Une Turque 1999 partagée à table avec François Simon mardi, 10 février 2009

Je m’en veux. Depuis quelques années, je correspondais avec François Simon, et une occasion s’est présentée il y a deux ans de passer plus d’une journée ensemble. Pendant six heures, entre des repas partagés,  nous avons fait nos petits « états généraux » de la gastronomie française. De nombreux points de convergence nous unissaient, et les points de divergence ne nous séparaient pas, permettant de brosser un panorama où nous pouvions additionner nos visions. L’envie de faire ensemble des travaux pratiques existait, mais les emplois du temps phagocytent nos libertés. La conjonction de nos deux planètes se fait enfin, par un jour de pleine lune. C’est François qui a le choix du lieu. Il me propose de découvrir le restaurant Villaret près de la République.

Etant en avance, je constate que le menu et la carte des vins sont déjà posés sur notre table. Beaucoup de tables se remplissent alors que le carillon de vingt heures n’a pas encore sonné. La carte des vins est intelligente. Certains producteurs de talent sont plus que dignement représentés. Les prix sont normaux, mais ici où là figurent de bonnes pioches. Lecteur assidu des aventures de François Simon, j’envisage de le faire changer de type de vins. Lorsqu’il arrive, il se doute que j’ai déjà étudié la carte des vins et me demande si j’ai une suggestion. Je lui réponds que oui. Il me demande si j’ai des idées de plats et décide de suivre les miennes.

Le vin retenu est une Côte Rôtie La Turque Guigal 1999. Nous demandons qu’elle soit ouverte au plus vite et elle est carafée sans qu’on nous l’ait demandé. Le vin est une explosion de fruits noirs, sorte de jus de mûre ou de coulis de cerise noire. Il dégage une puissance et une jeunesse qui sont spectaculaires. On nous apporte un amuse-bouche en forme de crème de châtaigne et j’observe François connaissant son aversion pour les amuse-bouche mais il ne pipe mot. Cette entrée en matière me semble nécessaire car elle prépare le palais à recevoir le vin.

Je m’en veux, parce que François, tel le crotale jaugeant les dimensions de la mangouste qu’il envisage d’avaler, a réussi à me faire parler beaucoup plus que je ne l’ai fait parler. Goûter des plats en ayant ses commentaires eut été enrichissant et voilà qu’il me lâche – perfide – « vous en savez plus que moi ». Rien n’est plus inhibant pour lui demander un avis motivé.

L’entrée est une terrine de campagne maison et sa confiture d’oignon, accompagnée de mâche. Il faut éviter la confiture pour goûter la terrine aux accents fermiers. Son amertume trouve un écho dans le vin qui devient d’autant plus doucereux et trouve une belle longueur. Le mariage se fait bien, comme celui du jambon persillé et du Corton Charlemagne Coche Dury de ce midi.

Vient ensuite une belle tranche de faux-filet saignant à l’échalote, purée de champignons. La viande est goûteuse, bien ferme, mais je lui trouve un manque de mûrissement. J’ai pris soin d’éviter les échalotes et l’accord de la viande et du vin est saisissant. Je fais remarquer à François comme le vin face à la viande, devient « sang », offrant une continuité animale à son goût. Je suis aux anges car le vin plaît à François. Il sourit de plusieurs de mes remarques et je me rends compte qu’il m’entraîne à parler, prenant des notes, déjouant chaque tentative de le laisser s’exprimer.

Une fois le plat fini, le vin prend une sérénité remarquable, le fruit s’estompant au profit d’une structure un peu rêche et domestiquée. Le vin se présente maintenant avec une maturité confondante, très différente de la fougue du début de repas. J’aime ses deux formes d’expression.

François n’a pas fui le dialogue, bien sûr, ce qui a rendu nos échanges féconds, mais il était dans l’humeur de m’écouter. Lorsque nous avons commenté le lieu et les mets, nous étions d’accord. Lorsque l’on a abordé certaines pratiques des sites les plus huppés de notre capitale, nos avis tendaient à diverger sur les cérémoniaux, plus que sur les cuisines et les chefs. Nous avons réussi un petit fou-rire quand j’ai transformé une de ses phrases en la moulinant à la sauce Audiard : « l’intérêt d’être critique gastronomique, c’est qu’on travaille généralement pendant les heures de repas ». Cette Lapalissade façon Tontons Flingueurs nous a réjouis.

L’ambiance du restaurant Villaret est sympathique car l’on sent une implication de toute l’équipe qui est rassurante. Le décor est neutre, les tables petites. Les vins valent qu’on leur porte intérêt et la cuisine est très convenable, solide et sans chichi. Mais c’est surtout la joie d’être ensemble qui a fait la valeur de cette belle soirée. 

Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 1996 au Coq de la Maison Blanche mardi, 10 février 2009

Une relation ancienne renoue avec moi. Nous convenons de nous retrouver à Saint-Ouen où il compte m’inviter et le mot de Saint-Ouen allume une petite lumière. Des souvenirs du restaurant Le Coq de la Maison Blanche où Alain François m’a accueilli naguère avec des vins que j’adore. Je suggère cette adresse à mon ami en prenant soin d’indiquer que la boisson sera pour moi. Quand mon ami arrive, tout est déjà organisé.

Alain François nous offre au comptoir un Chablis Maureau Naudet 2006 que je trouve particulièrement joyeux et goûteux. Ayant jeté un œil sur un énorme pot de jambon persillé, j’imagine que ce sera divin sur le vin que j’ai commandé. Quand nous nous plaçons à table, une intense odeur d’ail nous assaille. La jeune serveuse nous indique que ce sont des couteaux ; va pour les couteaux. J’ajoute à cela des coquilles Saint-Jacques nature, sans un gramme d’assaisonnement et nous voilà partis. Alain François est allé chercher la bouteille chez lui et demande au serveur de la manier avec précaution. Il s’agit d’un Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 1996. Ce vin est une merveille. Le côté citronné est très marqué et ce qui est sensible, c’est le passage en bouche, qui décline une succession de saveurs comme en un toboggan. Richesse, longueur, précision, finesse s’appliquent parfaitement à ce vin de grand plaisir qui n’est ni opulent ni charmeur. C’est un vin d’esthète. Sur le jambon persillé vraiment réussi, le vin est à son aise, mais il déploiera l’étendue complète de ses qualités quand l’expansion se fera avec quelques degrés de température de plus. Les couteaux sont copieux mais un peu monotones, l’ail n’arrivant pas à réveiller une fadeur trop constante. Le vin accepte ce plat sans en tirer grand-chose.

Les coquilles Saint-Jacques, dans leur pureté, sont superbes. Et le Corton Charlemagne épanoui chante en bouche, citron, écorce d’orange, fruits frais roses et rouges, compotes de prunes avec très peu d’épices et beaucoup de sincérité. C’est un grand vin blanc de grande complexité. Un très grand moment de plaisir.

un site sur les alcools de bistrot dimanche, 8 février 2009

Site absolument fabuleux.

Une collection unique de ces alcools qui font rêver.

allez ici :     site

si ça ne marche pas en cliquant, copiez cette adresse : www.vieux-alcools-bistrot.fr

Le créateur est Bruno de Serbriant qui a amassé une collection unique de ces vieux alcools que j’adore et qui représentent une part de ma cave que je regarde avec les yeux de Chimène …. Il va beaucoup plus loin dans une approche thématique et encyclopédique.

A voir absolument.

La Tâche 1989 à l’hôtel des Roches samedi, 7 février 2009

Nous allons déjeuner au restaurant de l’hôtel des Roches à Aiguebelle au Lavandou. La pluie s’est arrêtée, la mer de ce côté de la côte est plus calme. Nous sommes en avance et j’ai le temps d’étudier la carte des vins. Dans un recoin secret, je repère La Tâche 1989. Mathias Dandine qui vient nous saluer avec un large sourire est immédiatement informé de ce choix pour qu’il compose un menu adapté. Ayant eu le réflexe conditionné de prendre une pastille rafraîchissante en voiture, il me faut une coupe de champagne pour reformater mon palais, comme on fait « reset » sur son ordinateur. C’est un champagne Taittinger millésime 2003 qui fait office de logiciel de redémarrage. Un peu dosé à mon goût, il joue parfaitement son rôle sur des amuse-bouche aux goûts appréciés. Le jeune sommelier ouvre La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 d’un niveau très haut dans le goulot. Il se sert généreusement du vin dans son verre de contrôle, sorte de prélèvement à la source dont j’aimerais bien être non-imposable.

Le vin a un parfum envoûtant. Il y a comme un concentré de fruits noirs mais aussi un fumé qui évoque tous les trésors de la Romanée Conti. L’approche en bouche joue comme une douche froide, car le nez annonçait les trompettes de la renommée et voici qu’un vin un peu fatigué se découvre. Ceci est dû à l’ouverture trop récente. L’intérêt que je vais montrer à son retour à la vie est directement lié au fait que c’est La Tâche. Car pour un autre vin, j’aurais fustigé son évolution certaine. Mais j’ai raison d’insister, car lentement mais sûrement, La Tâche va déployer tout ce que j’aime dans ce vin.

Nous commençons par une petite entrée non annoncée, composée de langoustine et de coquille Saint-Jacques crues ou quasi-crues, et de caviar d’Aquitaine. Le sucré de la coquille et le salé du caviar ont un effet réanimateur spectaculaire sur La Tâche qui prend une salinité que j’adore.

L’épanouissement va devenir définitif avec la brandade de morue généreusement noircie de tranches de truffes noires excellentes. La chair de la morue a une astringence qui épouse totalement celle de La Tâche. Et ce moment est un délice rare. Le sommelier me demande quelle est l’influence de la truffe dans l’accord. Mon avis est que la truffe qui apporte son parfum entêtant au goût du plat n’apporte rien à l’accord, car c’est la chair rêche de la morue qui sort de La Tâche toute son âme. Le vin gagne en longueur, gagne en race, et je retrouve vraiment tout ce que j’aime.

Le plat qui suit est un cochon noir en cocotte, piperade de poivrons confits, crème de haricots blancs, jus infusé au thym. Le plat est délicieux et la chair du cochon est chaleureuse, surtout dans ses parties grasses. Je n’ai pas touché à la piperade qui ne convient pas au vin. La Tâche est évidemment à l’aise, mais comme je l’ai expliqué à Matthias Dandine, je préfère les accords plus provocants comme celui créé par la brandade que ceux qui rendent la situation trop confortable pour le vin.

La fin de La Tâche s’est bue sur un saint-nectaire et le dernier verre, dont la consistance est entre nectar et marc, est un bonheur incommensurable. Après une entrée en matière sur un vin un peu fatigué, le final en fanfare m’a comblé.

Nous avons pris rendez-vous avec Matthias pour aller communier aux festivités rugbystiques prochaines. L’atmosphère de l’hôtel des Roches est amicale et motivée. Ce fut un grand repas.

Hôtel des Roches – les photos samedi, 7 février 2009

Champagne Taittinger millésimé 2003

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989, pointée comme une canonnière pour protéger notre table !

Le bouchon est d’une exceptionnelle qualité

La petite entrée ajoutée par Matthias Dandine qui se trouve à ma droite quand je lui fais cette remarque : "est-ce le "N" de Nicolas Sarkozy ?". Du tac-au-tac il me répond : "c’est le "Z" de Zorro !"

La brandade de morue avec son ajoute de tranches de morue pures, sous une avalanche de truffes

Le cochon noir et sa crème de haricots blancs, jus infusé au thym

C’est cette partie du plat, piperade de poivrons confits, que je n’ai pas mangée en pensant au vin

Selosse et Picasso à Antibes mercredi, 4 février 2009

Dans le sud, la pluie, toujours la pluie, c’est un peu comme les cheveux d’Eléonore. Nous décidons d’aller au musée Picasso d’Antibes, sans doute pour compenser notre regrettable absence à l’exposition parisienne. Nous demandons à un policier municipal de nous indiquer un bon restaurant. Il nous suggère le restaurant « les Vieux Murs ». Le restaurant fait face à la mer. La salle à manger est voûtée, avec des pierres apparentes en forme de pointes, comme dans une maison troglodyte. Les murs sont peints d’une couleur rouge ocre suggérant la terre de l’Esterel. La décoration est excessive, comme ces cuisines de chefs inquiets de montrer qu’ils ont du talent : il y a toujours le petit ingrédient de trop. Nous sommes les premiers arrivés dans ce restaurant. On nous apporte les cartes et je demande la carte des vins. Ma femme a choisi ses plats, et le fait que je ne réponde pas tout de suite car j’étudie la carte des vins semble ne pas être approuvé par les mimiques du serveur.

La carte des vins est assez ordinaire, mais on trouve quelques producteurs ou domaines qui ont de l’intérêt. Les prix correspondent à ce type d’endroit. Il y a un Pétrus à un prix himalayen, et quand plus tard, nous discuterons de cette carte, la maîtresse des lieux avouera sans aucune gêne que le prix est conçu pour la clientèle de Dubaï et de Russie. Il faut dire que les bateaux que nous avons vus dans le port suggèrent qu’une clientèle existe, qui ne bat pas pavillon français. Comme il arrive souvent, il y a une bonne pioche : un champagne « Substance » de Jacques Selosse. Je le commande et définis ensuite mon menu. Lorsque le jeune serveur apporte le vin, je lui demande la date de dégorgement. Cette question agit comme un déclic, car on se rend compte que mon choix de vin n’est pas le fruit du hasard. Le champagne a été dégorgé le 25 novembre 2003. Rien ne peut me faire plus plaisir, car les dégorgements anciens ont laissé du temps à la maturité.

On nous offre un amuse-bouche qui est une chiffonnade de saumon fumé. C’est une récompense pour avoir commandé un vin rare. Le champagne arrive à bonne température. La bulle est lourde et très présente. Le nez a des traces de caramel et de confiture de rose, que l’on retrouve aussi en bouche, avec du miel, et des fruits confits fumés. Le bouchon du champagne est déjà resserré comme celui d’un champagne ancien, et le vin affiche une maturité déjà forte. En buvant le champagne d’un plaisir fort, j’imagine qu’un client non averti aurait beaucoup de mal à trouver des repères dans ce champagne typé hors du commun.

Le foie gras frais est très agréable et le pain artisanal est bon. Le champagne commence à s’adoucir, à se civiliser. Le cabillaud est cuit avec une belle précision. J’adore la chair du cabillaud, dont l’amertume trouve un écho subtil avec le Selosse. L’osmose est d’une justesse rare. Je suis en plein bonheur. Le champagne se finit sur quelques fromages, qui calment encore plus les ardeurs du vin pour lui donner une sérénité sympathique. Je laisse une partie de la bouteille – peu en fait – pour la maîtresse des lieux dont l’abord un peu abrupt s’est adouci comme le champagne. Nous avons vraiment bien mangé, et ce champagne fut le centre d’un beau repas.

Le château Grimaldi domine la mer. Picasso en a utilisé quelques pièces comme atelier autour de 1946. De nombreuses œuvres de cette période féconde me plaisent particulièrement. Ce qui me fascine, c’est la mise en page de tout tableau ou tout dessin de Picasso. C’est toujours d’une justesse folle. Dans la faculté qu’a Picasso de capter le trait, la ligne directrice qui commande un portrait, je reconnais d’une certaine façon le sens de la synthèse qu’a la cuisine de Guy Savoy. Guy a un don pour définir une ligne directrice synthétique. Pablo fait de même par un trait d’une pureté simplifiée à l’extrême.

Par un temps de cap-hornier, nous avons su mêler le plaisir de la chère, avec un champagne que je chéris, et l’émotion artistique, avec un génie créateur que j’admire.

Antibes, restaurant les Vieux Murs et Selosse mercredi, 4 février 2009

Notez l’adresse, si vous voulez aller dans ce joli restaurant surplombant la mer

Le champagne "Substance" de Jacques Selosse

le foie gras et le cabillaud

l’assiette de fromages

je ne peux pas ne pas signaler ce triomphe du mauvais goût : le présentoir d’huile et de vinaigre, avec ses magnifiques représentations suggestives

c’était une bonne préparation à la visite du musée Picasso, pour se persuader que l’art n’est pas que dans les musées !!!

Académie des vins anciens – 9ème séance – le récit vendredi, 30 janvier 2009

Les vins de l’académie, avec mes "outils de travail" et ceux d’un académicien.

La neuvième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo. Dès 16 heures, je commence l’ouverture des quarante-quatre bouteilles apportées par les académiciens. Une petite vingtaine sont déjà ouvertes quand deux amis viennent m’aider pour cette opération cruciale. Les odeurs me paraissent particulièrement prometteuses, et cela me fait plaisir, car les apports des académiciens s’améliorent à chaque séance. Le seul vin en situation critique est un Corton-Charlemagne 1949 qui me paraît mort. Les plus belles odeurs sont celles du Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives Hugel 1971, du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979 et du Château Suduiraut 1947. Ces vins de belles promesses nous combleront par leur réussite. Alors que je demande aux inscrits que les vins soient fournis un mois avant la séance, c’est à 18h45 que je reçois la dernière bouteille au bouchon particulièrement ingrat. Alors que je me suis changé et habillé de frais, cette ultime ouverture que j’exécute de bien mauvaise grâce est la plus difficile de toutes. La suite de la soirée, par ses enchantements, va effacer ce petit détail.

Nous sommes trente-huit annoncés mais seulement trente-quatre présents pour quarante-quatre bouteilles. Elles sont réparties en deux groupes, ce qui fait que chacun goûtera vingt et un vins ou plus. La liste est impressionnante. Voici ce qu’ont bu les deux groupes.

Groupe 1 – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Delamotte blanc de blancs 1990 – Champagne Pommery Brut Royal années 80 – Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957 – Puligny-Montrachet Les Pucelles Boisseaux-Estivant négociant 1959 – Château Carbonnieux  blanc 1962 – Château Lynch-Bages 1962 – Chateau Léoville-Poyferré Saint-Julien 1943 – Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1953 – Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979 – Chateauneuf-du-Pape Domaine de Montredon 1957 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970 – Rioja Siglo 1970 Felix Azpilicueta Martinez – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 – Rioja Siglo 1959 Felix Azpilicueta Martinez – Rioja Federico Paternina Reserva 1928 – Vouvray moelleux Le Haut Lieu Huet 1964 – Chateau Pajot, enclave du Chateau d’Yquem, Haut-Sauternes 1923 – château Suduiraut 1947.

Groupe 2 : Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Fred. Leroux à Chigny brut 1964 – Champagne Pommery Brut Royal années 80 – Vouvray Clovis Lefèvre 1959 – Chassagne-Montrachet Henri Pillot 1949 – Corton Charlemagne Ropiteau Frères vers 1949 ou plus vieux – Bourgueil Domaine des Ouches Paul Gambier 1984 – Château Pape Clément 1970 – Chateau Beychevelle 1957 – Marquis de Saint-Estèphe, appellation Saint-Estèphe contrôlée 1964 – Château La Cabanne Pomerol 1962 – Grands-Echézeaux Domaine Gros Frère et Sœur 1976 – Charmes-Chambertin J. Mommessin 1946 – Chassagne-Montrachet rouge Joseph Drouhin 1959 – Gevrey-Chambertin Poulet Père & Fils 1964 – Santenay Remoissenet Père & Fils 1947 – Clos Vougeot Noirot-Carrière 1943 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta bt 1970 – Chateau Haut-Bergeron Sauternes 1978 – Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives, Hugel, réserve personnelle de Jean Hugel 1971 – Porto Galo Réserve Spéciale sans année.

Lors de cette séance, peu de vins ont été échangés entre les groupes, et j’ai bu presque exclusivement les vins du groupe 1. La curiosité m’a poussé à goûter de l’autre groupe le Champagne Fred. Leroux à Chigny brut 1964 qui est un peu fatigué mais offre un goût extrêmement subtil, et le Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives, Hugel, réserve personnelle de Jean Hugel 1971 au parfum diabolique et à l’expression d’une richesse et d’une généreuse complexité fruitée. Mais, revenons à ceux de mon groupe.

Le Champagne Besserat de Bellefon sans année que j’ai fourni pour l’apéritif me plait un peu moins que lors de la précédente réunion. Mais lorsqu’on s’habitue, ce champagne d’une dizaine d’années bien dessiné paraît fort plaisant.

Nous passons à table. Le menu conçu pour l’événement est le suivant : Crémeux concentré de châtaignes fumées au jus de truffes et fine tartine fruitée aux poires et foie gras / Noix de coquille Saint Jacques d’Erquy en brochette, émulsion ‘fenouil- endive’ et condiments olives / Noisette d’agneau du Bourbonnais, polenta moelleuse aux aromates,  tuile Parmesan cumin / Crème prise ‘chocolat bergamote’ et croustillant de clémentines et agrumes zestés. Pour un si grand nombre de vins, il n’était pas possible de chercher les accords mets et vins, mais le repas fut très bon.

voici le seul plat que j’ai photographié. Par la suite, j’étais trop accaparé par les vins sublimes

Le Champagne Delamotte blanc de blancs 1990 est de Mesnil-sur-Oger, ce qui implique une précision du vin et une belle élégance. Mais le Champagne Pommery Brut Royal années 80 est tellement délicieux que c’est lui qui capte l’intérêt. Ce champagne de ma cave est sans doute plus vieux que 1980. Il est doux, joyeux, et avec le foie gras, c’est un grand bonheur. Sa longueur est remarquable. Toute ma table est conquise par ce champagne de charme.

Le Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957 nous donne un coup de poing dans le cœur. Loin de tous les goûts actuels, il ouvre son propre chapitre dans l’histoire du goût. Le Puligny-Montrachet Les Pucelles Boisseaux-Estivant négociant 1959 est servi en même temps et les deux Puligny sont éblouissants. On ressent que le 1959 a une structure plus forte, et l’effet millésime est sensible, mais en fait, pour beaucoup d’entre nous, c’est le 1957 qui montre une émotion plus sensible. Nous sommes heureux d’une telle paire de vins réussis, qui vivent leur demi-siècle en délivrant des messages merveilleux. Ces vins complexes sont très difficiles à décrire tant leurs palettes aromatiques sont éloignées des goûts actuels, comme nous l’avons vu avec le « vieux » champagne. Nous ne savons pas si la soirée va se poursuivre à ce niveau, mais voilà un départ spectaculaire.

Le Château Carbonnieux  blanc 1962 nous ramène sur terre, car malgré une couleur avenante, le vin est fatigué. Un ami qui a attendu de le boire nous contera plus tard son retour à la vie. Mais sur le moment, le vin n’apporte pas le plaisir qu’il pourrait offrir.

Le Château Lynch-Bages 1962 est assez agréable, et un léger caractère poussiéreux ne devrait pas trop limiter son plaisir, qui croît au fil des minutes, mais il y a trop de désir du côté du Chateau Léoville-Poyferré Saint-Julien 1943, charmeur, doucereux, riche, mâchu. C’est un vin de très grand plaisir, avec, en fond de plais, un léger coulis de fruit rouge.

Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1953 livré à 18h45 et dont le bouchon m’avait fâcheusement résisté consent enfin à être poli envers nous, car il a une distinction et une race rehaussées par une année de première grandeur. C’est un grand vin, mais des trois bordeaux rouges, c’est le 1943 qui l’emporte avec un charme fruité de grand plaisir. Le velours du 1943 est remarquable.

Nous nous sommes bien amusés de l’attitude de l’ami qui a apporté le Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955. Car il s’obstine à hésiter sur la valeur de son vin, alors qu’il est éblouissant. Il a un charme bourguignon serein. Son année est une grande année bourguignonne, au sommet de son art, et ce vin droit, direct, sans chichi et sans intellectualisme inutile, récite un beau texte fait de séduction naturelle. Et ce qui est remarquable, c’est que ce 1955 ne faiblit pas quand il est bu en même temps que le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979. Ce vin au nez sublime est une expression aboutie et conquérante des vins du Domaine. Il y a la légère amertume, la salinité que j’adore, et cette évocation subtile des pétales de rose. Quel vin enthousiasmant ! L’académicien qui l’a apporté, qui pour sa première séance a réussi un coup de maître rêvait depuis trois ans de l’apporter à l’académie. La joie illumine son visage. Nous demandons que l’on ralentisse le service des vins tant la conjonction de ces deux bourgognes est un moment de plaisir rare, au même titre que les deux Puligny d’à peine une heure plus tôt.

Le Chateauneuf-du-Pape Domaine de Montredon 1957 tient bien sa place après ces deux merveilles. Accompli, avec la belle simplicité généreuse d’un Chateauneuf-du-Pape qui aurait pris des accents bourguignons, il donne un autre type de plaisirs, plus champêtres.

Nous allons maintenant aborder une belle série de vins espagnols, car deux académiciens ont acheté ensemble une importante cave de vins espagnols anciens. On reconnaît en chacun de ces vins un beau style espagnol parfois marqué par un alcool un peu insistant comme avec le 1964. N’ayant pas pris de notes, je ne peux détailler les impressions du Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970, du même en bouteille Rioja Siglo 1970 Felix Azpilicueta Martinez, du Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 et du Rioja Siglo 1959 Felix Azpilicueta Martinez qui, comme un vin français, exprime la beauté de son millésime.

En fait, le plus charmant et de loin, c’est le Rioja Federico Paternina 1928 qui nous réserve l’heureuse surprise d’évoquer la rose, comme le faisait le vin de la Romanée Conti. Ce vin espagnol a une subtilité et une finesse qui sont plus sensibles que celles des vins plus jeunes de sa région. C’est un vin absolument charmant.

A propos de Romanée Conti, je me souviens qu’Aubert de Villaine, lors d’un repas de vignerons que j’avais organisé, avait éreinté avec une insistance remarquée, car inhabituelle, un Haut-Brion blanc 1966 que j’avais apporté. Et voici que je me mets à enfler ma critique du Vouvray moelleux Le Haut Lieu Huet 1964. C’est certainement un grand vin, mais je me prends à le trouver court, limité dans ses expressions à une faible évocation de poire. Quand on connaît la complexité des sauternes, ce Vouvray me semble une ébauche, au plus. Bien sûr, je ne suis pas dupe et je me rends compte que j’exagère la critique, car le vin se justifie. Mon élan critique m’a surpris car ce n’est pas mon tempérament.

Le Chateau Pajot, enclave du Chateau d’Yquem, Haut-Sauternes 1923 est un vin que j’ai apporté pour qu’il entraîne dans son sillage les autres vins de l’académie. Je voudrais en effet que les vins de l’académie aient un âge canonique, car il faut boire les vins qui restent encore en caves. Cette bouteille rare est un message aux académiciens. Quand on me fait goûter, j’ai peur d’un goût de bouchon que je n’avais pas décelé au nez à l’ouverture. En fait le vin n’est pas bouchonné mais il a un léger défaut qui disparaît quand on l’associe aux quartiers de clémentines, qui effacent littéralement toutes les imperfections. Ce sauternes n’est pas puissant, il a mangé un peu de son sucre, mais son message subtil est une belle évocation d’un sauternes joliment évolué et la clémentine le dope judicieusement. Il m’émeut d’autant plus que c’est un autre sauternes de 1923, un Climens, qui a été le déclic de ma démarche passionnée envers les vins anciens, il y a maintenant plus de trente ans.

Le Château Suduiraut 1947, dont l’or magnifique est d’un acajou le plus pur, est synonyme de la perfection absolue du sauternes. Je suis amoureux de Suduiraut 1928 que j’ai bu très souvent, mais force est de reconnaître que ce 1947 est dans l’épanouissement le plus absolu du sauternes parfait. C’est la grâce et la jouissance à l’état le plus abouti. On se délecte de chaque goutte de ce nectar.

Je n’aurais jamais imaginé avant la réunion que nous eussions pu voir les vins de ce soir atteindre un tel niveau. C’est inespéré. On ne vote pas aux séances de l’académie car nous sommes en deux groupes et la collecte des votes serait difficile. Je ferai donc mon vote tout seul. La logique de la perfection me pousserait à mettre le Suduiraut 1947 en premier car il n’a pas l’ombre d’un défaut et une longueur irréelle. Mais le Richebourg 1979 s’est montré tellement charmant, subtil dans la retenue sans retenir son intensité que j’ai envie de le mettre en tête de mon vote. Le troisième pourrait être le champagne Pommery, porteur d’une grande jouissance, suivi du Puligny 1957 pour la surprise immense qu’il nous a donnée. Choisir ensuite entre le Rioja 1928 et le Bonnes-Mares 1955 est difficile.

Voici ce que mon vote serait : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979, 2 – Château Suduiraut 1947, 3 – Champagne Pommery Brut Royal années 80, 4 – Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957, 5 – Rioja Federico Paternina Reserva 1928, 6 – Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955.

La salle qui nous est réservée au restaurant Macéo est d’une taille parfaite. Le service est engagé et motivé. Le repas est très convenable, si l’on admet qu’il est impossible pour tant de vins de faire des mariages. Les vins ont été d’une incontestable qualité. Bien sûr, quelques vins ne mériteraient pas d’être apportés à ces séances. Nous allons travailler encore sur la qualité des apports, car le concept fonctionne remarquablement et nous devons progresser en qualité. Il n’est que de voir l’enthousiasme des participants, et leurs sourires ravis pour constater que cette séance de l’académie  des vins anciens fut une splendide réussite. On me presse de convoquer au plus vite la prochaine réunion. Le succès de ce soir m’y encourage.