablement jeté par un amateur non averti du fait de son odeur immonde est une nouvelle fois une belle leçon.

Il y eut des velléités de cigare et la grande question fut de savoir si ce sont les fumants ou les non fumants qui resteraient en salle. Aussi, d’un mouvement unanime, toute notre table sortit sur le trottoir où il faisait fort bon. Les discussions se sont longuement poursuivies. Les cigares n’apparurent point, c’était un pétard mouillé. Le plaisir d’être ensemble était un feu qui ne voulait pas s’éteindre.

Le vote du consensus et mon vote couronnent quatre mêmes vins qui furent absolument immenses, nous donnant de rares émotions. Guy Savoy venu nous saluer a pu constater l’ambiance enjouée mais attentive à capter à la fois les milles finesses des vins et les innombrables subtilités d’une cuisine chaleureuse et nette. Ce fut un remarquable dîner.

117ème dîner au restaurant Guy Savoy – photos du dîner mercredi, 29 avril 2009

Les bouteilles du dîner

Le champ de bataille de l’ouverture des vins et la table mise en place

Flan de foie gras à la truffe noire et gâteau de foie blond au naturel

Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin

Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes

Suprême de pigeon farci, piqué au radis noir, cuit à la vapeur, cuisse poêlée et betteraves, consommé et jus de pigeon

Ris de veau rissolés, « petits chaussons » de pommes de terre et truffes

Dessert d’Yquem (horreur, j’ai oublié de photographier le dessert ! Alors je photographie l’assiette vide !)

Fondant chocolat au pralin feuilleté et crème chicorée.

La table en fin de repas

 

117th dinner of wine-dinners – the wines mercredi, 29 avril 2009

Champagne Dom Pérignon 1970 in magnum. The label of the Italian importer seems to have been put under the Dom Pérignon label.

Champagne Cristal Roederer 1978

Meursault Auguste Prunier 1959

Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1953

Château Bensse Médoc 1936

Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1947

Pommard F.de Marguery 1947. When I opened the bottle I saw that on the cork was printed "domaine Roland Thévenin".

Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1986

Côte-Rôtie Audibert & Delas 1949

Château d’Yquem 1980

Grenache Vieux « Superior Quality » circa 1930

One can read on the label "Highly recommanded" ! (très recommandé)

 

Les amis de l’ami de Marc Veyrat au restaurant Ledoyen mercredi, 29 avril 2009

Nous nous appelons les amis de Marc Veyrat. Il serait plus logique de nous baptiser : « les amis d’un ami de Marc Veyrat », car un seul d’entre nous, notre cornac dans l’univers merveilleux de Marc Veyrat, peut prétendre à ce titre. Il y a longtemps que nous ne sommes pas allés déjeuner ou dîner dans un restaurant de Marc Veyrat, du fait des restructurations et convalescences du Maître, aussi rendez-vous est-il pris au restaurant Ledoyen car nous apprécions tous la cuisine de Christian Le Squer.

Avec l’ami (le vrai), nous explorons tous deux la carte des vins où il est possible de dénicher de belles pioches. C’est à signaler. Il y a bien sûr comme partout des prix inaccessibles, mais d’autres sont convenables. Le Champagne Jacquessson non dosé 1988 à dégorgement tardif est un champagne qui a déjà pris un bel or. La bulle est active et le champagne combine élégamment une belle jeunesse et un début de maturité. Il est agréable, mais il manque quand même un peu d’une petite once de folie. Les amuse-bouche donnent un aperçu de la sensibilité culinaire du chef. J’aime beaucoup son art des suggestions et sa mise en valeur des saveurs marines.

Dès la première gorgée du « Y » d’Yquem 1985, nous savons que nous avons gagné le gros lot. Car ce vin est un miracle. Tout en lui est au faîte de la gloire. Le nez est opulent, généreux, évoquant la magie d’Yquem. En bouche le vin est évidemment sec mais il aime esquisser le mystère du botrytis dont il n’est pas atteint. Ce vin est immense. Et la variation sur le thème du mousseron le fait chanter plus encore. Nous sommes au septième ciel culinaire.

Hélas, trois fois hélas, nous pensions avoir fait une bonne pioche en commandant un Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1991, année que le « vrai ami » et moi adorons en Bourgogne, mais ce n’est pas ça. La couleur du rouge est assez grisée. Le nez est légèrement acide et le goût du vin est coincé, délavé. Le vin n’a aucune ampleur, aucune générosité. Alors bien sûr il se boit, bien sûr on reconnaît le travail bien fait. Mais on est loin du plaisir que nous attendions d’un vin d’un domaine que nous aimons.

Le pigeon traité comme un orientaliste peindrait un paysage, a la peau qui craquelle d’un doré de sérail. Les épices abondent et c’eût été un mauvais choix de plat avec un Clos de la Roche parfait, aussi savourons-nous le plat pour lui-même. On est loin du Le Squer défendant sa Bretagne dans ces recettes-là. Les dattes fourrées au citron parviennent à tirer deux ou trois mots du bourgogne bégayant.

Le Château Climens Barsac 1976 n’en parait que plus beau. D’une belle année de Sauternes et Barsac, ce vin opulent et chaud illumine nos sourires par sa richesse dorée. Le dessert où cohabitent le pamplemousse et l’écorce d’orange confite se marie au Barsac dans la consanguinité assumée.

J’avais écrit aux participants du dîner de ce soir : « surtout ne buvez pas de vin au déjeuner et ne mangez pas trop ». Quand j’ai quitté la table vers 16 heures, je mesurai avec effroi que j’allais remettre le couvert pour un dîner de onze vins. Mais je ne regrette pas ce déjeuner d’amitié dont le « Y » d’Yquem représente un bijou.

déjeuner au restaurant Ledoyen – 13 photos mercredi, 29 avril 2009

Le chic de Ledoyen, qui rappelle le chic de la période des Lejeune, où l’on dînait sur des nappes en dentelle avec des couverts en vermeil.

Cette photo doit vous donner envie de cliquer sur la suite, pour voir les douze autres.

Les quatre vins que nous avons partagés entre amis

Champagne Jacquesson 1988 non dosé et « Y » d’Yquem 1985

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1991

Château Climens Barsac 1976

apéritif et amuse-bouche

raviolis de mousserons et pigeon

Le sublime dessert parfait pour le Climens (surtout la peau d’orange caramélisée)

Trente millésimes du Bon Pasteur avec Michel Rolland au Bristol mardi, 28 avril 2009

Michel Rolland, son épouse Dany, sa fille Marie et son gendre organisent une dégustation verticale du Château Le Bon Pasteur, Pomerol dont ils sont propriétaires, dans des salons de l’hôtel Bristol. Trente carafes à magnums sont alignées avec leurs cols de cygnes tournés vers le ciel. Dans une deuxième rangée à leurs côtés trente magnums du Château Le Bon Pasteur, puisque cette verticale se fait à partir de magnums. La température de service et l’épanouissement en carafes sont parfaits, ce qui valorise la dégustation. On nous demande de remonter le temps, de 1978 à 2008, ce que j’ai fait en respectant la consigne. Dans la salle il y a tous les plus grands experts du vin de toutes les revues qui comptent. Les plus jeunes prennent leurs notes directement sur leur PC. D’autres dont je suis utilisent un carnet. D’autres enfin ne prennent aucune note, repérant les millésimes essentiels. Comme je l’ai souvent fait lorsque je raconte des verticales, je vais retranscrire mes notes sans en rien changer afin de garder les impressions comme elles sont apparues au moment de la dégustation. Car les notes ne seraient pas les mêmes si les conditions de dégustation étaient différentes. Voici ce que j’ai noté.

Château Le Bon Pasteur 1978 : la robe est déjà tuilée et le nez déjà ancien. En bouche, le vin est délicieux. C’est un vin qui a de la maturité, oserais-je dire, un peu plus que son âge, surtout si l’on sait qu’il vient d’un magnum, mais il est vraiment joyeux et fruité.

Château Le Bon Pasteur 1979 : la robe est plus noire mais on trouve aussi des signes d’âge. Le nez est plus serré et fort. Il est moins expansif, plus amer, mais c’est un grand vin au beau final, même s’il manque de fruit.

Château Le Bon Pasteur 1980 : la robe est pus jeune et le nez est incroyablement puissant. Comment est-ce possible ? Son nez évoque les Riojas. Le vin est un peu fade, salin, de pruneau cuit. Il manque de final. Le contraste entre le nez et la bouche est saisissant.

Château Le Bon Pasteur 1981 : la robe est assez sombre. Le nez est très élégant. La bouche est un peu amère. Il y a un manque d’ampleur, mais je remarque la belle structure. Le final n’est pas très joyeux.

Château Le Bon Pasteur 1982 : la robe est classique, assez sombre. Le nez est très profond et très racé. Il n’y a pas en bouche l’explosion qu’on attendrait d’un 1982. Le vin est relativement discret mais on sent un potentiel qui ne demande qu’à s’exprimer. Il a encore du potentiel de vieillissement. Le final est somptueux, ce qui est la signature d’un grand vin.

Château Le Bon Pasteur 1983 : la robe est un peu plus orange. Le nez est ouvert et joyeux. En bouche, c’est assez chantant. Bien ouvert, le vin est agréable et à boire maintenant, ce qui le différencie du 1982 à l’avenir immense. La belle finale est poivrée. Le vin manque un peu d’étoffe mais donne beaucoup de plaisir.

Château Le Bon Pasteur 1984 : la couleur est légèrement orangée. Le nez est calme et serein. En bouche on remarque instantanément le manque d’ampleur ; le vin est sec. Il est assez agréable mais limité.

Château Le Bon Pasteur 1985 : sa robe est la première qui devient réellement plus rouge et moins foncée. Le vin est frais, léger, manquant de force mais jouant sur l’élégance. Son final est poivré.

Château Le Bon Pasteur 1986 : la robe est plus noire, moins rouge. Le nez est opulent. En bouche, c’est un vin qui se cherche encore, du moins à mon palais. Car tout y est mais il lui manque quelques années. Très agréable, ce vin puissant et charnu doit encore être attendu dix ans. Il sera grand.

Château Le Bon Pasteur 1987 : la couleur est assez noire et le rouge n’est pas très net. Le nez est très ouvert mais manque un peu de profondeur. La bouche est joyeuse. Le vin n’est pas hyperpuissant mais il est joyeux à boire. Il n’ira plus vraiment très loin et se boit maintenant avec plaisir, malgré un final un peu rêche.

Château Le Bon Pasteur 1988 : la robe foncée est assez belle, le nez est strict et puritain. La bouche est un peu déséquilibrée. Il est trop strict à la finale sèche. Benoît, l’œnologue du domaine confirmera au déjeuner l’impression d’imperfection que j’ai ressentie.

Château Le Bon Pasteur 1989 : la jolie robe est équilibrée. Le nez est un peu fermé mais de grande race. La bouche est ravissante. C’est janséniste, car il y a un coté gaillard qui se cache derrière une parure stricte. C’est un vin étonnant qui sera très grand avec le temps. Il faut qu’il s’encanaille. La finale est sèche mais la longueur immense.

Château Le Bon Pasteur 1990 : la robe est foncée, mais c’est le premier rouge que je vois rubis. Le nez est très fort mais paradoxalement retenu. Le vin est beaucoup plus complet que les autres. Très jeune, très élégant, il a beaucoup de charme. Il  a relativement peu de fruit, il est assez strict, et son épanouissement se trouve dans son final.

Château Le Bon Pasteur 1992 : la robe est légèrement trouble. Le nez est complètement inattendu. Il est tellement généreux ! En bouche, le vin est beaucoup plus puissant que ce qu’on attendrait. Il manque un peu de trame, mais il est élégant et agréable à boire. Il laisse dans le verre un peu de dépôt.

Château Le Bon Pasteur 1993 : la robe est d’un rouge sombre. Le nez est aussi très épanoui. La bouche est assez limitée. On sent le bois, la râpe. Il est trop strict pour moi, très différent du 1992.

Château Le Bon Pasteur 1994 : la robe est noire, le nez un peu acide mais prometteur. Le vin est très confortable, très classique. Ce n’est pas un vin que j’aime, car il manque un peu trop d’imagination. Il est trop correct, au final charnu et poivré.

Château Le Bon Pasteur 1995 : la robe est sombre mais d’un beau rouge. Le nez est à la fois sobre et intense. L’attaque est belle et joyeuse. Le vin est bien ouvert et joyeux. Il est très agréable à boire car totalement équilibré. Il n’a pas une once d’amertume et de bois. Très élégant, son final est un peu moins génial, mais j’aime beaucoup ce vin.

Château Le Bon Pasteur 1996 : la robe est sombre. Le nez est très puissant et généreux. La bouche est très belle. C’est un vin de race qui envahit la bouche et s’impose. On sent que l’on franchit un seuil qualitatif. Ce très grand vin est agréable maintenant mais sera royal dans trente ans. Je suis conquis, car ce vin est à la fois très « Michel Rolland » et très prometteur.

Château Le Bon Pasteur 1997 : la robe est très belle. Le nez est étonnamment puissant, ce qui semble devenir une constante pour tous les millésimes dits faibles. Le vin est légèrement amer mais très agréable à boire. On constate l’évidence de la différence de structure et de matière avec le 1996. Il manque un peu d’étoffe mais se boit plaisamment.

Château Le Bon Pasteur 1998 : la robe est plus noire et le rouge est moins beau. Le nez est d’une élégance extrême. C’est le premier vin où apparaît la sensation de jus de mûre, ce qui est sans doute lié à l’âge. Il est très charmeur, mais je trouve qu’il perd un peu de la complexité du Château Le Bon Pasteur. Il est séducteur, riche, fort et poivré, mais il n’a pas l’élégance du 1996. Son goût est « moderne » ou peut-être tout simplement « jeune ». Je le trouve un peu râpeux et astringent.

Château Le Bon Pasteur 1999 : la robe est très noire, de couleur de mûre. Le nez est celui de fruits noirs. La bouche est claire, fluide, nettement plus intégrée que celle du 1998. Il est plaisant, facile à boire, très poivré, feuille de cassis et cassis. On perd un peu la lignée Bon Pasteur, mais c’est très agréable. Je ne parierais pas sur une grande longévité.

Château Le Bon Pasteur 2000 : le vin est très noir, d’une couleur racée. Le nez est très élégant, à la puissance contenue. Le vin est tout en rondeur, d’une puissance mesurée. Il est presque léger ce qui est étonnant. Car voir un 2000 si délicat joli et romantique, qui dirait cela parmi les détracteurs de Michel Rolland ? La continuité est évidente avec les vins de 1998 et 1999, mais ici on a l’affirmation d’un vin de style, élégant, racé et délicat. Et l’on voit que s’il y a un style Michel Rolland, alors, ce style varie ses effets selon les millésimes.

Château Le Bon Pasteur 2001 : le vin est noir avec une trace de violet. Le nez redevient puissant après la pause 2000. Le vin est plus fort, très fruit noir. Le vin est tout en affirmation, clair, net et précis. C’est un grand vin qui ne se pose aucune question. Il va se bonifier avec le temps mais se boit déjà avec un infini plaisir.

Château Le Bon Pasteur 2002 : sa couleur noire est d’un rouge assez joli. Le nez est lui aussi puissant et l’alcool s’y montre. La bouche est puissante, très boisée. C’est un vin qui n’a pas beaucoup d’imagination mais compense par sa force. Le final est fort, mais après 2000 et 2001, j’aime moins.

Château Le Bon Pasteur 2003 : la robe est celle d’un jus de mûre. C’est une belle robe profonde. Le nez est extrêmement jeune, aussi ai-je plus de mal à l’appréhender. La bouche est assez incroyable car il y a de l’élégance, de la légèreté et de la précision. Cette forme de vin est assez incroyable. Il y a beaucoup de mûre et de poivre, surtout dans le final. Le vin est plaisant. Il est assez primaire, comme la masse de muscle d’un nageur français, mais il y ajoute du charme. Même si l’on devait classer ce vin dans les vins « modernes » avec ce petit grain de péjoratif qu’on associe souvent, j’avoue que j’aime.

Château Le Bon Pasteur 2004 : la robe noire est belle. Le nez est discret mais élégant. Le vin est charmant. Il n’y a pas beaucoup de matière mais il est élégant. Le final manque quand même de quelque chose. C’est un vin à boire comme il est, à l’ombre des grands.

Château Le Bon Pasteur 2005 : la robe de noir et violet a quand même un liséré d’un rouge très beau. Le nez est très racé. La bouche est marquée par la perfection. Il est encore très simplifié, assez brutal, mais il va s’organiser, et s’assembler. La longueur est belle, mais il faudra bien dix ans, pour mon palais, avant qu’il ne s’assemble.

Château Le Bon Pasteur 2006 : sa belle robe est moins foncée. Le nez est très élégant. La bouche est agréable, très pure, poivrée mais j’ai le léger sentiment d’un petit manque. Je crois qu’il va évoluer vers beaucoup d’élégance, mais j’attendrai pour juger.

Château Le Bon Pasteur 2007 : c’est le rouge et le noir. Le nez est résolument celui d’un vin bambin. La bouche est très différente, car je suis frappé par l’élégance et la pureté absolue de ce vin. J’adore ce vin parce qu’il ne va pas trop loin. C’est le premier des Bon Pasteur dans lequel je trouve du café et de la truffe. Il ne vieillira pas aussi bien que d’autres, mais j’aime assez sa franchise.

Château Le Bon Pasteur 2008 : il est d’une belle couleur et si son nez n’est pas encore formé, il est beau. Il est très agréable et très buvable à ce stade de sa vie. Je suis assez incapable de le caractériser.

Une verticale aussi serrée, puisque toutes les années se suivent sauf 1991, est d’un intérêt très grand. Ceux qui voudraient faire croire que Michel Rolland lisse tous les millésimes sur un modèle de vin unique en seront pour leurs frais. Les millésimes se suivent et ne se ressemblent pas. L’effet millésime est considérable et il y a de belles surprises dans les années faibles, comme 1992 et 1987. Pour les grandes années, je ne vois aucune exagération que l’on pourrait imputer à un style Michel Rolland, comme je l’avais déjà remarqué pour Le Bon Pasteur lorsque j’avais visité le laboratoire de Michel Rolland et goûté les vins de son « écurie ». Mes voisins ont beaucoup aimé le 2001, en grande forme. Je l’ai aimé aussi, avec un petit coup de cœur pour 1990, 1996 et 2000. Cette dégustation d’un bon Pomerol est d’un grand intérêt.

Après une photo de groupe dans le beau jardin intérieur de l’hôtel Bristol, nous passons au restaurant pour le déjeuner. L’apéritif, un Champagne Billecart-Salmon rosé en magnum sans année est bien utile pour corriger l’astringence des trente vins que nous venons de boire. Ce champagne n’a pas une grande complexité mais il arrive à point nommé et sur de délicieux amuse-bouche, il joue bien son rôle.

Le menu préparé par Eric Fréchon est le suivant : œuf de caille au plat, lentilles du Puy en gelée de pain brûlé, écume de lard / oignon rosé de Roscoff cuit à la cabonara, royale de truffe noire et girolles / filet de bœuf et paleron bordelais, millefeuille de pommes de terre / brie fermier des Trente Arpents Baron Edmond de Rothschild / crémeux noir, sablé craquant, noisette torréfiée croustillante, glace à l’infusion de café, émulsion de caramel.

Nous commençons par un Château La Grande Clotte Bordeaux blanc 2001, qui est le seul vin blanc fait à Pomerol mais sur des vignes de Lussac Saint-Emilion. Le nez est très fort. Benoît, l’œnologue du Bon Pasteur qui est à ma table explique que les méthodes de vinifications sont bourguignonnes et que le résultat, très oxydatif, tend vers un vin de Jura. A 14°, il ne me plait pas tant que cela, car il est fort. La délicieuse gelée forme un accord remarquable avec le vin blanc.

Le Château Le Bon Pasteur 1998 est servi en double magnum et Benoît en est très fier. Je le trouve assez anguleux et manquant de complexité. On est en plein dans le vin moderne, brut de forge. Le contraste est extrême avec le Château Le Bon Pasteur 1982 servi en impériale. Ce vin est toute douceur et plein de finesse. Alors que Benoît parle de la tendance actuelle à boire les vins très jeunes, on a ici la démonstration de l’évidence de l’effet du temps sur le plaisir de boire. Le filet de bœuf est assez sec alors que le paleron est divin avec le 1982. La petite tranche de moelle qui accompagne le paleron forme un mariage succulent avec le 1998.

Le Brie est spectaculairement bon. J’ai souvent mangé ce fromage de la baronne. Jamais il n’a été aussi délicieux. Par un phénomène d’une évidence extrême, tout d’un coup, le 1998 s’arrondit dans le verre et devient civilisé comme jamais on n’aurait cru qu’il le devînt.

Michel Rolland a fait un aimable discours sur la joie qu’il a de faire le Bon Pasteur. Sa générosité fut exemplaire. S’il fallait briser la réputation de monolithisme de la « façon » du « flying winemaker », la démonstration est faite. S’il fallait nous faire mieux connaître un très bon pomerol, la démonstration est réussie. Cette verticale fut largement convaincante de l’intérêt du Château Le Bon Pasteur.