116th dinner – pictures samedi, 18 avril 2009

The group of wines

Two interesting corks : Pichon Baron 1904 and Lafite 1900

All the corks

Homard en salade, (I forgot to take a picture of this dish, very traditional)

« Royale » et queues d’écrevisses légèrement frottées au curry, mousserons et fleurette thym-citron

Foie gras de canard poêlé, primeurs en aigre doux

Carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté

Sot-l’y-laisse et fregola sarda aux dernières truffes noires

Morilles farcies, écume d’une sauce poulette

Comté 36 mois

Millefeuille garni d’une mousseline aux agrumes et caramel de beurre salé

Sorbet cacao et palmiers

The table with "some" glasses

Some people drink more than others !

L’incroyable cave de Michel Chasseuil vendredi, 17 avril 2009

Michel Chasseuil est un collectionneur qui a eu les honneurs de la presse, car il a une collection de vins rares impressionnante et il espère lever des fonds pour créer un musée. Il voudrait figer sa cave pour en faire un patrimoine de l’humanité et le fait que ses vins soient destinés à ne pas être bus m’effraie. J’ai donc entretenu le contact que j’avais avec lui pour essayer de le persuader de l’impérieuse nécessité que l’on boive ses trésors. Au seuil de sa porte, il m’accueille en pantoufles charentaises. Dans sa maison, les articles, livres et photos abondent. Comme il est bavard, il y a toujours une anecdote qui le conduit à aller chercher un document qu’il brûle de me faire lire. Nous prenons un déjeuner frugal dans sa cuisine, de radis et pâté maison et quelques fromages de sa région sur son vin, Château Feytit Clinet 2001 que je trouve très agréable.

Nous descendons ensuite dans son sanctuaire et je pourrais y passer des jours et des nuits, tant chaque recoin regorge de trésors invraisemblables. Ayant consacré un temps considérable à sa collection, il a su dénicher des bouteilles inaccessibles voire uniques. Mes yeux brillent devant ce qui constitue un rêve probablement irréalisable aujourd’hui du fait de l’explosion des prix, même tempérée par la crise. Je ne peux qu’être impressionné par cette caverne d’Ali Baba tant les crus et les années prestigieuses résonnent à mes oreilles. Je dis oreilles car les yeux sont moins gâtés. A l’exception d’une impressionnante vitrine aux souvenirs historiques uniques, l’essentiel des vins est dans des caisses de bois verni dont le nom est soit celui de la caisse du domaine, soit écrit de la main de Michel Chasseuil. Il aime à dire que sa cave est le fruit de transactions heureuses de vins qu’il avait achetés il y a trente ans pour une poignée de cerises. Il se présente comme vivant de sa maigre retraite et me dit : « vous qui êtes riche », ce qui me semble aimablement romancé, car quelqu’un qui s’est acheté une impériale et six magnums de Latour 2005, une caisse de six du champagne le plus cher de l’histoire, la cuvée d’Ambonnay de Krug, qui achète chaque année des magnums de Le Pin et des cuvées Cathelin de Chave, autant de vins que je trouve hors de ma portée, pourra difficilement me faire croire au « pov’ paysan » de l’imagerie d’Epinal. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il est malin comme un singe, car nous avons fait un peu de troc entre certaines de nos bouteilles, et il n’est pas tombé de la dernière pluie.

Sa cave est réellement unique, car elle est le fruit d’une passion de posséder tout ce qu’il y a de plus rare dans l’histoire du vin. Cette passion est sincère. Mais c’est une cave figée, rangée avec un soin d’apothicaire. Il le dit lui-même : « cette cave, c’est le Louvre du vin ».

J’ai un immense respect pour cette œuvre unique, mais j’aimerais arriver à le persuader de « démomifier » sa cave, afin que les mythes absolus qui la fondent se traduisent en une mémoire du goût plutôt qu’en un ossuaire.

Ma cave est plus importante en nombre mais nettement moins importante en vins de légende. Ai-je le regret de ne pas avoir suivi sa démarche ? Non, pour deux raisons. La première est que je n’aurais jamais pu consacrer autant de temps à pister une bouteille unique avec un réseau d’informateurs. La seconde est que ma cave vit, dans son joyeux capharnaüm, et correspond à ma personnalité.

Ce qui me permet en toute décontraction d’être admiratif de ce que la passion de cet homme a pu construire. C’est beau, c’est spectaculaire. Michel, très professeur Nimbus qui cache sa malignité sous son humilité est un homme passionnant. Il faudrait que sa cave vive. Demain, à quelques amis, dont Steve, nous allons mettre en pratique ce beau précepte en partageant des vins canoniques. C’est la folie dont j’aimerais que  Michel Chasseuil soit aussi touché. En tout cas, bravo pour cette œuvre unique.

cave de Michel Chasseuil – 17 photos vendredi, 17 avril 2009

Nous avons déjeuné dans la cuisine avec Chateau Feytit-Clinet 2001 fait par le fils de Michel Chasseuil

sur la nappe en toile cirée de la cuisine, nous avons fait un accord de troc entre une de mes bouteilles de Chypre 1845 et une bouteille de vin de paille de 1893 de Bouvret.

deux vues de la cave de Michel Chasseuil. Le plafond qui joue le rôle d’un miroir, grandit encore l’impression imposante de la cave

D’après ce que j’ai compris, il existe une dame Cathelin qui a peint avec ce pinceau et ce tube de peinture la célèbre étiquette du nom moins célèbre vin : la Cuvée Cathelin Ermitage de Chave


Lacrima Christi vin de Massandra 1897 du Prince Golitzin

avoir des magnums de Romanée Conti dans des années aussi prestigieuses que 1999 et 2005, ce n’est pas donné à tout le monde. Est-ce compatible avec l’image du petit retraité qui ne vit que de sa retraite ?

des magnums de Pétrus 2005, impériale de 2005, magnums de 1990, là aussi des rêves de collectionneur de vin !

Pétrus des années mythiques sur des doubles magnums de 2005 et 2000. Je ne dois pas avoir la bonne retraite (dit avec beaucoup de jalousie)

Obtenir des Screaming Eagle ne peut se faire que si l’on est reconnu comme acheteur sérieux. C’est le cas de Michel Chasseuil

Une Yquem 1821 (j’ai redressé la photo, car elle repose couchée)

J’ai pris cette photo car j’ai aussi des bouteilles qui ont la même gravure dans le verre en écusson. Il s’agit de Louis Philippe d’Orléans. Je n’ai pas osé demander à quoi correspond ce « 350 € » ?

Il fallait bien finir ce petit reportage sur une bouteille qui a été bue, car c’est la vocation de toute cave, vocation à laquelle – j’espère – Michel reviendra un jour (?). Il s’agit d’un mythe, d’un rêve : Lafleur 1947 en magnum

Cette cave mérite le respect, car il y a des flacons qui représentent le rêve ultime, le rêve inaccessible de tout amoureux du vin. Bravo Michel Chasseuil d’avoir acquis avec opiniatreté et tenacité ces flacons introuvables ou inaccessibles.

dîner à l’hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion jeudi, 16 avril 2009

Après tout cela (dîner à Canon La Gaffelière et déjeuner au Domaine de Chevalier), un repos s’imposait. Le dîner à l’hostellerie de Plaisance se fit à l’eau. La carte des vins méritait que je l’examine. Il y a de bonnes pioches possibles mais aussi des prix qui étranglent. Devoir mettre mille euros de plus que le prix actuel de négoce pour boire Yquem 1986 est inenvisageable pour moi. J’ai la chance de ne pas être critique gastronomique, il y a d’autres François que moi pour cela.

Seul, fatigué, je n’ai pas mordu à la cuisine de Philippe Etchebest. De plus en plus sensible à des cuisines épurées où le produit est au cœur de la recette, j’ai du mal avec une cuisine où l’on mélange allégrement des saveurs tous azimuts, sans que la cohérence pour le produit n’apparaisse évidente. Doter une huître de vodka et de pomme granny-smith crée une sensation d’amertume à laquelle je fus plus sensible que d’autres. Le bar, accompagné aussi bien de noix de coco que de betterave, au sein d’un plat à tendance orientaliste aux épices appuyées, est bon mais je n’étais peut-être pas d’humeur accueillante. Cette cuisine devra être revisitée pour que mon jugement se précise. L’impression de ce soir ne peut pas être conclusive, car j’ai la mémoire d’excellents repas préparés par ce chef.

 

L’église de Saint-Emilion parée du rose d’un soleil couchant (vue d’un jardin suspendu proche de ma chambre à l’hostellerie de Plaisance).

Dégustation de vins primeurs de 2008 au Domaine de Chevalier jeudi, 16 avril 2009

Le lendemain midi, une bonne partie de notre fine équipe se retrouve à Domaine de Chevalier pour la présentation du millésime 2008 pour les vins du Domaine de Chevalier, pour ceux de Stephan von Neipperg et pour Château Guiraud. Lorsque nous nous saluons, nous prenons des airs d’anciens combattants se remémorant des batailles très usantes. Autour de nous, de nombreux négociants et courtiers sont déjà au courant que l’épreuve fut rude.

Les 2008 sont une affaire de spécialistes. J’ai donc butiné, trouvant les vins plutôt bons, La Mondotte hyper puissant, Canon La Gaffelière très bien fait ainsi que Domaine de Chevalier rouge. Le blanc de Domaine de Chevalier m’a beaucoup plu, complexe par rapport au « G » de Guiraud. Seul sauternes présent, Guiraud 2008 est assez éblouissant. D’un rendement de 4 hectolitres à l’hectare, il promet de devenir une référence.

On se dirige lentement vers l’espace d’un chai agencé pour notre déjeuner. Philippe Pantoli m’explique les jambons de Jabugo qu’il présente, absolument délicieux. Il détaille les méthodes de fabrication et c’est d’un intérêt certain. Un stand d’huîtres et de foie gras à tartiner impose un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle très rafraîchissant et qui vibre sur l’huître de magistrale façon.

Marc Demund, le traiteur qui avait réalisé les deux dîners que j’ai faits au château d’Yquem est souriant. Il tranche des truffes qui sont parmi les dernières de leur saison sur des portions de poulet en sauce et purée de pommes de terre. C’est très bon. J’essaie La Mondotte 2003, mais par cette chaleur de mi-printemps, c’est trop puissant pour moi. Le Canon La Gaffelière 2000 correspond beaucoup plus à mes envies.

Bernard Antony fait de pédagogiques assiettes de fromage qui sont une leçon de géographie. Les bavardages vont bon train avec les courtiers et négociants bordelais. Une fois de plus Anne et Olivier Bernard ont montré à quel point ils savent recevoir avec le plus grand raffinement.

Au château Canon La Gaffelière, une débauche de très grands vins mercredi, 15 avril 2009

Quand les bordelais reçoivent, ils reçoivent ! Mon ami collectionneur américain Steve vient en France avec son fils Wesley pour une succession de visites chez des vignerons. La première semaine est bourguignonne, la seconde est bordelaise et le point final sera le dîner au cours duquel nous partagerons certaines de nos pépites. Steve est passé par Londres où il conserve une partie de sa collection de vins et je l’accueille à sa sortie d’Eurostar. La Gare du Nord est un melting-pot coloré qui laisse imaginer que la langue de Voltaire n’est pas vernaculaire. L’attente du train est ponctuée de messages répétitifs où l’on vous annonce que du fait du sabotage d’une caténaire, la voie de Paris à Compiègne n’est pas utilisable. Le ton de l’hôtesse qui serine ce message vous ôte toute envie de somnoler. Comme des passeurs de drogue – du moins je l’imagine – je prends en charge les vins de Steve pour notre futur dîner et j’accompagne mes deux amis à la Gare de Lyon, car sans tarder, ils se rendent en terre bourguignonne.

Une semaine plus tard, je rejoins mes amis à Bordeaux pour un dîner organisé par le Comte Stephan von Neipperg, propriétaire de Canon La Gaffelière. Il était prévu que je loge chez Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, mais il m’est apparu plus opportun de loger à l’Hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion. Je rassure mes lecteurs fidèles, j’ai consciencieusement évité la pomme arrosoir de ma douche au profit d’une pommette de taille minuscule au jet gérable. Au moment de partir pour aller dîner, qui vois-je ? Bernard Antony, le célèbre fromager, qui vient dîner en ce lieu avec quelqu’un qui m’est présenté comme l’empereur des jambons. Je les reverrai le lendemain pour une dégustation de vins de 2008 qui se tiendra au Domaine de Chevalier.

J’avais apporté et ouvert ma bouteille à 16 heures au domicile de Stephan von Neipperg et discuté pendant l’ouverture en cuisine avec sa charmante épouse. Le groupe qui dîne ce soir au château de Canon La Gaffelière se compose de Stephan et son épouse Sigweis, d’Olivier Bernard, de Robert Peugeot et de Xavier Planty, tous membres du conseil d’administration de Château Guiraud, le dernier cité étant celui qui dirige le domaine et fait le vin. Viennent ensuite Patrick Baseden, viticulteur qui dirige les vins de Montesquieu, Laurent Vialette que Stephan présente avec insistance et répétition comme ‘le’ spécialiste des vins anciens, Jeffrey Davies, négociant en vins à Bordeaux, d’origine américaine et mes amis Steve et Wesley. Nous sommes onze et presque tous les participants ont apporté un ou plusieurs vins, pour une débauche bachique.

Le menu préparé par un traiteur se compose de bouchées apéritives, d’un gâteau léger de Saint-Jacques au citron vert / pavé de rumsteck aux échalotes confites, clafoutis de légumes d’été / fromages / gratin de fruits exotiques au sauternes.

Nous prenons l’apéritif dans une grande salle très confortable. Le champagne Bollinger 1990 en magnum est très agréable à boire. Il renarde dit un convive, signalant ainsi les premières marques de maturité qui, comme de premières rides, donnent un supplément de charme. Pendant ce temps Stephan et Sigweis règlent par téléphone le problème d’une de leurs filles qui a perdu son passeport et n’a pu prendre un avion à Paris. La soif gagne pendant que nous attendons, étanchée par un champagne Krug 1988 à la solidité d’un roc. L’un des amis dit que c’est un vin de protestant, faisant allusion à son aspect strict. Les deux champagnes se sont mis mutuellement en valeur, le Krug dominant par sa structure impérieuse et le Bollinger  faisant briller son charme élégant.

Nous passons à table et nous commençons par une série de trois vins blancs, suivis peu après d’un quatrième, qui sont bus à l’aveugle, comme la quasi-totalité des vins de ce repas. J’ai constaté que les vignerons présents trouvent assez bien les cépages et les climats. J’ai rapidement vu mes limites dans un tel exercice, aussi ai-je adopté une prudente réserve dès qu’il m’est apparu que pour un vin, j’hésitais sur la région. Mes commentaires seront donc emprunts d’une grande humilité.

Le premier est un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989. Je le trouve élégant par comparaison au second qui est d’une rare puissance, un Bienvenue-Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1992, d’une année particulièrement réussie. Bien évidemment, je reconnais le style Leflaive une fois qu’on a annoncé de quels vins il s’agit. Le nez du troisième est particulièrement subtil. C’est un vin que je trouve rare par sa qualité, et jamais je n’aurais pensé qu’il est si jeune : Montrachet Domaine Ramonet 1985, dont Jeffrey a trouvé le nom du domaine. Xavier trouve que le quatrième blanc est légèrement bouchonné, mais c’est infime et ne gêne pas la dégustation d’un vin de grande classe, Château Haut-Brion blanc 1949. Ce vin commence par une légère amertume mais quand il s’épanouit, on mesure la qualité d’un vin exceptionnel. Le bouchon, s’il a existé, a totalement disparu.

Nous abordons les rouges par une série de trois vins. Le premier est magique, le second est un peu fermé et le troisième est adorable. Je le trouve parfait. Le premier est un Château Canon La Gaffelière 1961, suivi d’un Château Canon La Gaffelière 1959 qui, lorsqu’il s’épanouit, se montre plus racé que le 1961 très pur mais très dogmatique, et le troisième est Château Haut-Brion 1962, qui démontre que cette année est capable de miracles. Je suis conquis par ce vin d’une rare élégance. Laurent dit qu’il vaut le 1961 de la même maison. Je ne le pense quand même pas car j’en ai un souvenir marquant.

Il y a un seul plat pour les rouges, et personne ne sait combien nous en boirons. Tout le monde se moque de moi, et particulièrement mon voisin de table Olivier Bernard, car je garde résolument mon assiette de viande qui devient froide, pour pouvoir accompagner les vins qui suivent. Mon assiette sera débarrassée au moins une heure après celles des autres. Le premier de la deuxième série est Château Mouton d’Armaillac 1921, vin très intéressant, au nez superbe et à la bouche un peu sèche. Le second est un Domaine de Chevalier rouge 1918 d’une grande pureté, vin très clair et plaisant. Olivier n’en avait jamais bu. Le troisième est une curiosité absolue car l’étiquette dit : « old Burgundy 1870 to 1920 » Maison Jadot. Une fourchette de dates de cinquante ans n’est pas d’un grand secours. Le vin est très doucereux et très beau. J’ai aimé, sans pouvoir réellement le dater.

Nous passons maintenant à des vins très jeunes : La Mondotte Saint-Emilion 1999 en magnum, vin très truffé et puissant, puis le Clos des Truffiers Coteaux du Languedoc 2001, vin à 100% de syrah, dont le vignoble appartient à Jeffrey. Vient ensuite un vin qui surprend tout le monde et dont certains regrettent que Palmer utilise son étiquette caractéristique, car il s’agit d’un Palmer XXe century 2004 à 75% de syrah. D’où vient-il, je ne sais. Il n’est pas déplaisant du tout.

Le quatrième est très élégant et floral. Il est grand et encore plus grand lorsque l’on sait ce que c’est : Penfold Grange Hermitage 1982. Certains amis ont déjà rendu leur assiette de fromage quand je rends celle de la viande, plus opportune, même froide, que celle des fromages qui ne s’entendent pas avec les rouges.

Lorsque j’avais ouvert à 16 heures le « Blanc Vieux d’Arlay » Bourdy 1916, la maîtresse de maison à l’oreille fine avait entendu un petit grésillement. En écoutant plus attentivement, il apparut que la bouteille démarrait une nouvelle fermentation favorisée sans doute par un sucre résiduel. Lorsqu’on nous sert le vin, il a le léger picotement des vins effervescents qui biaise l’impression que le vin devrait donner. On peut quand même imaginer que ce vin est délicat, avec des évocations de gingembre et d’ananas. Il est un peu diminué par rapport à ce qu’il pourrait être mais pas trop.

Steve a apporté un vin de Massandra Tokay 1895 délicieux, qui évoque la mandarine et la datte. C’est un vin charmant. Nous terminons cet incroyable voyage sur Château d’Yquem 1990, très conforme à ce qu’il doit être, dans la puissance de sucre et de douceur de sa folle jeunesse.

Xavier est le plus tranché dans ses commentaires caractérisés par une grande précision. S’il manque un bouton de guêtre au vin, il le sabre. Les vignerons sont heureux de confronter leurs avis sur des vins de régions qui ne sont pas la leur. Laurent est vraiment l’expert que Stephan proclame. Robert et moi écoutons les supputations et jugements. Ce petit groupe empathique et enflammé a hélas omis de parler anglais, ce qui a mis un peu sur la touche Wesley et Steve alors qu’ils ont apporté des vins splendides. Nous nous rattraperons sans doute en bavardages lors de notre dîner dans trois jours à Paris.

Beaucoup de vins étant servis en magnums, la quantité absorbée par chacun fut importante. Les esprits n’étaient plus assez clairs pour que l’on détermine les gagnants de cette soirée. De ce qui perce le nuage de ma mémoire, je ferais le classement suivant, sachant combien c’est difficile :

1 – Château Haut-Brion blanc 1949, 2 – Château Haut-Brion rouge 1962, 3 – Montrachet Ramonet 1985, 4 – Canon La Gaffelière 1959, 5 – Domaine de Chevalier 1918. Les deux champagnes pourraient s’intercaler dans ce classement, mais où, ce ne serait pas facile à trancher.

conférence à l’Institut Supérieur de Marketing du Goût jeudi, 9 avril 2009

Cela pourrait commencer à devenir une institution ou un rite. L’Institut Supérieur de Marketing du Goût me demande chaque année de faire une conférence pour des élèves en phase doctorante qui préparent leurs mémoires de fin d’année. Ces élèves se destinent aux métiers de la restauration ou de la vigne et certains ont déjà des postes dans des maisons connues. Raconter mon expérience professionnelle puis l’aventure que je vis dans le monde du vin pourrait avoir de l’intérêt, mais rien ne vaut les travaux pratiques qui expliquent sans doute pourquoi je fais recette.

J’avais demandé que l’on achète des petits carrés de chocolat noir. Arrivant tout excité par les embarras de la circulation qui prennent à Paris des proportions dantesques, et voyant les petits carrés de l’épaisseur des chocolats de café, je m’écrie : « mais ce n’est pas du tout ça ! Il va manquer la mâche ». Une élève se propose d’aller acheter ce que je souhaite. Elle fit œuvre utile.

Sur les conseils du directeur de l’école, les élèves avaient parcouru mon blog et le dernier bulletin racontant un dîner en Chine. Deux élèves connaissent Pékin pour y avoir travaillé l’une trois ans et l’autre un an. La discussion est donc facilitée et directe. Pour montrer les vertus des vins anciens j’ai apporté un Muscat ambré de Rivesaltes Cazes 1994 et un Maurydoré La Coume du Roy domaine de Volontat 1925. Nous avons d’abord croqué le chocolat fin puis le carré fourré de ganache pour constater l’effet de la mâche dans la dégustation.

La salle étant trop chaude, les vins sont plus que chambrés et l’alcool ressort. Le Muscat, selon une élève, évoque le coing et la pomme alors que je sens qu’il appelle un chocolat fourré aux écorces d’orange. Le Maury est beaucoup plus complexe et long. Il est dans les goûts de pruneaux et prunes marinées. Paradoxalement, alors qu’il titre 2,5° de plus que le muscat, il paraît plus aérien. L’accord avec le chocolat est logique mais n’a rien de véritablement vibrant. Ces exemples permettent d’évoquer la vie des vins et les accords de gastronomie. Discuter avec des jeunes étudiants motivés est aussi enrichissant pour moi car ils sont porteurs d’avenir et d’ambition. Il a fallu que le directeur nous rappelle gentiment à l’ordre tant l’horloge était « hors limite ».

Richebourg DRC 1933 et Romanée Conti 1983 avec un hôte illustre mercredi, 8 avril 2009

Il est des moments où il ne faut pas bouder son plaisir, surtout lorsqu’il s’agit de plaisir ultime. Plantons le décor. J’écris des bulletins quasi hebdomadaires. Aubert de Villaine, gérant propriétaire de la Romanée Conti me fait l’honneur de me lire, et si je l’en crois, d’aimer ce qu’il lit. Pamela, son épouse, me lit et aime me dire qu’elle aime ce qu’elle lit. Dans le bulletin 279, je parle d’un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti, mis en bouteille par un négociant inconnu, avec une étiquette inconnue, et qui mentionne « propriété du Comte de Vilaine » alors qu’il n’existe pas de Comte de Villaine et qu’il a deux « l » à son nom. J’en parle de façon positive, ce qui excite la curiosité d’Aubert.

Continuons de planter le décor. Dans un bulletin récent, j’évoque La Tâche 1983 d’une année peu considérée par le domaine, et Aubert me signale son intérêt pour mon commentaire et ce d’autant plus que le domaine n’a plus aucun vin de 1983 en cave. Je possède un autre Richebourg 1933 et Aubert a la curiosité de le goûter. Il est prévu par ailleurs que nous dinions ensemble à l’académie du vin de France. Rendez-vous est pris pour partager le Richebourg 1933 qui me reste. Il se pourrait que la bouteille soit morte, aussi me semble-t-il prudent de prévoir un autre vin. Je prends en cave une Romanée Conti 1983, année qui manque au domaine et un vin diamétralement opposé, un Château Chalon 1934, de l’année la plus brillante du 20ème siècle.

A l’académie du vin de France je rencontre Aubert de Villaine et Pamela et je soumets à Aubert le choix du vin à faire ouvrir le lendemain matin. Il me répond Château Chalon, car les occasions de boire ces vins sont rares, mais un infime mouvement de sourcil me fait penser que l’autre branche de l’alternative ne lui serait pas indifférente. L’académie se tient au restaurant Laurent et notre déjeuner doit se tenir au même endroit. Mes trois bouteilles sont déjà là. Pendant la soirée de l’académie, Aubert et moi essayons de convaincre Pamela d’être du déjeuner. Elle doit rejoindre une amie que nous ajoutons à notre groupe. Pamela dit oui. Je dis à Ghislain d’ouvrir demain aux aurores les trois bouteilles.

Souvent femme varie. A mes aurores à moi, Aubert me laisse un message m’annonçant qu’au lieu de quatre nous ne serons que deux. J’appelle en urgence le restaurant Laurent en demandant que seuls les bourgognes soient ouverts.

Lorsque j’arrive à midi, le 1933 montre une fatigue certaine. Il faudra donc le boire en premier, pour finir sur le meilleur des deux. J’informe Philippe Bourguignon de mes constatations et nous bâtissons le menu. Le choix de Philippe est parfait. Il suggère des morilles farcies, écume d’une sauce poulette au savagnin pour compenser la fatigue du 1933 et une pièce de bœuf rôtie servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle pour la Romanée Conti 1983.

Aubert arrive et j’ai évidemment un peu peur de sa réaction sur le Richebourg 1933 fatigué. Il faut dire que 95% des amateurs diraient de ce vin : « circulez, y a rien à voir ». Nous sommes, fort heureusement, d’une autre école. La première approche est fatiguée,  voire giboyeuse. Le message est limité. Mais Aubert constate que le vin n’a pas été hermitagé ce qui est important pour lui et vérifie que son squelette est bien celui du domaine. La légitimité et l’absence d’ajouts sont acquises. Mais le plaisir est-il là ? Fort intelligemment, on nous sert les morilles pures, avec une émulsion au vin jaune et avec un jus de viande assez lourd étalés sur les côtés du plat. Avec la morille pure, le pari est déjà gagné. Le 1933 au contact de la morille prend de la structure. Et l’on se rend compte que c’est avec l’émulsion que le mariage est le plus percutant. Le vin revit et ce n’est pas de l’auto-persuasion, car Aubert a autre chose à faire que maquiller la vérité.

Nous sommes l’un et l’autre amoureux des fonds de bouteilles aussi sera-t-il décidé, à l’initiative d’Aubert, que nous partagerons le dernier verre à la lourde lie. Alors que dans nos premiers verres le vin devient de plus en plus torréfié et caramel, le fond de verre partagé devient velours et révèle l’ADN pur de ce qu’aurait dû être ce Richebourg, un vin généreux.

J’avais affirmé à Aubert que 1933 est une grande année. Il confirme qu’à son analyse, la fin de bouteille corrobore mon affirmation. A aucun moment aucun de nous n’a refusé le message du vin et ne l’a sublimé.

C’est avec une approche sincère que nous avons donné une chance à un vin objectivement fatigué, qui nous a donné en retour le message clair de ce que peut être un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti.

(morilles avant et après sauce)

Nous passons maintenant à la Romanée Conti 1983, vin dont le domaine n’a plus une seule bouteille. Boire ce vin aux côtés d’Aubert de Villaine est évidemment émouvant pour moi. La chair du bœuf est divine pour mettre en valeur ce vin. Bavard comme je suis, je donne ma première impression à Aubert. L’important pour moi est que ce vin ouvre une porte sur le domaine. J’entre, et je retrouve ce que j’aime dans le monde bien spécifique de la Romanée Conti. Ce qui impressionne Aubert, c’est la longueur du vin. Le message est un peu faible, mais Aubert a confiance en son épanouissement à venir. La viande est un soigneur zélé. Le vin s’étend dans le verre et j’y retrouve la salinité que j’adore. Aubert continue de vanter sa longueur. Le plaisir s’accroît. Quelques minutes plus tard, nous pouvons vérifier que cette Romanée Conti est une grande Romanée Conti, sans que puisse jouer l’autosuggestion.

Les fromages profitent au 1933 et pas du tout au 1983. Le 1933 ne chute pas du tout et maintient son goût un peu caramélisé. Le 1983 atteint un plateau de grand plaisir. Alors que dire ? Sans tomber dans le culte de la personnalité – même si… – déjeuner seul à seul avec Aubert de Villaine, pour le petit amateur de vin que je suis, c’est comme si, du temps où je faisais des mathématiques, j’avais pu déjeuner avec Pierre de Fermat, ou si, du temps où j’étudiais la physique, j’avais pu déjeuner avec Louis de Broglie. Aubert dirige le plus grand vin du monde et garde un sens du devoir, d’une mission, qui inspire le respect. Savoir que nous pouvons partager des émotions communes, et une approche fondée sur le même respect du vin, c’est pour moi un plaisir ultime.

Mes vins étaient-ils bons ? Certains les noteraient, et sans doute pas aux sommets, du moins pour le plus âgé. Ce qui compte, c’est qu’ils nous ont émus.