Au siège du champagne Salon, lancement du Salon 1997 mercredi, 16 avril 2008

Lorsque j’avais vu Didier Depond au siège du champagne Salon il y a quelques jours, c’était avant la campagne de lancement du Salon 1997. Didier m’avait demandé de ne rien dire de mes impressions sur ce champagne goûté avant l’heure. Je n’en ai rien dit. Enfin je peux parler, car à onze heures Didier reçoit un petit groupe d’amis pour découvrir ce champagne. Il y a dans ce petit cercle de dix personnes une sympathique variété d’horizons : une journaliste d’un organe local, un homme qui compte dans le comité professionnel des vins de champagne, un caviste renommé un grossiste en produits gastronomiques de luxe, un importateur de fruits, un décorateur, un avocat et l’importateur du champagne Salon et de prestigieux vins bourguignons pour le Japon.

Dans la très jolie nouvelle salle de dégustation, nous allons goûter dix vins, mais avant nous visitons les caves de Salon, où l’on dégorge devant nous les deux champagnes que nous allons goûter à table. Didier rappelle l’histoire de ce champagne et cite les années qui ont été produites, qui sont moins de quarante sur un siècle. En l’écoutant les énumérer, je me rends compte que sur plus de quarante ans, j’ai bu tout ce qui a été produit.

La dégustation commence par cinq vins clairs de 2007. Le 2007 Mesnil 1, qui pourrait entrer dans la composition du 2007, si ce millésime est produit, a un nez très pur. La bouche est très acide, le floral est très affirmé. Le 2007 Mesnil 2, qui pourrait aussi entrer dans le Salon 2007 a un nez plus rond, floral. En bouche, l’acidité est différente. Il est plus floral et plus élégant que le 1. Didier nous indique que la décision pour le 2007 n’est pas arrêtée, mais on sent qu’une voie a sa préférence. Elle est très originale et me plait beaucoup. Je ne précéderai pas son annonce. Les autres vins, sauf peut-être un, n’entreront que dans le Delamotte. L’Avize 2007 a un nez assez curieux, avec une bouche un peu plus simple. Il est plus buvable car il est moins marqué. Le Cramant 2007 est très pétillant. Il évoque les fleurs blanches. Il manque un peu de finale. Le Chouilly 2007 est un peu plus plat, plus animal.

Nous passons ensuite à cinq vins qui ont été dégorgés ce matin à neuf heures et non dosés. Le champagne Delamotte blanc de blancs est fait à base de vins de 2002. La différence avec les vins clairs de 2007 est spectaculaire, car on entre dans le monde des vrais champagnes. Le nez évoque le poivre et le caramel. Il est d’une très belle longueur. Le champagne Delamotte blanc de blancs 1999 a un joli nez floral, assez discret. En bouche il est très équilibré, toasté, fruits jaunes. Il est un peu classique mais très pur et très élégant. C’est un champagne qui mérite vraiment l’intérêt.

Le champagne Delamotte blanc de blancs 1985 a un nez superbe et raffiné. En bouche, il est beau et glorieux. Son attaque est splendide et le corps évoque le carambar et l’amande grillée. Ce beau vin a une forte minéralité.

Le champagne Salon 1997 a un nez discret mais noble, minéral et iodé. L’élégance en bouche est d’une grande évidence, et l’on entre de plain pied dans le monde de Salon. Très pur, très concentré il va évoluer. Sa trame est belle et son final affirmé, il évoque les fleurs blanches, l’iode, la pêche blanche. Il est résolument féminin, ce que Didier traduit ainsi : le 1996 est Cary Grant et le 1997 est Audrey Hepburn.

Le champagne Salon 1988 a le nez du 1988 que je connais par cœur. Le caramel est là. En bouche il est typé, fumé, avec un petit côté animal. Ce n’est pas le plus grand 1988 que j’aie bu, mais il faut rappeler qu’il n’est pas dosé.

Nous nous dirigeons vers la jolie salle à manger du premier étage où abondent les souvenirs d’Eugène Aimé Salon et des dîners prestigieux où Salon fut à l’honneur. Il fait si beau que l’apéritif au Salon 1997 est bu le long des vignes de la parcelle magique qui fait ce vin rare. Et sur des gougères et tuiles au parmesan, le 1997 commence à montrer sa personnalité. Féminin et racé, il l’est sans conteste. Mais sa personnalité va se former encore et il choisira de l’amplifier.

Le jeune chef d’un restaurant local  a réalisé un repas d’une grande qualité. Voici le menu : crème brûlée de foie gras, carpaccio de Saint-Jacques, vinaigrette légère, pressé de légumes et rouget / risotto de homard Arborio, émulsion de crustacés / Filet de veau français printanier / cœur de parmesan 36 mois / financier aux amandes effilées, concassé de pistache et coulis d’abricot. Tout est bon délicat et de goûts précis. Il fallait bien cela pour les vins remarquables de ce déjeuner.

A table, le champagne salon 1997 fait sa mue et le gamin devient adolescent. Il affirme une puissance qu’il avait cachée jusque là. Il est absolument superbe sur le rouget, précis sur la coquille crue et en opposition avec le foie gras, car l’accord ne se fait pas. Il revit avec le risotto et le homard, plat remarquable.

Le Château Latour 1990 en magnum me laisse sans voix. Ce vin est d’une perfection absolue. On ne peut pas imaginer que ce vin puisse être meilleur que ce qu’il nous offre ainsi, sans l’ombre de plus infime défaut. Le vin est parfait, combinant une race, une distinction qui le place au plus haut niveau de la hiérarchie bordelaise, mais il y rajoute une joie de vivre simple qui est confondante. Il va sans dire que dans l’échelle parkérienne, c’est un 100 qui doit couronner ce vin. Alors, avec ma bouteille rapportée de la veille du restaurant Laurent, ne vais-je pas faire une erreur en le faisant servir maintenant ? Eh bien, la nuit plus le voyage jusqu’ici lui auront fait du bien. Le vin frappe tout de suite par un fruit incroyable. C’est confondant de générosité. Et ce qui me fait un immense plaisir, c’est que l’on peut passer du Latour au Chave et inversement sans avoir le moindre sentiment qu’ils se repoussent. Ils sont opposés mais s’acceptent. Le Latour est magnifiquement noble, le Cathelin est fruité, généreux et chantant d’une voix d’enfant. Deux splendides expressions du vin rouge. En terre champenoise, c’est du bonheur. Nous revenons au Salon 1997 sur le parmesan délicieux et, signe important, le champagne ne démérite pas après le passage de ces deux rouges de compétition. Il va même jusqu’à creuser son sillon dans nos papilles pour affirmer : j’existe et je suis là.

Pour le dessert, le Champagne Salon 1976 en magnum dégorgé en cave devant nous montre une couleur dorée magnifique. Rien n’est plus beau que cet or. Je le sens alors que la bulle éclate dans le verre et ce sont des milliers de grains de cassis qui se brisent dans cette odeur. Le champagne est grand, car 1976 est grand. Mais la fatigue des papilles commence à jouer, et le plaisir s’émousse. Les cartes de visite s’échangent, les promesses de se revoir se forment. Sous le soleil qui montre enfin son nez après tant de grisailles printanières, nous avons la sensation d’avoir vécu un grand moment. Le baptême du 1997 est convaincant. Le boire sous le signe de l’amitié est un cadeau de plus.

visite au champagne Salon – les photos mercredi, 16 avril 2008

La cave des champagnes Salon

 La cave des vieux millésimes est très petite. Ici, un Salon 1966.

 

La magnifique salle de dégustation où nous goûtons les vins clairs et le fameux 1997 Salon comparé au 1988.

 

Après la séance studieuse, nous devisons devant les vignes de ce beau champagne.

 

Les entrées pour jauger le Salon 1997, puis homard.

 

La délicieuse viande sur le magnum de Chateau latour 1990.

 

Ermitage Cuvée Cathelin Jean Louis Chave 1998 que j’ai apporté (venant du dîner de la veille au restaurant Laurent)

 

La belle couleur du champagne Salon 1976

Vertical 2007-2000 for Latour-Martillac, Kirwan, Beycehevelle and Guiraud mardi, 15 avril 2008

Vertical 2007-2000 for Latour-Martillac, Kirwan, Beycehevelle and Guiraud

At the private flat of Sophie Schÿller-Thierry in Paris, four wines were presented for eight following years, 2000 up to 2007.

I will not give detailed analysis, but some remarks can be made.

It is very interesting to taste eight years in a row, as the personality of every wine becomes clearer and clearer. And, for my taste, the personality of the wine has a greater effect than the year.

The second impression is that the hierarchy of years is different for each wine. Kirwan has a very great 2003, which is not the same for Beychevelle, and Beychevelle has made a better 2000 (comparatively to its brothers) than Kirwan or Latour-Martillac.

Some other impressions :

          2005 does not give the impression to be outrageously better than the other years

          2006 is charming for my taste

          2000 is far from being the millennium year as it was prophetised at its birth

          2001 is a very great year (at least at this moment of its life)

          The pleasure of these wines today has not much to do with the hierarchy of years given by the experts.

I drank only two wines of Guiraud : the 2007 and the 2001. They are strictly twins ! Two very great wines indeed.

Another impression is that these wines are living. Which means that they are not tasted at the same moment of their life. So, the ranking that I would make today is not the ranking that I would make in three years.

But if I had to make a choice to drink today, in general terms, for what they give today, I would drink the 2001, which please me, and the 2006 if I want to taste a wine in its youth.

I would not drink the 2000 which will probably make like the 1975 : when will they be drinkable ? I would surely put the 2003 and 2005 in the deepest corner of my cellar, and I would drink the 2002 and 2004, if I had the bad chance to have some in my cellar.

Of course it is my taste which is not a universal taste. But I must say that 2001 and 2006 pleased me in their actual form.

Just after that, to wait for my wife with whom I will have dinner, I went to the bar of hotel Crillon. The chief barman, Philippe Olivier, is a fan of Cognac. He showed me the Louis XIII Black Pearl Remy Martin which he will receive in magnum in a few days. He opened the bottle that he had to let me try. This is a real gift because I can imagine the price of a glass !

I drank it. Mamma Mia !!!

The purity of this cognac is exceptional. It will be impossible to get a bottle, as all must already been sold. But what a wonder ! fascinating exceptional cognac.

It was then time to meet my wife for a happy dinner.

Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998 mardi, 15 avril 2008

Mon épouse adore le restaurant Laurent. Pour fêter un anniversaire de mariage dont on  ne compte plus les années, puisqu’on aime, il est tout naturel d’y aller. Dès notre arrivée, nous nous sentons bien. Toute l’équipe est souriante et aux petits soins pour nous. Connaissant tous les plats, il n’y aura pas de surprise avec les langoustines et les pieds de porc. Je choisis un Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998. Lorsque j’avais ouvert ce vin pour un réveillon dans ma maison du Sud, je savais que je commettais un infanticide, mais j’ai aimé la découverte. Lorsqu’un ami présent au réveillon en partagea un quelques mois plus tard avec moi au restaurant Laurent, ce bambin avait la saveur de l’amitié. Ici, alors que je suis seul à boire, je me rends compte qu’il faut lui appliquer la formule mitterrandienne, « il faut laisser du temps au temps ». Ce vin a tout pour lui, son fruit est immense, sa générosité est hors norme. Mais laissons-lui le temps de se domestiquer. N’ayant consommé qu’une partie de la bouteille, je la conservai pour en faire profiter les amis que je vais retrouver.

 

Deux plats "culte".

 L’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998 bu ce soir et qui sera partagé au siège du champagne Salon avec des amis.

brunch au Kube dimanche, 13 avril 2008

Le lendemain toujours en famille, nous allons prendre un brunch dominical au Kube, un hôtel branché qui est du même groupe que le restaurant Murano.

Avant le brunch, chez ma fille, mon gendre ouvre un Dom Pérignon 1999. Un goût de bouchon nous a rebutés.

La décoration résolument moderne du Kube est très inspirante. C’est jeune, coloré, imaginatif. On se sent bien. Le service est attentionné et dégourdi. La cuisine est sommaire mais comme c’est un brunch on peut picorer ce qui nous fait plaisir. Une jeune fille belle comme une Madone vient nous proposer d’aller regarder une exposition de l’artiste qui a pendu des tableaux sur toutes les cimaises. Les futurs Warhol ont encore du travail. Je fais ouvrir un champagne Krug Grande Cuvée fort adapté à cet exercice. Tout le monde est en jean, les enfants gambadent, l’atmosphère est à la joie de vivre en famille. Quelques belles bulles sur un camembert et c’est un rayon de soleil qui prouve que partout, un essai gastronomique peut donner du bonheur au cœur.

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Dîner de famille impromptu samedi, 12 avril 2008

Dîner de famille impromptu. J’ouvre un champagne Taillevent rosé 1988 élaboré par Deutz. La couleur est d’un rose intense de grand raffinement. Le nez est avenant et en bouche, ce champagne me réconcilie avec les rosés. D’une grande pureté ce champagne élégant est très intense et charmant. L’âge lui va bien. J’ai prélevé en cave au hasard un Nuits-Saint-Georges Ed. Loiseau 1982. Au vu de l’étiquette, il n’y a pas de miracle à attendre sur un délicieux gigot à l’ail de mon épouse. Nous sentons, c’est délicieusement avenant. La couleur est clairette, et dès que nous portons ce vin à nos lèvres, mon fils et moi nous nous regardons. Qui de nous deux dira le premier que c’est sacrément beau ? Il y a dans ce vin simple un très beau fruit joyeux, et ce frisson bourguignon qui encanaille le cœur. Comment imaginer qu’un tel vin nous donne tant de plaisir ? Il ne faut pas le dire, car serions-nous crus ?

 

 

99ème dîner de wine-dinners – quelques plats vendredi, 11 avril 2008

Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, fèves et petites oignons mijotés au beurre de romarin

 

Volaille de Bresse pochée en vessie : 1° service : le suprême servi dans son bouillon, chou farci et raviole de foie gras

 

2° service : gras de cuisse au jus et abattis de volaille

Poire « William » cuite au naturel et caramélisée, mousseline et crème glacée au sirop d’orgeat.

Tout fut délicieusement délicat.

 

99ème diner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 10 avril 2008

Le 99ème diner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Son histoire est liée à celle du 100ème dîner. L’idée de faire au château de Saran le centième dîner, qui marque une date dans l’histoire de mes dîners, m’avait beaucoup excité. Le projet d’un dîner en ce haut lieu de la champagne, au propre comme au figuré, était dans l’air depuis longtemps. Un tel site pour le centième, c’était plus que tentant. Mais comme ceux des lecteurs qui ont une connaissance mathématique développée le remarqueront sans difficulté, il est d’usage que le centième apparaisse après le 99ème et non avant. La date de disponibilité du château de Saran m’ayant été communiquée, il fallait insérer dans mes programmes un dîner de plus. Plutôt que de s’embarrasser à trouver des convives je décidai d’inviter les heureux inscrits au centième. S’ajoute un couple de jeunes mariés à qui j’offrais ce cadeau. Un ami de toujours compléta la table, et nous voilà onze au restaurant Laurent.

Je viens ouvrir les vins peu avant 17 heures et le jeune sommelier qui m’assiste sent chaque vin avec un grand plaisir. Il est surtout intéressé par le Porto du 19ème siècle, car c’est sa région d’origine. Même lorsqu’ils se briseront, aucun des bouchons ne me pose réellement de problème. Aucune odeur ne me fait peur.

Chose invraisemblable qui n’arrive normalement que dans mes rêves les plus irréels, tout le monde est à l’heure à 20 heures précises. La probabilité d’une telle exactitude étant plus faible que celle d’une éclipse totale de soleil, on image à quel point je suis désemparé. Dans le beau salon d’entrée du restaurant, nous prenons l’apéritif avec un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle ancien que j’avais annoncé vers 1970. Il pourrait être plus vieux encore car sa belle couleur dorée évoque les acajous subtils et en bouche il y a un délicieux entrelacs d’agrumes et de brioches. Kaléidoscopique, ce champagne à la bulle chiche mais pétillant sur la langue montre à quel point les champagnes anciens ont une séduction redoutable. Il sert d’introduction au voyage que nous allons faire dans le monde des vins anciens. Les toasts au jambon réveillent l’envie de convaincre du champagne qui serait un partenaire idéal de gastronomie tant il a de choses à raconter.

Nous passons à table dans la belle salle en rotonde du restaurant. Je me suis mis dos à la salle et quand je vois les mâles de notre groupe tourner le cou je peux m’imaginer qu’une beauté sculpturale doit franchir l’espace. Je n’exclus pas pour certains quelques torticolis postprandiaux.

Le menu créé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Toasts de jambon Jabugo / Langoustine croustillante au basilic / Royale de morilles / Carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, fèves et petites oignons mijotés au beurre de romarin / Volaille de Bresse pochée en vessie : 1° service : le suprême servi dans son bouillon, chou farci et raviole de foie gras / 2° service : gras de cuisse au jus et abattis de volaille / Poire « William » cuite au naturel et caramélisée, mousseline et crème glacée au sirop d’orgeat / Tartelettes au chocolat noir / Café, mignardises et chocolats. Tout ceci est d’une rare délicatesse et je ferai un commentaire à la fin de ce compte-rendu.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cuvée Or 1976 surprend immédiatement car il forme avec le précédent un contraste incroyable. Le premier champagne était un « vieux » champagne. Celui-ci est un gamin par comparaison. Ce qui est assez extraordinaire c’est sa séduction subtile féminine au plus haut point. Il est floral de fleurs blanches, il est fruité de fruits blancs et son message délicat impose à nos lèvres son charme infini. On se complairait d’en boire à l’envi dans un Eden retrouvé. La langoustine a une chair douce presque tendre et sucrée et cela compose en bouche avec le champagne un tableau à la Vigée-Lebrun.

Le Montrachet Domaine Amiot Guy et Fils 1993 est un solide gaillard. Son message est clair comme un réveil de Diane. C’est avec la crème qui entoure les morilles qu’il s’exprime dans une continuité envoûtante. L’accord est percutant. Il le fallait bien car ce Montrachet monolithe ne fait rien pour nous dérouter : il suit sa trace gustative sans se retourner.

J’ai passé beaucoup de temps à observer les réactions des jeunes mariés car c’est pour moi riche de sens de comprendre l’entrée de jeunes palais dans un monde quasiment nouveau pour eux. Leurs rires, leurs réactions sont des signes qui m’importent car on peut entrer dans le monde des vins anciens sans grande connaissance préalable et y trouver magie et plaisir. Le carré d’agneau à la chair tendre accueille deux vins aussi disparates que possible. Le Château Carbonnieux rouge 1929 a une couleur sang de pigeon d’un jeune vin. Son nez est franc, mâle. A l’inverse le nez du Château Lafite-Rothschild 1924 est un peu rebutant et sa couleur est plus fatiguée. Mais en bouche ce n’est plus du tout la même chose. Le Carbonnieux a un message direct, franc qui ne s’embarrasse pas de fioritures. On le saisit instantanément et je dois dire que je préfère ce 1929 à tous les nombreux 1928 que j’ai déjà goûtés. Il y a une classe derrière cette pureté qui fait de ce vin un très grand vin. Et je ne suis pas sûr que beaucoup de 1961 seraient plus jeunes que lui. A l’inverse le Lafite est tout en complexité et en subtilité. Rarement Lafite n’aura exposé autant d’évocations. On comprend en « lisant » ce vin pourquoi c’est un premier grand cru classé. Une légère fatigue est là, mais elle n’entrave en rien l’exposé du message large comme un éventail. C’est un très grand vin qui s’est marié plutôt avec la peau caramélisée bien grasse qui réveillait son envie de vivre.

Une incroyable symétrie allait se produire avec les deux bourgognes. Comme dans la première série des rouges c’est le verre à ma gauche qui a le vin le plus vivant. Il s’agit maintenant de l’Echézeaux Henri Jayer 1976 au nez tonitruant, alors qu’il était le plus discret à l’ouverture. Chat matois sans doute il attendait son heure. Henri Jayer est devenu de son vivant mais encore plus après sa mort une légende de la vinification bourguignonne. Est-ce de l’auto-persuasion, toujours est-il que je trouve ce vin absolument parfait dans sa conception, son écriture et son exposé. Des bourgognes aussi précis que celui-ci, je n’en connais pas beaucoup. De plus, comme lors d’une manif, il a mis le son sur haut-parleur et nous délivre un message d’une rare richesse. A côté de lui, à droite, comme pour la série précédente, le Chambolle Musigny Domaine Grivelet 1949 fait un peu plus fatigué. Mais il cache bien son jeu. D’une des plus grandes années de la Bourgogne, il est grand, noble et sans vouloir séduire il y arrive bien. Le plat est divin, la chair blanche d’une tendreté rare, et le petit ravioli de foie gras excite le Chambolle aussi bien que la feuille de chou. Le parallélisme des deux séries de rouges est intéressant : le plus jeune est fringant, mais le plus ancien, sous son manteau de vieillesse, affiche une complexité qui force l’estime et l’affection.

Le deuxième service de la volaille est particulièrement judicieux sur l’Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955 qui me donne un coup de poing dans le cœur. Ce vin est étiqueté comme étant de la réserve de l’auberge  de la Truite à Locmaria-Huelgoat. Est-ce là qu’un souffle iodé de force 8 lui a donné cette puissance, je ne sais, mais je reste sans voix. Ce vin est parfait. Il est intégré, c’est-à-dire que chaque composante est ordonnée de façon logique. Il est cohérent, plein, rond, fruité et joyeux. C’est un vin de pur plaisir. Il n’y a pas de recherche de complication, et cela se boit bien, avec la joie au cœur. Les parties plus grasses de la volaille s’en complaisent. Décidément, l’année 1955 ne me réserve que de belles surprises en ce moment.

Le Château Rieussec Sauternes 1947 fait un tour de piste pour faire admirer sa robe d’un or précieux. Les mâles de notre table s’en arrêteraient de voir les Vénus qui passent. Aussi bien au nez qu’en bouche, c’est la perfection et le bonheur. On se demande en buvant ce vin s’il existe quelque part quelque chose de plus parfait. Car avec l’âge, le sucre s’intègre, se polit, et sans aucune charge excessive, il ne reste que le plaisir pur. Si le Graal devait exister, il se nicherait dans ces vins-là. Bien sûr le jeune couple se délecte comme Alice dans un pays merveilleux. J’avais un peu peur en étudiant le menu que le dessert où le sucre abonde ne s’oppose au vin car le sucre est l’ennemi des sauternes, mais la poire prise seule est un délicat compagnon.

Par contraste le Porto Ferreira Enrique Duque de Bragança 1895 est beaucoup plus alcoolique et lourd. Mais l’âge profite tellement à ces vins qui gagnent en rondeur et en équilibre que le charme est infini, ticket pour le nirvana. Les petites barquettes au chocolat me donnent des envies de roudoudou et je les lèche par le haut comme le font les enfants. Et l’aspect griotte du porto se fond dans le chocolat. C’est du plaisir gourmand.

Tout au long du repas j’ai analysé avec mes jeunes amis sur quel aspect du plat l’accord se faisait, tantôt avec la chair, tantôt avec la sauce, et quand la pointe d’asperge répondait merveilleusement à l’Hermitage c’était un moment d’extase partagée.  Le plus bel accord du repas a été celui de la crème des morilles et ses esquisses de réglisse sur le Montrachet.

Les votes sont toujours d’un grand enseignement. Nous étions onze pour dix vins et chacun des vins sans aucune exception a figuré dans les votes où l’on ne retient que les quatre premiers. Ce résultat est, on le sait, un immense encouragement pour moi. Et le fait que cinq vins sur dix ont eu au moins une place de premier montre d’une part la qualité de mes vins (l’autocongratulation est un exercice qui ne me fait pas trop peur), mais d’autre part la diversité des goûts. Le Rieussec 1947 a obtenu six places de premier, ce qui lui donne une élection présidentielle au premier tour. Quatre vins ont été cités une fois premiers : l’Hermitage Chapoutier, le Lafite 1924, le Chambolle-Musigny Grivelet 1949, et l’Echézeaux Henri Jayer 1976.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Rieussec Sauternes 1947, 2 – Echézeaux Henri Jayer 1976, 3 – Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1929.

Mon vote, sans doute influencé par le fait qu’Olivier Bernard m’avait rappelé que je vote très souvent pour les sauternes a été : 1 – Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955, 2 – Echézeaux Henri Jayer 1976, 3 – Château Rieussec Sauternes 1947, 4, – Château Carbonnieux rouge 1929. Le consensus consacre les mêmes vins que mon vote, mais j’avais bien hésité d’inclure dans le mien le Porto. Lorsque je m’apprêtais à sortir, j’ai félicité Philippe Bourguignon pour la pertinence absolue des accords et pour la simplicité des plats. Il me répondit que pour un chef, simplifier un plat est ressenti comme une entrave à l’expression de son talent. Il faudra que je m’en explique avec Alain Pégouret au talent que j’admire, car je suis convaincu que la simplification d’un plat pour faire jaillir un accord pur est comme la calligraphie chinoise : c’est un art. Et je suis sûr que l’ensemble de la table a été impressionnée par le talent du chef plus dans cette simplicité que s’il adoptait une expression plus riche, plus composée mais moins proche du résultat escompté. Chaque fois qu’un chef joue ce jeu, il en sort grandi. Et l’apparente limitation du talent n’en est pas une, au contraire.

Aucun plat n’a été à contremploi, ce qui est remarquable. Tout fut en subtilité. L’engagement de Philippe Bourguignon le talent d’Alain Pégouret, l’attention constante d’un jeune sommelier engagé vers la perfection, le service, l’atmosphère, tout a contribué à notre bonheur. Si sur les cent dîners que j’aurai bientôt accomplis le restaurant Laurent, le plus fréquent de tous, figure quinze fois, ce n’est pas un hasard. C’est ici qu’une gastronomie sereine peut s’épanouir. Il ne restait à cela qu’à ajouter nos rires. Ce fut fait.

99ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 10 avril 2008

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle (vers 1970)

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin cuvée or 1976

Montrachet Domaine Amiot Guy et Fils 1993

Château Carbonnieux rouge 1929

Château Lafite-Rothschild 1924

Echézeaux Henri Jayer 1976

Chambolle Musigny Domaine Grivelet 1949

Hermitage la Sizeranne Chapoutier 1955  (réserve de l’auberge de la Truite à Locmaria Huelgoat. Et le chef n’a pas prévu de truite !!!)

Château Rieussec Sauternes 1947

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Porto Ferreira Enrique Duque de Bregança 1895