Noël en famille, deuxième partie – photos samedi, 27 décembre 2008

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1986

Chevalier-Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 (vin que j’adore) et Opus One 1988

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996

Aumonière de saumon au tarama et porcelet aux pommes de terre en robes des champs

L’impériale tarte Tatin de mon épouse, à la couleur de grand sauternes !

repas de Noël en famille mercredi, 24 décembre 2008

Le jour de Noël, tout le monde fourbit ses cadeaux et un faux Père Noël fait luire les yeux des enfants qui y croient encore. Sur des toasts au foie gras, un champagne Louis Roederer 1966 est assez exceptionnel. Il est fortement ambré, et sa maturité est beaucoup plus assumée que celle du Salon 1982. Plus naturelle, elle nous emporte vers des saveurs romantiques, très douces. La variété des saveurs est extrême.

Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar de Russie, le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1990 développe un parfum envoûtant. Le nez est d’une puissance rare. Avec mon fils, nous nous souvenons du 1986 bu en magnum tout récemment d’une perfection absolue. Celui-ci n’a pas l’immensité du 1986, mais on retrouve la grandeur de ce grand vin blanc. Puissant, fruité, avec une très longue trace en bouche et une palette de saveurs très large, c’est un vin qui se marie merveilleusement bien avec le plat.

Le Clos de la Roche Grand Cru Domaine Armand Rousseau 1999 est une nouveauté pour moi. J’ai eu envie d’essayer, même si ce vin est très jeune. Le nez est d’une subtilité rare. En bouche, on est conquis par la pureté d’un vin qui n’est pas extrêmement puissant, mais qui combine complexité et grâce. Mon gendre a cuit à peine des gambas qu’il a léchées d’un arôme de rose qui fait écho au vin, et le soupçon de cacao maigre élargit l’un des plus beaux vins jeunes que l’on puisse boire.

Le plat suivant est un pigeon farci au foie gras, émulsion de mogettes de Vendée. Le Vega Sicilia Unico 1941 a un nez puissant, lourd, torréfié. Le vin est noir et évoque le café. Mon gendre et mon fils sont ravis de ce vin qui me gêne un peu par sa lourde trace après celle gracile du Clos de la Roche. On reconnaît toutefois la solidité de ce vin espagnol qui évoque certains vins lourds du Rhône.

Ma femme ayant prévu un dessert et moi un vin, le mariage ne paraît pas possible aussi mon gendre essaie-t-il la crème au chocolat caramel sur le Vega Sicilia. Je n’essaie pas, car ça ne peut pas marcher, aussi ce dessert est-il une pause. Le Château Coutet Barsac 1934 avait un niveau bas. A l’ouverture, un nez d’orange confite m’avait rassuré. Nous buvons ce noir liquoreux, couleur café, sur des pamplemousses roses. On reconnaît bien sûr les attraits des sauternes, mais celui-ci, marqué d’un petit défaut métallique, ne me plaît pas plus que cela.

Nous avons plébiscité le Clos de la Roche Armand Rousseau comme plus grand vin suivi du Corton Charlemagne. Nous différons ensuite. Mon troisième est le Louis Roederer 1966 et le quatrième le Mont-Redon 1978. Beaux moments familiaux avec des vins variés de grand intérêt.

Noël en famille – les photos mercredi, 24 décembre 2008

Le Chateauneuf-du-Pape Mont-Redon 1978 est un cadeau de mon gendre

Champagne Louis Roederer 1966

Vega Sicilia Unico 1941

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1999 : quelle splendeur !

Chateau Coutet 1934 à la magnifique étiquette. Hélas, le goût n’est pas aussi brillant.

La table de famille. Compte tenu de la charge de travail qui pèse sur les épaules de mon épouse, les petits verres ont été préférés aux verres impressionnants de volume (mais nous avons triché en cours de route !).

Coquilles Saint-Jacques crues au caviar et crevettes roses cuites d’une façon divine.

Cette crème n’était pas franchement idéale pour le Coutet !

Je ne pensais pas que les oranges puissent avoir un coeur gros comme ça ! Accord meilleur avec le Coutet.

veille de Noël mardi, 23 décembre 2008

La veille de Noël, la maison bruisse des rires des petits enfants. Mon gendre m’annonce qu’il a prévu le vin du soir, un Domaine de Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape 1978. Nous sommes donc engagés dans un tour de chauffe avant Noël. J’ouvre un Champagne Salon 1982. La couleur est belle, déjà prononcée. Sa bulle est suffisante. Le champagne a manifestement un goût de vin ancien. Il fait plus que son âge et me rappelle un peu le Salon 1966. Va-t-on l’accueillir comme il est ou lui reprocher une maturité excessive ? Nous prenons le parti de l’accepter tel qu’il est et nous avons raison. Car les champagnes anciens ont une complexité et un charme rares, dans des douceurs que les champagnes jeunes n’ont pas. Sur du foie gras, le Salon est accueillant. Sur une anguille fumée, il gagne en longueur et en profondeur.

Le Domaine de Mont-Redon Chateauneuf-du-Pape 1978 est vraiment à un sommet gustatif. D’une magnifique année, il la rondeur rassurante des vins du Rhône. Ce vin délicat sensible tout en ayant une belle richesse en bouche m’a fait penser aux propos que me tenait mon grand-père, qui aimait le vin sans vraiment le connaître : « si tu veux un vin de plaisir, prends un Chateauneuf-du-Pape ». Nous l’essayons sur du saumon cru sans aucun assaisonnement, car le Salon est épuisé depuis longtemps, et cela n’apporte rien au vin, alors que sur des coquilles Saint-Jacques juste poêlées, avec un soupçon de vinaigre celtique épicé, l’accord est extrêmement intéressant.

Les macaronis d’Eric Fréchon au patrimoine … lundi, 22 décembre 2008

Jean-Philippe Durand envoie un message à quelques amis : il a faim, une grosse envie des macaronis truffés d’Eric Fréchon. Apparemment l’envie est urgente, car le message est envoyé un samedi après-midi pour un déjeuner le lundi midi.

Nous nous retrouvons à quatre au restaurant de l’hôtel Bristol. Nous disons à Marco, le sommelier que nous avons connu au Taillevent, que l’esprit est de ne prendre qu’un plat, le macaroni. Marco nous répond par une montée au filet instantanée : vous ne pouvez pas ne pas essayer l’oignon.

Après avoir tergiversé sur la taille des portions, nous décidons enfin qu’il s’agira de portions entières. Mon insistance a pesé dans la décision. Comme Edith Piaf, je ne regrette rien.

La carte des vins est une des plus dissuasives qui soient. Les prix ne sont pas stratosphériques, ils naviguent autour du monde du vin en navettes spatiales. Il y a quand même quelques bonnes pioches – tout est relatif – et après une discussion de mise au point avec Marco, nous jetons notre dévolu sur un Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel blanc 1993. Nous pensions avoir un « vieilles vignes », mais celui-ci fit parfaitement l’affaire.

L’amuse-bouche en quatre parties est d’une délicatesse rare. Le foie gras à l’anguille met en place le palais pour la suite. C’est l’occasion de goûter le vin qui arrive beaucoup trop froid.

Sa couleur est ambrée et son nez n’est pas encore sensible. En bouche son charme est déjà présent et la bouchée lui va bien. La petite préparation au champignon de Paris fait irrésistiblement penser à l’Astrance et son plat d’anthologie.

La bouchée ronde à l’huître est d’une saveur unique. Toutes les vagues des mers du Sud qui secouent en ce moment les marins du Vendée Globe fouettent les narines. L’iode est extraordinaire. La petite sucette finale dont j’ai oublié la composition m’a laissé un souvenir de joie, car on se félicite du talent du chef. Chaque bouchée a un goût pur et jamais le chef ne sur-joue.

Un deuxième amuse-bouche est une Royale de foie gras fumé à l’écume d’oseille. C’est pour moi un enchantement total. Et l’accord avec le vin se fait merveilleusement, car le fumé du plat exhausse le fumé de la roussanne.

L’oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles est envoûtant, car il nous fait découvrir des saveurs inconnues. C’est talentueux et chaque élément est pesé au trébuchet. Et, comme l’avait prédit Marco, l’accord avec le vin est talentueux, le fumé du lard gommant cette fois-ci le fumé du vin, pour lui donner un final encore plus enlevé.

Les macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan, objet de la grande faim de Jean-Philippe, seraient classés dans les guides bleus dans la rubrique : « mérite le détour, à voir absolument ». Car c’est une institution. Tout en ce plat est d’un dosage parfait. La continuité avec le vin charnu est idéale. Ce plat pourrait accueillir beaucoup d’autres vins mais cet accord est extrêmement justifié. Le vin en lui-même est assez indéfinissable. Il montre des signes de maturité sans aucunement paraître assagi, il est calme, tranquille, apaisé, ses notes de fumé étant sereines. L’équilibre du vin n’empêche pas la vivacité, car il réagit à chaque saveur en imprimant sa marque. C’est un vin poli et très agréable.

La gelée à l’hibiscus, sorbet Campari pamplemousse est un avant-dessert délicat qui ne sera pas suivi de dessert mais de caramels, nougats et guimauve à la poire à se damner. Devant ce chariot, il est impossible de résister à la tentation, sauf Jean-Philippe qui résistera à l’appel de la guimauve. Même les êtres parfaits commettent des erreurs.

J’ai particulièrement apprécié la cohérence des saveurs dans chaque plat, qui montre une maturité et une sérénité exemplaires. Eric Fréchon qui est venu nous saluer à notre départ mérite les trois étoiles. Nous lui avons exprimé nos vœux que ceci se réalise sur le prochain guide.

déjeuner au Bristol pour un macaroni – les photos lundi, 22 décembre 2008

L’amuse-bouche en quatre parties dont une  bouchée ronde à l’huître, et une sucette

Royale de foie gras fumé à l’écume d’oseille,

L’oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles

Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan (un plat mythique – culte comme diraient les djeunes)

 

Réflexion sur la carte des vins idéale d’un restaurant dimanche, 21 décembre 2008

Cette réflexion est conduite en dehors du contexte actuel de crise, car il y aura une vie après la crise.

Pratiquant beaucoup de restaurants, je constate que beaucoup de cartes des vins des restaurants de haut rang ne correspondent pas à ce que l’on serait en droit d’attendre.

Pour illustrer mon propos, imaginons un vin de 1982 acheté en 1984 autour de 8 / 15 €. Prenons 12. (Les premiers crus classés ne dépassaient pas 15 €).

Si l’on considère qu’un capital rémunéré à 10% est bien rémunéré, 24 ans plus tard, les 12 € valent 118 €.

Supposons que le prix de marché de ce grand vin soit aujourd’hui de 800 €.

Le restaurant qui aurait gardé cette bouteille depuis son achat en primeur et mettrait à sa carte le vin à un prix égal à 80% du prix de marché, soit 640 €, s’assurerait un placement à 18 % par an, ce qui est assez joli.

Acheter un vin à 20% de moins que sa valeur marchande est tentant, bien sûr pour ceux qui en ont les moyens. (Mais on peut transposer l’exemple à tous les niveaux).

Tandis que si le restaurant se dit : la bouteille vaut 800, je peux donc la proposer à 2000 €, il revendique un placement à 24% par an pendant 24 ans, en revendant 166 fois plus cher que son prix d’achat.

Lorsque les vins d’Henri Jayer étaient bon marché, des restaurateurs intelligents gardaient ces vins à leur carte avec un très confortable coefficient, et comme plusieurs amateurs avisés, j’ai pu boire des Cros Parantoux à 300 € quand les prix commençaient à dépasser les 1000 €.

Si aujourd’hui, alors que les prix de ces vins dépassent 2000 €, les restaurateurs les affichaient à 5000 € pour un prix d’achat autour de 15 €, ce serait définitivement dissuasif. Alors bien sûr on objecte l’existence des consommateurs russes, mais ce serait faire fi d’une clientèle plus durable et probablement plus fidèle.

Alors, j’imagine ce que devrait être la règle de constitution de la cave d’un très grand restaurant, en ce qui concerne des grands vins (mais aussi les autres).

Dans le cahier des charges de la cave, il faudrait inscrire que la cave doit avoir pour mission le mûrissement. Si l’on admet qu’un vin nécessite 15 ans pour être bon à boire, la cave doit le permettre. Ce qui veut dire que les 2005 ne seront pas à la carte maintenant, mais à partir de 2015 / 2018. On voit que cela conduit à une certaine vision au plan capitalistique, car une cave doit représenter – par exemple – 15 ans de stock et non pas deux seulement, voire moins. Un financement spécifique doit exister, justifié par la croissance normale naturelle des prix du vin (hors crise).

A noter que des restaurateurs m’ont dit : « on sait bien que les 2005 ne devraient pas être à la carte, mais si on ne les met pas, les clients américains râlent ». Il faut remettre de l’ordre et du bon sens.

Il me semble que ce critère de constitution de cave devrait compter pour l’attribution des étoiles par le guide rouge.

Dans un passé récent on trouvait encore des restaurants qui mettaient sur leur carte des vins pour certains millésimes récents : « en vieillissement ».

Le stockage des vins pourrait se faire dans leur cave mais aussi dans des caves de vieillissement.

Le prix de vente du vin sur la carte du restaurant se ferait à environ 80% du prix du marché, si ce prix permet de garantir un rendement sur investissement minimum de 10%. Sinon, il serait au dessus.

Une autre condition serait que le restaurant ne vende pas de bouteilles au client qui ne consomme pas sur place.

Ceci veut dire que le restaurant ne devrait pas acheter des 1990 en 2008 par exemple, en multipliant ses prix d’achat par trois. Cette pratique ne devrait pas être acceptable. La gestion à long terme de la cave devrait être la règle.

Dans ces conditions, on pourrait envisager la carte des vins comme une invitation à boire les vins que l’on peut s’offrir et non pas à être forcé d’essayer de trouver la bonne pioche dégotée avec talent par le sommelier, parce que les coefficients pratiqués interdisent d’accéder aux vins que l’on boit normalement.

J’aimerais bien conduire une réflexion avec des restaurateurs sur ce sujet qui intéresse tous les amateurs de vins qui aimeraient qu’au restaurant ce ne soit pas : « on s’éclate sur la nourriture et on se restreint sur le vin ».

Lafite 1900 et Pichon Baron 1904 sur la cuisine de Patrick Pignol vendredi, 19 décembre 2008

Le « casual Friday » commence à devenir une institution. Le périmètre des présents change un peu, mais l’esprit est le même. Le retardataire institutionnel entretient sa réputation dans des limites toujours grandissantes. Comme c’est lui qui a apporté le premier vin nous avons la bouche qui s’assèche. Nous décidons d’inverser l’ordre des champagnes, pour ne pas ouvrir sa bouteille avant qu’il ne soit là.

Les vins ont été ouverts ce matin à 9 heures par Nicolas, le sommelier fidèle du restaurant de Patrick Pignol, tremblant de peur de fragiliser les vins précieux. J’ai mis au point le menu avec Patrick Pignol avant l’arrivée des convives. Un ami qui offre le champagne Dom Pérignon 1969 de la carte du restaurant a la bonne idée de demander des petits toasts à la truffe qui nous permettent d’attendre le dernier des sept de notre table. Le champagne est absolument délicieux. Il a une bulle active. Sa couleur ne montre aucun signe d’âge. Le parfum est pur, riche, envoûtant. En bouche, c’est une petite merveille de précision. Je suis sous le charme de ce champagne où le miel, la brioche voisine avec une belle trace citronnée. La longueur est extrême et la bouchée truffée est un vrai cadeau de Noël.

Une huître enveloppée dans une feuille d’épinard garde tout son iode, comme nous l’indique si bien madame Pignol. Elle se marie agréablement avec le Pavillon blanc de Château Margaux 1988 à la belle couleur, à la bouche intelligente combinant fraîcheur et délicatesse.  C’est surtout la fraîcheur finale qui me conquiert.

Une préparation d’oursins légèrement sucrés accueille un champagne Ruinart 1955. Sa couleur est nettement ambrée et le vin montre une fatigue certaine. Mais c’est un des miracles du vin, le plat réveille le champagne qui devient plaisant. Il s’endort à nouveau dès que le plat est fini. Il nous a communiqué l’espace d’un instant une belle émotion.

J’avais intercalé le blanc entre les deux champagnes pour que la bouche soit prête à accueillir le cadeau que je réservais à mes amis : Château Lafite-Rothschild 1900. J’avais annoncé que le niveau de la bouteille est bas, et que dans ces conditions, cette bouteille est une incertitude totale. Aussi ai-je prévu du secours. La bouteille est basse épaule. Le vin a une belle couleur foncée, variable selon la hauteur dans la bouteille et son sédiment est important. Le nez est extrêmement intense et un ami qui a professé l’œnologie dans une partie de sa carrière nous dit que cette odeur prenante est totalement caractéristique de Lafite. En bouche, nous sommes étonnés que le vin soit aussi présent. Son charme est intense. Je sens une légère fatigue mais cet ami dit qu’il n’y a pas l’ombre d’un défaut. Nous sommes enchantés, et le ravioli de céleri noyé sous des tranches de truffes est idéal pour faire ressortir les accents de truffe du vin. Le final est beau. Le vin est riche et velouté. Il y a même quelques soupçons de pétales de rose, « à la » bourguignonne. Nous prenons conscience que nous sommes en train de vivre un grand moment, car le vin s’épanouit et apporte la preuve de l’excellence légendaire de l’année 1900.

Le ris de veau juste saisi et légèrement caramélisé est absolument délicieux. Le Château Pichon-Longueville Baron 1904 que j’ai apporté en secours, dont le niveau est presque dans le goulot est d’une couleur irréellement jeune, car le rouge est d’un beau rubis. Le nez est un peu moins noble que celui du Lafite, mais on sent le cousinage des deux Pauillac. Le vin a de la personnalité, se montre jeune malgré ses 104 ans, et ce qui me plait énormément c’est cette vivacité de jeunesse. On sent bien que la race n’est pas aussi grande que celle du Lafite. Mais elle est grande et le vin me séduit.

La chair de l’agneau de lait est tendre comme un bonbon. Elle cohabite d’abord avec un Château Pibran 1928 apporté par mon fils, qui a la joie d’un 1928 mais manque un peu de coffre. Vient ensuite un Vega Sicilia Unico 1964 que j’ai apporté pour le cas où le 1900 et le 1904 eussent été tous les deux souffrants. Le vin est presque noir. Il est lourd comme le plomb et l’on pense à un vin de Porto qui serait sec. Il est torréfié, avec des traces de café. Son charme est rare et sa présence envahit nos palais. Il est fort mais séduisant et se boit goulûment. Il évoque de lourds vins du Rhône.

Le comté affiné de nombreux mois mais qui a gardé sa fraîcheur est merveilleux pour mettre en valeur le Jurançon 1929 des caves Nicolas. Ce vin est de la joie de vivre. Sa couleur est d’or, son nez est excitant d’agrumes poivrés et en bouche il court dans toutes les directions, mêlant les grains de raisins bien mûrs et bien ronds à de fines traces d’agrumes. Un vin de pur plaisir.

Un soufflé à la mandarine et une clémentine légèrement confite donnent la stricte représentation du Château Suduiraut 1944, bel exemple de ce vin qui est attachant quasiment à tous les millésimes. Le vin est serein, bien dessiné et récite ses agrumes orangés avec un bel entrain.

Nous votons, et sept vins sur neuf ont des votes. Le Lafite 1900 recueille trois votes de premier, le Dom Pérignon 1969 en recueille deux et le Pichon 1904 ainsi que le Jurançon 1929 en recueillent chacun un. Quatre vins premiers pour sept votants, c’est d’un bel éclectisme. Nous sommes deux à avoir dans le désordre le même vote que le vote de synthèse, celui que j’appelle le vote du consensus, qui est :

1 – Château Lafite-Rothschild 1900, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – champagne Dom Pérignon 1969, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Mon vote : 1 – champagne Dom Pérignon 1969, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – Château Lafite-Rothschild 1900, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Manifestement le Lafite 1900 a impressionné toute la table. Patrick Pignol, intéressé par notre expérience, qui me blague souvent en disant que mes reliques ont un ticket qui n’est plus valable a été enthousiasmé par le Lafite 1900. Si je ne l’ai mis que troisième, c’est que j’espère secrètement que les autres Lafite 1900 qui sont dans ma cave, de meilleurs niveaux, seront des premiers récurrents. Le 1900 et le 1904 proviennent d’un lot important que j’ai acheté récemment, d’une cave qui avait été murée pendant des décennies. La prestation des vins de ce jour confirme l’intérêt de ce lot, ce qui me satisfait au plus haut point.

Dans une ambiance joyeuse de collégiens en école buissonnière, sur une cuisine faite par un chef talentueux travaillant de beaux produits, sur des vins dont certains sont des témoignages extrêmement rares, nous avons lu une émouvante page d’histoire.

casual Friday – les photos vendredi, 19 décembre 2008

Le Chateau Lafite-Rothschild 1900 était le prétexte de ce déjeuner. L’intitulé gravé dans le verre est pour moi un sujet de fierté. Cette présentation est la même que pour Lafite 1945 que j’ai bu deux fois avec Alexandre de Lur Saluces en provenance de sa cave.

Les vins bus lors de ce déjeuner

Le goût de l’huître est merveilleusement préservé dans cette feuille; délicieux calamar

les plats principaux, ris de veau et agneau de lait

soufflé à la mandarine et clémentine légèrement confite pour le Suduiraut 1944

On croit que c’est facile de boire des vins anciens. Mais ça se mérite ! Ici, les sédiments du Lafite 1900 et du Pichon Baron 1904

Mon carnet de notes pour enregistrer les votes des amis. Quelques verres aux couleurs sympathiques

un ami tel Cartier-Bresson a voulu tirer mon portrait. Le temps qu’il trouve comment un appareil de photo se prend en main, et il réussissait.

dégustation des 7 vins de 2005 de la Romanée Conti et dîner chez Parick Pignol mercredi, 17 décembre 2008

La société Grains Nobles organise chaque année une dégustation des vins de la Romanée Conti en la présence d’Aubert de Villaine, copropriétaire et gérant du prestigieux domaine. Michel Bettane et Bernard Burtschy sont à ses côtés. La dégustation se tient dans une belle cave voûtée du Paris historique et le propriétaire des lieux et de Grains Nobles nous dit que cette cave doit dater des 12ème et 13ème siècles. Aubert dit qu’elle pourrait faire une belle cave bourguignonne même si la forme ronde n’est pas la forme anse de panier de la cave bourguignonne.

Cette année, on goûte les 2005, année prestigieuse s’il en est. Aubert qui est très occupé par beaucoup de projets prenants s’est muni de ses fiches de 2006 et pour lui, 2005 est déjà du passé. N’ayant pas beaucoup de données précises sur le 2005 qu’il commentera verre en main, il en profite pour donner des nouvelles de 2008. Année difficile dans sa gestation au point que l’on se demandait si elle serait millésimée, elle a été sauvée le 13 septembre par l’apparition d’un vent du nord qui a soufflé pendant un mois, a effacé le botrytis et a accéléré le mûrissement. Les baies ont vu leur volume réduit de deux tiers ce qui a entraîné une baisse de rendement mais une belle maturité. La vendange fut de la « haute couture » avec un écrémage important. Le rendement est de 15 à18 hectolitres à l’hectare ce qui est bas. Ce qui a été choisi sera très beau. Les blancs n’ont pas connu les mêmes problèmes.

Aubert de Villaine tient un propos très fort : « on ne doit plus parler de petites et grandes années. Il y a des années différentes, avec de gros écarts de personnalité, mais il n’y a plus de petites années. »

Il ajoute une phrase qui ne peut que me réjouir car elle épouse ce que je ressens : « ce n’est que depuis 1985 que l’on a les moyens de faire des vins du calibre de ce qui se faisait dans le passé ». Et il parle du « génie des anciens ». Ce grand vigneron, à la pointe de la recherche dans tous les domaines de ce qui peut améliorer la qualité du vin, au lieu de se croire au sommet de l’histoire, se place dans la continuité de l’expérience des anciens qui ne possédaient pas la science actuelle. Cette sagesse me touche beaucoup.

Aubert évoque l’année 2005 que nous allons boire et dit que les raisins avaient un état sanitaire parfait. Sur les tables de tri les raisins étaient magnifiques avec une maturité très homogène, ce qui a entraîné de forts rendements. Il dit que le tri est un élément essentiel mais n’est pas la clef unique. Une autre clé, c’est le rendement raisonné. Il répétera de nombreuses fois que ce qu’il cherche, c’est d’arriver à une « finesse de maturité ». Il indique que la biodynamie aide maintenant à cette finesse de maturité et Michel remarque que le réchauffement climatique est, pour le moment, favorable au vin de Bourgogne.

Les 2005 ont été mis en bouteilles en 2007, en période de lune descendante.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servi est d’un rouge assez clair, légèrement trouble. Le nez est extrêmement riche et charnu, très expressif de poivre, cassis et framboise. En bouche on note la fraîcheur, le caractère vert, astringent et une touche de framboise.

Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 a un rouge pur, aussi légèrement clair. Le nez est un peu plus strict mais très profond et l’on sent du poivre. En bouche, il est plus rond, plus charmeur, plus complet. Il y a de l’astringence, une belle longueur et une belle trace. L’Echézeaux est plus frais quand le Grands-Echézeaux est plus long. Le Grands-Echézeaux est plus tendu, avec une forte densité des tannins. D’une belle pureté, on sent un grand potentiel de garde. Michel Bettane s’extasie et il reviendra pour plusieurs vins sur la qualité des bois neufs. Le final du Grands-Echézeaux est fait de beaux fruits. On peut aimer ces deux vins sans forcément les hiérarchiser, même si le second est plus noble.

Le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un rouge de même nature que celui du précédent. Le nez est discret et de poivre. En bouche, c’est le cassis et la framboise qui s’imposent. Je trouve ce vin d’une grande structure et d’une forte trace en bouche. Je suis assez sensible à sa perfection.

Les vignes de ce vin sont plus vieilles de dix ans que celles du Grands Echézeaux, cinquante contre quarante en moyenne. Il est merveilleux à boire maintenant, pur, frais, joyeux, fruité, au beau final frais. Ce beau vin est d’une élégance rare.

Il forme un grand contraste avec le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2005 qui est d’un rouge plus sanguin, d’un nez plus arrondi et plus cohérent mais qui en bouche fait strict, militaire. Il y a une force énorme dans ce vin qui est beaucoup moins prêt à boire que le Romanée Saint-Vivant. Michel parle de classicisme dans la densité. Ce vin solide plus minéral doit attendre. Il sera grand.

La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 2005 est d’un très beau rouge sombre. Le nez est très fin, complexe. Il y a du poivre, mais c’est un parfum quasi indéfinissable. L’attaque en bouche est spectaculaire. Le final est d’une race extrême. Ce vin est un vrai raffinement. Il provient de très vieilles vignes. Là aussi, c’est un vin qui devra attendre avant d’être bu. Aubert signale qu’il est dans une période fermée et qu’il s’ouvrira bientôt. Il dit qu’il aime boire les vins jeunes.

La Tâche a de l’astringence, du poivre, un côté minéral. Michel recommence à s’extasier sur la qualité du boisé. Son final est assez impressionnant mais je dois dire que je préfère aujourd’hui le Romanée Saint-Vivant qui est infiniment plus charmeur que ces deux vins fermés et prometteurs.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2005 qui nous est servie est un privilège extrême. Un peu plus de 5.500 bouteilles ont été faites. Ce vin est le plus cher de la planète. On ne peut pas ne pas ressentir la rareté de cet instant. La couleur est celle de La Tâche. Le nez est discret. L’attaque est délicieuse de fruits roses. Aubert nous dit que le secret de la Romanée-Conti, en général, c’est son côté légèrement vert. Il a un goût de pétale de rose, qui passe par la phase poivron vert.

En goûtant, je constate effectivement que le final est vert. Le vin claque. Il se caractérise par la finesse et la fraîcheur. Il est élégant et a aussi du corps. Le nez devient parfumé et très riche avec des accents de feuille de cassis. Il est très envoûtant. On sent que c’est un vin spécial. Il y a du rouge et du vert, du fruit et de la feuille. La verdeur signalée par Aubert est là. La fraîcheur impressionne.

La dernière gorgée est très intense, car je me demande si ce vin que j’ai dans ma cave, je le goûterai à nouveau de mon vivant.

Une surprise nous était réservée car le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2005 annoncé n’était pas inscrit sur nos feuilles de dégustation. Or il arrive dans sa splendeur. Aubert nous dit qu’il y a deux types de Montrachet. Ceux des années à botrytis, opulents mais de durée de vie assez faible, et ceux qui ont été épargnés par le botrytis, moins riches et plus minéraux, qui sont des vins de longue garde. Le 2005 est de la deuxième catégorie. Le nez est magique, incroyablement fort, minéral et riche. En bouche, il est minéral, tendu, pur, noble. Il a un fort picotement de poivre. Aubert dit qu’il a encore des ferments. Il rappelle qu’à la vendange, on cherche à recueillir les grains à maturité extrême. Michel s’extasie de son élégante fraîcheur sans une once de lourdeur.

Aubert signale qu’à l’aveugle total, c’est-à-dire sans voir le verre, presque personne ne sait reconnaître qu’il s’agit d’un vin blanc. Michel dit qu’aucun autre Montrachet n’arrive au niveau de celui-ci. Sa fraîcheur est invraisemblable et j’avoue que je suis totalement conquis. On est pour moi au septième ciel.

Il est assez difficile de procéder à un classement à ce stade de la vie des vins, mais je trouve que le Montrachet est à mon goût largement au dessus des rouges. Ensuite, je pense que moins les vins sont gradés et meilleurs ils sont à ce stade de leur vie. Aussi, sans préjuger de leur qualité intrinsèque ni de ce qu’ils seront quand on pourra les boire, mon classement est : Montrachet / Romanée Saint-Vivant / Romanée Conti / La Tâche / Grands Echézeaux / Echézeaux / Richebourg. Ce classement ne préjuge en rien de ce qu’il sera plus tard. J’ai eu plus de sympathie pour les vins les moins gradés, car plus ils sont grands, moins ils sont prêts à boire. Le nez le plus beau était celui du premier car il y avait l’effet de surprise d’entrer dans ce monde divin des vins du Domaine de la Romanée Conti.

Grains Nobles nous a fait bénéficier d’une occasion unique de boire ces vins côte-à-côte, car quand on boit au domaine les vins en fût, on passe d’un fût à l’autre, sans jamais avoir les sept vins ensemble. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un ami fidèle qui assiste à la réunion me dit : « allons dîner ensemble ». J’ai un programme chargé aussi, alors que je ne sais jamais dire non, je décline. Puis je me souviens que je devais livrer une bouteille au restaurant de Patrick Pignol pour un futur déjeuner où je vais ouvrir Lafite 1900, déjà livré. J’appelle le restaurant pour porter la bouteille et je hasarde : « auriez-vous quelque chose à grignoter ? ». On me répond oui, aussi immédiatement j’appelle mon ami déjà sur la route en lui disant : « veux-tu m’y rejoindre ? ». Il acquiesce.

Arrivé avant lui je raconte à Nicolas, le fidèle sommelier, ce que nous venons de boire. Le fait d’avoir fini sur le Montrachet à la trace indélébile impose un vin fort. Il me propose un Condrieu. Je n’ai pas envie et je jette mon dévolu sur un Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. Nicolas me dit que c’est un peu jeune, ce qui sera l’avis de mon ami. Mais ayant bu sept vins de 2005, j’estime qu’il vaut mieux rester sur une jeunesse typée. Pour gagner du temps, et comme il est tard, je commande le menu pour nous deux : cuisses de grenouilles façon meunière, échalotes grises, cresson de fontaine, dentelles de sésame et la côte de veau, saveur première et la cueillette du moment.

Il est certain qu’avec le goût en bouche du Montrachet, ça n’aide pas le Corton Charlemagne. Mais le palais s’habitue vite à un vin très riche, fruité, varié, salin et minéral. Je vois en lui une myriade d’évocations de fruits jaunes, et un final très pur. Sa jeunesse ne me déplait pas après ce que nous avons vécu. Les deux plats trop copieux à cette heure tardive sont parfaitement adaptés. C’est un grand Corton Charlemagne, mais il n’aurait pas fallu le boire après la perfection insolente du Montrachet 2005 de la Romanée Conti.

Grains Nobles est la seule structure française où Aubert de Villaine accepte de présenter ses vins. Nous avons vécu un moment d’une grande rareté.