103ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 4 septembre 2008

Le 103ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Bipin Desai, un amateur américain qui organise des dégustations thématiques d’anthologie m’avait demandé de prévoir un dîner au début du mois de septembre, en insistant sur les bourgognes. Mes dîners ne sont habituellement  pas dédiés à une seule région, mais l’exercice me tentait.

Mehdi, nouveau sommelier qui a exercé ses talents dans de nombreuses maisons a bien préparé les vins, redressés la veille en cave, pour que je puisse les ouvrir dès 17 heures dans les meilleures conditions. Pour une fois, j’ai pris des notes sur cette étape importante de l’ouverture des vins. Le Pommard Jérôme Buffon négociant 1959 a un bouchon qui se brise en mille morceaux. L’odeur est prometteuse. Le bouchon du Vosne-Romanée Mugneret-Gibourg 1972  est noir sur le dessus, comme s’il avait été calciné. Il sort entier. Le parfum du vin est délicieusement bourguignon. On sent qu’il a besoin d’air pour s’épanouir.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1966 a un bouchon dont la partie supérieure, sous la capsule est aussi blanche que celle du 1972 était noire. Le bouchon très sain, de belle texture vient en entier. La capsule du Vosne-Romanée Lausson 1947 représente une couronne impériale d’un rouge groseille. Une épaisse couche noire colle en haut du bouchon. Il est imbibé comme celui du 1966. Le beau bouchon se casse en deux mais sort entier. L’odeur est animale et de vieux grenier. La bouteille ancienne est soufflée et le col est désaxé.

Le Chambertin (mis en bouteille en 1906) de producteur inconnu 1904 a la même capsule que le 1947, avec la couronne impériale d’un rouge vif. Je n’avais pas remarqué cette similitude en choisissant les vins. Le bouchon a légèrement remonté dans le goulot, sec au dessus et noir graisseux sur le corps. L’odeur est celle d’un porto léger, un peu torréfie. Reviendra-t-il à la vie ? Nous le saurons dans quelques heures.

Sur la capsule du Volnay Coron Père & Fils 1928 je peux lire : Menetèze Brières Vins. Ceci ne m’évoque rien alors que Coron m’a donné de multiples occasions de goûter des vins remarquables. La bouteille est d’une lourdeur extrême, le verre est très épais, surtout au niveau du goulot qui laisse peu de place à un bouchon minuscule. Le bouchon est noir, légèrement baissé dans le goulot. Il y a une légère impression de vinaigre qui ne masque pas un velouté qui promet. Le verre de la bouteille de Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1973 est vert, comme c’était le cas en période de guerre où le plomb manquait. Je retrouve comme chaque fois une poussière noire au dessus du bouchon qui sent la terre de la cave du domaine de la Romanée Conti. Le bouchon de grande qualité vient entièrement, sans brisure. Le nez est très prometteur.

Le dessus du bouchon du Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915  est impeccable, à peine marqué par le temps. Le bouchon sort entier malgré de fines brisures. Le parfum du vin est aussi superbe que d’habitude. La capsule du Château Filhot 1928 est presque une œuvre d’art et séduirait un numismate. Le haut du bouchon non encore ouvert sent le fuit confit. Le bouchon se brise en cinq ou six morceaux qui viennent tous ensemble grâce à la mèche que j’utilise, qui les récupère du fait de mon geste. Le nez du vin évoque l’orange. Cette opération d’ouverture n’a montré aucun vin en situation dangereuse sauf peut-être le 1904, sans que je sois vraiment craintif.

Les convives arrivent dans la merveilleuse salle lambrissée que je considère comme l’une des plus belles de tous les restaurants parisiens. Notre assemblée de dix comprend Bipin Desai, ce physicien américain dont j’ai raconté quelques fabuleuses dégustations, un couple dont le mari est américain et la femme française, un couple de japonais vivant en France, des amis habitués de ces dîners. Il y a trois novices auxquels je donne les consignes d’usage.

Voici le menu créé par Alain Solivérès : Tarte fine aux cèpes, noix fraîches et copeaux de jambon / Bar de ligne aux girolles / Noix de ris de veau meunière, amandes fraîches et sucrine / Canard Colvert aux figues de Solliès / Vacherin glacé à l’ananas / Mignardises. Il comporte relativement peu de plats pour le nombre élevé de vins, ce qui oblige de prévoir trois vins pour chacun des deux plats principaux.

Le Champagne Pol Roger Brut 1990 en magnum est un très bon champagne classique que nous commençons à boire debout avec des gougères, puis à table. Les cèpes adoucissent le vin. Ce champagne lisible, d’expression très claire est agréable.

Le Pommard Jérôme Buffon négociant 1959 est doux, particulièrement féminin. Il est un peu court en bouche au début, mais on sent une montée en puissance progressive qui le rend de plus en plus chaleureux. Le Vosne-Romanée Mugneret-Gibourg 1972  est résolument bourguignon, viril, interlope. C’est le loulou de banlieue dont l’expression est une de celles de la Bourgogne que je préfère. Bipin Desai est impressionné et dit que c’est certainement l’un des plus grands 1972 qu’il ait jamais bus. L’astringence de ce vin, très provocante, rend ce vin adorable. Les deux vins accompagnent divinement bien un bar légèrement trop cuit pour moi, et confirment, s’il en était besoin, la pertinence des rouges sur les poissons.

Alors que le 1972 dominait le débat, la remontée et le développement du 1959 pendant que le 1972 s’ascétise font que le 1959 gagne alors que j’aurais parié sur le 1972 en début de plat.

Les trois vins qui suivent accompagnent le ris de veau. Le Corton Bouchard Père & Fils 1966 est très pur. C’est un vin ciselé. Le Vosne-Romanée Lausson négociant 1947, est, selon mon carnet de notes  « fantastique, fabuleux ». Il est viril, râpeux, très bourguignon comme l’autre Vosne-Romanée et son final est glorieux. Je suis servi en premier du Chambertin (mis en bouteille en 1906) producteur inconnu 1904 et la première approche me paraît dangereuse, car il y a des notes animales. J’en préviens mes convives et l’on m’adresse de vifs reproches, car la suite de la bouteille, plus brune, se développe nettement. Et c’est vrai que le 1904 revit, mais il est objectivement fatigué. Un petit navet avec le 1947 crée un fol accord. La sauce lourde et délicieuse du plat donne un mariage grandiose avec le 1904. C’est une fusion spectaculaire.

Quand le canard est servi, le Volnay Coron Père & Fils 1928 semble fait pour lui. Il est rond, chaleureux, séduisant, plein comme un 1928. Le contraste est énorme avec la Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1973 qui est d’une subtilité exceptionnelle. Bipin Desai est admiratif de la faculté d’expression de ce vin d’une année faible. Ma voisine me demande si notre enthousiasme pour ce vin n’est pas dû à la connaissance de son nom. Je lui explique que la connaissance du nom nous rend attentifs, mais que la subtilité que nous lisons est bien réelle. Le Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915  est d’une solidité à toute épreuve. C’est un vin hors du temps, parfait, d’une sécurité absolue. La subtilité de la Romanée Conti sous son grand équilibre est un grand plaisir. Il nous confirme la capacité de ce vin légendaire à tirer le meilleur parti d’un millésime en demi-teinte.

Je redoutais l’accord du dessert avec le Filhot, mais c’est le Champagne Mumm Cordon Vert ½ sec vers 1950 qui va réussir un mariage unique. Ce champagne, qui n’a plus de champagne que le nom a un goût d’une sensualité exacerbée. C’est chaleureux, doux comme un oreiller parfumé, plaisant comme un bonbon. L’étonnement est extrême de voir ce vin capable d’autant de séduction.

Le Château Filhot 1928 va se déguster sur des mignardises adaptées à sa structure. Le vin d’un bel or d’un ambre léger évoque plus l’orange que le pamplemousse au nez comme en bouche. Un peu sec, il est d’une grande séduction, avec un final rare. J’adore ces vins qui me satisfont particulièrement.

Le vote est certainement le plus surprenant de tous les dîners. Nous sommes neuf à voter car l’épouse japonaise ne boit pas. Les vins qui ont été élus premiers sont le Chambertin 1904 avec 5 voix, et ceux avec une voix sont le Vosne-Romanée 1947, la Romanée Conti 1973, le Nuits Cailles 1915 et le Filhot 1928. Huit vins sur onze ont eu des votes ce qui est une belle variété. Le vote de Bipin Desai est : 1 – Romanée Conti 1973 car il a été impressionné par sa prestation, 2 – Nuits Cailles 1915, 3 – Pommard 1959 et 4 – Vosne-Romanée 1972.

Le vote du consensus serait : 1 – Chambertin 1904, 2 – Nuits Cailles 1915, 3 – Romanée Conti 1973, 4 – Filhot 1928 et le Mumm vers 1950 serait le 5ème.

Mon vote est : 1 – Filhot 1928, 2 – Nuits Cailles 1915, 3 – Romanée Conti 1973, 4 – Mumm Cordon Vert vers 1950.  

Ce qui est surprenant, c’est que Bipin et moi, qui sommes plus que d’autres habitués aux vins anciens, avons remarqué que le 1904 est le vin qui s’écartait le plus de la prestation qu’il aurait pu offrir. Alors, pourquoi ce vin se détache-t-il autant dans les votes avec cinq votes de premier ? On ne peut exclure que beaucoup de convives aient été impressionné par les 104 ans d’âge de ce vin. C’est à rapprocher de la remarque qui m’avait été faite de l’influence de l’étiquette sur l’intérêt que l’on porte à un vin. Dans ce cas, ce n’est pas l’étiquette, puisque le producteur est inconnu, mais l’âge qui a fait aimer ce vin, du moins je le suppose. Ce qui compte au final, c’est que le plaisir soit là, qu’il corresponde ou non à une vérité intrinsèque qui n’existe sans doute pas.

Dans cette merveilleuse salle, le service fut parfait, conforme à la réputation du lieu. Mehdi a bien assuré le service des vins, Jean-Claude a supervisé le service des plats avec talent. Alain Solivérès a fait une cuisine qui correspond exactement à l’esprit de ces dîners : les plats sont cohérents, les saveurs sont lisibles, adaptées aux vins. On aurait pu sans doute ajouter un plat, mais cet essai fut intéressant.

Ce soir, huit bourgognes de 1973, 1972, 1966, 1959, 1947, 1928, 1915, 1904 nous ont permis de faire un voyage passionnant dans l’histoire du vin de Bourgogne. Les deux plus vieux sont le premier et le deuxième du vote général. Le vin de Bourgogne vieillit bien. C’est agréable de le constater au cours d’un repas amical et enjoué à l’une des plus belles tables françaises.

Dîner du 4 septembre 2008 – photos des vins jeudi, 4 septembre 2008

Si nous ne sommes que 8 convives, les vins précédés d’une "*" ne seront pas servis.

Magnum de Champagne Pol Roger Brut 1990

Champagne Mumm Cordon Vert ½ sec vers 1950 (ou avant)

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Pommard Jérôme Buffon négociant 1959

Vosne-Romanée Mugneret-Gibourg propriétaires 1972

Le Corton Bouchard Père & Fils 1966

Vosne-Romanée Lausson négociant 1947

Chambertin (mis en bouteille en 1906) producteur inconnu 1904

Volnay Coron Père & Fils 1928

Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915

Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1973

Château Filhot 1928

 

Dîner du 4 septembre 2008 – les photos jeudi, 4 septembre 2008

L’escalier qui mène au premier étage du restaurant Taillevent

La belle table dressée pour nous dans la salle lambrissée

Les vins alignés dans l’ordre de service

Vue partielles des vins

La capsule du Vosne Romanée 1947

La capsule du 1904 identique à celle du 1947, et le 1904 capsule enlevée

La capsule et le haut de bouteille du Volnay 1928

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La capsule du Nuits Cailles 1915

La capsule du Filhot 1928 est une oeuvre d’art

Les vins débouchés et quelques bouchons

Les plats du repas

j’ai oublié de photographer le bar

le merveilleux dessert

la table en fin de repas, avec la bouteille de Romanée Conti 1973 au verre vert

Des amis avaient encore la force de conclure cette nuit avec un cognac !!!

déjeuner chez Yvan Roux, les photos samedi, 30 août 2008

La vue féerique qu’offre notre table

cigalons et crevettes roses

homards pour ogres !

on n’a pas envie de lui serrer la pince !

festival de couleurs

Chateauneuf-du-Pape de Vallouit 1982

j’avais déjà mangé un bon tiers du homard quand j’ai pris cette photo

un fondant à mourir !

 

énormes homards, Chateauneuf et Meursault samedi, 30 août 2008

Un des plus fidèles parmi les fidèles de mes dîners nous rend visite dans le sud avec sa femme, sa mère et ses enfants. Nous nous rendons chez Yvan Roux, table qu’il adore.

Une assiette de cigalons et crevettes roses se croque avec un Meursault Genèvrières Bouchard Père & Fils 2004 en magnum. La chair du cigalon est d’une rare subtilité, combinant le marin et le doucereux. Le meursault lui répond comme en un écho, car sa palette aromatique est quasi infinie. Ce vin remplit la bouche avec une persuasion certaine.

Les beignets de calamars et carpaccio de poisson rouge forment un plat à aborder en deux parties distinctes. Les beignets pourraient accueillir du vin rouge ou du champagne, mais le meursault leur répond bien. Le poisson est fondant comme un délicat bonbon.

Mon ami a apporté un Chateauneuf-du-Pape Domaine de Vallouit 1982. Le plat est un homard et son corail avec une sauce au meursault, à la crème et aux oignons. Sur le corail, le vin est à son aise, chaleureux et chaud comme un vin du sud, presque doucereux, avec une signature poivrée très agréable. Je le trouve d’un niveau supérieur à l’image que j’aurais pu m’en faire. Yvan Roux possède un art des cuissons qui est exceptionnel. La mère de mon ami, qui pratique les meilleurs restaurants, déclare que c’est le meilleur homard qu’elle ait mangé. Yvan me demande mon jugement sur la sauce. Je le félicite, car la continuité gustative est assurée.

Le fondant au chocolat avec des figues nous fait doublement fondre. D’une part car nous sommes conquis par la réussite du plat follement séduisant, mais aussi car la générosité d’Yvan, géant d’un double mètre, dépasse les capacités d’absorption de simples humains.

Par un temps de canicule en cette fin d’août, ce fut un beau déjeuner d’amitié.  

trois grands vins sur des chairs domptées par Yvan Roux mardi, 26 août 2008

Les enfants et petits-enfants ayant quitté notre maison du sud, nous pouvons reprendre contact avec des amis locaux. Nous voulons les inviter chez Yvan Roux, mais le seul jour possible est celui où Yvan baisse le rideau (il y a un match du Toulon Rugby Club, aucune raison ne peut être aussi impérieuse). Yvan, dans sa bonté, accepte d’ouvrir pour nous.

Mes amis aimant Dom Ruinart, nous commençons par un champagne Dom Ruinart 1996. Dès la première gorgée, c’est comme si l’on s’installe dans le fauteuil d’un avion en première classe. Le sentiment de supériorité est un réflexe condamnable, mais ça fait tant de bien ! La bulle est caressante, et le vin étanche la soif. Que c’est bon ! Sur du Pata Negra, le champagne cisèle son excellence. Sur des petits crabes en friture que l’on croque comme des chips, le champagne est joyeux.

Yvan nous apporte un carpaccio de poisson rouge de Méditerranée à la tendreté redoutable sur un pesto délicieux mais légèrement acide. Le champagne réagit bien, et c’est le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1998 qui dompte le plat de façon parfaite. Il y a dans ce vin un parfum intense et un goût envahissant. L’image qui me vient est celle de l’archange Saint Michel terrassant le dragon.  La chair est irréellement bonne, comme une hostie sur la langue en partage eucharistique.

Yvan nous apporte alors une assiette où figurent des petites seiches cuites à l’encre, sur fond de Pata Negra et un cigalon baignant dans la même encre.  Ce plat impose un rouge et c’est un Rimauresq, Côtes de Provence 1992 qui lui donne la réplique. L’accord est divin, car la sécheresse de l’encre fait ressortir le doucereux du vin. Le vin laisse son âpreté de côté, l’espace d’un instant, pour mettre en valeur ces chairs fondantes. Qu’y-a-t’il de plus beau que la chair d’un cigalon ? Il est difficile de répondre.

Des pavés du poisson rouge à la cuisson diabolique sont accompagnés de préparations épicées et parfumées qui sont sans doute les plus belles qu’Yvan nous ait jamais offertes. Sur ce plat, le Chevalier-Montrachet parade. Il est à l’aise sur ce plat comme Phelps peut l’être dans le Cube de Pékin. Sa puissance, son énergie, sa volonté aromatique sont exceptionnelles.

N’ayant pas retenu qu’Yvan nous présenterait un dessert au chocolat, je n’avais pas prévu de Maury pour clôturer ce repas sur une note de folie gourmande.

Nous avons remarquablement dîné, face à une mer d’un calme de fin de saison. Le Dom Ruinart, le Rimauresq et le Chevalier-Montrachet Bouchard sont des vins d’une présence rare, qui nous ont procuré un immense plaisir.

Un grand Beaucastel au restaurant de Mathias Dandine vendredi, 22 août 2008

Un ami invite ma femme et moi à dîner à l’hôtel de Roches. Nous prenons l’apéritif sur la belle terrasse qui fait face aux îles de Port Cros et du Levant. L’ami me confie le choix des vins, et Mathias Dandine m’ayant confié qu’il adore le Comtes de Champagne, je commande un champagne Taittinger Comtes de Champagne 1997. Immédiatement, l’impression est nettement plus favorable que celle que j’avais en tête après des essais de l’an passé. Le vin a beaucoup de caractère, s’exprime bien typé, légèrement fumé, avec une longueur moyenne mais un beau passage en bouche. Sur des petits amuse-bouche, le champagne montre une belle flexibilité. C’est comme on peut s’y attendre un Pata Negra bien gras qui le fait le plus chanter.

Nous descendons au restaurant, et nous commandons une brandade de morue à la truffe d’été, et une côte de veau. C’est sans doute mon inconscient qui fonctionne, car après une expérience malencontreuse d’un Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990 sur une brandade de morue, accord improbable, j’ai récidivé en choisissant un Chateauneuf-du-Pape Beaucastel 1990. J’ai déjà bu ce vin plus d’une dizaine de fois et c’est certainement le plus grand des Beaucastel 1990 que nous buvons ce soir, car sa perfection est extrême. Si la brandade de morue n’est pas un compagnon naturel, la cohabitation est intéressante à observer, aidée par la truffe d’été que Fabien Dandine nous a râpée avec une générosité à souligner.

La brandade est délicieuse. La côte de veau est goûteuse, mais trop imprégnée par une sauce envahissante qui domine le goût délicieux de la chair. Mon attention est surtout captée par le vin rouge, viril mais noble, d’une plénitude en bouche absolue, long, avec une légère amertume très plaisante. Ce vin est extrêmement réjouissant par son accomplissement idéal. C’est un grand moment. Les plats ayant été très copieux, nous avons grignoté quelques mignardises pour les dernières gouttes de ce vin impressionnant.

 

dîner avec Jean Philippe Durand – les photos lundi, 18 août 2008

Les beaux bouchons des vins de la soirée et les bouteilles vides, face à la mer

A gauche, sur la photo de gauche, on imagine le barbecue qui se prépare. A droite, l’étiquette du magnum de Salon 1995

Domaine Pegau cuvée da Capo 2003 en magnum

le bouchon et un joli texte donnant tous les cépages et "Dance for Pégau"

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990

Château de Fargues 1989

deux beaux plats du monde créatif de Jean-Philippe Durand

Mouline 1990, da Capo 2003, Fargues 89 sur de la grande cuisine lundi, 18 août 2008

Jean-Philippe Durand, cet ami dont le hobby est de cuisiner était présent depuis quelques jours. Il nous avait proposé que le dîner final soit préparé par lui. J’ai choisi des vins qu’il puisse donner libre cours à sa créativité. L’apéritif débute sans ses créations, sur une poutargue et des sablés au parmesan. Le magnum de champagne Salon 1995 est un peu froid, aussi est-il loin de délivrer toute sa palette aromatique. Mais on sent que l’on est en présence d’un très grand vin. Il réagit mieux au parmesan qui l’élargit qu’à la poutargue qui ne le fait jouer que de son iode. Un gaspacho de pêches blanches à la coriandre commence à faire s’ébrouer le champagne et des dés d’espadon au gingembre lui permettent d’exprimer sa subtilité. Des joues de lottes aux endives confites au curry sont délicieuses, le champagne réagissant bien. Mais je le trouve moins expressif que celui bu récemment chez Mathias Dandine, et « l’effet magnum », car on sait que les champagnes en magnums sont beaucoup plus goûteux, ne joue pas cette fois-ci. C’est un grand champagne, mais qui a joué un peu en dedans.

Je suis très ému de servir un magnum de Domaine du Pégau, Cuvée da Capo 2003, car ce vin couronné de la note maximale par Robert Parker, recherché par tous les amateurs du monde est une extrême rareté. Bien sûr nous ne le buvons pas à sa véritable maturité, mais j’en avais follement envie.

Le premier plat de Jean-Philippe pour ce vin est un filet de maquereau à l’unilatérale, mûres coppa et caviar d’aubergines blanches à la muscade. J’ai vu Jean-Philippe extirper chaque arête à la pince à épiler, et l’effet gustatif est spectaculaire, car on mord dans le maquereau à pleines dents, ce qui amplifie le goût. Le vin est très puissant, avec toutes les caractéristiques des vins modernes dont le poivre et le cassis, mais on sent qu’il est beaucoup plus que cela. Il est profond, ciselé, d’un beau maintien, et on le sent taillé pour affronter les ans en s’améliorant sans cesse. Le maquereau l’excite avec bonheur, la coppa avec les mûres capte sa trace profonde. Seule l’aubergine est hors de propos pour dialoguer avec le vin.

L’épaule d’agneau de Sisteron est présentée avec des figues de Solliès rôties et un coulis de figues. Si le plat est parfaitement exact pour créer un bel accord avec le vin, je trouve que c’est la chair seule de l’agneau, dans sa pureté, qui fait découvrir une sensibilité, une palette aromatique délicate et une longueur que la figue ou le plat précédent ne permettaient pas de révéler. Le vin devient noble et charmant, alors que sur le maquereau ou la figue il est grand mais moderne. Sur l’agneau, il vibre et se découvre élégant. C’est un vin immense qui justifie pleinement qu’il ait séduit le plus connu des critiques mondiaux.

C’est au moment où nous saluons la mémoire de ce vin rare en lui rendant hommage que surviennent deux merveilles. Le grenadin de veau basse température et sa poêlée de girolles, et la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990. Lorsqu’on me demande quel vin je prendrai si je devais séjourner sur une île déserte, j’annonce toujours la Mouline 1990, vin parfait. Ce vin confirme de façon absolue qu’il est au firmament, très largement au dessus du Chateauneuf-du-Pape précédent, ce qui n’est pas une critique pour le Pégau, car la Mouline est au zénith. L’année 1990 est une année qui me fascine et trois réussites figurent en mon Panthéon : Pétrus 1990 pour Bordeaux, La Tâche 1990 pour la Bourgogne, et La Mouline 1990 pour le Rhône. Je n’ai pas envie de hiérarchiser ces trois vins, car ils sont parfaits, mais la Mouline a une joie de vivre qui est absolument exceptionnelle. En le buvant, en jouissant de chaque gorgée, nous nous disons que rien ne peut être plus parfait. Il ne se décrit pas, il se déguste.

Le grenadin de veau cuit à 65° est une merveille de tendreté. Les girolles sont goûteuses et l’accord des trois, viande, champignon et vin est d’une sérénité totale. On est bien, remarquablement bien.

Nous avions adoré il y a deux jours un camembert Jort. Nous récidivons par pure gourmandise ce soir avec la Mouline. Et c’est aussi plaisant que sur le Terrebrune, même si le fromage n’arrache pas du vin ses plus beaux chants.

Le Château de Fargues, Sauternes 1989 a une couleur d’un or affirmé. Le nez est de fruit confit. En bouche, la confiance en soi de ce sauternes qui se présente comme un étalon de ce qu’un sauternes doit être nous impressionne. Le dessert de Jean-Philippe est d’une précision millimétrique, car il épouse totalement le vin. C’est une raviole de mangues au pamplemousse rose.

J’avais acheté des kumquats confits qui réagissent fort gentiment avec le Fargues d’un port impérial et ensoleillé. Il nous restait encore une sensation diabolique à découvrir. Mon fils arrivant tout juste de Toscane a apporté des Cantucci Dell’Elba que nous trempons dans le Fargues. Le biscuit trempé donne une sensation proche de l’orgasme gustatif.

Je classerais les vins ainsi : La Mouline 1990 parce qu’il est parfait, suivi du Pégau 2003 du fait de sa rareté mais aussi de son goût, puis le Fargues 1989 qui aurait pu être ex aequo avec le Pégau, mais j’encourage l’inhabituel, et enfin le Salon 1995 qui n’a pas délivré ce qu’il est capable de faire.

L’originalité de l’accord, c’est la coppa et mûres avec le Pégau. Le plus révélateur, c’est la chair de l’agneau. Et les plus sereins des accords sont le grenadin de veau et les ravioles de mangue. Jean-Philippe a joliment créé sur des vins d’un niveau exceptionnel.  Envahis de sensations éblouissantes comme celles d’un feu d’artifice, nous avons vécu un festival de saveurs inoubliables.   

encore un beau repas dans le sud dimanche, 17 août 2008

L’apéritif du soir est centré sur la poutargue. Le champagne Billecart Salmon 2000 n’est pas inintéressant. Il rafraîchit, désaltère, mais il manque de ce je ne sais quoi qui fait un grand champagne. Un saumon mariné à la verveine citronnée et un risotto à l’anis accueillent un Mas de Daumas Gassac blanc 2001 absolument convaincant. Légèrement fumé, ce vin est très prononcé, et se comporte bien sur les notes citronnées du saumon. Aimé Guibert, le truculent maître de ce domaine peut à juste titre être fier de son œuvre, car ce vin très ciselé est d’une grande personnalité. Il décline des saveurs chatoyantes du plus bel effet avec une longueur remarquée.

Mon gendre a commis une mousse au chocolat de compétition. Puissante, lourde, elle est étonnamment envoûtante. Avec elle, un Mas Amiel Cuvée Charles Dupuy 1998 est une merveille incommensurable. Ce vin est comme un opodeldoch apaisant un térébrant désir. Il est aussi envoûtant que la mousse. Son goût débute sur des griottes, poursuit avec un agréable goût de Maury serein. La finale marque un silence et longtemps après, un retour de poudre de cacao marque le palais. Et quand on y revient, on constate que cet arrière-arrière goût est précédé par la violette et le menthol. C’est proprement divin. Et l’on voit apparaître un classique retour de papilles : la mousse au chocolat capture les saveurs du Maury et se les approprie, la frontière entre la lourde crème et le vin devenant plus ténue.

Maury et mousse sont des préludes à de beaux rêves.