Les mêmes vins, le lendemain samedi, 16 août 2008

Le déjeuner du lendemain est un festival de saveurs pures sur les restes des vins de la veille. Sur le champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1995, des bulots caressent l’appétit. Le champagne ouvert depuis plus de quinze heures s’est épanoui et a gagné en chaleur. C’est vraiment un champagne de plaisir.

Une côte de bœuf cuite au barbecue est extrêmement goûteuse car notre boucher local a l’intelligence de faire mûrir ses viandes. Avec une petite purée de pomme de terre, l’accord avec le Rimauresq 1989 est divin. Ce vin a évolué vers plus de maturité et de générosité. Les saveurs, viande et vin, sont d’une pureté extrême.

Un camembert Jort est savoureux sur Terrebrune 1993. Le chemin des rouges pourrait s’achever là, car une diabolique salade de pêches à la verveine citronnée captive notre attention. Mais les redoutables sablés de madame Ré, papesse des gâteaux secs à Hyères, sont capables d’éponger les restes de rouges, y compris le Labégorce-Zédé 1991 qui joue modestement, sans être ridicule auprès des deux beaux vins du sud.

Inutile de préciser que les quelques kilos qu’un sport intense et excessif m’avait permis d’éliminer reviennent tels des enfants prodigues là où ils s’étaient nichés.

quelques vins blancs au dîner samedi, 16 août 2008

Au dîner, des olives aux amandes et à l’ail suggèrent d’ouvrir un Saint-Véran Bichot 1989 dont j’avais un bon souvenir. Le vin est joliment ambré et son parfum est extrêmement séduisant. En bouche, le vin est puissant, lourd en alcool, et d’une invasion que l’on n’imagine pas de la part d’un Saint-Véran. Les 13° annoncés paraissent d’une belle modestie. Il est probable qu’à l’aveugle, je suggèrerais un Chardonnay américain ou, si l’on parle de bourgogne, j’imaginerais une pratique révolue, d’ajout significatif de vin d’Algérie. Mais peu importe ce qu’il renferme, car le vin est extrêmement plaisant. Sur les olives, l’accord est impossible, car les olives sont trop fortes. A l’inverse, sur du foie gras tartiné sur un pain aux épices douces, l’accord est très plaisant. Sur des merguez, le vin se réjouit.

Il est suivi par un Château Simone, Palette blanc 2005 qui annonce lui aussi 13° et paraît infiniment plus léger que le Saint-Véran. Le Palette est subtil, fin, aérien, et extrêmement délicat pour son année. Il a une longueur remarquable et procure un immense plaisir par un fruité multiforme.

La fin du repas est consacrée à un test comparatif à l’aveugle entre la cigarette russe Delacre et une cigarette Casino. Il est inenvisageable pour chacun de se tromper aussi bien sur l’impression tactile que sur le goût. La cigarette Casino a un goût proche de la langue de chat alors que la Delacre est plus sucrée. Si la Delacre s’impose par son goût traditionnel, l’autre cigarette est loin de démériter. Ces biscuits se sont affrontés seuls, puis sur des glaces aux parfums variés. Les deux blancs étaient priés de ne pas se mêler de cette compétition.

des vins du sud par un grand mistral vendredi, 15 août 2008

Le cercle de famille et d’amis s’élargit dans le sud. Sur des fines tranches de poutargue et sur une délicieuse friture de petits poissons, le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 en magnum confirme son excellence. C’est pour moi la définition du champagne de plaisir, agréable à boire, bien fait, sans aucune difficulté d’interprétation. Ma fille aînée boit un Château Labégorce-Zédé, Margaux 1991 qu’elle trouve à son goût. Je n’ai fait que le sentir et il ferait mentir bien des a priori sur son année. Deux bars ont cuit en papillotes et le Domaine de Terrebrune Bandol 1993 se marie très bien avec le goûteux poisson. Il ne montre aucun signe d’âge, mais manque un peu de persuasion, ce qui permet au Rimauresq Côtes de Provence 1989 de briller, vin resplendissant d’équilibre, de joie de vivre, fort en bouche et épicé, compagnon idéal de chairs expressives.

C’est un grand dommage qu’on ne trouve pratiquement pas de Bandol ou de Côtes de Provence de plus de quinze ans, alors qu’ils sont d’une convaincante maturité.

Un Salon 1995 sur un jazz discret mardi, 12 août 2008

Je vais de temps à autre en jet ski prendre un petit déjeuner à l’hôtel des Roches. De bon matin, j’apprends que Mathias Dandine est déjà en cuisine et je lui rends visite dans son royaume. Je lui demande si un événement justifie que nous venions dîner, ma femme et moi. Il m’indique une soirée musicale où Tony Petrucciani et Brigitte Maleh interpréteront du jazz. L’idée est séduisante, et nous arrivons assez tard pour dîner au restaurant de Mathias Dandine. Le trio de Tony et la chanteuse sont installés sur la terrasse située au dessus du restaurant. Nous nous asseyons pour écouter une musique agréable, mais très retenue. On nous propose de dîner sur la terrasse avec des tapas. L’idée nous plait. Je choisis un champagne Salon 1995. Il se trouve que la veille, nous avions ouvert un champagne Henri Giraud à Aÿ, hommage à François Hemart brut sans année et un champagne Louis Roederer Brut millésimé 1999, ce qui m’a permis de vérifier la distance qui existe entre un champagne agréable et un immense champagne. Sur les très jolies préparations de Mathias Dandine, le Salon brille de mille feux, jouissant d’une personnalité très marquée, combinée à une faculté d’adaptation exceptionnelle à des goûts variés. J’ai remarqué une brandade de morue exquise, des variations sur le thème de la truffe d’été dont un toast truffé renversant de bonheur au sein de tapas très claires et goûteuses.

L’ennui lorsque la cuisine est aussi bonne, c’est que les jazzmen invités par Mathias à dîner sur place y ont pris plaisir. Et pendant qu’ils dînent, point de jazz. Leur reprise tenait plus de la musique d’ambiance que du jazz engagé. Pas de tapage sur les tapas, mais la confirmation de deux talents, celui de Mathias et celui de Salon.

 

hommage lundi, 11 août 2008

Hommage

Les vignerons ayant le sens de l’histoire familiale, on voit parfois des cuvées faites en l’hommage d’un parent ou d’un ancêtre. Je pense à l’une des plus célèbres d’entre elle, la cuvée de Beaucastel « hommage à Jacques Perrin », lorsque ses enfants ont décidé de vinifier une parcelle spéciale en hommage à leur père, créant ainsi une cuvée d’exception.

Jean-Pierre Perrin raconte l’histoire de cette cuvée avec émotion.

De même, Bernard Cazes, l’un des grands vignerons de Rivesaltes raconte avec plaisir la cuvée Aimé Cazes, en l’honneur de d’Aimé qui mourut à cent ans tous ronds.

Ces rappels historiques ont quelque chose de sympathique et d’attachant.

Mais il y a des hommages qui surprennent.

Buvant un champagne Henri Giraud Grand Cru d’Aÿ je constate qu’il s’agit d’un hommage à François Hemart. Jusque là, pas de problème, mais ce François est né en 1625 et mort en 1705.

Si l’on voit des monuments aux morts des deux dernières guerres mondiales, il est assez peu fréquent de voir un monument aux morts d’Azincourt ou de la guerre de cent ans. Cela paraîtrait étrange.

En fait il s’agit tout simplement d’exprimer que la famille Giraud-Hemart est propriétaire du même domaine à Aÿ depuis douze générations. On peut en être fier et le dire. Pas forcément en utilisant un « hommage », car ce vénérable personnage mort il y a 303 ans est plus un symbole qu’un sujet d’hommage.

La fibre familiale poussée à ce point méritait d’être signalée.

 

 

des vins divers lors de chaudes soirées d’été samedi, 9 août 2008

Une envie d’apéritif se révèle après une journée de soleil étouffante. Nous ouvrons un champagne Bollinger 1999 sur des tranches de poutargue. Le champagne est très jeune, car c’est sa verdeur qui s’impose en bouche, mais il est très agréable à boire compte tenu des circonstances, étanchant nos soifs avec beaucoup de bonheur. Je le trouve nettement meilleur que celui que j’avais bu lors de ma visite chez Bollinger. Nous tartinons des crèmes de sardines, des crèmes de poivrons, et le champagne s’adapte bien. A table, un saumon passé sur le grill du barbecue m’entraîne à commettre un nouvel infanticide, parce que c’est la seule bouteille au frais dans le réfrigérateur : champagne Substance de Jacques Selosse, dégorgé en mars 2008. La constatation intéressante de ce nouvel essai, c’est que le champagne Substance est beaucoup plus à son aise après le Bollinger qu’après le Laurent Perrier Grand Siècle. Après ce champagne, le Substance était un extra-terrestre, difficile à appréhender, même si sa race était évidente. Après le Bollinger, le Substance est plus précis, plus net, plus accessible, plus compréhensible. Le fumé est élégant et les fruits jaunes de saison qui se marient à des épices orientales se lisent mieux. C’est un champagne de grande race, envoûtant d’originalité.

Chaque jour je vais acheter les journaux auprès d’une charmante buraliste à l’accent chantant. Je passe systématiquement devant une pizzeria. Deux avis concordants ayant vanté les mérites de cette échoppe, il faut essayer. Sur d’agréables pizzas qui ne me font pas lancer une ola, mon gendre ouvre un La Courtade Côtes de Provence rouge 2004. Lorsque je vois la bouteille, j’applaudis, car j’adore ce vin de Porquerolles. Mais le mariage à la pizza n’est pas à l’avantage de ce vin qui reste un peu sur la réserve. Il faudra sans doute l’essayer dans d’autres associations.

Ce fut fait dès le lendemain, car le reste de la bouteille fut bu sur un poulet cuit dans des bourses de feuilles de bananiers. Cette préparation africaine aux épices douces et subtiles fit renaître La Courtade qui montra la personnalité que je lui connaissais, révélant les beautés âpres des Côtes de Provence.

de beaux champagnes chez Yvan Roux lundi, 4 août 2008

De retour dans le sud, nous allons dîner à la table d’hôtes d’Yvan Roux avec deux amis. Yvan a verni aujourd’hui les tecks de l’immense terrasse, aussi notre table est-elle à l’intérieur. La baie vitrée entièrement ouverte nous permet de communier avec le paysage magnifique dont nous ne nous lassons pas. Babette ouvre un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle. Il est très vert et s’impose d’un fort goût de citron vert. Venant de faire juste avant le dîner avec l’amie présente une grande promenade en forêt avec des passages escarpés, je reçois le champagne comme un breuvage désaltérant, et cette jeunesse en verdeur est une belle jouissance. Le moment est aux sensations fortes. Yvan, tenant en main un nouveau jambon Pata Negra comme il le ferait d’un banjo nous apporte un monticule de tranches du jambon délicieux. Un peu plus salé que le précédent, au gras chaleureusement goûteux, ce jambon se marie merveilleusement bien au champagne. La gourmandise me fait abuser de la générosité d’Yvan.

Une petite assiette de friture de girelles et d’un poisson dont je n’ai pas retenu le nom offre des chairs blanches virginales que le champagne accepte bien. Des seiches, têtes et corps appelleraient un vin rouge tant elles sont fortes, mais le Laurent-Perrier s’en tire très bien, au point qu’il me faut vite commander une seconde bouteille.

Yvan nous présente un homard bleu de la Méditerranée aux fortes pinces qui sera servi sur assiette quelques minutes plus tard. Mon ami déclare que c’est le meilleur homard qu’il n’ait jamais mangé. Il faut dire que la chair de la queue du homard ainsi que le corail ont des saveurs époustouflantes, plaçant le homard à un niveau de plaisir rare.

Je fais ouvrir le vin que j’ai apporté, champagne Substance de Jacques Selosse, dégorgé en mars 2008. Je sais que c’est un infanticide de boire ce vin dégorgé si récemment, car ces champagnes élevés selon la méthode des soleras, c’est-à-dire avec ajoutes successives de millésimes dans un tonneau qui ne se vide jamais depuis 1986, mais j’avais trop envie de le goûter. La couleur est d’un fumé presque rose, que l’on ne distingue pas nettement, car la nuit est tombée et l’éclairage d’une maigre bougie ne donne pas la couleur réelle. Le nez de ce champagne est d’une élégance rare. En bouche, il est totalement déroutant. Il y a du fumé, des fruits jaunes et verts comme la pêche ou la reine-claude, et l’impression qui prévaut est celle d’un champagne surpuissant, racé, et d’une grande noblesse. C’est un grand champagne fortement énigmatique.

Un petit saint-pierre a une chair extrêmement raffinée. Les accompagnements des deux plats ont des bases de tomates. Ils sont appréciables et bien élaborés, mais la rupture gustative est peu favorable aux champagnes que nous buvons.

Selon la tradition, je succombe à la glace vanille d’Yvan qu’il agrémente de deux macarons au chocolat qui devraient faire trembler les Ladurée et autres Pierre Hermé. Une fois plus, on mange bien chez Yvan Roux.

Visites du blog en juillet 2008 vendredi, 1 août 2008

Voici les statistiques de visites pour le mois de juillet, et le rappel depuis la création :

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Nous en sommes à plus de 75.000 heures passées par des internautes sur le blog.

C’est assez encourageant.

dîner à l’Astrance – les photos mardi, 29 juillet 2008

les bouteilles du dîner, dans l’ordre de service

le beau bouchon du Mumm Cuvée René Lalou 1966

Sablé à la truffe d’été, huile de noisette et Foie gras mariné, galette de champignon de Paris, un "must" incontournable

Langoustine dorée, chou cuisiné à la cacahuète et Rouget, oignon rouge et poireau

Veau grillé, jus de viande, purée de griotte et Agneau grillé, aubergine, curry noir

la couleur merveilleuse du Dom Ruinart rosé 1981 et Vieille Mimolette, gelée de fruits rouge (très légère), dont l’accord ne me convainc pas.

Génoise au pamplemousse et yuzu

et, non photographiés,

Mangue et agrumes caramélisés

Madeleine au miel de châtaignier

102ème dîner de wine-dinners au restaurant L’Astrance mardi, 29 juillet 2008

Le 102ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant l’Astrance. En cette fin juillet l’atmosphère est lourde, mais une petite brise longe la rue Beethoven, donnant une impression de frais. Les vins sont depuis plus de quinze jours dans la cave du restaurant. Je viens pour ouvrir les bouteilles, filmé par une chaîne de télévision, et répondant aux questions d’un journaliste qui a choisi comme sujet le problème des faux qui pourrissent le marché des vins d’exception. J’ouvre les bouteilles et le nez qui me paraît le plus sympathique est celui du Volnay 1928, chaleureux au possible. Nous dissertons longuement sur ce qui me permet de penser que l’Yquem 1900, bouteille légendaire que j’ouvre ce soir, est une bouteille authentique. L’examen visuel est plus que rassurant. Mais l’extraction du bouchon et le parfum qui se dégage sont la preuve la plus absolue qu’il s’agit d’un magnifique Yquem 1900.

Les premiers convives arrivent et j’explique aux nouveaux venus comment profiter de ces dîners. Une personne évoque Selosse, ce vigneron talentueux de Champagne et je décide de faire ouvrir le champagne Initiale de Jacques Selosse pour étancher une possible soif et nous permettre d’attendre un éventuel retardataire. Nous prenons possession du trottoir devant le restaurant et au dessus de nos têtes un hélicoptère tourne et retourne. Nous pensons que le convive non encore présent aurait choisi ce mode de locomotion mais il arrive avec le sourire au guidon d’un scooter. Le champagne est très pur, d’un fort caractère sans concession, comme celui qui l’a fait. Le petit sablé est un peu lourd pour le champagne alors qu’une amande blanche et un petit dé de pomme Granny-smith l’excitent élégamment.

Notre groupe de huit personnes est composé de trois membres de ce que j’appelle la dream-team car il s’agit des plus fidèles d’entre les fidèles. L’un est venu avec sa compagne et ses parents, et un autre avec une relation professionnelle japonaise. Ce représentant de l’Empire du Soleil Levant ne profitera pas longtemps des trésors culinaires et œnologiques, car à la fin du troisième plat, il sortit s’étendre sur le macadam achevé par la profusion de bonnes choses. Il fut mis dans un taxi et pris en charge à son hôtel pour aller rêver dans son lit de ce qu’il manqua.

Bien sûr, cela nous permit de faire du mauvais esprit sur la cuisine de Pascal Barbot qui décime les samouraïs, mais ce n’est que de l’humour, car la cuisine de Pascal Barbot prouva une fois de plus sa pertinence et son talent. Voici le menu : Sablé à la truffe d’été, huile de noisette / Foie gras mariné, galette de champignon de Paris / Langoustine dorée, chou cuisiné à la cacahuète / Rouget, oignon rouge et poireau / Veau grillé, jus de viande, purée de griotte / Agneau grillé, aubergine, curry noir / Vieille Mimolette, gelée de fruits rouge / Génoise au pamplemousse et yuzu / Mangue et agrumes caramélisés / Madeleine au miel de châtaignier.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1966 se présente dans la magnifique bouteille au verre biseauté et dans nos verres sa couleur est dorée d’un or brun légérement foncé. La bulle est présente mais discrète et en bouche, le vin est délicieux. 1966 est une grande année pour le champagne et ce Mumm a une personnalité rare. Le nez est de miel, et forme avec le champignon de Paris un accord d’une subtilité absolue. La préparation de champignon et de foie gras est une institution, qui montre une fraîcheur liée à l’épaisseur des tranches. La petite crème citronnée rajoute du piquant à la fraîcheur et le miel du champagne enveloppe le tout. C’est pour les novices une remarquable introduction au monde de la gastronomie raffinée de Pascal Barbot.

Le Bâtard Montrachet Veuve Moroni 1992 est d’un jaune d’une belle jeunesse. Le nez est expressif sans exploser. Ce qui est assez spectaculaire et ma voisine imagine que c’est voulu, c’est que l’odeur insistante de miel de ce vin fait une continuité précise avec le miel du champagne. C’est étonnant et heureux, mais c’est fruit du hasard. Le goût est délicat. C’est un Bâtard Montrachet subtil que l’âge a agréablement équilibré. Nous différerons dans l’analyse avec un de mes fidèles amis qui le trouve plus paradant que discret. Ce n’est pas mon avis. La vedette est au plat. Car la cuisson des langoustines est idéale, des parties presque crues exacerbant la saveur de la chair, et les choux sont divins  et cohérents avec le crustacé.

Quand le Château Carbonnieux rouge 1928 est servi, il est inimaginable d’envisager que la couleur du vin dans nos verres puisse être de 1928. Le nez est intense comme celui des plus grands bordeaux, et en bouche, le vin est impérial. On aurait du mal à lui donner plus de quinze à vingt ans d’âge alors qu’il en a quatre-vingts. Ceci conduit à une remarque à propos du sujet choisi par le journaliste. Je suis absolument certain de la provenance des Carbonnieux 1928 que j’ai achetés en quantité il y a plus de vingt ans. Ayant bu beaucoup de Carbonnieux 1928, je sais qu’ils sont réels, ce qui est corroboré par le bouchon qui lorsque je l’ai ouvert s’est fractionné en mille morceaux. Or tel qu’il est là, ce vin à la couleur rouge sang et à la jeunesse folle ne pourrait pas être accepté comme un vin cacochyme. Or il l’est. Ce vin est une divine surprise plébiscitée par tous. Le choix d’un rouget sur ce rouge est évidemment pour me plaire. La chair du poisson entier est sauvage, pure, intense, et c’est une des meilleures préparations possibles du rouget, même si l’on se bat parfois avec les arêtes. Les oignons qui accompagnent forment un tandem avec le poisson beaucoup moins accepté que le chou avec les langoustines. C’est donc sur la chair seule qu’il faut profiter de ce merveilleux vin.

Le Volnay Cuvée Blondeau Hospices de Beaune 1928 est une bouteille d’une rare beauté, soufflée à la main, à l’étiquette simple mais raffinée. La couleur est un contraste inouï avec celle du bordeaux de la même année. Car ici, c’est le rouge affadi d’une tuile pâle. En fait le pigment a dû glisser dans la partie basse de la bouteille car les dernières gouttes versées sont presque noires. L’impression que donne ce vin est très proche de celle que j’ai ressentie la veille avec un Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes 1937. On s’inquiète d’une fatigue apparente, mais le vin fait tout pour prouver qu’il est toujours vivant. Et le charme agit même si le vin n’est pas d’une pureté virginale. Les dernières gorgées sont d’un grand et vrai plaisir. La chair du veau est splendide et les griottes mettent en valeur le Volnay parce que paradoxalement leur acidité efface celle du vin pour l’arrondir.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1992 apporte sa sérénité à ce stade du repas pour notre plus grand confort. Et ce vin délicieux mais connu, car on remonte le temps de 64 ans, sert à mettre en valeur l’intérêt des vins anciens, car le caractère encore un peu brut, non décoffré de ce vin encore une fois d’un goût superbe est loin d’avoir atteint ce qu’il pourra offrir quand le temps aura fait son œuvre de cohésion et d’intégration. L’agneau est sans doute le plat le moins excitant de tous ceux que nous avons dégustés, mais la fatigue, qui a terrassé notre japonais parti sur les terres du soleil couché, joue sans doute un rôle. Le plus divin de ce plat, c’est le curry noir où la réglisse forte excite virilement la Côte Rôtie.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1981 d’une bouteille à l’élégance exceptionnelle irradie dans nos verres d’une couleur à la beauté sans pareille. Le rose est saumon, il est pêche, il est cuisse de nymphe émue. Sa bulle est active, son nez est foudroyant et en bouche c’est un bonheur incommensurable. Ce champagne est au sommet de son art. Lorsque Pascal Barbot et Christophe Rohat m’ont proposé de mettre ce champagne à ce stade du repas, alors que je l’avais placé en ouverture, j’ai accepté l’idée qui m’a conduit à faire ouvrir le Selosse. Lorsque j’ai lu que l’association prévue est avec une mimolette et une sauce de fruits rouges, j’ai pensé à un caprice de chef que je n’allais pas brider. C’est effectivement osé, capricieux, et nos papilles chavirent. Mais le résultat n’est pas convaincant au-delà de l’audace de l’exercice de style. Alors, l’esprit vagabonde et l’on conçoit à quel point ce champagne ouvrirait les bras à de beaux plats du répertoire, et nous pensons qu’un ris de veau entier serait un très beau partenaire. Ce champagne est merveilleux.

Chaque fois qu’un Yquem apparaît sur une table, la joie est au rendez-vous. Le Château d’Yquem 1985 est d’une belle jeunesse. Sa couleur est encore celle d’un enfant. En bouche il est rassurant, charmeur et enveloppant. Je me rends compte que ce vin fera partie dans quelques décennies des Yquem secs. On le sent taillé pour être un partenaire de haute gastronomie. Il se marierait avec des viandes blanches y compris de poissons avec une compréhension absolue.

Il y a du sucre dans les deux desserts, ce qui annihile toute possibilité d’accord avec les deux Yquem.

Le Château d’Yquem 1900 est présenté avec sa magnifique bouteille au cul d’une rare profondeur, au verre blanc et à la couleur de vin foncée comme de l’acajou. Dans le verre c’est un or brun prononcé. Le parfum est envoûtant d’agrumes et mangues confites. En bouche c’est un message d’amour. Il fait comprendre deux choses. La première c’est l’incroyable distance qui le sépare de l’Yquem 1985 que nous avons aimé. Nous sommes à des années-lumière de son très jeune cadet, de 85 ans plus jeune. La deuxième, c’est que nous comprenons ce qu’est le monde des vins d’exception. C’est un peu ce qui sépare le top model de la miss de sous-préfecture, ce qui sépare le cap-hornier du marin d’eau douce, ce qui sépare l’alpiniste des sommets de plus de 8000 mètres de l’escaladeur de week-end. Car cet Yquem 1900 appartient à une race, une élite, une exception. L’équilibre de ce vin est total, c’est un plomb fondu de bonheur. Seules les petites madeleines répondent à sa séduction, car les mangues sont trop sucrées pour correspondre aux désirs du vin. Deux des convives ayant participé au centième dîner au château de Saran ont goûté avec moi l’Yquem 1904. Nous convenons que le 1900, même s’il est exceptionnel, est surclassé par le 1904 bu en Champagne.    

Nous somme sept à voter pour neuf vins. Chacun des neuf vins figure dans les votes ce qui est agréable. Il n’y a que deux vins classés premier, car six sur sept votants ont plébiscité l’Yquem 1900. C’est l’Initiale de Selosse qui recueille le septième vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1900, 2 – Château Carbonnieux 1928, 3 – Champagne Dom Ruinart rosé 1981, 4 – Volnay Cuvée Blondeau Hospices de Beaune 1928. Ce vote a le même ordre que celui d’un des plus fidèles de la dream team.

Mon vote est : 1 – Château d’Yquem 1900, 2 – Château Carbonnieux 1928, 3 – Champagne Dom Ruinart rosé 1981, 4 – Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1966.

Il est intéressant de constater que le Volnay, objectivement fatigué mais largement plaisant a été retenu dans cinq votes sur sept votants. C’est un encouragement à mettre en valeur les vins anciens. On note aussi que les trois vins les plus vieux, et de loin, figurent tous dans le vote du consensus. C’est un précieux encouragement à continuer dans la voie de mise en valeur des vins anciens.

Pascal Barbot est venu recueillir nos avis en fin de repas. Il est certain qu’il est un prince des cuissons. Le rouget et sa chair merveilleuse, la langoustine et le chou sont des moments inoubliables. Le fait qu’il y ait des petits points améliorables tels que le sucre dans le dessert ou l’importance de l’oignon montre que dans une œuvre humaine on pourra encore aller plus loin dans une excellence qui me ravit. Les petites crèmes sont des signatures ravissantes de chaque plat. Si au cours de ce chemin il y a des petites extravagances comme la mimolette, tant mieux, car il ne faut pas être rigide et il faut aussi faire l’école buissonnière.

Ce fut un magnifique repas. Comme dans les pièces de théâtre il y eut un épisode vaudeville, car le japonais malade s’était évanoui en emportant la veste d’un autre convive. La joie d’être entre amis se prolongea encore quand un des plus fidèles suggéra que l’on boive quelque chose. Ce fut un champagne Salon 1988 divin comme on peut l’imaginer, au fumé redoutable, sur lequel nous trinquâmes avec Alexandre, Thomas et un troisième membre de la joyeuse équipe de l’Astrance, ce qui sonna la fin d’un immense moment de bonheur partagé.