114ème dîner de wine-dinners, le menu et les vins dimanche, 15 mars 2009

Hors d’Oeuvre

·         Crab Roll with basil and orange

·         Hamachi Tartar with caviar and Meyer Lemon

·         Potato Blinis with smoked salmon 

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

J’ai fait rire quand j’ai pris cette photo, ayant oublié de la faire à temps !

Huitres en Gelée D’Algues

Oysters in a seaweed gelée

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

St Jacques rôtie au Poivre doux et Celeri,

Roasted Sea Scallops with Sancho Pepper, celery Root Confit in Duck Fat

"Y" d’Yquem Graves white 1980
Château Haut-Brion Graves white 1983

Tourte de Ris de Veau, Morilles et Pousses de Pois remplacé par Langoustine Gratinée aux pignons, légumes au vert

Tourte of Sweetbread, Macaroni, Morels and Pea shoot replaced by Pinenut crusted Langoustine, Spring vegetables

Château Carbonnieux white 1953

Thon à la truffe noire et lard frais, Lentilles et racines douces

Pancetta wrapped Tuna with Black Truffle, Lentils and Sweet Roots

Château Latour Pauillac 1953

j’ai fait ajouter un plat pour séparer les deux bordeaux rouges, un blanc de volaille aux morilles

Pétrus Pomerol 1959

Tartine de Pigeon grillée, Trompettes de la mort, Sauce salmis

Tartine of Grilled Squab, Foie Gras, Black Trumpet, Sauce Salmis

Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949

Agneau d’Australie à la Provençale

Roasted Loin with Rosemary and Olives

Daube of Shoulder “à la Provencale”

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990

la préparation du plats s’est faite devant nous

découpe par Daniel Boulud

fin de découpe et le plat délicieux

Vacherin de Litchi et violette, Glace au Miel

Vacherin with Lychee and Violette Meringue

Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976

(sans doute le plat le plus délicat)

Dégustation de mangue et Orange confite

A tasting of Mango and Candied Orange

Château Suduiraut Sauternes 1976

Fondant au Chocolat et Crème Nougatine

Fondant au Chocolat, Walnut Nougatine Whipped Cream

Malaga Larios solera 1866

 

Ouverture des vins dimanche, 15 mars 2009

Les odeurs des vins sont superbes.

Le Pétrus 1959 est immense, totalement Pomerol et totalement truffe.

Le Latour 1953 est doucereux, velouté, d’une race immense.

Le Haut-Brion blanc 1983 est d’une grande noblesse.

Tout se présente bien.

Y 1980, Carbonnieux 1953, Haut-Brion 1983 et Hugel 1976. On remarque la qualité des bouchons

Je n’ai pas réussi à décoller le haut de la capsule entièrement. Le bouchon du Pétrus est magnifique

Sur cette photo on voit bien que la capsule est restée collée au bouchon

Très belle capsule datée du Latour 1953 et très beau bouchon bien sain.

Place Tiananmen dimanche, 15 mars 2009

La classique vue de la porte Nord avec le portrait de Mao. La photo de droite montre trois choses : la pollution, le rythme effrené des constructions, et la foule. Le 63.567ème en partant de la gauche, c’est moi.

La foule; l’une des portes

L’armée et les travailleurs dans une marche en avant pour écrire l’histoire.

114th dinner in Beijing – the wines dimanche, 15 mars 2009

Dinner to be held in Maison Boulud, Beijing on March 15th

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

"Y" d’Yquem Graves white 1980

Château Haut-Brion Graves white 1983

Château Carbonnieux white 1953

Château Latour Pauillac 1953

Pétrus Pomerol 1959

Chambertin J. Faiveley Tasteviné 1949

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Musigny Vieilles  Vignes Comte Georges de Vogüé 1983 (this is a reserve wine)

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990

Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1976

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Château Suduiraut Sauternes 1976

Malaga Larios solera 1866

ouverture des bouteilles dimanche, 15 mars 2009

Pour aller à la Maison Boulud pour ouvrir les bouteilles, je décide d’emprunter les grandes artères et de traverser la place Tiananmen. Il y a un dimanche à midi dans les rues et sur la place une foule immense dont l’ampleur transposée à Paris serait un rêve pour tout secrétaire général de la CGT. C’est une armée compacte qui occupe les lieux, avec calme, bonhomie et curiosité.

L’ouverture du bouchon de chaque bouteille se passe normalement en deux fois. D’abord, avec un tirebouchon limonadier classique, je soulève le bouchon de quelques millimètres, deux ou trois. Puis, retirant cet outil, j’use de la longue mèche d’un autre tirebouchon, enfoncée sur une longueur plus grande que celle du bouchon, pour lever la totalité du bouchon, qui ne remonterait normalement pas avec le limonadier. Pensant que le bouchon de l’Y d’Yquem 1980 est suffisamment solide, et comme je parle avec Koen, l’aimable jeune sommelier, j’oublie d’utiliser les deux étapes et ce qui devait arriver arrive, un disque peu épais de la base du bouchon reste collé dans le goulot. Comment l’extirper sans l’enfoncer dans le liquide, du fait de la pression mise pour piquer le liège ? Il m’a fallu de longues minutes pour extirper ce disque restant sans qu’une miette de bouchon ne tombe dans le précieux vin. Echaudé par cette expérience liée à l’insouciance pendant mon bavardage je revins au mode opératoire classique pour les autres bouteilles qui furent ouvertes avec facilité. Les odeurs du Pétrus 1959 et de Latour 1953 sont absolument parfaites.

Je retourne à mon hôtel pour une dernière petite sieste avant le dîner. Desmond a demandé que le repas débute à 18 heures précises pour qu’il finisse suffisamment tôt. La veille, il m’avait annoncé que nous serions onze au lieu des douze primitivement prévus. Lorsque nous pénétrons dans la salle à manger joliment agencée, il annonce dix personnes, dont une qui viendra avec retard. Nous saurons au troisième plat que le dixième ne viendra pas. Nous serons donc neuf à partager douze vins.

Concert de l’orchestre symphonique de Berlin samedi, 14 mars 2009

Desmond m’a fait parvenir un billet pour un concert de l’orchestre symphonique de Berlin au « National Centre for the Performing Arts » de Pékin. Cet Opéra conçu par un architecte français est ouvert depuis deux ans. Le chauffeur de taxi qui m’y conduit ne doit pas le connaître, car il me dépose à près de deux kilomètres de l’entrée. Comme de gigantesques douves entourent cette bulle de mercure aux dimensions cyclopéennes, j’ai failli être en retard. Une foule immense se presse pour cette représentation et je constate qu’il y a probablement 95% de chinois. Non loin de ma place, Desmond est entouré de plusieurs amis dont la femme qui a assisté au dîner à la Maison Boulud.

Le programme de ce soir est exclusivement écrit en chinois, aussi me suis-je trouvé vis-à-vis du concert exactement comme en une dégustation de vins à l’aveugle : « je connais ce morceau par cœur, mais lequel est-ce ? ». Le chef Ingo Metzmacher a remarquablement interprété des morceaux très connus du répertoire classique allemand, et j’ai pu constater à quel point l’acoustique de la salle est remarquable. Plusieurs points me semblent absolument remarquables : cet opéra immense fait salle comble avec des chinois sur un programme de musique européenne. Quel succès aurait en France, auprès de français, un opéra jouant de la musique chinoise ? Le public que j’ai côtoyé montre une évidente envie d’apprendre. Des familles sont venues avec des petits enfants. Pas un seul ne s’est mal conduit. Les applaudissements se sont faits aux bons moments, sans manifestation intempestive, et les applaudissements et rappels se sont déroulés comme ils le devaient. C’est une assez belle leçon de comportement. Lorsque nous sommes sortis de la salle avec les amis de Desmond, l’un d’entre eux me demande : « n’êtes vous pas déçu par ce pays retardé ? ». Je lui ai dit que mon impression au contraire est largement positive.

Je suis rentré à pied en traversant la place Tien An Men. La présence policière et militaire est assez forte. Est-ce dû au congrès du Parti Communiste Chinois ?

Il y a dans ce pays beaucoup de choses qui me surprennent positivement.

Quelques instantanés samedi, 14 mars 2009

En rentrant de l’Opéra à mon hôtel, je croise une foule extrêmement jeune. Le nombre de jeunes filles de 15 à 25 ans est extrêmement élevé, et dans les groupes de jeunes, il y a le plus souvent deux fois plus de filles que de garçons.

Quand ces jeunes filles seront mères, la population de la Chine s’éveillera…

Le long d’un haut mur d’enceinte il y a des bancs. Et sur ces bancs publics des couples s’enlacent et se bécotent. Plus loin, un jeune photographie sa belle en profitant de l’éclairage indirect d’une lampe qui éclaire le mur. Tout cela est frais.

Les petits groupes militaires paradent ici et là avec une marche forcée saccadée. Il est interdit de les photographier. Ils sont jeunes, aux visages poupins.

Même de nuit on photographie l’immense portrait de Mao Tsé Toung alors que l’éclairage public est éteint.

Cette ville est d’un bouillonnement assez spectaculaire. Savoir qu’on y a applaudi Beethoven en forçant trois rappels pour honorer le chef d’orchestre donne de la Chine une autre vision. Est-ce la bonne, je ne sais pas, mais c’en est une.

Déjeuner au « Da Dong Roast Duck » samedi, 14 mars 2009

Desmond avait rempli mon emploi du temps de façon autoritaire, mais il n’a donné suite à aucune des activités pour lesquelles je croyais qu’il allait me guider. J’ai béni ce qui doit être une incompréhension de ma part, car j’avais vraiment besoin de repos. Il avait cependant fixé que nous déjeunerions ensemble le samedi midi au « Da Dong Roast Duck » qui est selon ses termes, le plus grand restaurant de canards de Pékin. La veille je reçois un mail de Maggie sa secrétaire m’informant que Desmond ne pourra honorer ce rendez-vous et elle me demande si j’accepte de déjeuner avec elle. La réponse est oui aussi à l’heure dite, je me présente au restaurant. Il est bardé de diplômes.

Lorsque je donne son nom, personne ne comprend. Et comme dans tous les sketches sur ce même sujet, quand enfin on a compris de quel nom il s’agit, on prononce son nom strictement comme je l’avais prononcé. C’est du moins ce que je crois, mais je sais que c’est faux. Ce restaurant qui ne paie pas de mine accueille un nombre de couverts qui est spectaculaire. La Tour d’Argent avec ses canards ne doit pas atteindre le vingtième du débit de ce restaurant. Les serveurs qui découpent les bêtes laquées ont une dextérité fascinante, avec un mode opératoire où chaque geste a une signification et une utilité précises. Maggie a trente cinq ans alors que je lui en donnerais dix de moins. Elle est souriante et nous avons aimablement bavardé tout en profitant d’une cuisine généreuse et épicée. Nous commençons par du foie gras de canard que je trouve un peu pâle de goût et sec et le plat suivant, rehaussé d’une sauce qui demande un extincteur, me déplait franchement, car je croque des choses bizarres. Je chausse mes lunettes, et quand je découvre qu’il s’agit des pattes écailleuses des canards découpées en fines lamelles, je n’y touche plus. La suite est largement plus agréable, car la chair du canard est réellement délicieuse et cuite à la perfection.

les foies de canard et les affreux lambeaux de chair des pattes

les as de la découpe et notre canard

des gestes précis et le plat servi

Dîner au restaurant français Jaan de l’hôtel Raffles vendredi, 13 mars 2009

Dîner au restaurant français Jaan de l’hôtel Raffles

La journée du lendemain est destinée à récupérer de la fatigue et du stress puisqu’il aura fallu plus de quatre mois pour que ce dîner se mette au point. Je ne sais plus si je suis en jet-lag, puisque je dors à des heures où aucun des deux rythmes, chinois ou français ne permet de justifier ce sommeil et il en est de même pour les périodes de veille. Je m’astreins à faire le compte-rendu de tous les événements passés car si je ne le fais pas, le deuxième dîner à Pékin effacera la mémoire de cet événement.

L’hôtel Raffles loge plusieurs restaurants. J’ai essayé le japonais, où l’on mange sobrement dans une ambiance séculaire qui ne pousse pas naturellement à la gaudriole. Le restaurant mi chinois, mi-italien était assez sinistre car manquant totalement d’ambiance. Il me reste à essayer le restaurant français Jaan dont j’avais croisé le chef par hasard dans l’ascenseur. Jeune et souriant, il donne  confiance. Dans une grande salle à colonnades, un bar et un salon avec piano se situent à gauche. Derrière des tentures entre les colonnes de droite se situe le restaurant français. L’accueil est sympathique et l’ambiance est vraiment la plus agréable des trois restaurants. J’entends parler français à beaucoup de tables. La cuisine de ce jeune chef explore des saveurs orientalistes et c’est un essai très intéressant. Hélas, si l’on présente un joli pavé de cabillaud, dont la cuisson est un peu juste, et s’il y a des arêtes, la sympathie tombe de haut. Admettons qu’il puisse s’agir d’un mauvais hasard, puisqu’il semble se confirmer que j’attire vers moi les petites imperfections, comme le fait une vieille sardine avec les chats du quartier.

113ème dîner de wine-dinners à Pékin – le récit jeudi, 12 mars 2009

La très jolie décoration intérieure de la maison Boulud, et la table dressée avant le repas

Vingt minutes avant l’heure dite, je pénètre dans la grande salle décorée de rouge et de noir de la Maison Boulud qui nous est affectée. La table est ovale, comme Ignace Lecleir m’avait opportunément proposé et Desmond est déjà en grande conversation avec des personnages importants de l’Etat chinois ou de la région pékinoise. Nous devions être douze, ce qui est la limite haute acceptable pour mes dîners, nous devions ensuite être onze annoncés hier, mais nous serons en fait dix dont un arrivera fort tard. Les treize vins prévus pour douze deviennent pléthoriques pour dix. Courage messieurs. Je dis messieurs mais nous compterons aussi une femme, personnage important puisqu’elle est responsable de la gestion d’espaces et de patrimoines de la ville de Pékin. Il y a un français, qui fut le trait d’union entre Desmond et moi, un autrichien qui vit à New York, Desmond, et six autres chinois dont deux seulement parlent anglais. Je suis obligé de recourir aux services de Desmond, mais aussi de la charmante femme pour me faire comprendre. Contrairement à la veille, où Li Wei multipliait en chinois la longueur de mes phrases par un facteur dix, Desmond les divise par un facteur de même ampleur. Lorsque je fais un commentaire dont l’urgence me parait incontournable, suis-je traduit ou non, l’histoire ne le dira pas.

Au moment où je rassemble tout le monde pour donner les consignes pour profiter au mieux du dîner, je me rends compte que mes propos rencontrent un intérêt certain. L’humeur est joyeuse, rieuse, mais studieuse. La suite du dîner me montrera que mes « consignes » sont appliquées et suivies, notamment lorsque j’ai demandé de boire lentement. Nous commençons à boire debout le Champagne Krug magnum Vintage 1973. Sa couleur tend vers un rose orangé délicat, sa bulle est très faible mais le pétillant est intact. Ce champagne me permet de définir la notion de vin ancien qui intéresse beaucoup mes hôtes.

Le menu composé par Daniel Boulud et exécuté brillamment par Brian Reimer a été mis au point au cours de multiples échanges, ce qui est un immense plaisir pour moi. Le voici : Hors d’Œuvre / Thon Blanc mariné à la carotte et citron vert / Langouste au safran, Crème de moules et Royale de choux fleur / Cabillaud aux cèpes et céleri rave / Jarret de Veau braisé à la sauge, Pommes mousseline / Filet Mignon Truffé, Racines en Pot au Feu / Canard Roti aux prunes et Jeunes navets farcis / Tranche de foie Gras poêlé au naturel / Jeune Stilton et Mangue Caramélisée / Madeleines Tièdes à la Réglisse.

Nous passons à table et le Krug accompagne les quatre petites pièces de hors d’œuvre. Ce n’est que plus tard que je me rendrai compte que le Pata Negra que j’avais demandé comme cinquième morceau d’ouverture n’a pas été servi. J’explique mes sensations sur ces entrées pour mesurer si elles évoquent quelque chose pour mes interlocuteurs. La pomme de terre fourrée au caviar donne à mon avis une plus grande verticalité au champagne. Le blini au saumon au contraire, beaucoup plus confortable, développe son horizontalité. Le crabe au basilic fait la synthèse des deux en contribuant à un équilibre fort du champagne qu’il arrondit. Et la quatrième entrée à base de coquille Saint-Jacques représente un apport moins significatif au goût du champagne. Je sens Desmond dubitatif au début de mes explications puis petit à petit, il semble qu’il les intègre et en communique l’intérêt à ses invités. C’est surtout l’occasion de faire comprendre que dans ce dîner il ne s’agit pas seulement de comprendre les vins mais aussi de s’imprégner des accords prévus entre les mets et les vins. Pendant ce temps le Krug s’épanouit dans nos verres. L’ami autrichien est un grand amoureux des champagnes anciens et communique son enthousiasme à toute la table.

Le Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959 est incomparablement parfait. C’est certainement le plus grand 1959, année rarissime, que j’aie bu de cette grande maison. Le dernier avant celui-ci provenait directement des caves de la maison Salon et était mort. Celui-ci est d’une perfection absolue. Tout le monde comprend que le Krug 1973 est un champagne ancien alors que ce Salon 1959, pourtant plus vieux de quatorze ans est un jeune champagne. Il a toute sa bulle, il a la couleur d’un jaune de jeune champagne. Il se développe complètement et n’a pas le moindre signe d’âge. L’acidité est contrôlée, la longueur est immense. Le plaisir est total. Je me demande si j’ai déjà bu un meilleur champagne. Je ne sais pas, mais je sais qu’il entre dans le groupe des plus beaux que j’aie jamais bus. Le plat, merveilleusement simplifié par Brian Reimer, avec la chair exquise du thon blanc et le citron vert qui aiguillonne le Salon, crée un accord d’une exactitude absolue. Cela se reproduira encore.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 constitue le plus bel exemple possible de la pertinence de ma méthode d’ouverture des vins. Car jamais le même vin ouvert juste au moment de servir ne pourrait avoir cette opulence, cet équilibre et cet accomplissement. Le vin est joyeux, multiforme, complexe et nous réjouit.

Je suis servi en premier du Château l’Angélus Pomerol 1961 et le premier nez est assez poussiéreux, mais on sent que le vin va s’épanouir. J’observe autour de moi et l’intérêt envers ce vin est évident. Le vin s’étend dans le verre et devient un Pomerol très subtil. Le plat est merveilleux et l’accord avec le cabillaud, qui fait partie des combinaisons que j’adore est absolument divin. 

J’avais apporté à Pékin deux bouteilles de Château Lafite-Rothschild Pauillac 1943 et au cas où aucune des deux ne conviendrait, j’avais apporté Lafite 1964 dont je connais la solidité. Compte-tenu de l’incertitude, j’avais ouvert la plus basse des deux 1943,  puisqu’il paraît logique qu’un secours éventuel vienne de la plus haute que de la plus basse. L’odeur était tellement convaincante à l’ouverture, confirmée par Koen, que j’avais décidé que nous boirions celle-ci. Ce qui caractérise ce vin, c’est la subtilité et la douceur. Il est la définition même du velouté. Tout en lui est finesse et l’accord avec le jarret de veau est prodigieux.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961 a un nez où l’alcool se fait sentir, et son goût est unique. Même si je dithyrambe, je dirai qu’il est fantastique de perfection. Il est compliqué et complexe et kaléidoscopique. Lorsqu’avant le repas les officiels de Pékin ont visité avec Desmond les cuisines de Daniel Boulud, j’ai eu le temps de glisser à Brian que La Tâche sent tellement la truffe qu’il faudrait qu’il ait le bras lourd au moment de servir le plat, ce qu’il fit. La Tâche est impérieusement dotée de parfums de truffe mais, à ma grande joie, Desmond lui découvre aussi des notes de roses, parfum subtil qui signe si bien les vins du Domaine de la Romanée Conti. Je m’amuse à constater qu’avec le filet mignon truffé, La Tâche devient truffe. Son âpreté saline est divine. Son final est de première grandeur. Je me dis qu’avec tous ces superlatifs mérités par les vins de ce soir, le vote sera bien difficile.

Sur le même plat, nous buvons aussi le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928. Il est très doux, très agréable et il tient sa place à côté de La Tâche, malgré une évidente différence de noblesse. Plusieurs convives feront remarquer à quel point le 1928 évolue dans le verre pour devenir de plus en plus charmeur. Et chose curieuse, le 1989 qui va suivre le met encore plus en valeur lorsqu’on revient vers lui.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 représente certainement la perfection que peut avoir un vin des Côtes de Nuits sur les vingt ans qui encadrent 1989. Il a la gentillesse d’améliorer le 1928, et il reste malgré tout moins charmeur que La Tâche 1961. Il faut dire que le 1989 est un vin parfait, alors le 1961 est un vin canaille, hors du temps et hors des modes.

J’avais décidé lors de la préparation du repas qui a pris plusieurs mois de mettre le Corton Charlemagne J.F. Coche-Dury 1996 à ce moment du dîner, pour que sa puissance ne tue pas les vins qui le suivent. Comme les vins à venir sont des liquoreux, le risque n’existe pas. Lorsque nous avons discuté avec Daniel Boulud des plats possibles à ce stade, j’ai suggéré un foie gras poêlé. La qualité du foie gras chinois est absolument exceptionnelle. Le fumé et le charnu du foie sont confondants. Et l’accord est si grandiose que je demande à Koen que Daniel Boulud vienne le déguster à notre table puisqu’une place s’est libérée, du fait du départ anticipé de l’un des convives chinois. Daniel s’assied et dit à Desmond : « j’ai déjà fait des centaines de dîners d’exception. Mais je crois n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi exigeant sur les détails que François ». J’ai pris cette remarque comme un compliment amical. L’accord du Coche-Dury avec le foie gras est incroyable. Le léger sucré du foie donne au Corton-Charlemagne une maturité et une expression extraordinaire. Il faudrait pouvoir mémoriser un tel accord pour le figer dans les annales de l’UNESCO.

Nous goûtons maintenant deux vins ensemble, le Château d’Yquem 1967 et le Château Guiraud Sauternes 1893. Ce deuxième vin a été reconditionné dans sa bouteille d’origine en 2000. C’est d’ailleurs le seul vin reconditionné de ce dîner. Sur le stilton, c’est le Guiraud qui est le plus agréable. J’apprends aux chinois comment mâcher le stilton et boire le sauternes pour que la combinaison se fasse mieux. Ils se prêtent à ce jeu de bonne grâce et constatent avec plaisir que la façon de gérer les quantités ajoute de la pertinence. L’Yquem est un plus grand sauternes que le Guiraud, surtout s’il s’agit du 1967, année magistrale, mais le 1893 est d’un charme plus percutant dans des arômes de thé et dans sa subtilité. C’est un vin extrêmement raffiné, alors que l’Yquem a encore la fougue et la puissance de la jeunesse.

Nous abordons maintenant les deux vins de Chypre, le Chypre Commandaria Ferré 1845 et le Chypre Commandaria 1845, vins dont je serais incapable de définir les différences d’origine. Les bouteilles ont des formes distinctes et les goûts sont assez proches, même si celui qui n’est pas « Ferré » me paraît encore un peu plus subtil. On sait que ces vins correspondent à l’apex de mes amours. J’avais demandé des madeleines avec une suggestion de goût de réglisse et, en ce début d’après-midi, des traces de poivre noir. Les deux Chypre ont bien le poivre noir, mais cette fois-ci c’est l’orange confite qui domine, plus que la réglisse, chez le non Ferré que je préfère, alors que le Ferré n’a pas d’orange confite mais de la réglisse. Ces vins sont dans des registres de raffinement total.

Au début du repas, j’avais demandé à Desmond s’il acceptait que nous votions et il m’avait répondu : « bien sûr ». Alors que voter est particulièrement difficile devant l’abondance de vins superbes, qui n’ont pas souffert le moins du monde du voyage qu’ils ont fait il y a un mois et demie, je m’aperçois que mes convives ont une belle intelligence de votes.

Regardons un instant les vins qui n’ont pas eu de votes des neuf votants : le magnum de Krug 1973, excusez du peu, le Chevalier-Montrachet 1988, et le Lafite 1943. Il faut donc que les neuf autres (je compte les Chypre pour un) aient été brillants pour que de si beaux vins n’aient pas de votes.

Le Salon 1959 a obtenu quatre votes de premier. La Tâche 1961 a obtenu trois votes de premier. L’Angélus 1961 et le Guiraud 1893 ont obtenu chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait le suivant : 1 – Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, 3 – Château Guiraud Sauternes 1893, 4 – Château l’Angélus Pomerol 1961.

Mon vote est : 1 – Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, 3 – Chypre Commandaria 1845, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989.

L’accord le plus extraordinaire est celui du Corton-Charlemagne 1996 avec le foie gras poêlé et sans doute ensuite le thon blanc avec le Salon 1959, même si beaucoup plats pourraient revendiquer la deuxième place. Il convient de saluer l’effort de création de Daniel Boulud dont les recettes ont été travaillées et épurées pour aller dans le sens des vins. Ce fut remarquable. Koen a fait un grand travail de sommellerie.

Alors que beaucoup de personnes, dont encore tout récemment cette riche femme entrepreneur chinoise, m’avaient mis en garde sur la capacité d’apprécier le concept de mes dîners par des chinois, je dois dire que j’ai été impressionné par le contraire, à savoir leur volonté de connaître, leur sagesse de réactions, et leur adhésion aux règles de fonctionnement de ces dîners. C’est donc le cœur fatigué mais joyeux que j’ai quitté  la Maison Boulud en me disant que je venais de réaliser un projet assez incroyable de faire entrer les vins de ma planète dans l’univers culturel de chinois très sympathiques. L’obstacle de la langue n’a pas empêché le partage des émotions.

Par un mail de félicitation Desmond me confirme ce lendemain matin que tous ses amis ont été ravis. Ce 113ème dîner de wine-dinners en terre chinoise sur une cuisine française fut un grand succès.

Daniel Boulud venu manger le foie gras, Desmond et son ami autrichien

La table en fin de repas