110ème dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants vendredi, 16 janvier 2009

Le 110ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Carré des Feuillants. Lorsque le directeur du restaurant m’a transmis le projet de dîner composé par Alain Dutournier, j’ai pensé que certains choix étaient osés. Le chef est un grand passionné de vins et connaisseur des vins anciens. Il me semblait raisonnable de prendre ce risque. Ma seule question fut pour le dessert. Quand on me répondit : « faites confiance au chef », la cause était entendue.

Vers 17 heures le jour dit, j’arrive pour ouvrir les vins. Le fait de sentir le haut de la bouteille juste après le décapsulage et avant l’extraction du bouchon prend progressivement sa place dans le rite. Le Clos René évoque la rose et le Pichon Comtesse l’humus. Lorsque je sens les vins, c’est le Pichon 1947 qui me donne les plus grandes frayeurs. L’odeur est fortement vinaigrée. Je décide d’ouvrir un vin de réserve, car il me semble que le retour à la vie est très improbable. Ayant réalisé les ouvertures très rapidement, je vais me promener dans le froid sur le Faubourg Saint Honoré. Alors que les soldes s’affichent à toutes les devantures, les magasins sont vides.

Mes convives sont au nombre de six, quatre français et deux belges, tous de la quarantaine active et souriante, amateurs de bonne chère et de bons vins. Je leur annonce que le Pichon 1947 est très probablement imbuvable et que j’ai ouvert un vin de plus.

Le menu composé par Alain Dutournier est ainsi énoncé : Amuse-bouche / Pâté en croûte de palombe, truffe et foie gras, millefeuille de chou au lard, chutney d’automne / Cappuccino de châtaignes à la truffe d’Alba, bouillon mousseux de poule faisane, truffe blanche râpée / Pibales sautées "minute", anguille persillée à la plaque et fumée en raviole / Moelle et rouget barbet en millefeuille de chou tendre / Le chapon de deux saisons généreusement truffé et rôti, potimarron écrasé, semoule de brocoli, céleri au jus clair / Fougeru briard travaillé à la truffe / Marrons glacés et perles de mangoustan, parfait vanillé, gelée de rhum, chocolat croustillant.

Le groupe d’amis n’ayant pas l’habitude des vins anciens, j’explique avec beaucoup de précautions comment aborder le Champagne Perrier-Jouët 1964. Le champagne a perdu sa bulle mais a gardé le pétillant. Il est très vineux et ce qui impressionne chacun, c’est l’extrême longueur de ce vin aux évocations de fruits jaunes. Je lui trouve une amertume plus marquée que celle du Louis Roederer de la même année que j’avais ouvert au réveillon de Noël. Mais ce champagne est aimé, au point qu’il aura quatre votes. Je ne cherche pas à limiter l’enthousiasme de notre petit groupe. Le pâté en croûte très goûteux et le millefeuille de chou au lard mettent en valeur la variété riche de saveurs de ce beau champagne. Il faut éviter le chutney.

Un parfum de truffe blanche inonde nos narines. Le Château Cheval Blanc 1962 a une robe d’une belle jeunesse, d’un rouge vif. Le nez est très expressif et le vin a toutes les caractéristiques d’un Cheval Blanc. Le nouvel ami qui a invité cette joyeuse bande est passionné par la jeunesse de ce vin légèrement plus vieux que lui. Je n’ose pas lui parler de l’étroitesse du vin un peu étriqué, car la preuve sera donnée – et il en conviendra – par les vins qui vont suivre. Le plat de châtaigne est spectaculairement fort, de grand plaisir, mais il éteint le vin un peu faible. Ce qui est étrange, c’est que son attaque est belle ainsi que son final. C’est le milieu de bouche qui manque de corps.

Le Clos René Pomerol 1950 d’un beau rouge vivace apporte la démonstration qu’un vin de près de soixante ans peut être d’une belle jeunesse. Très pomerol, riche et joyeux, il est prodigieusement mis en valeur par l’anguille dont le gras subtil exacerbe le merlot.

Après l’annonce que j’avais faite en début de repas, je m’attends au pire lorsque Christophe me sert le Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1947. Quelle n’est pas ma surprise qui fait sourire Christophe, car il a déjà vérifié ! Le vin n’a plus du tout le nez de vinaigre, son odeur est policée, et, disons-le tout de go, c’est le meilleur des trois bordeaux. Ample, charnu, il est extrêmement plaisant, rond et conforme à l’image que j’en avais. Comme une Formule 1 qui a fait un écart, ce Pichon s’est remis sur sa trajectoire, niant la moindre faiblesse. Il n’a pas le panache qu’il pourrait avoir mais il est délicieux. Avec le rouget, c’est un régal.

Je fais servir le vin de remplacement, le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961. Ce vin est une certitude. Je sais qu’il sera toujours bon et je venais hier d’en boire un en cave. Carte de visite de la Bourgogne, il ravit tout le monde. Un convive lui trouve du pruneau, ce que je ne trouve pas. Je suis au contraire dans les fruits roses et surtout les pétales de rose. Vin gracieux et délicieusement canaille, il se boit en « trou normand ».

Le Corton Cuvée du docteur Peste Hospices de Beaune Protheau 1953 est une vraie merveille. Ce vin résume pour moi tout ce que j’aime dans la Bourgogne. Vivacité, jeunesse, salinité bien maîtrisée et cette approche interlope en fausse séduction. Il est accompagné du Clos des Lambrays 1915 qui se présente dans une bouteille sur laquelle un ancien propriétaire avait collé une naïve étiquette plastique que l’on grave avec une sorte de pistolet, alors que la petite étiquette originelle portant « 1915 » est clairement lisible. Le vin est splendide. L’année 1915 n’a fait que des grands vins, dont le fameux Nuits Cailles Morin que je ne cesse de vanter, et ce Clos des Lambrays est d’une fougue qui apporte une démonstration éclatante aux propos que je tiens sur les vins anciens. Les votes le couronneront de la plus belle façon qui soit. Ce vin est une démonstration du savoir-faire des vignerons de l’époque, même si certains d’entre eux étaient au front. La richesse gustative de la Bourgogne est toute exprimée dans ce vin riche, long en bouche, de grande expression. Le chapon met en valeur merveilleusement ces deux vins de haute tenue.

Le Fougeru est un fromage qu’Alain Dutournier travaille à la truffe. La narine est sollicitée, mais elle s’intéresse aussi au parfum doux et affable du Chateauneuf-du-Pape Bouchard et Cie des années 50 que je situe comme un probable 1959. On sent que ce n’est pas un bourgogne, comme le dit un des convives, mais il est quand même très bourgogne. Le vin est assez doucereux, plus chaleureux sans doute qu’un bourgogne, et il dégage un plaisir simple, de bon aloi. Je l’ai beaucoup aimé.

Le dessert me posait question. Il fut effectivement un bon compagnon pour le Château de Rolland Barsac 1929 que l’on pouvait aussi boire tout seul. Contrairement au dernier repas où j’avais eu du mal à convaincre la table de l’immensité du Suduiraut 1928, il ne fallut pas longtemps pour que tout le monde se régale de ce vin au charme fait d’agrumes et de fruits dorés, aux saveurs totalement inconnues de ce jeune groupe, d’une présence en bouche inextinguible.

Nous passons maintenant aux votes et nous sommes sept à voter pour neuf vins. Le Cheval Blanc sera le seul à n’avoir aucun vote. Le Clos des Lambrays figure dans les sept votes, unanimité qui n’est pas si fréquente. Quatre vins ont eu des votes de premier : le Corton 1953 trois fois, le Clos des Lambrays 1915 deux fois, le Clos René 1950 une fois, comme le Château de Rolland 1929.

Le vote du consensus serait : 1 – Clos des Lambrays 1915, 2 – Corton Cuvée du docteur Peste Hospices de Beaune Protheau 1953, 3 – Château de Rolland Barsac 1929, 4 – Champagne Perrier-Jouët 1964.

Mon vote est : 1 – Corton Cuvée du docteur Peste Hospices de Beaune Protheau 1953, 2 – Clos des Lambrays 1915, 3 – Chateauneuf-du-Pape Bouchard et Cie # 1959, 4 – Château de Rolland Barsac 1929.

Celui qui a classé le Clos René premier est le seul à avoir voté pour lui, comme je suis le seul à avoir voté pour le vin du Rhône. La diversité des votes est toujours un plaisir.

Ces jeunes gourmets avaient encore soif, aussi avons-nous partagé un Champagne Delamotte 1997 bien agréable à boire qui nous a permis de disserter sur les vertus et la tenue des vins anciens que nous avons découverts ce soir. Alain Dutournier est venu nous saluer, racontant de belles anecdotes sur les mets et les vins. Le service fut exemplaire. L’accord le plus excitant fut l’anguille avec le pomerol, suivi du rouget avec le Pichon 1947. Ce soir, trois bordeaux et trois bourgognes ont convaincu que l’on peut – que l’on doit – aimer ces deux régions aux vins d’une démonstrative longévité.

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants – photos vendredi, 16 janvier 2009

Photo de groupe sous un beau tableau (spécialité du lieu)

Notre table de sept personnes

Les amuse-bouche

Pâté en croûte de palombe, truffe et foie gras, millefeuille de chou au lard, chutney d’automne

Cappuccino de châtaignes à la truffe d’Alba, bouillon mousseux de poule faisane, truffe blanche râpée

Pibales sautées "minute", anguille persillée à la plaque et fumée en raviole

Moelle et rouget barbet en millefeuille de chou tendre

Le chapon de deux saisons généreusement truffé et rôti, potimarron écrasé, semoule de brocoli, céleri au jus clair

Fougeru briard travaillé à la truffe

Marrons glacés et perles de mangoustan, parfait vanillé, gelée de rhum, chocolat croustillant

110ème dîner de wine-dinners du 16 janvier 2009 – photos des vins vendredi, 16 janvier 2009

Champagne Perrier-Jouët 1964 (on note l’inscription italienne, qui ne signifie pas forcément que le vin est allé en Italie)

Château Cheval Blanc 1962

Clos René Pomerol 1950

Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1947 (la capsule est une oeuvre d’art)

Corton Cuvée du docteur Peste Hospices de Beaune 1953 (la bouteille n’est pas très présentable, mais ce qui compte, c’est ce qui est à l’intérieur. J’ai un peu nettoyé la capsule du millésime pour constater que c’est 1953 et non 1933 comme je le croyais)

Clos des Lambrays 1915

Clos des Lambrays 1915

Chateauneuf-du-Pape Bouchard et Cie années 50 (probable 1959)

Château de Rolland Barsac 1929

Les vins de réserve :

Château Carbonnieux blanc 1982

Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961

 

Un Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 impromptu jeudi, 15 janvier 2009

Un jeune journaliste a fait un reportage sur le plus grand collectionneur de vins de la Romanée Conti, Champlain Charest, restaurateur canadien et bon vivant. Il m’a adressé un extrait de ses prises de vues et souhaite m’associer sous une forme ou sous une autre à la série de ses interviews et reportages.

Je lui donne rendez-vous près de ma cave.

Je suis allé acheter un petit frichti sans plat chaud : tranche de jambon de parme, foie gras, Saint-Marcellin, Brie de Meaux et tarte aux pêches.

Comme j’arrive un quart d’heure avant mon visiteur il me faut un vin qui ne nécessitera pas de longue aération après sortie de cave, et je prends un Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961. Chaque fois que j’ouvre ce vin, c’est un immense vin. Le niveau avait baissé plus que de coutume (environ 4,5 cm sous bouchon), suite à un choc sur le dessus de la capsule. Le bouchon est sec en haut, bien imbibé en bas, et sort entier. La couleur commençant à légèrement tuiler montre l’âge. Mais ni le nez ni la bouche ne montrent le moindre début de faiblesse. Le fruit est vivant, et j’aime le côté velouté séduisant. Le vin est légèrement doucereux. C’est un vin de bonne mâche. Comme nous parlions vin, ce chambertin était un pur plaisir, vin de joie toujours au rendez-vous.

Sigalas-Rabaud mercredi, 14 janvier 2009

Voici deux capsules

à gauche celle du 1896 bu le 31 décembre 2008, à droite celle du 1959 qui sera bu le 22 janvier 2009. On voit la continuité absolue du design de la capsule, avec les mêmes inscriptions et le même écusson coiffé d’une couronne. On voit aussi l’effet du temps en 63 ans.

les « anti-voeux » de François Simon dimanche, 11 janvier 2009

François Simon,  dans le Figaro du 10/01/09 présente ses vœux sous le titre « Nos antivoeux les plus sincères ».

Ce papier plein d’esprit m’a donné l’idée d’ajouter mes propres idées.

1 – Le choix des pains. François s’insurge contre cette manie de proposer huit pains différents, alors qu’un seul bon pain ferait l’affaire. Je suis de son avis, d’autant que la cérémonie du pain prend un temps considérable quand on voudrait parler avec ses convives. J’ajouterai à cela la même manie pour les beurres. Et, ce qui m’importune le plus, de loin, c’est le choix des cafés. Lorsque l’on discute avec ses amis, devoir lire une carte des cafés avec des explications sur les vertus de chaque haut-plateau inaccessible, c’est franchement insupportable.

2 – La gastronomie à quatre chiffres. François est dans son rôle quand il fustige les additions stratosphériques. Le passage à l’euro a désinhibé les restaurants. Qui aurait pu mettre des plats à plus de 1000 F sur une carte ?

3 – Les billes de betterave. François fustige les légumes à la mode. Il n’aime pas la betterave. Personnellement, ça ne me gêne pas tant que cela. La betterave est un légume au goût très fort, dont il ne faut pas abuser, car il n’est  pas l’ami des vins.

4 – Les desserts d’artistes. C’est vrai que les desserts qui se veulent visuels avant d’être goûteux, ça m’énerve aussi, car le palais est chaviré. Il m’est très difficile de faire passer l’idée que pour les vins, il ne faut pas un dessert d’artiste, mais un goût. La volonté de montrer le talent du pâtissier est trop forte.

5 – Les rythmes de grand-messe. François aimerait moins de chichi. J’avoue que le chichi ne me déplait pas. Ce qui m’agace, c’est de devoir attendre quand ce n’est pas nécessaire.

6 – Les amuse-bouche. François serait pour leur suppression totale. Je ne suis pas d’accord. Mais j’aimerais que l’on introduise une nouveauté. Il faudrait que lorsque l’on s’assoit à table, quelqu’un vienne demander : « seriez-vous sensible au fait de commander votre vin dès maintenant, pour que le vin ait le temps de s’oxygéner ? ».

Dans ce cas, selon le choix du vin du client, un amuse-bouche simple, adapté au type de vin permettrait de bien commencer le repas. L’amuse-bouche est souvent considéré comme la carte de visite du chef. Il annonce son niveau de dextérité. Alors qu’un amuse-bouche considéré comme un prélude au goût du vin serait nettement mieux.

De plus, contrairement à François Simon, je ne tiendrais pas longtemps sans amuse-bouche. Je préfèrerais qu’on enlève le « pré-dessert ».

7 – Le plat star, le client en otage. Ce qui est effectivement agaçant, c’est d’entendre un jeune serveur qui vient expliquer la composition du plat. Il annone un texte appris par cœur, qu’il récite en mangeant ses syllabes. Il ne faut surtout pas lui demander de répéter, car il s’embrouille.

8 – Les vins sans esprit. L’observation de François Simon rejoint la mienne. L’explosion des prix a conduit les sommeliers à rechercher des vins moins chers. Mais dans leur recherche, je trouve qu’ils sont allés vers « ce qui peut plaire », plus souvent que vers « ce qui représente l’appellation ». Et leurs découvertes ne m’excitent pas tant que cela, car il y a trop souvent la recherche de l’originalité plus que de l’authenticité.

9 -Le Michelin va-t-il se réveiller ? C’est là où je diffère le plus de François Simon. Il considère le Michelin comme ringard et convenu. Si l’on cherche un scoop, il y a mille revues qui véhiculent l’information de la découverte des talents. Ce que j’attends du Michelin, c’est la solidité intemporelle du jugement. Que François réclame plus d’objectivité, je le comprends. Mais il faut que le guide Michelin reste une institution et ne devienne pas une girouette.   

A la liste de critiques de François Simon, j’aimerais ajouter les miennes :

10 – les mignardises. Pour diverses raisons, on peut refuser le dessert et demander un café. Pour certains, les mignardises à profusion seront un bonheur. Mais pour d’autres, ce sera le péché de gourmandise que l’on voulait éviter.

11 – le moment de la commande des vins. J’ai abordé ce sujet ci-dessus. Il faut que le choix soit offert le plus tôt possible.

12 – les bavardages excessifs. Pourquoi ne pas donner, pour les plats les plus complexes, des petits cartons explicatifs, que l’on lit si on en a envie, plutôt que d’écouter un énoncé qui tombe toujours au plus mauvais moment.

Mais j’aimerais ajouter une remarque fondamentale. Nous avons actuellement une richesse de chefs de talents, véritables artistes, qui créent des recettes ou interprètent des recettes classiques de la plus belle façon. Et la variété des tendances est spectaculaire. Je suis prêt à payer leur talent, à accepter un certain décorum, même si parfois, c’est vrai, c’est un peu suranné. Ce que je ne supporte pas, c’est de donner des marges sur les vins qui ne devraient jamais exister à ce niveau si les restaurants avaient une gestion de cave à long terme.

Le bilan de tout cela est quand même largement positif, car les grands restaurants, visés particulièrement dans ce billet par François Simon, nous offrent des plaisirs rares. Des petits ajustements sont souhaitables, mais le plaisir est là.

repas d’amis dans le sud vendredi, 9 janvier 2009

Nous invitons des amis dans notre maison du sud. Sur de fines tranches de poutargue, des gougères et un gouda au cumin, le Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 est particulièrement joyeux et accueillant. Il ne cherche aucune complexité, il parle juste. On se sent bien avec ce champagne rassurant, d’une belle jeunesse, dont le plaisir vaut bien celui qu’offrent des champagnes plus sophistiqués.

Le premier plat est une soupe aux fèves et au foie gras. Le goût est parfait pour accueillir un vin rouge. Lorsque j’avais ouvert les deux vins rouges quelques heures auparavant, l’odeur du sommet des deux bouchons non encore extirpés apparut particulièrement forte, évoquant un chai humide. L’odeur de ces deux bouchons est tellement forte que ma femme me demandera de les jeter quelques minutes plus tard, tant ils envahissaient la pièce. Sentant les deux vins au goulot, je notai comme ils sont dissemblables, le Brane-Cantenac très serein et le Monbousquet très fruité. A aucun moment je n’avais imaginé l’horrible goût de bouchon du Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 qui apparaît quand il est servi. Ce goût ne disparaîtra pas. Les vins bouchonnés que j’ouvre sont si rares que j’en suis tout étonné.

Le Château Brane-Cantenac 1978 qui était normalement prévu pour la suite, s’harmonise bien avec le plat. Il est extrêmement serein. En le buvant, on ressent le même confort qu’avec le champagne, comme si les deux s’étaient donné le mot pour nous rassurer. Plein, riche, d’une belle jeunesse que trente ans n’ont pas entamée, ce premier bordeaux que nous buvons depuis notre arrivée dans le sud est un essai concluant. Le mot d’ordre de ce vin est au plaisir. On remarque sur la bouteille que le vin a été importé par un négociant de Buenos-Aires. Il a donc fait sa propre Vendée Globe, compétition que je suis jour après jour tant cette aventure humaine est captivante, sans que ce long voyage n’ait altéré son goût. C’est objectivement un grand vin riche, charnu, gouleyant.

Le plat principal est un gigot d’agneau de Sisteron accompagné d’une purée « à la » Robuchon. Le bordeaux s’accorde magnifiquement à la viande goûteuse. J’ouvre alors un Rimauresq Côtes de Provence rouge 1983. Sentant le haut du bouchon encore présent dans la bouteille, je constate une similitude avec les odeurs des deux autres bouchons. Ces bouteilles proviennent d’une même cave que je viens de créer dans le sud. Aurait-elle une influence ? Mes amis qui vivent dans cette belle région apprécient que cette rareté soit ouverte, car il est quasi impossible de trouver des Côtes de Provence de 25 ans. Dès la première gorgée, le vin nous donne le sourire aux lèvres. C’est un grand vin. Je préfèrerais sans doute un millésime plus jeune, car le vin s’est assagi. Mais le vin est grand, ayant perdu un peu de son fruit. Ce qu’il me plait de constater, c’est que les deux vins rouges ne se condamnent pas l’un l’autre, et aucune envie ne vient de les hiérarchiser.

Deux camemberts et une tarte Tatin permettent de finir les rouges. De longues discussions amicales parachèvent notre joie d’être ensemble.

Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 malheureusement bouchonné

Chateau Brane-Cantenac 1978

Les voyages forment la jeunesse pour ce vin. Comment a-t-il pu revenir de Buenos-Aires pour atterrir dans ma cave ?

La délicieuse soupe de fèves au foie gras

Rimauresq 1983

déjeuner chez Yvan Roux mardi, 6 janvier 2009

Nous sommes quatre à déjeuner au restaurant d’Yvan Roux. Avant cela, nous avons trinqué dans notre maison du sud sur un Champagne Dom Pérignon 1999. Le champagne évoque instantanément de jolis et frêles fruits blancs. Des petits biscuits épicés le neutralisent, alors que la poutargue crée l’étrange sensation que l’on vient de manger une huître. La salinité combinée au doucereux, portée par la bulle fine, conduit progressivement au retour des fruits blancs.

Lorsque nous arrivons au restaurant d’Yvan Roux, le beau panorama a adopté des tons de gris. La cuisine grouille de crevettes et de cigalons vivants qui tressautent. Yvan tranche généreusement le jambon Pata Negra de Séville qui met en valeur un agréable Champagne Delamotte 1997. Même s’il n’a pas la longueur du Dom Pérignon, le Delamotte a la sérénité des blancs de blancs de Mesnil-sur-Oger. Sur une assiette arrivent des crevettes roses qui, vivantes, étaient d’un vert brun, un petit crabe que l’on croque comme des chips, un bébé calamar qui appellerait du vin rouge, tentation à laquelle nous succombons dès qu’il s’agit de sucer l’ail confit.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1995 est d’un parfum plus lourd que les plus lourdes créations de Guerlain ou Chanel. Envoûtant, entêtant, il annonce le plaisir buccal. L’association du vin et de l’ail est magique, car le doucereux de l’ail enveloppe la virilité du jeune vin du Rhône.

Yvan a touillé pendant de longues minutes un sabayon à l’oursin délicieux. J’avais apporté le reste du Château Sigalas-Rabaud 1896 du réveillon, car je sais qu’Yvan aime les vins doux. L’association du salé et iodé de l’oursin et du sucré du sauternes est d’une rare délicatesse.

Le plat suivant est une belle assiette de cigalons rôtis en cocotte avec de l’ail confit. La chair des cigalons a un goût de noisette. Elle est d’un grand raffinement. La puissance de la Côte Rôtie et sa capacité de persuasion sont énorme. Yvan nous a concocté une bisque au cigalon avec une crème fouettée au sel de Guérande et poivre blanc. Cette saveur est extraterrestre et l’accord avec le vin est diaboliquement déroutant. C’est une pure folie. Le vin est dense, évoquant les fruits noirs avec une longueur rare. Le jeune fils de mon ami est aux anges.

Le thon est mi-cuit, à l’huile de sésame et grains de sésame, échalotes confites au champagne et galette de pommes de terre. Le vin se l’approprie, sa présence forte acceptant la chair délicate comme un bonbon.

Yvan connaît mes péchés, aussi aura-je deux portions de la glace vanille dont il a le secret. Peut-on rêver d’un tel paradis ? Non.

repas chez Yvan Roux – les photos mardi, 6 janvier 2009

Yvan Roux découpe le Pata Negra. On voit les crevettes qui sautent hors de l’assiette, et les beaux filets de thon.

On voit bien pourquoi Yvan appelle ces crevettes des crevettes "vertes". Dans la cuisine d’Yvan, je me demande bien ce que je fais là !

On reconnaît le bébé calamar, le petit crabe à croquer et l’ail magnifique. A droite, le carpaccio de loup aux reflets roses

le sabayon d’oursins et les cigalons

le thon aux grains de sésame.